𝑪𝒉𝒂𝒑𝒊𝒕𝒓𝒆 5
« On ne souffre jamais que du mal que nous font ceux qu'on aime. Le mal qui vient d'un ennemi ne compte pas. » Victor Hugo
Présent, point de vue de Rolan.
Il n'y avait rien de plaisant à se retrouver dans un entrepôt délabré et abandonné, et ce, au cœur même des quartiers peu fortunés de Chicago. Mais transbahuter dix personnes de villes en villes pour en retrouver une seule, ce n'était pas ce qu'il avait espéré.
Non, il avait fallu que cette fille se carapate et lui rende la vie dure. Rolan sentait la rage bouillir dans les tréfonds de son âme. Ce n'était pas son rôle, de ramener les insurgés dans sa meute et de les éduquer promptement. Il était un Alpha respecté par sa froideur et sa vicieuse manie d'annihiler tout acte corrompu. Et Milanca aurait dû trépasser en foulant et critiquant avec une telle frondeur son honneur. Son insubordination lui hérissait les poils, comme autrefois. Et la jeune femme se contentait, dans ces moments-là de rébellion, de répliquer avec son rire cynique et moqueur. Quelle insolence ! criait sa conscience lorsqu'elle le défiait avec cette lueur de révolte au fond de ses iris rosaces.
C'était une femme récalcitrante déjà jeune. Rolan n'imaginait ce qu'il en retournait aujourd'hui. La lueur si particulière, flambant de résistance à toute épreuve dans ses pupilles, l'avait attiré. Tenace, elle cherchait à en savoir plus sur les autres créatures surnaturelles. Et impitoyable au combat, il s'était promis de faire d'elle sa femme. Et lorsque par inadvertance, leurs regards s'étaient jumelés, la symbiose de l'instant les avaient rendu aveugle face aux alentours.
Rolan aimait se dire qu'ils étaient comme des aimants, faits pour être réunis. L'image de la jeune femme, les joues ruisselantes de larmes et creuses le fit grincer des dents. Pourquoi avait-elle désobéi ? Pourquoi avait-il fallu qu'elle soit présente cette journée-là ?
Le bruissement de pas contre le sol alerta ses sens. Relevant sa tignasse noire, les yeux ombrageux, il jura dans sa barbe. Être dérangé en pleine période de réflexion le rendait colérique. Rolan inspira pour se calmer, les nerfs à vif. Il détestait se savoir aussi loin d'elle. Il sentait sa raison se terrer dans la noirceur lointaine de son âme et son loup impatient griffait les parois de son esprit dans l'attente inassouvie de la rejoindre et de la soumettre.
Le plancher en ciment n'était pas très agréable, mais ses compatriotes ne se plaignaient pas. Ce n'était pas une option envisageable de toute façon. Des poutres de bois pendaient du plafond et tanguaient avec allégresse. La poussière s'accumulait et plusieurs fois, un éternuement retentit aux oreilles de Rolan. L'Alpha fit abstraction de l'état des lieux et se releva pour se diriger vers la petite porte qui tenait à peine debout. Il traversa le couloir et rejoignit Jude. Celle-ci, la chevelure brune relevée en un chignon strict, observait à travers les barreaux tordus du vieux bâtiment un paysage lointain et brumeux.
Remettant en place ses mèches noires, trop longues, derrière ses oreilles, il fit abstraction du regard impatient de la seule fille présente dans leur troupe. Jude. L'ancienne meilleure amie de Milanca.
Un sourire vicieux fendit ses lèvres.
Rolan avait bien hâte de leur rencontre, à toutes les deux. La femme, ancienne sœur de cœur de la jolie Robinson, bouillait d'une colère dévastatrice qui obstruait son âme. La vengeance était un plat qui se mangeait froid et avec raison. Le délice n'était que plus grand.
L'Alpha perdit son sourire.
Jude n'accomplirait pas son désir. Il l'empêcherait. Milanca reviendrait à ses côtés, saine et sauve et elle se plierait à son régime impartial.
— Pourquoi continuons-nous d'attendre ? hasarda la membre de la troupe, les yeux brillants d'une fureur sans nom.
Il ne prit pas la peine de lui répondre et descendit les marches des escaliers, concentré. Il faisait le décompte de ses hommes. Quatre. Il en manquait. Fronçant les sourcils, il questionna la seule personne à ses côtés :
— Où sont-ils ?
Jude remit ses longs cheveux couleur chocolat sur ses épaules d'un coup de la main droite et haussa celles-ci, les lèvres pincées. Rolan gronda sous la colère. Il n'était pas dupe. Si Milanca s'enfuyait toujours avec aisance dès qu'il posait le moindre pied dans une ville, c'était pour une raison évidente. Il y avait une taupe parmi eux. Le taciturne avait établi une équipe de confiance. Mais cette espérance de progrès et de loyauté se tarissaient avec une apprêté sombre.
La loyauté de ses compatriotes s'établissait sur des années où chacun apportait une aide précieuse dans la communauté des loups-garous. Personne ne faisait exception. Mais il fallait bien un traître. Il n'était que dix à voyager de destination en destination. Le reste de la meute, incluant mères et enfants, vivaient à l'orée de la forêt de Gold Hill, à côté du Parc Valley of the Rogue.
Alors qu'il réfléchissait aux contraintes que devait endurer Milanca depuis qu'elle vivait dans le monde des humains, une évidence jaillit. La jeune femme ne pouvait le repérer, même à quelques kilomètres, se souvint-il. Il connaissait son secret. Son loup était en voie de disparition deux années plus tôt et le temps ne saurait rabonnir ses capacités. Tout se liguait contre elle.
Il échangea un regard avec sa camarade aux iris bleus et sourit. Parmi ses confrères, Rolan en suspectait déjà trois. Jude ne faisait pas partie du calcul. Son ivresse de violence contre la blonde le dissuadait de toute traîtrise. Ses iris noires brillèrent d'un éclat sardonique.
Une deuxième chasse débutait. Et il s'en amusait. Ce n'était plus de la colère brute qui imprégnait sa peau, mais de l'excitation. Oh qu'il allait faire souffrir celui qui avait osé le trahir !
Ses compagnons se transformaient en des pions, prêts à être abattus sous la preuve d'une forfaiture. Tous étaient pourvus d'une faiblesse. Une anémie laissée à la place initiale de la meute, élevée par les femmes.
L'Alpha tiqua à cette pensée. Les femmes étaient pour la majorité faibles et inutiles. Sauf Milanca. Et la brune qui se trouvait à ses côtés faisait aussi exception à la règle par ses gestes sanguinaires. Jude observait la grosse mare de sang séchée, laissée par l'ancienne victime. L'éclair dans ses yeux projetait le plaisir malsain qu'elle avait eu à déchiqueter la peau de la pauvre fille à la chevelure dorée qu'elle avait ciblée. Elle ressemblait à Milanca et se retrouvait dans la même tranche d'âge.
Il s'agissait du huitième meurtre en trois mois. Cette première victime dans la ville qu'était Chicago soutira une risette à Rolan, qui se frottait les jointures de ses poings, pensif. Chacune de leurs attaques se différenciaient des autres. Attirer le regard des policiers et jumeler les corps dans un même destin chaotique n'était pas ce qu'il souhaitait. Pas encore, du moins. La guerre ne viendrait pas avant que sa chère Milanca ne se joigne à lui. De grès ou de force, elle serait à ses côtés.
Les yeux du chef se promenaient vers l'étage inférieur d'un air ennuyé. Les minutes s'écoulaient et bientôt, les espaces vides furent comblés par la présence des siens. Son regard ombrageux se faufila vers la stature imposante d'un homme quadragénaire. Bryan. Ses cheveux poivre-sel et auburn pendaient sur ses iris vertes qui renvoyaient à Rolan une détermination sans faille. L'Alpha vouait une confiance impavide à cet homme. Mais les temps avaient changé.
S'il était le traître, il saurait où appuyer pour faire mal.
Un cercle prit forme et calé contre une planche en bois, ses bras musclés croisés contre son torse, le chef contemplait les individus qu'il croyait dignes de loyauté. Il les examina attentivement, méfiant. Le regard scrutateur de leur supérieur mit mal-à-l'aise plusieurs d'entre eux, dont Alexander, jeune homme âgé de 23 ans. Ses cheveux platines, coupés comme les joueurs de foot, s'illuminaient avec l'angle de la pièce. Le scintillement du soleil contre les barreaux des lucarnes se reflétait sur son visage. Ses traits crispés interpellèrent Rolan.
— Quelque chose à cacher, Alexander ? l'apostropha-t-il.
Le jeune homme bredouilla un « non » et baissa ses yeux vers le sol. Le chef du clan se redressa et rôda tout proche de ses semblables, le regard froid comme de la glace.
— Vous vous en doutez sans doute. La signature olfactive de la rebelle s'est affaiblie. Le fait qu'elle s'enfuit toujours lorsque l'on réussit enfin à la pister est assez... inattendu. C'est pour cela que...
Il balaya de ses yeux perçants l'assemblée.
— Sous l'évidence de ces étranges coïncidences, je suggère qu'elle ait été aidée. Et le traître se trouve bien parmi nous.
Il y eut des mouvements brusques dans la foule et Rolan, les ignorant, continua sur sa lancée :
— Je vous annonce donc que si je trouve la taupe qui ose siéger dans notre meute, je n'aurai aucune pitié.
Le silence lui répondit, froid et lourd. Rolan sourit avec sollicitude à sa meute en retour. Et d'une voix blanche, il termina son discours, le regard fixé sur Bryan :
— Milanca est à moi. Celui qui se mettra encore entre nous deux n'aura plus assez de force pour crier de douleur. Vous êtes prévenus, articula-t-il lentement.
Sans un regard en arrière, l'Alpha franchit la porte de la bâtisse qui les avait accueillis quelques jours et s'engouffra dans la froide nuit qui berçait Chicago. Milanca était sienne et personne ne se mettrait en travers de sa route pour la récupérer. Il avait fait une erreur, soit ! La jeune femme réussirait à effacer les images morbides de son esprit.
Il le fallait.
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