𝗖𝗵𝗮𝗽𝗶𝘁𝗿𝗲 𝗢𝗻𝘇𝗲

Juillet 2012

« Fin de l'examen, posez vos stylos ! »

A la sonnerie, tous les élèves de Terminale sortent des salles de classes étouffantes. Nous sommes début juillet, et les fortes températures se font déjà ressentir. Je déballe des assiettes de petits fours, de quiches et de repas froids faciles à manger.

« Demandez les beignets sauce barbecue, offert par la maison pour vous rabibochez des examens ! »

J'observe mon ami appâter la clientèle à mes côtés, derrière la table. Durant la semaine des épreuves, Koji lui-même a eu l'idée d'offrir ses mets originaux aux élèves à chaque pause. Asako et Sumire ont trouvé l'idée sympa, et moi je ne sais pas trop comment j'ai atterri là. Mais je dois avouer que ça a quelque chose de satisfaisant, d'offrir toutes ces bonnes choses aux lycéens et de les voir repartir avec le sourire. Sumire se donne tellement à fond que notre petit stand marche du tonnerre.

« On manque de boissons, tu peux aller en chercher Taiga ? » m'interpelle Koji la tête dans la glacière.

« T'es marrant toi, j'en trouve où ? »

« Il y en a dans la salle des délégués, » me répond Sumire.

Elle me lance son trousseau de clés que je rattrape d'une main avant de me diriger vers l'intérieur. Tout est vide et calme dans le bâtiment, les élèves préférant respirer l'air du dehors en se prélassant à l'ombre des arbres. Ce silence me laisse seule face à mes pensées.

Cet inconnu, sur la page d'accueil du Lucky Ones. Il ne s'est pas manifesté depuis la publication de ses messages. Et quels messages...

« Wow, tous aux abris, le croque-morts est de passage. »

Je relève les yeux face à l'énergumène qui se trouve sur mon chemin. Avec un soupir, je le contourne.

« C'était pas drôle, Ryuji. »

Le lycéen me rattrape pour marcher à ma droite.

« C'est toi qu'est pas drôle. Tu vas où comme ça ? »

« Ça te regarde ? »

« Oui, puisqu'on est amis et que les amis se disent tout. »

Je m'arrête, le regarde puis esquisse un sourire. Quel idiot, franchement. Je sors les clés pour les tourner dans la serrure de la porte une fois que nous atteignons la salle des délégués.

« Tu vis dans le monde des bisounours, mon pauvre. Je dois juste ramener à boire pour le stand de Koji. »

« Je vais t'aider. »

« C'est pas de refus. »

Je pousse la porte et on entre dans la petite salle réservée aux délégués. Ryuji me passe devant pour ouvrir le réfrigérateur à disposition pendant que je fixe le trousseau de clés, pensive. Il y a la clé du gymnase, sur ce trousseau. Peut-être que Sumire... Rah, je divague. Reprends-toi, Taiga. Comment accuser notre déléguée qui s'est toujours bien entendue avec Minori, alors qu'elle était présente en cours de philosophie avec nous le soir de la tragédie et qu'elle a participé à la sortie organisée par Koji ensuite ? Koji... Non, il écrivait sa recette les deux heures de cours durant, sans jamais sortir faire une pause aux toilettes. Et puis, Sumire et Koji ne sont pas nés en août. Alors, qui ?

Ce quelqu'un est forcément au courant du récit de mon râteau. Mais il n'y a qu'à Minori que je l'ai raconté. Elle était la seule à connaître les paroles exactes qu'a retranscrit le potentiel meurtrier sur le mur du site. Comme s'il cherchait à me persuader qu'il était bel et bien le fantôme de ma meilleure amie. "Utilisateur08". Je pose deux doigts à mon menton. Qui d'autre serait né en août, au sein de notre propre classe ?

Une hypothèse me saute aux yeux dès que je pose ces derniers sur la porte. A travers la baie vitrée, Yusaku avance comme une ombre dans le couloir vide. Yusaku, celui qui s'entend avec tout le monde. Et qui pourtant, ces derniers temps, se montre discret comme un fantôme.

Assoiffée de réponses, je me tourne vers Ryuji pour lui attraper le poignet. Il sursaute, étonné, avant de me demander perplexe :

« Taiga ? Qu'est-ce que tu... »

« Viens ! »

Je l'entraîne de force hors de la salle. La jambe de Yusaku vient de disparaître à l'angle du mur au loin. J'accélère le pas, sans lâcher mon acolyte qui est plus que perdu.

« Eh ! On va où comme ça ? » demande-t-il en tentant péniblement de suivre mon rythme.

« Moins fort, imbécile ! Il pourrait nous entendre. »

« Mais qui ? Dis, ça te dérangerait de t'expliquer avant de traîner les gens derrière toi ? »

« Silence ! »

Je me suis stoppée d'un coup en tendant le bras afin qu'il fasse de même. Ryuji manque de tomber à la renverse, mais je le rattrape par le t-shirt. Je m'accroupis derrière l'angle du mur, obligeant le brun à faire de même. Discrètement, j'espionne mon suspect qui n'a pas l'air de se douter qu'il est suivi - heureusement. Mon premier amour s'arrête au niveau d'une machine à boissons, sans sembler chercher de la monnaie pour en acheter une. Il surveille la cour par des coups d'œil furtifs, comme s'il cherchait à ne pas être vu.

Dans ma nuque, je sens le souffle de Ryuji.

« C'est Yusaku ? Qu'est-ce qu'il fait ? »

Je me tourne vers mon ami. On est plus proches que je le croyais. Nous nous regardons dans le blanc des yeux. Mais je n'ai pas le temps de répondre à sa question que, la seconde d'après, une voix nous interpelle tous les deux.

« Qu'est-ce que tu fiches ici ? »

Ryuji et moi nous retournons vers Yusaku. Il s'est adossé à la machine à boissons, mais ne semble pas être celui qui vient de poser la question. Cette voix...

« Je suis venu te voir, répond cette fois Yusaku qui nous fait dos. J'ai plus le droit ? »

« Comment t'as su où me trouver ? »

« T'es toujours assise au même endroit. »

Une silhouette se lève derrière la machine et confirme mon étonnement ressenti à l'entente de sa voix lorsqu'elle nous est bien visible. Sous la lumière du soleil d'été, des courbes parfaites se dessinent, affublées de long cheveux fins et d'un visage angélique : Ami fait face à Yusaku, avec une tête de six pieds de long.

« Je t'ai déjà dit de pas venir me voir au lycée. »

« Et pourquoi ? Pour ta réputation, pour le regard de tes soi-disant "amies" ? »

Ami se pince les lèvres ; je peux sentir son amertume d'ici. De notre point d'espionnage, je la vois serrer les poings le long de son corps.

« Maya et Nanako sont mes amies, je t'interdis de dire du mal d'elles. »

« Elles le sont pas. Elles profitent seulement du fait que tu attires tous les mecs du lycée pour récupérer tes restes et se faire bien voir. C'est de l'hypocrisie, et c'est pitoyable. »

Face à Yusaku, Ami est désorientée, c'est la première fois que je la vois avec cette expression au visage. Et puis, elle soupire, croise les bras, et fixe la fenêtre qui laisse vue sur la cour.

« Pauvre type. Tu dis ça, mais tu vaux pas mieux que les autres. Tu joues au mec parfait, ami avec tout le monde et qui a de bonnes notes, mais au fond t'es un hypocrite. »

« Oui, mais c'est pour ça que je te plais, n'est-ce pas ? »

La jolie fille se fige, comme statufiée. J'ai l'impression d'avoir arrêtée de respirer de mon côté. Ami se tourne vers Yusaku, avec un regard que je ne lui connais pas.

« Quel esprit de déduction. Tu en ferais pâlir Sherlock Holmes. »

« Je suis flatté, » sourit Yusaku avant de se pencher vers elle mais je recule assez vite pour faire grâce à ma vue.

Je reste dos au mur, toujours au sol, estomaquée. Ryuji lui, ne lâche pas une miette du spectacle, tout aussi surpris que moi.

« Bah ça alors, chuchote-t-il. Ami et Yusaku sortent ensemble ! Qui l'aurait cru ? »

Je regarde Ryuji, et puis baisse les yeux. M'appuyant sur le mur, je me redresse.

« On se casse. On n'a rien à faire ici. »

Je m'éloigne dans le couloir d'où nous sommes venus, et Ryuji semble à nouveau perplexe. Mais il me suit, de retour dans la salle des délégués. Nous chargeons nos bras de boissons fraîches sans échanger un mot. Quelques instants plus tard, je ferme la salle à l'aide des clés et nous traversons les couloirs.

« Taiga ? » m'interpelle Ryuji au milieu du silence.

Je ne réponds pas, tentant de focaliser mon attention sur le stand de Koji qui nous attend. En vain.

« Je sais que ça me regarde sûrement pas, mais... » hésite-t-il en se tournant vers moi. « Est-ce qu'il s'est passé un truc entre toi et Yusaku ? »

Je soupire, descendant les marches de la cage d'escaliers avec lui. J'observe Ryuji un instant, alors qu'il attend ma réponse. Ryuji est peut-être un idiot, mais je ne peux pas nier le fait qu'il est bienveillant. "Les amis se disent tout"... Je fixe à nouveau le chemin devant nous.

« Il t'en a pas parlé ? Quoique, c'est plutôt normal. »

Alors je lui raconte. A la fin de mon récit, Ryuji camoufle mal son étonnement.

« Purée, quelle histoire, se contente-t-il de conclure alors qu'on descend la dernière allée d'escalier avant le rez-de-chaussée. Donc depuis, il t'ignore, c'est ça ? »

« Oui, mais c'est pas pour ça que je l'ai suivi tout à l'heure, répondai-je en me remettant à réfléchir. Je le trouve suspect. La coïncidence est folle : il est né en août, il est le premier témoin de mon râteau, mais le soucis... »

« ...c'est qu'il n'aurait eu aucune raison d'assassiner Minori, je me trompe ? »

Ryuji et moi sursautons en même temps. D'un même mouvement, nous nous retournons après nous être arrêtés en bas des marches. En haut, Yusaku nous observe, un sourire aux lèvres.

« Vous êtes pas très discrets pour espionner les gens, tous les deux, dit-il en croisant les bras. Ni pour enquêter. »

Il descend les marches, et, à chacun de ses pas, j'ai l'impression que mon cœur tambourine. Ryuji me lance un coup d'œil, inquiet, avant de s'adresser à Yusaku.

« Qu'est-ce que tu racontes ? »

Yusaku se tourne vers Ryuji, et puis ris doucement.

« Me prends pas pour un idiot. Vous êtes toujours là, à fouiller la classe à l'intercours, à observer les élèves par la fenêtre et à accuser Ami sans preuves. »

Je déglutis. C'est clair qu'il nous a pris de court, là. Rien ne lui échappe. Je croise les bras sur ma poitrine.

« Tu nous veux quoi ? Nous couper en petits morceaux, et cacher nos restes dans la glacière de la salle des profs ? » demandai-je ironiquement.

Yusaku cligne des yeux, étonné, avant de rire.

« Quelle idée, franchement. C'est vache de me prendre pour un assassin juste parce que j'ai le style parfait. »

Il pose ses yeux sur nous, d'un air intense. Si intense que moi et Ryuji frémissons en même temps.

« Je veux vous aider, confie-t-il. A coincer celui qui a pu tuer Minori de sang-froid. Minori ne méritait pas ça. »

Lorsque je me tourne vers Ryuji, celui-ci me fixe déjà. Mon ami semble vouloir me dire d'accorder une chance à Yusaku. Histoire de prouver qu'il n'est pas une mauvaise personne. Dubitative, je me retourne vers Yusaku.

« Quelle aide tu peux nous apporter ? »

Yusaku sourit. Il plonge la main dans sa poche arrière avant d'en ressortir un porte-clé décoré d'un panda très moche.

« Avoir accès à la salle info en tant que délégué, ça aide. »

J'échange un nouveau regard avec Ryuji.

*

Le lycée est totalement vide à cette heure-là. Les conversations nous proviennent de l'extérieur, dans un son étouffé. Yusaku tourne sa clé dans la serrure d'une porte isolée, au bout du couloir. Le verrou fait un bruit, et Yusaku pousse la porte.

« C'est ouvert. »

J'entre la première, passant devant le délégué. Je promène mon regard. La salle rectangulaire est plongée dans le noir, les volets n'ayant pas été ouverts. Les bureaux s'étendent le long des murs et au centre de la pièce. Je me dirige vers l'un d'eux, allumant le poste d'ordinateur à disposition. Yusaku s'installe sur la chaise, mais Ryuji hésite à rentrer.

« Vous êtes sûrs qu'on ne risque rien, à utiliser les ordinateurs du lycée sans permission ? »

« T'en fais pas Ryuji, tu ne vas pas te prendre une retenue le dernier jour des examens » répondai-je en me penchant vers l'écran.

J'entends Ryuji soupirer, puis finir par nous rejoindre. Yusaku désactive le proxy, puis ouvre le moteur de recherche. En deux-trois mouvements, le voici sur la page du Lucky Ones. Il ouvre l'espace des messages. Je frémis en y lisant les messages du prétendu fantôme de Minori.

« Là, cet utilisateur, commente Yusaku. On peut facilement trouver l'appareil d'où la personne écrit ces messages. »

« Mais, comment ? » demandai-je sur le qui-vive.

« Avec l'adresse IP » me répond-t-il comme si c'était une évidence.

Je fronce les sourcils en voyant Yusaku cliquer sur des trucs et des machins, sans trop comprendre ce qu'il fait. Mais à peine une minute plus tard, Yusaku se redresse dans sa chaise en pointant un nom de la souris d'ordinateur.

« Voilà, c'est son téléphone. »

Ryuji et moi nous penchons sur l'écran. On peut y lire "IPhone 4".

« On est bien avancés, remarque Ryuji d'un air défaitiste. Les anniversaires, d'accord, mais le modèle des téléphones des gens... »

Yusaku hausse des épaules. Il croise les bras en alternant son regard entre moi et Ryuji.

« Ça reste quand même un indice. »

Pensive, je fixe l'écran d'ordinateur.

*

« On va manger un bout ? » propose Ryuji.

« Les restaurants sont encore ouverts à cette heure ? » demande Yusaku.

« Non, fait-il en brandissant son téléphone, mais il y a la supérette. C'est pas cher. »

« Okay, je marche. »

Ryuji sourit légèrement. Il se tourne ensuite vers moi, remontant la bandoulière de son sac sur son épaule.

« Tu viens avec nous ? »

« Je ne sais pas, répondai-je le regard dans le vide, accoudée aux fenêtres. Je crois que je préfère rentrer me reposer. »

« Comme tu veux. »

Ryuji m'accorde un regard compréhensif. Il s'éloigne ensuite dans le couloir, à la suite de Yusaku. Les yeux parcourant l'extérieur, j'entends leurs pas dans les escaliers. Mais bientôt, plus rien. Je reste là, accoudée à la fenêtre de ce lycée vide. Tous les élèves sont déjà rentrés chez eux. C'est dommage, j'aurais bien voulu aider un peu plus Koji et son stand.

Dans un soupir, je me décide à stopper mon observation de la cour vide pour avancer dans le couloir. Je marche, l'esprit songeur. Je repense à la découverte de Yusaku dans la salle info, tout à l'heure. Un IPhone 4... Je suis sûre de connaître quelqu'un qui en possède un.

« Taiga, c'est toi ? »

Je sursaute violemment, manquant de trébucher. Je cligne des yeux en voyant la personne qui vient d'apparaître à l'angle du mur face à moi. Une fille coquette avec une voix douce comme un nuage.

« Asako, m'exclamai-je. Tu m'as fait peur. »

Je jette un œil derrière elle, m'attendant à voir Sumire et Koji avec elle. Mais rien, ni personne. Intriguée, je reporte mon attention sur mon amie.

« Les autres sont déjà partis ? »

« Oui, me confirme-t-elle d'un ton absent. Il n'y a plus personne dans l'école. »

Asako replace une mèche de cheveux derrière son oreille en fixant un point imaginaire. Cela m'intrigue un peu plus. Je hausse un sourcil.

« Asako, tout va bien ? »

Elle relève les yeux vers moi, et reste un instant silencieuse avant de me répondre :

« Oh, oui. Avec toi, je me sens toujours bien. »

Sa réplique me rend perplexe un instant. C'est vraiment pas dans ses habitudes, ce genre de phrases. Triturant mon sac, je réagis :

« Ah, c'est cool. On va rejoindre les garçons, alors ? Ils ont prévu d'aller à la supérette. »

J'avance pour passer à ses côtés. Mais dès l'instant ou je suis dans son dos, Asako me saisit par le bras.

« Attends. »

Forcée de me stopper, je me retourne vers mon amie. Elle ancre son regard sur mon avant-bras.

« Restons là. Toutes les deux. »

Elle redresse son visage vers moi, et m'offre un sourire innocent. Mais je ne sais pas pourquoi, cela me déstabilise. Mon cœur bat vite, et mon cerveau me murmure "danger".

Je me dégage de son emprise, en alerte.

« Qu'est-ce qui te prends, Asako ? »

C'est alors que je remarque un détail. Un détail qui vient accentuer ma panique. Dans le creux de sa main, Asako, qui me regarde d'un air surpris, tient fermement un téléphone. Un IPhone 4.

Oh putain.

Je relève les yeux vers la jeune fille. Mon sang ne fait qu'un tour lorsque je la contourne lentement.

« Asako. On devrait s'en aller. Tu ne veux pas rejoindre les autres ? »

« Non. »

Son ton a été si ferme qu'il m'a donné un frisson. Asako commence à se rapprocher de moi. Je fais quelque pas en arrière.

« Tout ce que je veux, c'est rester avec toi. »

J'écarquille les yeux, effarée. C'est officiel, je ne suis pas en sécurité. Je dois m'enfuir. Mais mon âme d'enquêtrice prend le dessus. A chaque pas en arrière que je fais, Asako se rapproche.

« C'est toi depuis le début. »

Je franchis le seuil de la salle de classe ouverte derrière moi. Asako ne me lâche pas du regard, avançant pas à pas comme une âme en folie.

« C'est toi, répétai-je en continuant de reculer. Utilisateur08. C'est toi. »

Asako semble réagir. Elle effectue un sourire, replaçant une mèche de cheveux derrière son oreille.

« Je me suis crée un compte avec l'ordinateur de mon père. »

« Il est né en août, je présume ? »

Elle ne prend pas en compte ma question, et se rapproche encore. Son silence est encore plus terrifiant. Je me tiens à la table derrière moi, apeurée.

« Je me suis confiée à toi sur le râteau de Yusaku, et tu l'as utilisé contre moi ? »

Asako penche la tête sur le côté, lentement. Elle pose ses mains de chaque côté de moi, coincée contre la table.

« Il le fallait bien. Je détestais Minori. »

Elle porte sa main à mes cheveux, passant une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. Je sens une larme couler le long de ma joue.

« Pourquoi ? demandai-je. Pourquoi l'avoir tué ? »

Asako retire lentement sa main. Elle reste face à moi pour soutenir mon regard.

« A la soirée du nouvel an, je lui ai avoué. Je lui ai avoué mes sentiments envers toi. Et elle, tu sais comment elle a réagi ? Elle m'a craché à la gueule que je n'avais aucune chance. Que je perdais mon temps. Que j'étais une pauvre fille. »

Je secoue la tête, une seconde larme rejoignant la première.

« Minori n'aurait jamais dit ça. »

« Pourtant elle l'a fait, argumente Asako. Alors je lui ai foutu une baffe. Elle est partie en pleurant. »

Des flashbacks me reviennent du nouvel an. Minori, croisant ma route, disant qu'elle avait besoin de prendre l'air. Qu'elle s'était disputée avec quelqu'un.

« Le soir du meurtre, dis-je la pupille tremblante, tu étais avec nous en philo. Comment... ? »

« J'ai fait un détour, avant de rejoindre les autres pour la sortie, explique Asako d'un air bien trop serein. Je savais que Minori s'entraînait toujours plus que les autres à la fin des cours. »

Sa main a repris sa place dans mes cheveux, mais j'aurais préféré qu'elle s'abstienne.

« Je suis passée par l'entrée des femmes de ménage, à l'arrière. Elle mène directement aux vestiaires. Là, Minori s'apprêtait à se changer. Seule. C'était un jeu d'enfant. Les autres n'ont rien entendu depuis le gymnase. »

Et elle se met à rire, de sa voix d'ange. Mon corps est parcouru de frissons.

« Si tu savais comme c'était bon de brandir ce couteau sous son nez de pétasse ! Et maintenant qu'on est débarrassées d'elle, je peux te le dire en face. »

Asako prend mon visage entre ses mains, me toisant d'un air fou qui déforme ses traits angéliques.

« Je t'aime ! Je t'aime, Taiga ! Je t'aime si fort, depuis si longtemps, et cette année j'ai décidé de ne pas manquer ma chance ! »

Elle laisse tomber son IPhone 4 pour brandir quelque chose de bien plus dangereux : un cutter.

« Qu'on ne me dise plus que je ne suis pas prête à tout par amour ! On brûlera toutes les deux en Enfer, mon ange ! Mais on sera unies, pour l'éternité ! »

Lorsqu'elle abaisse son arme, son geste me parvient au ralenti. Les gens avaient raison lorsqu'ils prétendaient qu'on voyait défiler notre vie avant de mourir. Je revois mes disputes avec mes parents, mes nuits solitaires dans mon appartement. Mais aussi mes fou-rires avec Minori, la première fois que je suis tombée amoureuse, mon premier et dernier râteau avec Yusaku, mes sorties avec Koji et Sumire, et Ryuji. Ryuji et son air idiot, sa timidité légendaire, et ses mimiques adorables, mais aussi sa gentillesse infinie et le jour où j'ai compris que c'était un bon gars. Je revois même Ami, tiens. Je revois nos sorties après les cours, et leurs visages souriants. J'aurais bien aimé leur dire que je les aimais, au moins une fois, avant de mourir.

Un flash blanc m'éblouit. Le Paradis existe donc ? Il y a un visage. Un ange ? Je plisse les yeux, et réalise très vite que c'est quelqu'un que je connais.

Ryuji.

« Prends ça, espèce de folle ! »

Il pousse violemment Asako, qui n'a d'autre choix que de tomber par terre. Je cligne des yeux. Je viens vraiment de voir ce que je viens de voir ? Ryuji a poussé quelqu'un ? Le cutter d'Asako vole plus loin, rebondissant contre le parquet. La porte s'ouvre en fracas, et je vois Yusaku avec une policière et Madame Yuri, notre professeure principale. Celle-ci pousse un cri estomaqué. La policière s'avance pour relever Asako, et la coincer contre le mur.

« Mademoiselle, vous êtes en état d'arrestation pour cyberharcèlement et agression à arme blanche ! »

Je distingue la policière emmener de force Asako à l'extérieur de la salle de classe, mais tout me paraît flou. Je réalise très vite que c'est parce que j'ai les yeux embués de larmes. Je porte mes mains à mes joues pour les essuyer. Je ne suis pas faible. Je ne le veux pas.

« Taiga, ça va ? »

Je sens une main sur mon épaule, et tourne la tête pour voir Ryuji me regarder d'un air inquiet. Mes sanglots redoublent, et je viens le serrer dans mes bras. Il n'hésite pas une seconde à me rendre mon étreinte.

Moi aussi, après tout, j'ai le droit d'avoir des faiblesses.

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