Jour Deux

Un vent léger,
Tard le soir,
La danse des ombres.

En regardant le ciel
Je ne sais plus
Pourquoi j'étais en colère.

Nuit des étoiles filantes -
Moi aussi, sur Terre,
Je ne suis que de passage.

- S. Moysan.

Je déteste conduire de nuit. J'ai toujours les chocottes. Mais avec mon boulot du soir, ce n'est pas comme si j'avais le choix. Pour ne rien arranger, la distance est longue entre l'appartement et la voiture. Mais je serre les dents, et j'avance : je peux le faire. Je le fais bien tous les jours.

Je traverse le parking ; quelque chose me dérange. Instinctivement, je tourne la tête vers l'angle du mur. C'est là que se trouvait la jeune femme qui avait perdu son téléphone la veille. Mais ce soir, personne. Et pourtant, j'ai la désagréable sensation d'être observé. Je secoue la tête ; je deviens complètement parano. Je sors mon trousseau de clés, et monte en voiture.

*

- Ce sera tout ?

- Oui, merci.

- Un peu de sucre ?

- Volontiers.

Je remplis machinalement un verre de capuccino. Il y a un peu plus de monde aujourd'hui. Deux filles bavardent devant des pâtisseries autour d'une table, et trois hommes sirotent des cafés plus loin.

Mais, alors que j'allais servir la commande du monsieur, quelque chose m'interpelle. De l'autre côté de la baie vitrée, une silhouette. Je me fige de surprise ; une femme se tient là, debout dans la nuit à me fixer. Le bonnet et la capuche vissés sur sa tête m'empêchent de distinguer nettement son visage.

- Ce magasin est étrange.

Je sors de ma transe à la réplique du client que je m'apprêtais à servir. Lui aussi a l'air figé sur place. Sous sa moustache épaisse, il jette des coups d'œils nerveux derrière lui.

- J'ai l'impression d'être observé sans cesse par cette fille, là.

Comme si elle nous avait entendu, la fille en question disparaît. Je cligne des yeux, perdu. Comment est-ce possible ? Elle était là, debout à me regarder il y a un instant. Et maintenant, volatilisée. Le client se retourne face à moi et secoue la tête.

- Ce doit être mon imagination.

Il prend son verre qui attendait toujours dans ma main, et s'en va presque en courant. Un peu désorienté, j'expire un bon coup. Le bavardage des clients présents dans la salle me rassure.

Mais soudain, mon cœur loupe un battement. En reposant les yeux sur la baie vitrée, j'aperçois à nouveau la fille. Perplexe, je la vois me fixer. Mais le plus effrayant est sûrement le fait qu'elle a commencé à longer la baie vitrée pour se diriger vers l'entrée du café.

Je suis paralysé. On dirait que je suis le seul à la voir. Mon cœur tambourine dans ma poitrine tandis qu'elle franchit la porte de verre. Je la reconnais : la fille de la dernière fois. Celle qui a perdu son téléphone. Ses yeux ne me lâchent pas. Elle avance jusqu'à mon bar, et s'arrête en face de moi. Je n'ai jamais été aussi heureux de me trouver derrière le comptoir.

- Euh, bonsoir ? Demandai-je un peu nerveux pour je ne sais quelle raison.

La fille ne répond pas. Elle regarde la carte, affichée sur le bar. Son visage n'exprime pas la moindre émotion. Comme la dernière fois.

- Voulez-vous un café ? Un jus d'orange ? Du lait ? Demandai-je en tentant de calmer mon stress.

Elle semble réagir lorsque je dis le mot "lait", puisque son regard s'est détourné de la carte pour me fixer à nouveau. Sans rien dire, elle hoche la tête. Un silence de quelques secondes prend place, avant que je ne me mette à la tâche. Elle me regarde faire. En silence.

- Et voilà.

Je suis à la fois soulagé et nerveux en lui donnant son verre de lait. Même pas un merci de sa part. Elle pose un billet, et n'attend pas de reprendre sa monnaie qu'elle va s'asseoir à une table du fond. Au moins, elle ne me fixe plus. J'alterne mon regard entre la jeune fille et le billet, avant d'ouvrir la bouche. Mais je renonce à l'appeler, et j'encaisse le billet. Quelle personne bizarre.

*

Je pousse la lourde porte de l'épaule en traînant les sacs. La benne à ordures se trouve à l'extérieur, aussi j'ai pris le temps de remettre mon blouson. Dehors, il n'y a pas un chat. Sous la lumière des réverbères, je lance les sacs poubelles dans la grosse benne. Le café ne fait pas de tri.

Je frotte mes mains sur mon tablier, et me retourne vers ma voiture, comme pour vérifier qu'elle est bien là. Mais en observant le parking, un détail m'interpelle : une seconde voiture, garée juste en face de la mienne. Le contact est activé. En plissant les yeux, je crois même distinguer quelqu'un à l'intérieur.

Ça me fout les jetons. Je décide de ne pas y prêter attention, et ferme le couvercle de la benne à ordures avant de rentrer à l'intérieur.

*

Écouteurs aux oreilles, je lance une playlist pour me changer les idées. Ça me fait nettoyer plus vite, aussi. Chiffon en main, je passe sur chaque table prise d'assaut ce soir. Celle des filles aux pâtisseries, celle des hommes bavards, et enfin... Celle de la fille à la capuche.

Arrivant à sa table, je ramasse sur un plateau le verre de lait vide et la serviette chiffonnée. Je me demande si elle s'est souvenu de moi, finalement. Elle n'a pas prononcé un seul mot. Cela m'arrangerait bien qu'elle m'oublie pour arrêter de me fixer comme ça.

En soulevant la serviette, soudain, un carré de papier tombe au sol. Je me penche pour le ramasser. C'est un rectangle lisse, une photographie. En la retournant, j'écarquille les yeux.

C'est bien une photo, mais pas n'importe laquelle. On dirait que la photo a été prise du point de vue d'une voiture. Je reconnais le décor du café, avec sa baie vitrée, ses tables, et derrière le comptoir... Moi.

Je regarde immédiatement dehors. Personne. Sur le parking, la voiture garée en face de la mienne a disparu.

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