chapitre 8
⠀| 15 juillet 2005
☆
Les jours passaient, et Asuga sentait tous ses ennuis revenir au galop. S'attendre à ce que tout se déroule correctement était bien trop naïf. Elle savait comment tout se terminerait. Mal. Tout se terminait toujours mal quand Tadashi était dans les parages. Elle avait beau nourrir l'espoir de pouvoir le mettre hors d'état de nuire et prendre la relève au commandement du Shirohebi, c'était mal connaître son frère de croire qu'il ne s'arrangerait pas pour lui mettre les Haitani sur le dos avant de disparaître. Il leur balancerait toute la vérité, la ferait passer pour une menteuse mal-intentionnée, les monterait contre elle et les laisserait faire le travail à sa place.
Aucun mot n'aurait été adapté pour décrire à quel point elle haïssait cette idée. Asuga avait sa place dans Roppongi. Elle refusait que Tadashi la lui arrache comme il lui avait arraché tout ce qu'elle avait connu de bien au cours de sa vie.
Seulement, avouer la vérité elle-même n'était pas envisageable non plus. Elle ne pouvait prédire les réactions de Ran et Rindo mais savait qu'aucune n'était souhaitable car même la pensée de perdre leur confiance et de ne plus jamais pouvoir avoir une relation si simple avec eux la dérangeait. Ils ne comprendraient pas, croiraient qu'elle avait toujours voulu leur causer du tort et ne la laisseraient jamais plus approcher Roppongi.
Fatiguée par cette impasse qu'elle rencontrait, Asuga ouvrit le robinet, recueillit de l'eau au creux de ses mains, puis se la jeta au visage. Ses paupières s'abaissèrent et ses doigts agrippèrent le rebord du lavabo avec nervosité. Ran avait eu tort. Ils n'étaient pas pareils du tout, parce qu'il était le grand frère ayant fait le choix d'être là pour son cadet et qu'elle était la petite sœur depuis toujours martyrisée par son aîné. Il avait toujours été ainsi et avait pris ses propres décisions pour en arriver là où il était aujourd'hui. Asuga, elle, n'était délinquante que parce qu'on lui avait appris qu'elle n'aurait jamais le potentiel d'être quoi que ce soit d'autre et craignait malgré elle de ne jamais trouver le chemin du succès, ou bien le courage de bousculer toutes les lourdes pierres qui l'obstruaient.
On toqua à la porte. Les dents serrées pour contenir la frustration qui l'habitait, la jeune femme essuya son visage avec le bas de son t-shirt et quitta les toilettes sans un mot ni un regard pour la personne qui entra derrière elle. La musique ne fit que l'agacer un peu plus. Elle ne servait qu'à masquer les conversations en cours, qu'elle imaginait être à propos de l'arrivée du Shirohebi. Entourés des voyous qui animaient leur empire, les frères Haitani semblaient être dans leur élément. Elle dépassa cet amas de jeunes avides de violence aveugle et se dirigea vers la sortie de la salle sans leur prêter aucune attention.
Asuga n'avait jamais fait le choix de devenir ce qu'elle était aujourd'hui, certes. Mais maintenant qu'elle était là, elle aussi voulait son empire. Et elle l'aurait coûte que coûte, avec le soutien de Roppongi ou non, car ce n'était pas pour servir ses intérêts que la confiance de Ran et Rindo était importante à ses yeux mais juste parce qu'elle ne s'était jamais sentie chez elle où que ce soit avant de les connaître. Orpheline qu'elle était, elle ne pouvait qu'envier leur lien fraternel qui semblait ne jamais faiblir, mais elle voulait aussi s'en inspirer, construire quelque chose à elle comme ils avaient bâti leur règne sur Roppongi. D'une certaine manière, elle voulait même les surpasser, et qu'ils la regardent faire. Peut-être était-elle folle.
Seule dans les rues seulement éclairées par les lampadaires et vitrines des magasins et bars qui l'entouraient, Asuga perçut vite une agitation anormale non loin d'elle. Il ne lui fallut pas plus que les faibles supplications et pleurs d'une voix féminine inconnue pour deviner ce qu'il se passait et décider de s'en mêler. Ses imposantes chaussures claquèrent avec force sur le bitume tandis qu'elle pressait le pas jusqu'à la prochaine ruelle où, sûrs d'eux et de leur supériorité masculine, trois hommes encerclaient une jeune femme à peine plus âgée qu'elle. La vue de leurs mains passant sur son corps réticent et de la peur qui brillait dans son regard lui donna la nausée autant qu'elle fit bouillir son sang dans ses veines.
— Hey !
Loin d'être une personne patiente lorsqu'il s'agissait de régler une quelconque injustice, elle ne leur laissa aucune chance de prendre la parole avant de foncer sur eux. La victime de leurs agissements s'empressa de reculer dès qu'Asuga fût entre les voyous et elle, déjà en train d'en repousser un pour le forcer à s'éloigner. Elle remit nerveusement ses vêtements en place, tentée de partir en courant mais incapable de se résigner à quitter l'étonnante aura protectrice qui émanait de cette mystérieuse fille aux cheveux roses.
— Vous avez tellement du mal à vous trouver des copines que vous en choisissez au hasard dans la rue pour les agresser ? Ou est-ce que c'est user de la force qui vous excite ? tonna Asuga malgré sa voix encore rauque, le regard noir et les poings si serrés qu'elle réveilla la douleur de ses plaies encore en train de cicatriser.
— C'est qui elle ? rit l'un des trois sans même prendre la peine de s'adresser directement à la concernée.
Un éclair de lucidité traversa le regard de son acolyte lorsqu'il identifia, malgré le manque conséquent de lumière dans les environs, la teinte originale de ses cheveux. Et s'il pensa être raisonnable en glissant discrètement à ses amis qu'elle était la protégée des frères Haitani, il ne fit pourtant que l'énerver un peu plus.
— Tu les vois quelque part, toi ? demanda Asuga. J'ai l'air d'être sous une protection autre que la mienne ?
— On veut pas de problèmes, c'est bon. On va s'en aller. Tu peux partir avec l'autre fille si tu veux, on la laisse tranquille.
Le rire qui échappa à la délinquante les prit par surprise. Sa peau décorée de bleus sembla soudainement faire sens ; ce n'étaient pas les conséquences d'une agression similaire à celle qu'elle avait interrompue et qui l'aurait motivée à se rebeller aujourd'hui, mais bien les traces d'un véritable combat qu'elle avait mené et gagné.
— Quelqu'un qui ne veut pas de problèmes n'agresse pas des gens dans la rue. Question de bon sens. Mais pas la peine de vous en faire, c'est pas les frères Haitani qui vont vous tomber dessus. C'est moi, sourit-elle.
Derrière elle, la fille à qui elle venait peut-être de sauver la vie se redressa, comme revigorée par la confiance sans limite d'Asuga. La violence dont elle fit ensuite preuve l'aurait sans doute fait fuir en temps normal, mais puisqu'elle n'était dirigée que vers des êtres eux-mêmes brutaux et injustes, elle lui plut. Innocente comme elle l'était, elle ne put se faire la réflexion qu'Asuga se battait définitivement trop bien pour correspondre à la description de la personne qu'elle prétendait être. À l'abri des regards de ceux qui ne lui faisaient pas confiance et de ses deux colocataires persuadés de plus ou moins connaître son niveau de dangerosité, elle eut enfin l'occasion de se lâcher. Aucune de leurs ripostes ne l'atteignit. Elle était rapide, tant et si bien que le regard admiratif de l'inconnue eut parfois du mal à la suivre. Rapide et efficace, à en juger par l'état dans lequel elle laissa ces hommes.
— C'est qu'un nez, râla Asuga à l'attention de celui qui gémissait de douleur en se tenant le visage à deux mains. T'allais ruiner sa vie pour un moment, qu'est-ce qu'un nez cassé peut valoir contre ça ?
Une insulte fusa du côté de l'un des autres membres du trio. Levant les yeux au ciel, la jeune femme balaya sa vaine tentative de se redresser d'un coup de botte dans l'abdomen, puis d'un autre en plein visage. Le troisième en profita pour passer derrière elle, un bras autour de sa gorge et prêt à l'enserrer, mais elle ne parut même pas réagir. Elle serra seulement les dents avec tant de force qu'elle crut se les briser sur le coup, parce que tout ceci commençait à l'ennuyer au point de ne plus pouvoir en rire avec ironie. Les quelques mots que cet inconnu alcoolisé souffla contre son oreille sans aucune gêne eurent raison d'elle.
Même celle qui s'émerveillait pourtant devant sa force recula d'un pas lorsque le crâne de l'homme rencontra le mur le plus proche dans un bruit inquiétant, une fois, puis deux, puis trois. Quand elle le relâcha, un soupir d'aise s'échappa d'entre ses lèvres. Sa main saisit ensuite ses cheveux pour le forcer à relever la tête vers elle tandis qu'il reposait sur le sol, le visage en sang et peinant à former une phrase complète sans qu'un sanglot ne se glisse entre ses mots.
— Mhm, fit-elle mine de réfléchir. Tu sais quoi ? C'est ton jour de chance. On va aller rendre une petite visite aux rois et leur demander ce qu'ils pensent de tes activités, d'accord ?
Déboussolé, il secoua vivement la tête et elle l'ignora.
— T'habites loin ? questionna Asuga en se tournant vers la femme qui répéta le geste du premier, pendant un moment incapable de parler. Tu peux rentrer seule ?
— Oui. Qu'est-ce que tu vas faire de lui ?
— Oh, il va juste servir d'exemple. Je me lasse de voir le monde de la délinquance n'être qu'un énième monde où les femmes n'ont pas leur place. Rentre bien.
— Merci. Pour tout, je veux dire.
Sur le moment, Asuga songea que tout ne voulait pas dire grand chose. Elle n'avait rien fait de plus que ce qu'elle faisait habituellement, et ce n'était pas tout puisque rien ne changeait jamais. Elle se contenta alors de hocher la tête, néanmoins capable de comprendre que pour une jeune femme normale, en voir une autre tabasser ainsi des agresseurs représentait un grand pas en avant. Pour Asuga, être déçue par les convictions des marginaux qui se disaient différents du reste du monde mais qui ne se souciaient que de la place des hommes était la routine.
Une routine qu'elle voulait briser.
Au sein de la salle qu'elle avait quittée plus tôt, les conversations cessèrent dès que le corps de sa victime fût jeté sur le sol. Tous les regards se posèrent sur Asuga tandis qu'elle refermait la porte derrière elle, un sourire faux accroché aux lèvres.
— Pardon, je gâche l'ambiance ?
— Pourquoi il est dans cet état, lui ? lança Rindo, visiblement dégouté par les traces de sang que le concerné laissa sur le sol.
— Lui et ses amis se sont apparemment dit que ce serait une bonne idée d'agresser une femme dans la rue, répondit Asuga avant de hocher la tête lorsque certains regards se firent fuyants. Inacceptable, pas vrai ? Je les ai bien sûr remis à leur place, et celui-ci a eu la pertinence de me faire une remarque qui - je pense - mérite d'être entendue de tous. Tu peux leur répéter ce que tu m'as dit, mon chou ?
Terrorisé, autant par la délinquante que par les deux paires d'yeux couleur lilas braquées sur lui, l'intéressé chuchota quelques mots que personne ne put comprendre. Asuga afficha une moue peinée avant de placer son pied au-dessus de sa main, juste assez près pour lui causer une sensation désagréable et lui faire comprendre qu'elle n'hésiterait pas à la lui briser comme elle avait brisé le nez de son copain. Un nouveau sanglot lui échappa, parce qu'il se savait incapable de parler plus fort et qu'il n'avait probablement jamais autant craint pour sa vie.
— Plus fort. Il faut que tout le monde puisse entendre ce que tu penses des salopes en mon genre, non ? C'est bête, t'avais l'air plutôt fier de me faire remarquer que m'attendre à un meilleur traitement que celle que j'ai sauvée en étant habillée comme ça était idiot. C'est pas ce que t'as dit ?
— Si, souffla-t-il.
— Vous savez ce que j'ai toujours trouvé curieux ? Cette manière que vous avez tous de refuser de frapper une fille, quand vous leur faites bien pire dès que vous en avez l'occasion, blâmant parfois l'alcool, et prétextant parfois juste une vengeance. Parce que oui, c'est bien connu, si un gars vous cause du tort, c'est toujours plus logique de vous attaquer à sa copine, à sa mère, à sa sœur.
Quelques poings se serrèrent dans la petite foule et confirmèrent les propos d'Asuga. Tous craignaient pour la vie des femmes qui leur étaient proches, quand bien même elles n'avaient rien à voir avec leurs crimes. Combien ici cachaient leurs copines et n'étaient plus en contact avec leurs familles par pure peur de leur attirer des ennuis ? Combien d'autres filles comme Asuga se déguisaient pour exercer leurs activités, se faisaient toutes petites pendant que les hommes prenaient autant de place qu'ils le voulaient ?
— On n'est pas la personnification de votre égo, reprit-elle plus froidement. Si une femme n'a rien en commun avec notre milieu, alors laissez-la en dehors de ça. Elle n'est pas un moyen de punir votre adversaire. Quant à celles qui sont comme moi... Je crois que vous préféreriez me défier à la loyale plutôt que de tenter quoique ce soit d'autre. Tout comme vous allez vite préférer foutre la paix à toutes les femmes de Roppongi que vous croiserez, parce que ceux qui vous dirigent ont peut-être mieux à faire, mais je vous assure que je ferai bien pire que ça au prochain que je choperai en train de poser ses sales mains sur femme non-consentante.
Pendant un temps, il y eut le silence. Les regards perdus oscillèrent entre Asuga et les frères Haitani, et elle comprit en croisant celui de Ran qu'ils trouvaient leur confusion divertissante. Le charisme du trio était trop écrasant pour qu'ils ne prennent position sans qu'on leur dise quoi faire, et il était toujours impossible de deviner ce que les deux leaders pensaient avant qu'ils n'agissent, alors ils attendaient bêtement. Un élan de mépris pour ces suiveurs écervelés à qui il fallait tendre la main pour une simple décision traversa Asuga.
— Et t'es qui exactement pour nous menacer ? se lança enfin l'un d'eux, interprétant le silence de ses boss comme le rejet des paroles de la jeune femme et provoquant le sourire amusé de cette dernière.
— La nouvelle reine de Roppongi, si c'est le titre qu'il faut pour être écoutée, répondit-elle en haussant les épaules.
Les quelques ricanements nerveux qui lui parvinrent ne mirent pas bien longtemps à s'évanouir. Celui qui avait posé la question, situé juste devant elle, ne vit pas Ran arriver dans son dos et ne le remarqua que lorsque son pied rencontra l'arrière de ses genoux avec juste assez de force pour le faire tomber. Le sourire d'Asuga provoqua celui de l'aîné Haitani tandis que tous les visages alentours perdaient de leurs couleurs.
— Tu l'as pas entendue ? lança-t-il d'un ton faussement doux, les yeux baissés vers le malheureux. En règle générale, on s'agenouille devant une reine.
Les yeux de la jeune Yano brillèrent de satisfaction. Elle n'eut pas un regard pour tous ceux qui suivirent le mouvement et posèrent un genou à terre face à elle, trop occupée à dévisager le seul qu'elle pouvait accepter de voir encore debout. Nonchalamment installé à une table, Rindo ne put s'empêcher de trouver cette scène amusante ; chaque occasion de ridiculiser les plus faibles l'était. Mais pour Ran, il ne s'agissait plus seulement d'imposer leur présence et leur force, mais surtout d'imposer celles d'Asuga. Reine de Roppongi, de Tokyo, du monde entier, Asuga pouvait bien adopter tous les titres qu'elle voulait tant qu'elle continuait à le surprendre de cette manière.
Au fond, toute la vérité qu'elle pouvait dissimuler et tous les rôles qu'elle pouvait jouer n'importaient que très peu car c'était tout le divertissement qu'il voulait et dont il doutait désormais de pouvoir se lasser.
Ainsi, quand une lueur de défi traversa son regard azuré et qu'elle lui assura, toujours aussi sûre d'elle et dangereusement addictive, qu'il se trouverait lui aussi à genoux un jour ou l'autre, Ran ne put qu'acquiescer avec plaisir.
— J'ai hâte.
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。・:*:・゚★,。・:*:・゚☆
#feminism #kam2021 #saufranhaitani
🤪
non je blague mais ce chapitre était important pour moi et j'espère qu'il rendra comme je le voulais.
en écrivant sur le monde de la délinquance avec des personnages féminins, je me suis rendue compte que c'était impossible de ne pas traiter de ce genre de sujets et que je voulais de toute manière en profiter pour faire passer quelques messages. c'est aussi une facette importante du personnage d'asuga, parce qu'elle est délinquante et se plaît à l'être mais que ce statut ne lui permet pas du tout d'échapper à la misogynie présente partout ; c'est même une autre forme de danger qu'elle rencontre puisque dans un milieu aussi dangereux, les femmes sont d'autant plus prises pour cibles.
j'espère que vous aurez apprécié ce chapitre et mes tentatives de donner de la profondeur à des aspects pas du tout développés à l'origine dans tkr :) ce n'est que le début, j'ai hâte de vous montrer toutes mes girlbosses à l'action
(je laisse l'ancienne nda pcq elle est bien)
- daeremagon
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