Avril 2012

Des coups frénétiques retentissent dans mon dos. Ce n'est pas pour autant que je me lève de mon lit. Je suis trop occupée à étaler devant moi des photographies imprimées.

« Entrez ! »

La porte s'ouvre et la tête d'un idiot fait son apparition.

« C'est ta chambre ? »

« Non, c'est ma salle de bain. »

Il soupire mais laisse tomber son sac de cours à ses pieds en fermant la porte. Il promène son regard aux alentours, semblant faire son inspection des lieux.

« Tu sais, c'est la première fois que je rentre dans la chambre d'une fille. »

« Super, tu veux une médaille ? demandai-je en rangeant des photos en pile. Arrête de te distraire et assieds-toi, on a du pain sur la planche. »

« Oui Madame, » marmonne-t-il en prenant place sur mon lit en bazar.

Il effleure les images d'un air intrigué pendant que je prends une fourchette de pâtes d'un carton humide. Ryuji regarde la sauce qui tombe sur mon pyjama et fait une moue pitoyable.

« Tu manges toujours des plats préparés au dîner ? »

« Bah, ouais, dis-je en m'essuyant le coin de la bouche. C'est prêt rapidement, c'est bon, et y'a pas besoin de faire la vaisselle. »

Je jette la fourchette en carton sur mon tapis d'un geste désinvolte. Mais presque immédiatement, Ryuji se penche pour la rattraper. Il prend d'ailleurs mon carton de pâtes vide pour le démonter et en faire un pliage.

« Euh, tu fais quoi, là ? »

« Je ramasse tes déchets, » répond-t-il en sortant un sac plastique de sa poche soudainement.

« Attends, tu te balades toujours avec des sacs poubelles sur toi ? »

« Là n'est pas la question, continue-t-il en rampant soudain pour ramasser mes déjeuners de la veille qui trainent par-ci par-là. Tu manges toujours dans ta chambre ? »

« Je vois pas où est le problème, j'ai tout ce qu'il me faut ici. »

Je l'observe sortir un deuxième sac pour séparer les déchets et même ranger quelques affaires qui jonchent le sol. Je me mets à sourire.

« Attends, me dis pas que tu fais partie de ces gens super maniaque ? »

« Je suis pas maniaque, dit-il en continuant à ranger, j'aime juste que tout soit en ordre. »

« Tu viens de me donner la définition même de l'adjectif 'maniaque'. »

Il s'arrête un instant pour me regarder puis il soupire en fermant l'un de ses sacs.

« C'est juste des règles basiques de savoir-vivre. Tes parents sont jamais après toi pour le rangement ? »

« Nan, répondé-je en me retournant vers mes photos. J'habite toute seule ici. »

Ryuji semble s'être arrêté à nouveau. Je mets de côté des images inutiles. Le maniaque revient vers moi pour s'asseoir sur le lit.

« Ils sont morts ? »

« Toi et la délicatesse ça fait un, souriai-je amusé. Nan, ils en avaient juste marre de moi. Moi aussi j'en avais marre d'eux, alors, voilà quoi. »

Je le sens me fixer, mais il ne dit rien. Il ramène ses jambes sur le matelas pour les croiser en tailleur. Je le sens hésitant mais je le coupe avant qu'il puisse dire quoi que ce soit.

« Sois pas désolé, c'était ma décision. Maintenant tiens, regarde ça. »

Je lui passe entre les mains les photographies que je triais. Il les examine un court instant avant de demander :

« Des captures d'écran de profil ? »

« Ce sont toutes les adresses reliées plus ou moins à celle qui a posté les messages sur le mur du site, » expliquai-je en me levant pour me diriger vers mon bureau.

« Ceux que tu m'as envoyé l'autre jour ? »

« Exact, dis-je en me penchant sur mon ordinateur pour l'allumer. Il nous suffit de trouver lequel c'est. »

« Il y en a des centaines, fait Ryuji en feuilletant les images entre ses mains. Qu'est-ce qui nous prouve que cet utilisateur a un lien avec l'affaire, de toute façon ? »

« Il y a forcément un lien ! répondé-je entêtée en ouvrant le blog pour regarder pour la centième fois les messages énigmatiques. Tu l'as lu tout comme moi, il donne trop de détails sur Minori pour que ce soit juste un idiot qui veuille simplement faire une blague de mauvais goût. »

Je m'assois sur ma chaise de bureau et soupire en cliquant sur le profil. Vide, sans aucune information. Comme toujours. Seuls les sons des photographies que feuillette Ryuji perturbent le silence.

« Tu sais, je vis tout seul aussi. Enfin, ma mère est là sans vraiment être là. »

Je me redresse légèrement et me retourne vers lui. Il relève les yeux de sa documentation.

« Minori était celle qui comptait le plus pour toi. Je suis désolé. »

Je reste un moment silencieuse avant de me retourner vers l'ordinateur.

« Tu dis ça, mais tu étais amoureux d'elle. Tu commençais à lui plaire au nouvel an, tu sais. Alors, c'est moi qui suis désolée. T'es un type sympa finalement, vous auriez été mignons ensembles. »

Un ange passe alors que je regarde un selfie de moi et Minori accroché au mur face à moi. J'entends Ryuji se lever, soudainement.

« Eh, j'ai peut-être trouvé quelque chose. »

Je tourne la tête vers lui, curieuse. Il s'approche pour me mettre les captures d'écran sous le nez.

« Tous ces profils, ce sont des gens de l'école. »

« Quoi ? Non, tu plaisantes ? »

Je lui prends les images des mains pour les coller à mon nez en les faisant défiler. Mais c'est qu'il a raison ! Comment j'ai pu laisser passer un détail pareil ?

« Et c'est pas tout, continue-t-il avec un air fier qui m'agace un brin. Pour créer un compte, le site prend en compte le mois de naissance de l'utilisateur sans le prévenir pour le mettre dans son pseudo, en allant chercher dans les données de l'appareil. Yusaku m'a expliqué. »

Je fais une moue à l'évocation de Yusaku mais je fais bien vite de me reconcentrer sur l'enquête. Je fixe mon écran d'ordi portable, encore ouvert sur le profil de l'utilisateur anonyme.

« Ce qui veut dire que celui qui a écrit ces messages... »

Je déchiffre le pseudo du présumé coupable à nouveau : "Utilisateur08".

« ...est né en août ! » complète Ryuji, l'air ravi que j'ai suivi son cheminement.

Je me tourne vers lui. Il a le sourire aux lèvres, et j'ai du mal à ne pas l'imiter. Je fixe l'ordinateur et, l'œil déterminé, le referme d'un coup de main.

« Bien joué, Watson. Maintenant, c'est l'heure de passer à l'action. »