♱ - 𝐂𝐇𝐀𝐏𝐓𝐄𝐑 𝟏.
Ça avait du être l'arbre le plus majestueux du bois. Ça avait. Désormais, mise à part un tronc séparé en deux sur plus de la moitié de sa longueur par la foudre et de rares branches ayant eu assez de bravoure pour résister aux intempéries, inclinées au point de frôler l'herbe humidifiée par cette pluie d'automne, il ne restait plus grand chose de cette égérie des sylves.
Laissant le bout de ses doigts se promener sur la surface craquelée de l'écorce, son regard se perdait parmi les arabesques que traçaient ces creux taillés dans le tronc.
Plongée dans ses pensées, elle semblait avoir oublié l'existence du monde autour d'elle, trop occupée à imaginer le nombre de famille ayant pique-niqué sous ses larges feuilles ou combien de bambins surexcités s'étant donné pour défi d'en atteindre la cime.
Elle dut pourtant bien vite prendre son billet de retour pour cette anodine rêverie hors du temps, le léger craquement suivi du petit tapotement qu'elle reçut sur son épaule la tirant de sa transe.
- Lapine ? La réunion va bientôt débuter.
Se retournant brusquement, elle aperçut à travers les fines fentes du fragment de plastique couvrant sa pâlotte figure les deux pointes des oreilles ornant le masque de son compagnon. Les rayures le décorant un peu plus bas et les perles azur et ternes à peine éclairés par le faible filet de lune ayant parvenu à se faufiler entre nuages brumeux et ramures un peu trop épaisses l'hypnotisèrent un instant.
- J'arrive, Renard, chuchota-t-elle à son tour.
Visiblement accommodé par sa réponse, il sauta pour atterrir moins d'un mètre plus bas, piétinant les fins bout verdâtres de pâture et crottant sans doute ses baskets de la boue salissant au passage les brins d'herbe poussant en bataille sur le sol.
En direction de l'hêtre, elle joignit ses mains et inclina la tête, lui adressant un dernier au revoir, une sorte de salut qu'elle était seule à comprendre. Elle se retourna complètement en prenant soin de ne pas tomber avant de glisser le long du rêche rameau de bois qui voyait son bout se laisser détrempé dans une flaque d'eau fraîchement créée.
Machinalement, elle jeta un coup d'œil derrière son épaule vers le pied de l'arbre mort tandis qu'elle reprenait sa route, comme dans l'espoir d'apercevoir de petites bogues orner la terre en ce début d'automne. Elle croyait encore à la magie, la malheureuse. Se sentant soudainement bête, elle garda pendant le reste du trajet les yeux fixés sur l'extrémité de sa semelle terreuse.
Oh infortune.
Dernière arrivée, les places étaient toutes prises. Deux seulement restaient sans fessiers apposées sur elles, l'une d'elle déjà réservée. Sans réel choix, elle fut contrainte de se serrer sur son pauvre rondin de bois entre Chimère et Faucon. Le feu crépitant au centre du cercle qu'ils formaient tous la réchauffa quelque peu.
Celui venu la chercher plus tôt se releva de sa propre souche et attrapa une assez longue branche traînant à même la terre, l'utilisant pour secouer les braises, ressassant le feu. Elle remarqua alors que contrairement à ce qu'elle avait pensé plus tôt, la seconde place, spécialement réservée à leur cheffe -raison pour laquelle elle n'avait pu l'occuper- n'était pas uniquement vide, mais que sa propriétaire était hors de vue. La croyant au départ juste un peu plus loin, la voilà forcée d'admettre qu'elle avait totalement disparue. Pourtant, elle était persuadée de l'avoir repéré en pleine discussion avec leur second leader en arrivant...
Comme télépathe, ce dernier pris la parole, partant se réinstaller, les flammes ardentes comme jamais.
- Belette arrive. Il y a des nouveaux. Deux.
Certains, dont elle, hochèrent la tête, alors que d'autres ne prêtèrent pas réellement attention à la nouvelle.
Rares étaient ceux qui échangeaient quelques paroles entre eux.
D'autres fixaient la danse orange rouge au milieu, ou scrutaient les bois alentours, dans l'espoir de voir arriver les nouveaux joueurs.
Ici, personne ne savait vraiment qui était qui. Comme lui avait-on expliquer lorsqu'elle les avait rejoints, son frère, sa meilleure amie, quiconque pouvait être installé à sa droite, elle pouvait être en train de discuter avec n'importe qui. Elle avait rit. Elle n'avait pas de frère. Ni de meilleure amie. Mais qu'importe, l'idée l'avait amusée.
Et les étranges liens les unissant, leur sorte de coopération nocturne prouvait, qu'enfin, l'identité n'avait pas grande valeur. Un nom, un âge, un visage. Des papiers. Rien de plus.
D'ailleurs, c'était à cause de cette surprotection de l'identité que leurs futurs compagnons d'infortune ne leur avaient toujours pas étés présentés. Elle supposait que la capitaine avait préféré se tenir loin du feu, et de cette partie assez dégagée de la forêt pour pouvoir tirer profit de l'obscurité, et s'assurer que cette règle ne soit pas violée. Parmi les immenses arbres et dans le noir complet, impossible de discerner les visages. Ça s'était passée comme ça pour elle. Pêchée par Renard, guidée par Belette. En fait, c'était comme ça pour tout le monde ici.
Là-bas, un masque allait leur être remis, ainsi que quelques questions pour s'assurer de leur bonne foi. S'ajoutaient à cela quelques informations, et ils reprendraient tous les trois le chemin vers le reste du groupe. C'était toujours Belette qui s'y collait. En contrepartie, Renard était chargé de partir à la recherche de nouvelles recrues. La nuit, il hantait, -comme il se plaisait à le dire- les bois. Dans leur petit bled paumé, tout le monde les connaissait, ces bois, et tout le monde aimait s'y promener. Mais jusqu'à une certaine limite, cela dit. Certaine limite auxquels les blessés de la vie et torturé par l'Autre comme eux n'accordait aucune importance, ce qui dès le départ leur permettaient de remplir les critères nécessaires à l'admission dans ce clan. Haut dans les cimes, il surveillait, prenait note des silhouettes, des habitués, et finissait par, masqué et loin des lueurs sélènes, leur proposer de les rejoindre. Et il savait bien se faire vendre. Aucun refus jusqu'à aujourd'hui.
Cependant, c'était la première fois que deux personnes arrivaient en même temps. La chasse avait été fructueuse visiblement. Ce connaissaient-ils entre eux? C'était contraire à la politique de leur jeu, exception faite pour Belette et Renard. Mais ils avaient bien fallut que cette idée parte de quelque part, n'est-ce pas ? Et de toute manière, ils ne se connaissaient que l'un l'autre, et que ce soit l'épiement ou l'apport des masques, tout ce faisait soit trop loin, soit camoufler avec un trop grand soin par la bonté de la nuit pour qu'ils puissent affirmer savoir à qu'ils avaient à faire. Au passage, elle se permettait de préciser qu'en plus des joujoux rigides couvrant leurs faces, c'était capuche et bonnet pour tout le monde, ainsi qu'obligation de cacher cicatrices, tatouages, et autres. Rien qui puisse les vendre aux yeux d'autrui.
Crac.
Pauvre feuille morte, sacrifiée, leur annonçant de son cri d'agonie la venue de leurs confrères. Ils relevèrent tous d'un même geste la tête. Petit à petit approchait leur cheffe, suivit de deux figures sombre marchant côte à côte. Elle plissa les yeux, et grâce aux flammes caressant leurs silhouettes, parvint à discerner la forme de leurs pierrots animaliers.
L'un paraissait taillé de sorte à former une empaumure, avec pour détail distinctif d'épaisses dagues et de petites oreilles mi-ovale, mi-losange, le seconde avec de bien plus grande oreille et avec en son centre un... Groin?
Elle savait qu'ils étaient déjà plusieurs dans le groupe, mais au point de manquer de choix d'animal comme cela...
Atteignant leur hauteur, Belette ne s'assit pas, présentant au lieu de ça leurs nouveaux compagnons dans un souffle, le silence et sa proximité leur évitant de fournir le moindre effort pour l'entendre.
- Voici Cerf et Truie. Pour ceux qui se posent la question, ils ne se connaissent pas, je les ai pris l'un après l'autre. Je répète les règles. 1) Le premier qui enlève son masque, il dégage. Ça sert à strictement rien, et ici, tout le monde s'en fiche de qui est qui. À part en troubler certain, ça mènera à rien. 2) Personne n'élève la voix, quelque soit la situation. Aussi unique que votre empreinte digitale, il suffit que l'on vous connaisse pour que ça est le même effet que si on vous avait mis votre photo sous le nez. Et de 3) Ce qui est dit ici ne sort en aucun cas d'ici. Si une fuite est découverte, sachez qu'on ne mettra pas deux secondes à découvrir qui à cracher le morceau.
Il était impossible de deviner à cause des masques ce qu'en pensait les nouveaux venus, mais aucun d'eux ne s'insurgea à l'entente des règles. C'était déjà bon signe.
Ce fut Renard qui enchaîna, se tournant vers le groupe :
- Quelqu'un est contre leur ralliement ?
Aucune réponse.
- Parfait. Nous allons pouvoir finaliser cet adoubement.
Et son regard vint croiser ceux des récentes recrues.
- La main sur le cœur, répétez après moi.
Ils s'exécutèrent, opinant de la tête, ces incantations qu'ils avaient tous ici présents prononcés auparavant regagnant leur liberté dans l'air cendré les entourant, la brise fraîche les poussant vers la fumée à laquelle elles se mêlèrent pour monter vers les étoiles.
- Je jure que je serai loyal et porterai vraie allégeance à l'autorité constituée, de ne jamais trahir aucun de mes compagnons, et de garder mon identité inconnue aux membres du clan.
Le chef s'approcha d'eux, leur demandant de lui présenter leurs poignets auquel il attacha, l'un après l'autre, une fine chaînette d'argent, adornée des deux masques dramatiques tant connus. À la différence près que sur ce pendentif là, les deux étaient désespérés. Le symbole de leur groupe.
Tout le monde baissa vivement la tête dans un même mouvement vers eux pour les saluer, et le spectacle était terminé.
Le co-meneur retourna s'asseoir, l'autre dirigeante donna un dernier coup du bout de sa chaussure sur la souche morte que durant ce temps là elle était allée récupérer -merci le manque de place- pour les nouveaux, et chacun retourna vaguer à ses occupations.
Pour sa part, ne trouvant l'énergie d'aller retrouver Chatte ni celle de converser avec Faucon, elle jeta sans vraies ambitions son regard améthyste vers le carnet que tenait Chimère sur ses genoux. Dessus, la gigue des coups de crayons avait déjà commencer sans elle. Le tout était tout de même un peu brouillon, et dépourvu de sens.
- Tu dessines quoi ?
Sans quitter la feuille des yeux, il marmonna, tapotant la gomme rosée ornant le bout de bois en son extrémité contre la tranche de spirales.
- Je sais pas vraiment... J'ai demandé à Caroline une idée de dessin, mais elle m'a ignoré. Je crois qu'elle boude. Tu veux bien poser pour moi, toi ?
Elle hocha la tête sans lâcher un mot sur cette Caroline, et sans poser une question sur le pourquoi de son indifférence face au désir du jeune homme, se souvenant l'avoir entendu longuement soliloquer durant les dernières minutes.
- Tourne-toi vers le feu, et ne bouge surtout pas, lui ordonna-t-il. Je vais essayer de te croquer de profil.
Ne prenant pas la peine de remettre en question ses dires, elle s'exécuta.
Ils avaient le droit de faire comme bon leur semblait durant ses rassemblements, et la compagnie de Chimère se révélait bien plus agréable qu'elle n'avait pu le supposer auparavant. De plus, à force de constamment le voir carnet et crayon à la main, elle se demandait à quel point il était talentueux.
Talent dont elle comptait profiter durant le quart d'heure qui suivra.
⋆ ੈ.‧₊🔥
- Sinon, toi, t'es là pourquoi ? Si c'est pas indiscret.
Assis l'un près de l'autre sur le rondin de bois mort fraîchement récupéré à cet effet, ils fixaient -il y a quelques secondes à peine, silencieusement- le train-train des habitués reprendre son cours, aucun d'eux ne prenant la peine de les approcher, eux, les nouveaux. Il ne leur en voulait pas vraiment, autant qu'il accordait d'importance aux paroles de la-dite "Truie" à sa droite qui venait sans réserve de faire fuir son précieux silence.
- Je sais pas. L'autre -Renard- s'est pointé un soir alors que j'étais dans un coin de la forêt et m'a proposé de venir. Flemme de dire non. Pareil pour toi ?
- Moi j'ai dit oui parce que je m'étais dit qu'avec un peu de chance, y aurait des gens qui peut-être... seront pareil que moi ? Quelque chose comme ça, je crois.
Il ne lui fit pas remarquer qu'il ne lui avait rien demandé. Quelques secondes de paix bercé par le crépitement des flammes, et la voilà qui reprenait :
- Sinon, toi, il t'es arrivé quoi ?
- Morts de proche. Veux pas en parler. Et sinon... Tout fait chier. Vivre est galère, murmura-t-il, priant pour que le ton employé suffise à la faire fuir.
Même pas.
- Je comprends. Moi aussi. Je veux dire, pour la mort de proches. Et mon mec m'a quitté aussi. Comme ça, il m'a balancé qu'on devait rompre, qu'il avait rien entre nous, que mieux valait pour moi et je ne sais quoi d'autres... Même pas de vrais raisons.
C'était bien une femme. Et malgré le fait que les soucis de cœur de cette porcinette lui passaient par-dessus la tête, il se sentit obligé de lui répondre.
- Oh.
Il avouait, il n'avait pas fait une once d'effort. Cependant, il se trouvait que son humeur n'était pas à son zénith aujourd'hui. Et cette heure-ci en particulier.
Du coin de l'œil, il la vit tripoter gênée le pendentif pendu au bracelet qu'on leur avait refilé plus tôt, les yeux rivés sur le sol sablonneux. Son empathie naturelle le fit se sentir mal.
- Sache que si ça peut aider, moi aussi j'ai rompu avec une fille il y a pas longtemps.
Cette information sembla accroché son attention puisque instantanément, elle se tourna vers lui, malgré qu'il continuait à observer ceux les entourant.
- Ah bon ? Pourquoi ?
Il sentit qu'elle n'allait pas le lâcher. Ne pouvant dorénavant faire marche arrière, il expliqua, à contrecœur.
- Elle m'a proposé de sortir avec elle dans un moment de faiblesse commun, je ne m'y suis pas opposé, elle a prit ça pour un oui. Je savais pas trop ce que je voulais, à l'époque, je la laissais prendre toutes les initiatives sans trop me poser de questions. Et puis un jour une autre est venue, elle a piqué mon intérêt à vif et je me suis rendu compte que c'était hypocrite de rester avec elle alors que j'en avais une autre dans le crâne.
Il se mordit la langue in extremis pour retenir le "Contente ?" qu'il s'apprêtait à lui lancer.
- Je vois... Et la nouvelle alors ? Tu t'es déclarée à elle ?
Mais qu'allait-elle bien pouvoir faire de sa réponse ?!
- Si je te disais que je ne connais même pas son prénom ?
Les yeux de la jeune femme s'écarquillèrent.
- Wow ! Un coup de foudre, comme dans les films !
Il soupira désespérément. Cette fille lui en rappelait étrangement une autre... Une autre à laquelle il n'avait plus parler depuis au moins une bonne semaine. Depuis qu'il l'avait quittée.
Étonné de ne plus entendre sa voix, il jeta un coup d'œil à sa droite pour finalement découvrir qu'elle l'avait complètement abandonné pour aller converser avec un.e autre au masque de chat.
Rassuré de la voir trouver une compagnie prête à écouter le récit de ses peines de cœur, il retourna à son analyse des malheureux galériens risquant de prendre une grosse place dans sa barque pendant longtemps.
Le goupil l'ayant persuadé de rejoindre leur équipe et d'assister à l'une de leur réunion deux jours plus tôt en pleine discussion avec une sorte de rapace, un.e lapin.e était penché.e par-dessus l'épaule d'un animal mythique commentant tous deux le contenu d'un cahier grand ouvert sur les genoux du second, et, les deux plus éloignés du groupe, un panda à la tête délaissée sur l'épaule d'une espèce de raton laveur. La belette les ayant accueilli était seule, son regard bleu-vert délavé absorbé par le théâtre enflammé devant elle. Il fut tenté de prendre la place à ses côtés qu'avait abandonné Renard pour la questionner sur ce groupe de tarés auquel il avait décidé de se mêler sur un coup de tête. Cette pensée ne fut pourtant pas mise à exécution, au lieu de quoi il resta immobile, la détaillant depuis son assise.
Elle sentit son regard pesant.
- Quoi ?
Le murmure ne priva pas son interjection de sa faroucheté. Il l'ignora pourtant, faisant mine de ne pas l'avoir entendu, levant ses orbes noisettes vers le ciel et les laissant s'égarer parmi les constellations garnissant la voûte céleste (malgré qu'il aurait nettement préféré y voir des nuages).
Mais dans quelle histoire s'était-il encore embarqué ?
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