𝗖𝗵𝗮𝗽𝗶𝘁𝗿𝗲 𝗧𝗿𝗼𝗶𝘀

Novembre 2011.

Je poiraute aux abords du lycée. Le menton dans l'écharpe, je souffle et me frotte les mains pour me réchauffer. Ça ne marche pas ce truc, d'ailleurs, on a chaud pendant deux secondes max, et puis le froid nous envahit à nouveau. La preuve : je suis frigorifiée, et ça depuis un bon quart d'heure. En même temps, si le nouveau se magnait le fion, ce serait pas trop mal.

Il arrive enfin. Pendant qu'il trottine tout bottelant, je lui lance un regard noir.

« Pas trop tôt ! Tu t'es perdu ou bien ? »

« Il y avait du monde dans les couloirs. »

Je hausse des sourcils, affligée de sa réponse. Excuse non acceptée ! J'ai détourné le regard en replaçant mon écharpe qui se faisait la malle.

« T'aurais pu les pousser. »

Il a eu l'air amusé en déclarant : « Pas mon genre, désolé. »

J'ai levé les yeux au ciel. Evidemment que ce n'est pas son genre, au gentillet Ryuji. Quelle perte de temps, la politesse. Quand il suffit de dégager ce qui nous dérange d'un coup bien placé ou d'une remarque cinglante, je me demande bien son utilité.

« Peu importe. Faisons vite, je gèle sur place. »

« On aurait pu tout aussi bien discuter à l'intérieur, tu sais », dit-il en fourrant ses mains dans ses poches de blouson.

« Impossible : Minori pourrait tomber sur nous, et c'est hors de question qu'elle nous voit parler ensemble ! »

« D'accord, d'accord ! »

Un groupe d'élèves passe en un coup de vent à côté, riant tout en se lançant des boules de neige. J'attends que leurs pas s'éloignent et que les portes du hall claquent dans notre dos.

« Comment t'as appris mon existence ? »

Il m'a lancé un coup d'œil légèrement surpris avant de fixer en face, là où s'étendent la ville et la neige à perte de vue.

« Yusaku. Il m'a montré ton site. Apparemment, il est populaire dans l'établissement. »

Je rosie furieusement des joues, et cela n'a rien à voir avec le froid - heureusement que l'écharpe cache tout. Depuis quand Yusaku connaît-il l'existence de mon blog ? Je me secoue intérieurement ; comme l'a dit le nouveau, le Lucky Ones est connu par une grande partie des élèves. Cela n'a aucun rapport avec moi. Pourquoi se préoccuperait-il de moi...

Je soupire et dessine un arc de cercle dans la neige sous ma pointe de chaussure.

« Je ne comprends vraiment pas ce que tu trouves à Minori. »

« Pourquoi, elle est si horrible que ça ? »

« Non ! Elle est géniale ! »

« Ben alors ? »

Je souffle un nuage de fumée en arrêtant de creuser mon arc de cercle qui commençait à ressembler à une fosse commune.

« C'est juste que... C'est ma meilleure amie. »

« Je ne vois toujours pas où est le problème. »

« Et bah justement ! Fis-je en me tournant vers lui, le doigt tendu. Le problème, c'est que ça ne semble pas te déranger que je t'aide à conquérir le cœur de Minori dans son dos, ce qui revient à lui mentir pour parfaire à tes petits besoins ! »

Il cligne des yeux comme un crétin. Oui c'est ça, il a la tête d'un parfait débile. Il ne mérite pas le cœur de Minori. Je sais ce qui est bon ou non pour ma meilleure amie quand même.

L'idiot rougit légèrement - à moins que ce soit le froid ? Impossible de savoir - et évite mon regard.

« J'ai jamais dit que je voulais "conquérir son cœur" ou je ne sais quoi... »

« Mais c'est ce que tu veux ! »

« Evidemment, puisqu'elle me plaît ! »

« Ah ouais ? fis-je d'un air moqueur. Et qu'est-ce qui me le prouve, ça ? »

La mine énervée, le nouveau serre les poings. Et puis déroule tout d'une traite :

« Parce qu'elle m'a plu dès le premier jour ! Parce qu'elle me plaît quand elle sourit, quand elle rit avec ses amis, quand elle joue de tout son cœur au baseball, quand elle est déterminée à gagner, quand la victoire se dessine sur son visage... »

Vers la fin, sa parole se fond. Une voiture passe devant nous. Je défronce les sourcils, lentement.

« Tu l'as beaucoup observé. »

Il ne dénie pas, se contentant d'éviter de me regarder dans les yeux à nouveau. Pourtant, j'ai constaté sans aucun jugement - je m'étonne moi-même. Je reprends contenance en croisant les bras.

« Donne-moi une bonne raison de t'aider. »

« C'est le but de ton blog ? répond-t-il d'un ton sec. Un de tes grands principes ? »

J'ouvre la bouche, mais la referme, sans trouver quoi redire. Encore une fois, il veut me donner tort. Ce qu'il m'énerve, à faire ça !

« Bon, énième soupir. Tu vas aller lui parler. »

Le nouveau me regarde enfin, l'air agréablement surpris.

« Ça veut dire "d'accord" ? »

« Fais de ton mieux, l'ignorai-je en tournant les talons pour commencer à m'éloigner. On verra le résultat après. »

« Attends ! M'interpelle-t-il en panique. Et de quoi je lui parle ?! »

« Trouve un prétexte : Tu as besoin de cours particuliers en philo, tu as fait tomber de la peinture sur ses chaussures, tu te débrouilles ! »

« Eh ! C'est pas des conseils, ça ! »

Le nouveau me court après alors que je pousse les portes d'entrée du lycée. Il n'est pas si idiot que ça, finalement. Il a l'air prêt à tout pour elle, jusqu'à venir me demander des conseils en personne. C'est peut-être un type bien pour Minori. Autant tenter, ça risque d'être amusant.

L'ancien abruti apparait face à moi soudain, et je suis bien obligé à m'arrêter, ne l'ayant pas vu venir.

« Je sais ! Et si tu lui prenais un truc en douce ? Elle se mettra à sa recherche, tu me le donnes, et je pourrais l'aborder en faisant comme si j'étais celui qui l'avait retrouvé. »

« Mais t'es pas bien ? » lui demandai-je l'index sur la tempe.

« Quoi, c'est pas une bonne idée ? »

« Pire, c'est l'idée la plus éclatée de la décennie ! »

« T'en sais rien tant que t'as pas essayé ! S'il-te-plaît ? »

Je soupire pour la énième fois face à lui. Ce mec a réussi à m'épuiser avant même que la journée ait commencée. La sonnerie retentit alors. Je secoue la main en partant dans le couloir adjacent.

« Okay, je tenterai. Ce que tu peux être énervant, quand tu t'y mets ! »

Je crois entendre un "yes !" de contentement de sa part au loin, et je souris. Pour la première fois, je ne pousse pas les gens en me rendant en cours de philosophie.

~

Okay, c'est mal barré.

Actuellement assise derrière Minori, je n'écoute que d'une oreille le professeur de philosophie nous parler des penseurs de l'antiquité. Je cherche à m'en casser les neurones un moyen de piquer discrètement un objet à ma meilleure amie, mais elle a son sac fermé. La sportive pourrait se retourner à n'importe quel instant et m'attraper la main dans le sac, littéralement.

Quelle idée de merde putain. Note à moi-même : ne plus jamais accepter d'exécuter les idées de Ryuji pour conquérir sa belle.

« Hey, euh... Tout va bien ? »

Je sors de mes pensées pour me tourner vers ma voisine de table. On a un prof relou, alors il nous a placé dans l'ordre alphabétique, ce qui fait que je ne suis pas assise à côté de Minori. À la place, je me retrouve avec une parfaite inconnue, et je ne suis pas du genre à faire amie-amie. Elle, ma voisine, je ne sais pas. Elle a l'air toute timide avec sa petite tête de poupée. C'est bien la première fois que je l'entends parler.

« Ouais. Pourquoi ? »

« T'avais l'air ailleurs, ajoute-t-elle prudente. Quelque chose ne va pas ? »

Je détourne le regard. Minori prend des notes de ce que débite le professeur de philosophie ; elle est bien la seule d'ailleurs, si on ne compte pas Sumire avec sa trousse et son classeur dernier cri qu'elle rempli de notes de toutes les couleurs qui puissent exister. Le reste de la classe dort en majeure partie. Je soupire ; après tout, je ne perds rien à raconter à cette inconnue le plan de merde de Ryuji.

« Je dois récupérer un truc dans le sac de Minori, devant, lui expliquai-je en le désignant d'un geste du menton. Il faut que je le donne ensuite à un mec afin qu'il trouve un prétexte pour aborder Minori. »

Je la vois hausser un sourcil, mais honnêtement ce n'est pas mon problème si elle n'a pas compris. Elle regarde le sac de Minori, l'air de réfléchir. Je pensais me plonger dans mes notes histoire d'avoir une trace du cours, mais c'est alors que l'inconnue fit :

« J'ai une idée. T'as une bille ? »

Je me tourne vers elle à nouveau, sans comprendre. Je ne vois ici aucun rapport, ni avec ma mission, ni avec le cours. Mais comme j'en ai une dans ma trousse, je lui passe.

« Qu'est-ce que tu comptes faire ? »

« Tu vas voir », dit-elle en refermant son poing sur la bille.

Ma voisine de table plonge alors son autre main dans sa trousse pour en sortir un papier d'antisèche. Et le roule de manière à créer une longue vue miniature. Puis, je la vois glisser la bille à l'entrée. Très ingénieux, ce système. Cela dit, je ne comprends toujours pas où elle veut en venir.

Soudain sans prévenir, elle le porte à sa bouche et souffle dedans. La bille part aussi vite qu'un coup portant, volant à travers la classe pour atterrir derrière le crâne de Hisamitsu.

« Aïe ! Kota bordel, t'abuses ! »

Les lunettes de travers, il s'est retourné avec rage vers son pote assis derrière. Ce dernier se réveille en sursaut, les cheveux en pétard sans comprendre pourquoi son ami lui crit dessus.

« Hein ? Mais j'ai rien fait ! »

« C'est ça ouais, comme d'hab'! Et elle vient d'où cette bille alors ? » réplique Hisamitsu en lui mettant la bille sous le nez.

Kota louche pour la regarder. C'est vrai qu'il est connu pour avoir toujours un sac de billes sur lui, mais personne ne sait vraiment pourquoi. C'est très bien pensé de la part de ma voisine. Les deux gars haussent le ton jusqu'à ce que tout le monde les entende et Sumire se lève de sa chaise pour les pointer de l'index.

« Interdit ! C'est interdit de lancer des biens ou tout objets compromettant durant le cours ! Monsieur, vous devriez leur confisquer et les punir ! »

« Mais qu'est-ce qui se passe ?! s'exclame justement le professeur alerté par Sumire mais aussi par les deux élèves. Eh vous, qu'est-ce que ce que ce tintamarre ? »

Il a foncé vers Kota et Hisamitsu pour les réprimander, mais dans la hâte de leur dispute, ils ont laissé tomber la bille par terre. Celle-ci a roulé jusqu'au professeur qui ne l'a pas vu, et il a posé pile le pied dessus pour glisser sans la sagesse des penseurs de l'antiquité.

Ça a causé un grand éclat de rire, et Sumire lance maintenant des menaces de punitions debout sur sa chaise pendant que Kota et Hisamitsu se battent à mains nues. Minori, devant moi, s'est levée avec d'autres pour aider le professeur qui n'arrive pas à se relever.

« Maintenant, vas-y ! » me dit alors ma voisine de table en désignant le sac de Minori laissé sans surveillance.

Sans hésiter plus, je glisse de ma chaise pour passer sous la table et ouvrir le sac de ma meilleure amie. Je prend un cahier au hasard, et retourne fissa à ma place d'origine. Ni vu ni connu, je glisse le cahier dans mon sac.

« Taisez-vous, silence ! hurle notre professeur de philosophie qui est maintenant debout grâce aux élèves qui l'ont redressé. Tous à vos places, le temps n'est pas un bien à perdre aux profits du chaos ! »

Je souris malgré moi ; finalement, il est marrant ce professeur. J'offre le même sourire à ma voisine qui me le rend.

« Merci. Au fait, tu es ? »

Elle rit d'un ton léger comme les nuages, et m'offre un sourire qui sent la barbapapa.

« Asako Natsume. Mais tu peux m'appeler Asako ! »

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