𝑪𝒉𝒂𝒑𝒊𝒕𝒓𝒆 6
« On peut prévoir mille et un scénarios, mais celui qui est gagnant est toujours coincé dans l'inconnu. »
Présent, en Dakota du Sud.
Milanca était arrivée à bon port et pourtant, les battements saccadés contre sa cage thoracique lui donnaient la nausée, la contraignant à respirer par grosses goulées lorsque son cerveau se déconnectait trop de son corps. Les chocs électriques administrés par son taux d'anxiété mal canalisé la faisaient grincer des dents. Ses canines étaient douloureuses à force de se percuter entre elles.
Se forçant à détendre ses muscles, Milanca sortit de sa voiture. Elle avait fait halte sur un sentier rocailleux. Son appareil électronique lui affirmait qu'elle se situait à l'orée de la chaîne de montagnes, appelée les Collines noires. Il n'y avait pas d'habitation, ni d'âme qui vivent aux alentours et Milanca n'en fut pas la moins du monde choquée. Le village de DeadWood dans les contrées des Black Hills peuplait d'êtres surnaturels ne serait accessible qu'aux plus chanceux d'entre eux. En fait, la jeune femme connaissait les contrats régis entre la Meute Onyx et ses alliés, et pour poser un pied en ce territoire, il était nécessaire d'en avoir l'autorisation ou l'invitation. En d'autres termes, si on n'était pas les bienvenus, l'entrée mystique resterait cadenassée dans l'oubli.
La galère jusqu'au cou, n'est-ce pas ?
Mais bien que Milanca soit au fait de ces informations peu loquaces, elle ne s'était pas pour autant résignée à abandonner. Loin de là. Certains membres de la communauté surnaturelle savaient trépasser les règles ou du moins, dans le cas de la jeune femme, elle était experte pour les contourner. Et des tours de passe-passe, elle en avait. Un sourire ironique se momifia sur ses lèvres pulpeuses. Si son père l'observait des cieux, il serait probablement amusé et sa mère... défaite par tant d'insubordination.
Elle éclata de rire. Elle ne l'aurait jamais cru, mais les mimiques rigides de sa génitrice lui manquaient.
Le hululement saccadé de hiboux décontenança Milanca. Revenant à la réalité, elle s'empara de son sac à dos, d'une lampe de poche et se munit de ses clés, les bandant entre les jointures de ses poings comme une arme à bout tranchant. Le reste de ses effets personnels resteraient dans sa Jeep, le temps qu'elle trouve le repère secret qui la mènerait jusqu'à DeadWood.
Inspirant avec force par les narines pour se donner du courage, Milanca franchit le sentier qui se terminait en une mare boueuse de terre et de sable, l'esquiva et s'enfonça dans les tréfonds de la forêt ancestrale et vivante de Black Hills. Il s'agissait d'un site sacré incontournable pour les touristes et la jeune femme avait pris le contrepied pour éviter de croiser des voyageurs. Alors plongée entre les conifères et les sapins, elle s'éloigna des pistes pour suivre son propre chemin intérieur.
Plusieurs affirmeraient qu'elle était cinglée de partir à l'aventure ainsi, sans escorte, mais être pointée du doigt et susciter les réprimandes faisaient partie de son quotidien de louve il y a quelques années. Milanca connaissait sa farouche personnalité et bien qu'elle lui ait administrée plus de désagréments que de passage propice au bonheur, certains traits de caractère ne pouvaient changer. Et puis, ce n'était pas vraiment sa priorité pour le moment.
Alors l'âme têtue d'un âne dans le corps, la rebelle continua sa tracée, écartant sur son passage les feuillages sombres qui tentaient de lui fouetter le visage. Un tapis de mousse étouffait le moindre bruit sous ses pieds.
Le soleil commençait à descendre, plus les minutes passaient, et accélérant le pas, les iris déterminés, elle ne se laissa aucunement ensevelir par l'inquiétude. Sous les pousses et les rameaux obscurs, Milanca détectait la senteur fraîche des feuilles, du pin et des noix de muscade. Elle tourna à gauche lorsque son esprit lui sommait de le faire et écouta chaque écho de la nature, comme si les secrets qu'elle détenait pouvaient lui être révélés.
Lorsque ses doigts frôlèrent un bouleau aux allures austères, elle détourna le regard et bifurqua, s'orientant vers le ruisseau que ses iris repéraient à des dizaines de kilomètres plus loin. Milanca n'essayait plus de comprendre ses facultés. Du jour au lendemain, elles pouvaient être annihilées, puis resurgir au moment propice lorsqu'elle gardait les pieds enfoncés dans la terre et les yeux fixés vers les cieux brillants d'étincelles. Elle s'était déchaussée depuis belle lurette et tenait ses baskets noires dans sa main droite, alors que de la gauche, elle continuait de tendre sa lampe vers l'horizon.
Trois heures plus tard et la forêt fourmillait de vie. Les hiboux observaient avec curiosité l'étrangère sur leur terre et plusieurs mouflons canadiens relevaient leurs crêtes pour contempler l'intruse. Milanca surprit même un petit troupeau de chevaux sauvages évoluant dans la prairie à sa droite. Les yeux plissés, elle arrivait à distinguer leur robe, passant du café au lait au gris et pie.
En apposant sa main contre un grand orme, Milanca s'attendit à recevoir de nouveau une indication ou une direction dans son esprit, mais rien. Interloquée, elle réessaya ailleurs. Toujours ce même silence.
— Bordel, pesta-t-elle.
Pourquoi fallait-il que ça s'arrête en si bon chemin ? Bon sang ! Alors qu'elle s'apprêtait à baisser les bras dans un soupir de frustration, Milanca l'entendit. Une voix.
— Sur ta gauche. Plus loin se trouve un tunnel.
Si une voix de femme s'adressait à sa meilleure amie, Jude, par la pensée, l'écouterait-elle ? À peine la réflexion frôla son esprit que Milanca se mit à sourire. Bien sûr que non. Mais le ferait-elle, elle ? Évidemment. Resserrant les pans de son sac à dos contre elle, la jeune femme suivit chaque indication dictée par l'intonation rassurante.
Le tunnel qui lui faisait face était en fait une galerie souterraine éclairée. Surprise, les membres tendus, la blonde détecta une brève odeur de feu et des éclats de rire. La paroi rocheuse du passage à sa droite lui donnait des frissons, comme si les écailles de granit tentaient d'entrer en contact avec elle.
— Oui, exactement. L'entrée se trouve sous tes yeux.
Du bout des doigts, Milanca frôla le roc et un courant électrique réveilla tous ses muscles, jusqu'à la faire tressaillir de douleur. Ses iris églantines lui vrillaient le crâne et le sang chaud pulsa avec rapidité dans ses veines. Elle réalisa avec horreur qu'elle ne pourrait traverser le bouclier translucide qui délimitait le monde surnaturel des Sans Dons. Elle ne pensait pas avoir les compétences nécessaires. Le champ magnétique la pulvériserait ou lui donnerait un tel choc qu'elle en perdrait connaissance.
Une sorcière était passée par là, pensa-t-elle en analysant la brèche magique. Étrange. Les Wicca n'aimaient pas s'affilier avec les autres espèces paranormales pour des raisons assez logiques. Leur pouvoir était convoité et souvent exploité à des fins peu commodes. Aussi était-il mieux de ne plus se joindre aux autres êtres surnaturels. Pas dans un désir de pacification, mais de protection. Alors comment se faisait-il qu'une sorcière avait bâti ce passage pour protéger la Meute onyx de toute rencontre infortunée avec les Sans Dons ?
Secouant la tête pour se changer les idées, Milanca réfléchit. Elle en revenait au point initial. Elle ne pouvait traverser le mur de pierres. Pas sans égratignures du moins.
— Je peux le maintenir ouvert, si c'est ce qui t'inquiète, lui souffla la voix doucereuse.
Milanca grimaça, peu confiante.
— Même si je pense que tu en es amplement capable.
Soufflant, presque agacée, la blonde repoussa l'intruse de sa tête et inspira un grand coup. Elle ne voulait pas de paroles de réconfort. De toute façon, le choix ne revenait qu'à elle. Si Milanca se trouvait là aujourd'hui, c'était bien parce qu'elle était prête à courir tous les risques, alors qu'était-ce de plus maintenant ? Rolan ne pourrait l'avoir à ses côtés si elle n'existait plus. Le sacrifice résidait dans l'acceptation d'avoir accompli tout ce qu'elle espérait. Mais avait-elle vraiment tout essayé ?
Ne laissant pas sa raison prendre le dessus, elle franchit d'un mouvement brusque la barrière translucide, et à part sentir les écailles rocheuses tièdes contre sa peau, Milanca n'eut pas la moindre sensation terreuse de douleur aiguë ou passagère.
— Bien, souffla-t-elle.
Elle n'eut pas le temps de contempler les alentours avant qu'un sac ne vienne recouvrir ses traits et qu'on ne lui hurle dessus. La voix râpeuse contre ses oreilles lui donnait le tournis par la violence qu'elle dégageait. Définitivement, il s'agissait d'un loup haut gradé. Lorsque Milanca sentit ses bras se faire maîtriser, échappant ses chaussures au passage, son mécanisme de survie s'enclencha.
Elle sentait trois présences contre sa peau alors qu'elle propulsait son poing où étaient logées ses clés contre la mâchoire d'un individu. Elle frappa dans le mille au son que produisit son bourreau. Son deuxième assaillant agrippait son sac à dos pour la maintenir en place, elle s'extirpa des bretelles, les empoigna à la dernière minute, tira dessus pour déprendre la poigne ferme de son imbécile d'agresseur et le cogna avec. Elle entendit un juron, puis un rire avant qu'elle ne tende la main pour dégager son visage.
— Oh non, pas ça ma belle !
On lui faucha les jambes avec rapidité et son crâne se fracassa contre le sol, lui tirant un gémissement de douleur. Bordel ! Elle venait de voir des étoiles. Avant de pouvoir se questionner plus, on la releva et lui lia les poignets dans le dos. Elle frissonna légèrement au toucher de l'individu, alors que celui-ci lui tordait les doigts pour faire bonne mesure. Elle l'insulta en retour et une panoplie de rires scinda l'atmosphère lourde.
— Ça suffit, grogna son bourreau d'une voix essoufflée, ce qui tira un sourire à la jeune femme.
Elle ne lui avait pas rendu la tâche facile, c'était tout ce qui comptait. Elle se laissa tomber sur sa personne, sentit son corps chaud et dur, respira un coup et propulsa sa tête vers son menton, tout en écrasant son talon contre le pied de son agresseur. Sa prise se détendit quelques minuscules secondes avant qu'il ne la retourne vers lui en râlant de douleur. Plaquée contre son torse musclé, elle huma l'odeur fraîche de pin et de vanille.
— Ouf ! Elle ne t'a pas manqué, ricana une voix rauque derrière.
— La ferme, éructa son salaud de bourreau d'un ton âpre.
Il lui maintenait une main contre ses liens dans le bas de son dos et une autre était aplatie dans ses cheveux, donnant une envie prodigieuse à Milanca de mordre son tortionnaire.
— Et toi, cesse de t'agiter, princesse.
Sa voix était ferme, mais elle fit la sourde oreille.
— Si Son Altesse pouvait bien me lâcher, fit-elle acide.
De nouveau une flopée de rires, et Milanca gesticula en retour. Qu'est-ce qu'il se passait bon sang ? Elle était certaine d'être dans la Meute Onyx. Avait-elle prévu un tel accueil ? Peut-être un peu. Pensait-elle s'en sortir mieux que maintenant ? Définitivement. Et la frustration de cette amère réalité lui donnerait presque envie de pleurer.
— Altesse, hein ?
Le toucher de l'homme se fit plus doux et elle sentit son regard la brûler à travers son bandeau.
— J'aimerais bien te relâcher, mais malheureusement, tu comportes trop de risques pour la meute.
— Je ne suis pas dangereuse.
— Ouais, ça j'aimerais bien te croire, princesse. (Elle tiqua à ce surnom et grogna, le faisant rire.) Mais tu vois, tu m'as égratigné et tu as presque rendu stérile mon ami, alors, je doute vraiment de tes paroles.
Milanca étouffa une raillerie avec difficulté, ce qui sembla agacer son opposant qui continuait de la maintenir prisonnière entre ses bras.
— Vous m'avez attaqué en premier, c'était de la légitime défense.
— Vraiment ? Pourtant tu devrais être aux faits qu'on ne rentre pas impunément dans un clan sans y avoir été invité.
— Je viens en tant qu'amie, OK ? rouspéta-t-elle, lasse et fatiguée. Est-ce qu'on peut me lâcher maintenant ? Et m'enlever ce fichu bandeau qui pu la mort ? C'est très déplaisant.
— Allons, tu as entendu la belle demoiselle, railla une troisième voix, un rire dans la gorge. Libère-là.
— Non, grogna son assaillant en retour. Je l'amène à l'Alpha.
— Parfait, grinça-t-elle entre ses dents.
Elle détestait l'homme qui la maintenait prisonnière et elle espérait bien qu'elle n'aurait plus jamais à le revoir. Reprenant ses esprits, elle tenta de rationaliser ses pensées. Sa première inquiétude, avant de confronter de nouveau son bourreau arrogant et impétueusement stupide, était d'être acceptée dans la Meute onyx. Et Milanca n'était pas certaine de parvenir à convaincre l'Alpha. Sa seule carte maîtresse ? La connexion avec son père. Et elle n'aimait pas trop cette éventualité.
Croissant les doigts pour que le tout fonctionne, la jeune femme continua son avancée, les yeux recouverts de cette affreuse chose immonde et accompagnée de trois hommes trapus à la personnalité terriblement embêtante.
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