⁶/₆ - 𝙻𝙰 𝚁𝙴𝙲𝙾𝙽𝚂𝚃𝚁𝚄𝙲𝚃𝙸𝙾𝙽
Définitions
Termes complexes -
* Vagues scélérates : Vague dont la hauteur est plus de deux fois
supérieure à celles des vagues qui l'entourent.
* Palingénésique : relatif au retour à la vie et à la régénération (sens
littéraire)
* Le chat de Schrödinger : Expérience de pensée selon laquelle un élément peut se trouver dans plusieurs états simultanément. Plus précisément, le chat de Schrödinger est à la fois
mort et vivant.
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Étape du deuil :
la reconstruction - étape à laquelle la personne endeuillée accepte son deuil, et s'autorise à redémarrer sa vie.
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C'était un jour spécial, et il s'était présenté comme une fleur portée par le vent, Izuku ne l'avait même pas vu venir.
Le vent frais, peu agréable en cette saison, soufflait jusque sous son manteau pourtant bien fermé, et ses mains se réfugiaient dans ses poches pour se protéger de l'humidité agressive.
La pluie était tombée une bonne partie de la nuit. Au petit matin, le jardin ressemblait à une immense flaque de boue, mais les nuages gris avaient tout de même fini par prendre congés.
Katchan dormait encore, il faisait à peine jour et leur sommeil s'était vu perturbé plusieurs fois par le crissement du tonnerre au-dessus de la maison.
Alors Izuku ne fit aucun bruit pour ne pas déranger son repos.
La petite horloge numérique posée sur le buffet du salon affichait seulement sept heures quarante cinq, Izuku pouvait se recoucher s'il le souhaitait, mais son corps refusait de le laisser patienter.
Ses pensées avaient gigotées toute la nuit, et elle continuaient de se tortiller dans tous les sens quand il se posta devant la petite fenêtre de la cuisine. La seule qui ne possédait pas de volets pour dissimuler l'extérieur.
Se rendormir lui paraissait bien impossible ce matin-là.
A la place, il réfléchissait, encore.
Il retraçait son parcours, revoyait ce très long chemin déjà parcouru, et songeait à celui qu'il lui restait à traverser.
Son combat pour la guérison de son cœur demeurait en cours, et les obstacles futurs se profilaient devant lui, il les appréhendait, mais il s'y préparait de mieux en mieux chaque jour.
Ce matin-là, il refit les comptes des semaines passées.
Hanta avait disparu depuis douze mois, et il pansait encore ses plaies.
Des tonnes de pansements et des litres de larmes lui avaient été nécessaires pour avancer, avec la présence indéfectible de Katsuki à ses côtés. Des milliers d'heures de souffrance, une montagne de nuits sans sommeil, des jours plus sombres que les ténèbres, une infinité de cris étouffés dans les bras de ses proches.
Il s'habituait peu à peu au silence que son bien aimé avait laissé derrière lui, il apprenait doucement à accepter son départ, il s'appliquait à vivre dans le présent.
Le passé gardait sa place dans sa poitrine, dans ses souvenirs, et aussi parfois dans ses rêves et ses cauchemars; mais Izuku s'entrainait durement à ne plus le laisser empiéter sur l'avenir.
Tellement de choses avait changé depuis le retournement forcé de son existence.
Le monde change de couleur et de sens quand l'âme se confronte à la perte de ses ancrages, et il faut beaucoup de temps à un cœur pour comprendre qu'il ne peut plus arrimer sur un port qui n'existe plus.
Recréer un nouveau cordage après un naufrage, le combat d'Izuku, demeure sans aucun doute la plus grande guerre qu'un Homme puisse mener contre lui-même.
La tempête et les vagues scélérates n'offrent jamais aucun répit à celui qui les affronte.
Mais ce matin-là, Izuku remarqua que la houle s'installait progressivement.
Agitée mais plus conciliante que tous les ras de marée déjà traversés, elle se présentait enfin comme le commencement du recommencement.
Son esprit voyait la lumière du bout du tunnel, ce minuscule rayon si longtemps recherché dans les ombres de sa peine, et qui apparaissait comme la promesse d'un traité de paix avec ses démons.
Katchan dormait encore à huit heure dix, quand il sortit de sa maison, habillé de son manteau et de son courage pour monter seul dans sa voiture au pare brise trempé.
Sans se donner le temps d'hésiter ni de revenir en arrière, il s'emmena sans pleurer jusqu'au petit portail qui annonçait l'entrée d'un cimetière, et ses pas suivirent son cœur entre les allées de marbre et de fleurs mouillés.
Hanta se reposait là, décoré de belles plaques dorées et de jolies plantes vivantes entre deux caveaux plus imposants, calme et muet depuis un an jour pour jour, affranchi de toutes formes d'angoisse et de tristesse.
Izuku s'approcha pour faire face à son souvenir.
_ Bonjour, mon cœur.
Sa voix trembla malgré lui.
_ C'est la première fois que je viens tout seul. Je sais qu'on a pas souvent eu l'occasion de discuter juste toi et moi depuis que tu es parti. Ne m'en veux pas, c'était difficile pour moi de te voir ici sans pouvoir m'appuyer sur quelqu'un d'autre .. Je suis sûr que tu comprends ..
Il baissa la tête, le vent s'engouffra dans son manteau.
Ses mains se protégeaient dans ses poches, ses cheveux chatouillaient son front en s'emmêlant dans ses paupières.
Quelques nuages blancs obstinés camouflaient le soleil encore pourtant bien bas dans le ciel, et les rayons orangés n'éclairaient qu'à peine les alentours de la scène.
_ Et aussi, je suis désolé. Je sais que je n'ai jamais trouvé le courage de te demander pardon de n'être jamais venu les premiers mois. Je voulais tellement croire que tu n'étais pas parti .. que je t'ai laissé tout seul ici. Ca a dû être long de m'attendre ..
Depuis près de six mois, Izuku venait se recueillir ici régulièrement, mais les sutures encore fraiches de ses plaies l'empêchaient de s'y présenter seul.
Toujours accompagné de Katsuki ou de sa mère, parfois des deux, il peinait à ouvrir complètement son cœur devant ce public, si réconfortant était-il.
Alors, pour la première fois, il se libérait totalement de tous les mots qui, jusque là coincés dans sa gorge, n'attendaient que le bon moment pour s'échapper.
_ J'ai ouvert ta valise l'autre jour. Je ne l'avais pas fait depuis quelques semaines. Ton odeur me manquait, mais je suis inquiet parce qu'elle commence à disparaitre dans tes affaires .. Pourtant, je te promets que j'en prends soin, j'y tiens comme à ma vie, j'y tiens comme à toi.
Si la saison le lui permettait, il se serait assis devant le petit autel, mais l'humidité sous ses chaussures l'obligeait à rester debout.
Pour partager ce moment, il regretta de ne pas pouvoir s'installer plus confortablement.
_ Oh, au fait ! Ochaco a envoyé un message la semaine dernière, elle et Eijiro ont retrouvé une vidéo du lycée dans un ancien téléphone. Ils l'ont trouvé par hasard, je crois. Elle me l'a envoyé, et j'ai entendu ton rire et ta voix dedans. Ne te fâche pas, mais j'ai beaucoup pleuré après. Il y a quelques passages où on te voit dans les images. Je ne me souvenais pas que tu avais les cheveux aussi courts à l'époque. Je veux dire .. Beaucoup plus courts qu'après en tout cas. Ca m'a fait drôle. Je l'ai dans mon téléphone maintenant, je te la montrerai tout à l'heure.
En même temps qu'un sourire nostalgique sur son visage, une foule de souvenirs nébuleux vint peupler sa poitrine, amenant avec eux les émotions mélancoliques porteuses de larmes de chagrin.
Il repensa à tous ces instants du passé qui constituaient son histoire, et tous ces moments d'amour qui ramenaient à sa mémoire les sentiments aussi puissants que profonds qui les unissaient.
_ Pardon, j'essaie de ne pas trop pleurer. Mais je n'y arrive pas toujours.
Le froid ambiant accentuait la brûlure du sel sur ses joues rougies par le vent, et pour ne pas céder à l'angoisse, il détourna son regard durant quelques longues secondes.
Les fragments du passé, fins et tranchants comme autant de morceaux de verre brisé, se plantaient douloureusement dans la surface de son cœur, il lui fallut un moment pour se reprendre.
_ J'ai reçu une carte de la part de tes anciens collègues hier. Comme ça fait un an que tu es parti, ils t'ont écrit quelques mots.. Je voulais l'emmener ici, mais elle va prendre l'eau. Et puis .. J'ai oublié de l'emporter ce matin pour te la lire. Je reviendrai demain, et après je la rangerai dans ta valise. Tu risques de recevoir beaucoup de visites aujourd'hui. Je suis content d'être venu tôt. Au moins on est que tous les deux. J'ai beaucoup de choses à te dire.
Machinalement, il se rapprocha encore pour chasser quelques feuilles mortes enchevêtrées sur le marbre.
Avec l'humidité, le caveau se couvrait ici et là de quelques salissures, et Izuku se promit de ramener de quoi le nettoyer le lendemain, en espérant pour qu'il ne pleuve pas trop.
_ Mince. Je n'ai pas laissé de mot à Katchan pour le prévenir que je venais ici. Il dormait encore quand je suis parti, j'espère qu'il ne va pas trop s'inquiéter.
Il n'était pas dans les habitudes de Katsuki de se lever après neuf heures le samedi.
En général, il conservait à peu près le rythme de ses semaines de travail, depuis qu'il avait retrouvé un emploi de développeur informatique.
Ainsi, la journée, Izuku restait seul entre les murs de sa maison, lui qui n'avait pas encore réussi à se réinsérer professionnellement.
Après des mois d'arrêt maladie pour se battre contre son deuil difficile, il avait fini par lâcher prise en mettant fin à son contrat.
Son employeur ne s'était pas fait prier pour accepter la rupture.
_ Tu sais, Katsuki a fait beaucoup de choses pour moi depuis que tu n'es plus là. Je lui dois énormément, et je lui serait éternellement reconnaissant pour tout ça. J'ai parfois l'impression, et ce n'est peut-être pas qu'une impression, qu'il a tout plaqué pour venir m'aider. Il a rendu les clés de son appartement, il vit à la maison depuis tout ce temps, et il s'est occupé de tout quand moi je n'arrivais plus à rien. Il a accepté un paquet de nuits blanches pour m'écouter pleurer, il ne s'est jamais plaint. Enfin, pas vraiment je veux dire. Katchan se plaint un peu tout le temps, mais c'est juste ... c'est juste pour la forme, parce que c'est lui tu vois.
Naturellement, un rire taquin secoua sa voix.
Vivre avec Katchan était si différent de son quotidien passé avec Hanta.
Ils n'ont tellement rien à voir, l'un avec l'autre.
Si ce n'est leur capacité à se montrer bienveillants.
_ Mais tu sais, ça me fait bizarre de me dire que lui et moi on ne se serait peut-être jamais retrouvés si tu n'étais pas parti. Tout du moins, pas autant que ça. Et .. Bien sûr que j'aurai préféré, un million de fois, que tu ne t'en ailles pas. Mais aussi, je ne regrette pas de l'avoir retrouvé. Enfin .. J'aurai aimé que tu restes quand même. Parce que tu me manques.
Une nouvelle fois, Izuku sentit son cœur se briser.
Parler à Hanta le soulageait, mais il n'avait sans doute pas suffisamment anticipé la douleur ravivée par sa visite solitaire.
La tempête le menaçait, et pour l'empêcher de prendre trop d'ampleur, il se délesta de quelques larmes envahissantes et silencieuses.
Un collier de détresse enserra sa gorge un long moment avant qu'il ne puisse reprendre la parole et, en fermant les yeux, il s'imagina dans l'étreinte intangible de son bien aimé.
Combien de fois avait-il cru sentir, dans ses rêves les plus chimériques, ses bras tant manqués encercler son corps à nu ..?
_ Tu sais, je t'aimerai toujours. Tu es très loin de moi maintenant, mais je n'ai pas arrêté de t'aimer, et je vais continuer de t'aimer du plus profond de moi. J'ai besoin de te le dire parce que c'est important. Tu sais ..
Méticuleux, Izuku joignit ses deux mains sous son menton en avalant sa salive, capturant son courage contre sa gorge comme s'il craignait la réponse impossible de Hanta.
C'est vrai, il lui parlait comme on parle à un humain de chair et de sang, sans tenir compte de son absence ni de son silence. Il s'adressait à son souvenir, intangible et invisible, mais bien réel.
Définitivement réel.
_ Quand tu es parti, j'ai eu l'impression au début que mon cœur avait disparu. J'avais aussi mal que si on venait de me l'arracher, ça me faisait mal comme une vraie blessure qui saigne. J'avais un trou en plein milieu de moi, c'était tellement .. horrible et douloureux. Et je me disais qu'avec ce vide, je n'arriverais plus jamais à ressentir quoi que ce soit. A part la douleur, tout le temps de la douleur, que de la douleur. Je me disais que mon cœur était parti pour toujours. Que tu l'avais emmené avec toi.
Puis, pour accompagner la suite de son discours, il délia ses mains pour plaquer une de ses paumes sur sa poitrine, juste contre son cœur qu'il sentait battre sous ses doigts.
_ Mais il est revenu. Enfin, il n'était pas vraiment parti .. Mais il s'était tellement abîmé, il était presque éteint, et il s'est relancé. Je pense qu'il est encore un peu plein de trous, j'ai souvent le cœur qui fuit. Il est un peu raffistolé et bizarrement rapiécé, mais je crois que ça lui suffit pour fonctionner. Je t'aime Hanta. Mais je sais que mon cœur se mélange un peu les pinceaux. Parce que tu n'es plus là du tout, tu n'es plus nul part, et en vérité, c'est ton souvenir que j'aime. J'aime ton fantôme et ta mémoire, j'aime notre histoire, je t'aime dans le passé. Mais ton corps n'est plus là pour que je puisse l'aimer.
Izuku le savait, son amour pour lui était comme le chat de Schrödinger.
Aussi, il n'avait pas préparé de discours, mais les mots lui venaient naturellement, ils filaient librement et couraient sur sa langue sans se laisser ralentir par le doute.
Même cassé et raccommodé, un cœur apaisé ne s'encombre jamais de craintes et d'incertitudes.
_ Tu te souviens du jour où je t'ai avoué mes sentiments ? Je me suis laissé emporté dans mes grands discours, et ça t'a fait rire un peu. Ce jour-là je t'ai dit que je ressentais un drôle de pétillement dans ma poitrine à chaque fois que tu me regardais, et mon cœur faisait un bruit de papier bulle quand on les éclate les unes après les autres. Et tu sais, je croyais ne plus jamais ressentir ça. Mais .. C'est arrivé. Je ne sais pas comment, et je ne sais plus vraiment quand ça a commencé, mais ça ne fait pas très longtemps .. Je crois.
Soudain, Izuku se sentit timide et coupable.
Passant une main dans ses cheveux devenus un peu trop longs à son goût, il renvoya quelques mèches sombres en arrière pour dégager son visage.
_ Ah .. Il va falloir que je passe chez le coiffeur ..
Puis, pour se ressaisir, il leva le nez vers le ciel un court instant, semblant attendre que les mots lui viennent d'eux-mêmes.
_ J'ai des sentiments pour Katchan. Mais .. Quand j'ai commencé à m'en rendre compte, j'étais pas prêt pour ça, tu comprends ? Je sentais que mon cœur pétillait, mais c'était encore trop tôt pour que je puisse l'accepter. Tu prenais encore trop de place, et je ne supportais pas l'idée de .. de reconstruire quelque chose. Tu sais, je crois que Katchan .. Des fois quand il me regarde, j'ai l'impression que ses yeux brillent, et aussi ça lui arrive de me prendre dans ses bras sans aucune raison. Je crois que, même sans se le dire, on est entrain de se fabriquer une nouvelle relation, et je crois que je suis prêt à .. à ne plus me l'interdire.
Dans sa poche, une courte vibration lui indiqua l'arrivée d'un message.
Mais, avant de le consulter, il tint à terminer son discours sans s'en détourner, respectueux du souvenir d'Hanta qui flottait au-dessus de l'autel.
_ Je pense qu'il va me falloir encore du temps avant de pouvoir vivre complètement ce genre de relation avec lui. Je veux dire .. une comme celle qu'on avait toi et moi. Je crois que Katchan le sait, et qu'il le comprend. Mais voilà, il fallait que je te le dise. Je vais me reconstruire, avec lui. Mais tu seras toujours là, quelque part avec moi. Je ne veux pas que tu crois que vais t'oublier. Et je voulais aussi que tu saches que tu n'as plus de soucis à te faire maintenant. Je vais bien.
Ce matin-là, Izuku sût qu'il venait d'ouvrir un nouveau livre, celui d'un recommencement qu'il n'écrira pas seul.
Un conte différent du précédent, qui ne saura jamais effacer l'ancien, mais qui promettait un récit palingénésique au reste de son existence.
Ce matin-là, Izuku retraça son parcours, obscur et couvert de barbelés sur ce chemin cruel et sombre, mais qui finalement, faisait désormais partie de son histoire.
La route aura été longue.
Son amour perdu ne sera jamais retrouvé, il le sait.
Mais alors qu'il pensait ne jamais pouvoir s'en relever, quelqu'un d'autre, accompagné d'un nouveau sentiment, avait fini par le remettre debout.
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Bien le bonjour/bonsoir !
Comment allez-vous ?
Trois semaines sans se parler, c'était long ! Vous m'avez manqué ! ❤️
Je suis contente de vous retrouver pour cette fiction un peu spéciale !
Comme annoncé au tout début, son thème et certains de ses détails m'ont été proposés en défi par Hoshi et CreajuOtaku (que vous connaissez sûrement ici sur Wattpad !)
Le deuil est un thème bien particulier à travailler, et j'ai adoré m'y investir, écrire cette histoire a été un vrai bonheur, malgré la tristesse en fond qui forme le récit.
J'espère très sincèrement avoir réussi à vous transmettre toutes les émotions que j'ai voulu donner à mon texte, et que cette lecture vous a plu et touchée !
Encore merci à vous pour votre soutien, votre patience pendant ma pause, votre bienveillance, vos retours, et tout ce que vous m'apportez jour après jour !
Je vous aime ❤️
Prenez soin de vous ❤️🦩
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