Acte III • Le Diable en Personne

Scène I

Je me demande ce que ça ferait, de le rencontrer enfin, après tout ce temps.

Aurait-on seulement besoin de parler ? Ou est-ce qu'on se roulerait des pelles direct ?

Je vois ça d'ici... Il est dans ma chambre, on est seuls au monde. Il s'assied sur le lit, à côté de moi, et tourne vers moi ses yeux. Ses yeux magnifiques. Puis ses mains épousent mon visage et, d'un seul coup, il m'embrasse.

Ça n'a rien à voir avec Mary, Yumeko ou Kirari. C'est dingue. C'est une toute autre galaxie. Je ressens comme un fourmillement électrique qui irradie mon corps tout entier, mon cerveau est complètement grillé, il me semble entendre battre mon cœur. Sa langue glisse dans ma bouche. Ses mains remontent sous mon t-shirt, ses doigts effleurent mon torse. Bon sang. Baiko...

—— Hey, Kags !

Je sursaute soudainement en clignant des yeux. Sous la surprise, je manque de laisser tomber ma brique de lait au sol. Mais elle reste dans ma main, serrée entre mes doigts.

Face à moi, le diable en personne : Shoyo Hinata.

—— Qu'est-ce que tu me veux, le nain ?

Le sportif face à moi effectue une moue, et agite sa tête à en faire remuer ses mèches rousses.

—— Peuh, tu pourrais être plus sympa.

Soupir. Quelquefois, je me demande pourquoi je viens assister aux matchs de volley-ball, si c'est pour tomber systématiquement sur Hinata. Il parle vite. Il est envahissant. Il me les brise.
Mais j'ai beau être froid avec lui, jamais il ne me lâche les bask'.

Le petit roux attrape sa gourde sur la touche, avant de se hisser sur la barre des gradins à côté de moi, accoudé.

—— T'avais l'air dans tes pensées, alors je me demandais si ça allait, voilà.

Il sourit. Il sourit toujours. Des fois, je me dis qu'il ne connaît que deux émotions : déçu et heureux.
Et ça a le don de m'énerver.

Je coince ma paille entre mes dents en fixant les joueurs sur le terrain, face à nous. De temps en temps, des t-shirts se soulèvent et des cuisses se contractent. J'ai peut-être une raison particulière de venir voir les matchs, finalement.

—— Tiens, au fait.

Il va vraiment finir par me faire péter un plomb. Tais-toi.

—— Tu viens au lycée, pour la répèt' de Noël ?

Je me tourne vers lui. Il me regarde, attendant ma réponse en s'essuyant le coin des lèvres.

C'est vrai qu'on est déjà en décembre. Les journées sont longues, mais le temps passe si vite... Avec Baiko, j'ai l'impression d'oublier un peu la réalité aussi.

Je finis ma brique de lait avant de lui répondre.

—— Sûrement.

J'entends une détonation de joie m'éclater le tympan. Quand je vous disais qu'il était envahissant.

—— Super! On se retrouve là-bas, dis ?

Le capitaine appelle soudain le numéro inscrit dans le dos du rouquin. Suivi d'un "j'arriiive", Hinata repose sa gourde et saute au sol.

—— À plus, Kags !

—— Arrêtes de m'appeler comme ça.

Mais il m'ignore en trottinant vers le terrain. Il m'adresse un signe de main que je ne lui rends pas. Et puis quoi encore.

J'en ai marre de ce lycée de merde, putain. Des fois, je me dis que Baiko est la seule raison pour laquelle je viens encore en cours.

Même si, dans le fond, quand je vois Hinata sauter si haut ;

Je me surprend à le trouver incroyable.

~
Scène II

—— Ce Tsukichima...

Je me tourne un instant vers Yachi. Elle a le regard rêveur vers la vitre, côté passager.

Aujourd'hui, durant toute la répétition de notre pièce de théâtre, Tsukichima n'a pas arrêté de coller cette pauvre Yachi. Elle n'est arrivée que cette année, mais elle a déjà sa côte de popularité. Je me sens heureux d'être son ami. Pas pour sa réputation, mais son écoute et ses blagues. C'est une fille adorable, auquelle je sais que je peux tout confier. Elle cache sûrement des tas de secrets sur tous les lycéens de Karasuno High.

Quelques fois, Tsukichima me lance des regards. Dans ces moments là, j'ai envie de lui éclater le crâne. Ou de lui lancer une babouche. Malheureusement, je n'ai ni la force, ni le matériel nécessaire.

Je sais qu'il détient mes secrets ; que je suis gay, et que je ne parle pas que du beau temps avec un inconnu du lycée.

Mais pas question que je cède à son chantage. Je ne peux pas faire ça à Yachi. Je l'aime trop pour ça.

Avec un petit sourire, je secoue la tête.

—— Quel taré.

—— Plutôt mignon, pour un taré, dit-elle. Mais hélas, pas mon genre.

—— Pas le mien non plus, dis-je.

Yachi s'esclaffe. Je sens mon cœur se serrer dans ma poitrine. Je devrais le lui dire.

Baiko... Il m'a dit qu'il le dirai à sa mère, ce soir. Du moins, c'est ce qui est prévu. Je stresse pour lui. Peut-être suis-je un peu jaloux aussi.

C'est un peu comme un deuil pour moi. Je crois que j'aimais bien être le seul au courant.

—— Yachi, je peux te dire un truc ?

—— Bien sûr, qu'est-ce qu'il y a ?

La musique à la radio s'éloigne à des années lumière. On est arrêtés à un feu rouge, j'attends pour tourner à gauche et tout ce que j'entends, c'est le cliquetis frénétique de mon clignotant.

Je crois que mon cœur bat en rythme.

—— Tu ne peux le répéter à personne, dis-je. C'est un secret.

Elle ne dit rien, mais je perçois le mouvement de son corps vers moi. Les genoux fléchis sur le siège passager, elle attend.
Je n'avais pas prévu de le faire ce soir.

—— Voilà. Le truc, c'est que je suis gay.

C'est la première fois que je prononce ces mots à voix haute. Je m'interromps, les mains sur le volant, en quête d'une sensation extraordinaire. Le feu passe au vert.

—— Oh, laisse échapper Yachi.

Puis un silence épais, suspendu.
Je tourne à gauche.

—— Kageyama, gare-toi.

Il y a une petite boulangerie sur ma droite. Je me range dans l'allée. La boutique est fermée pour la nuit. Je mets le moteur au point mort.

—— Tes mains tremblent, murmure Yachi.

Elle attire mon bras à elle, puis prend ma main dans les siennes. Assise en tailleur sur le siège, de côté, elle me fait face. J'ose à peine la regarder.

—— C'est la première fois que tu en parles à quelqu'un ? demande-t-elle au bout d'un moment.

J'acquiesce.

—— Waouh.

Je l'entends inspirer profondément.

—— Kageyama, c'est un honneur que tu me fais.

Je m'enfonce dans mon siège avec un soupir et me tourne vers elle. Elle glisse ses doigts entre les miens. Je lui demande:

—— Ça t'étonne ?

—— Non.

Elle me regarde droit dans les yeux. Dans la lueur des réverbères, ses iris disparaissent presque totalement, un fin lisé brun au bord de ses pupilles.

—— Tu savais ?

—— Non, du tout.

—— Mais tu n'es pas surprise.

—— Est-ce que tu voudrais que je le sois ?

Elle semble nerveuse.

—— J'en sais rien, dis-je.

Elle me presse la main.

Je me demande comment ça se passe, du côté de Baiko. Je me demande s'il ressent les mêmes palpitations à l'estomac que moi en ce moment. Il ressent probablement beaucoup plus que des palpitations. Il doit se sentir si nauséeux qu'il a du mal à articuler.
Mon Baiko.

C'est étrange. On dirait presque que c'est pour lui que je l'ai fait.

—— Qu'est-ce que tu vas faire ? veut savoir Yachi. Tu vas le dire aux autres ?

Je réfléchis. Je ne me suis pas vraiment posé la question.

—— Je ne sais pas. Sans doute, oui, un jour ou l'autre.

—— Moi, en tout cas, je t'aime, dit-elle.

Elle me tapote la joue, souriante. Puis, on rentre.

~
Scène III

À: milky
De: baiko
ENVOYÉ LE 14/12 À 00H12
OBJET: Re: Allons-y gaiement

Milky,
Je ne sais pas quoi te dire. Moi aussi, je suis fier de toi. C'est vraiment énorme, non ? C'est le genre de moment qu'on se rappellera toute notre vie, j'imagine.

Je vois exactement ce que tu veux dire, j'ai essayé de dessiner ce moment, une fois. Une fois sorti du placard, on ne peut plus y retourner. Un peu terrifiant, tu ne trouves pas ? Je sais qu'on a beaucoup de chance de faire notre coming out maintenant, et non il y a vingt ans, mais ça n'en reste pas moins un acte de foi. C'est à la fois plus facile et beaucoup plus dur que je ne l'aurais cru.

Et ne t'en fais pas, Milky. Je n'envisage des rapports sexuels qu'avec des mecs qui fuient leur petite copine de collège dans les toilettes le soir de la Saint Valentin, s'ingurgitent de briques de lait et écoutent des musiques étrangement dépressives et enchanteresse, sans jamais avoir eu de phase emo.

Je suppose que j'ai des préférences bien définies.
(Je ne plaisante pas.)

Baiko.

• 20 juillet 2021.

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