8 - Sous le clair de lune

«Faire confiance à la vie
Oser y croire
Et rallumer les étoiles
Une à une s'il le faut»

– Où est-ce que tu m'emmènes ? Demanda Narcissa, à bout de souffle par la course que lui infligeait Lucius.

Ce dernier ne répondit pas, et l'entraînait toujours plus loin par la main. La musique, ainsi que le brouhaha ambiant des convives avaient fini par être étouffés avant de disparaître et laisser place à un silence digne d'une cathédrale. Seuls leurs pas précipités s'entendaient, et ils se répercutaient contre les murs ornés de nobles gravures qui les répétaient plusieurs fois avant qu'ils ne se perdent dans l'immensité du Manoir.

Il lui fit prendre un escalier en colimaçon que Narcissa eut l'impression d'avoir déjà vu. Elle se souvenait vaguement de cet endroit, sans parvenir se rappeler sur ce souvenir. Tout à coup, à la vue des vitraux verts qui recouvraient le cristal des fenêtres longilignes de la tour, Narcissa se souvint. Elle entendit de nouveau leurs rires enfantins, leurs pas qui couraient vite dans ces grands escaliers de pierres, et leurs voix cristallines : « Attends-moi Lucius ! Tu cours trop vite !

– Dépêche-toi Cissy ! J'ai trop envie de te montrer ce que j'ai découvert. Allez !

– Qu'est-ce que c'est, dis-moi !

– Monte, et tu verras ! »

Et à présent, ils remontaient cette tour abandonnée exactement comme ils le faisaient à sept ans, ce temps où une journée passée loin de l'autre était un supplice. Narcissa n'eut pas besoin cette fois-ci de demander où ils se rendaient ; elle connaissait déjà la réponse. Sans un mot, ils arrivèrent devant une grande porte en bois que Lucius déverrouilla avec sa baguette dans un cliquetis quasi imperceptible. La porte grinça sinistrement, puis ils entrèrent tous deux dans une petite pièce circulaire, dont les meubles datant déjà de plusieurs siècles étaient recouverts d'un linge blanc, figé par le temps et la poussière. Lucius se dirigea vers une large planche en bois posée verticalement et l'ôta. La lumière de la pleine lune se déversa sur la petite pièce et anima quelques particules de poussière qui flottèrent quelques instants en l'air. Lucius ouvrit la fenêtre en grand puis observa Narcissa en se mordant la lèvre.

– Tu n'as pas ta cape. Tu risques d'attraper froid.

– Oh, ne t'en fais pas, je ne suis pas frileuse.

Il haussa un sourcil, mais ne s'attarda pas sur ses paroles. Il posa un pied sur le rebord et se hissa à l'encadrement, pour finalement sauter dans un bruit sec de l'autre côté. Narcissa eut un peu plus de mal à passer l'ouverture, embêtée par les longs pans de sa robe, mais il l'aida d'une main. L'air frais lui fouetta la peau, mais elle n'y pretta pas attention, bien trop émerveillée de retourner dans cet endroit qu'elle n'avait pas vu depuis fort longtemps. Ils cheminèrent un moment sur les toits, Lucius regardant en arrière toutes les cinq secondes pour s'assurer que sa promise n'avait pas glissé ou ne s'était pas fait mal.

Enfin, Narcissa aperçut les premières branches de l'arbre centenaire et se réjouit à l'idée que l'endroit était tel qu'elle l'avait connu enfant. À cette époque de l'année, les feuilles étaient déjà tombées depuis longtemps, mais cela ne lui enlevait pas son charme. Au-dessus de leurs têtes, l'énorme toit pentu du Manoir s'imposait de lui-même, mais Narcissa préféra concentrer toute son attention sur le vieil arbre collé à la demeure. Alors la cadette Black vit enfin l'imposante branche qui s'était accrochée avec le temps aux murs du manoir, et qui conduisait au large tronc. Lucius grimpa dessus, se tenant grâce aux branches plus fines qui s'élevaient au-dessus de lui, et tendit la main à Narcissa qui l'attrapa vivement. Celle-ci, tandis qu'elle marchait sur l'énorme branche, préféra ne pas regarder au bas de risque de mourir d'effroi. Petite, elle se fichait pas mal du vide ; mais elle avait grandi, et ses sensations avaient changé.

C'est alors qu'ils arrivèrent face à l'énorme tronc, déjà vieux de plusieurs siècles. Il y avait le paysage qui s'étendait devant eux, telle une mer se perdant dans l'horizon. Ils étaient seuls, isolés du monde, protégés de toutes leurs sombres pensées. Il n'y avait qu'eux, le silence, et la lune qui les observait. Ils s'assirent confortablement, Narcissa faisant attention pour ne pas abîmer sa parure. Elle avait coûté une fortune à sa mère.

– Tu te rappelles ? Prononça doucement Lucius, une fois immobile.

Si elle se rappelait. Devant elle, s'étalaient les jardins Malefoy, aux buissons parfaitement taillés et aux fontaines produisant leurs clapotis incessants. C'était là qu'ils passaient leurs après-midi, enfants, riant aux éclats au milieu de cet immense terrain.

– Oui, souffla-t-elle. C'était il y a longtemps.

Le temps avait eu raison d'eux et leur avait volé l'insouciance du jeune âge. Lucius s'était retranché derrière ses murs invisibles et était devenu le leader du groupe Serpentard dont elle faisait partie. Il ne s'ouvrait que pour elle, et encore ; leurs moments d'intimité restaient rares. Ils avaient été les meilleurs amis du monde, pour finalement se sentir plus éloignés que jamais par une union forcée. Et Narcissa regrettait. Amèrement.

– Je suis désolée, prononça-t-elle finalement, dans le doux silence qui s'était imposé de lui-même.

– Tu t'es déjà excusée, Cissy.

Ce surnom éveilla d'innocents souvenirs. Il n'y avait que ses amis proches et sa famille qui la nommaient ainsi. Lucius avait arrêté quelques années auparavant, avant ce soir. Ce soir, Narcissa avait l'impression que tout changeait.

– Pas pour tout. Aurbun n'était pas fautif, c'était moi qui...

– Il n'avait pas à t'attirer, trancha-t-il. J'ai tout vu, Narcissa, il t'a presque sauté dessus et...

– Je me suis laissée faire. J'aurais dû le repousser.

– Alors pourquoi tu ne l'as pas fait ?

Pour la première fois, il sembla désespéré. Le cœur de Narcissa se serra.

– Parce que je suis une idiote.

Il secoua la tête :

– Non, Cissy. Tu es la personne la... la plus intelligente que je connaisse. Tu es belle, mystérieuse, élégante, raffinée...

Il la fixa intensément, une lueur brillant dans ses pupilles grises.

– Je suis moi aussi désolé pour les derniers mots que je t'ai adressés. J'étais triste et en colère, je ne savais pas vraiment ce que je faisais.

Narcissa savait que cela lui coûtait d'exprimer à haute voix ses sentiments, lui qui avait pour habitude de cacher ses mal-êtres par des expressions froides et des regards arrogants, aussi elle se montra compréhensive.

– Je suis désolée pour ta mère. Je l'aimais beaucoup. J'aurais voulu être là pour les obsèques, mais personne ne m'a prévenu.

– Mon père a fait passer l'événement sous silence, grimaça-t-il. Un idiot.

Narcissa n'était sûre de rien, mais à la lueur de la lune, elle crut voir ses yeux briller.

– C'était une femme extraordinaire.

– Ça ne l'a pas empêchée d'agoniser durant de longs mois.

Sans vraiment réfléchir à ce qu'elle faisait, elle s'empara de la main de Lucius et la serra dans la sienne. Même s'il ne l'avait jamais avoué, même à lui-même, ce contact lui fit reprendre espoir ; le monde n'était peut-être pas aussi cruel qu'il ne se l'était imaginé.

– Ma mère m'a nommé Lucius parce que j'étais pour elle la lumière de sa vie.

Ses yeux se portèrent au loin, vers un lieu que lui seul était capable de voir.

– C'est beau, souffla Narcissa. Chez nous on nomme les membres de notre famille selon les constellations. Je suis la seule à porter un nom de fleur. À croire qu'il n'y avait pas assez d'étoiles pour tout le monde.

– Les étoiles vivent dans l'obscurité. Alors qu'une fleur a besoin de lumière pour vivre.

Son souffle se coupa lorsqu'elle comprit l'allusion à leurs deux prénoms. C'était comme si, d'une certaine manière, ils étaient faits l'un pour l'autre, comme si le destin était d'être uni pour la vie.

– Et puis, ajouta-t-il, les étoiles sont déjà mortes lorsque leur éclat arrive jusqu'à nous. Alors qu'une fleur...

Son visage s'approcha lentement, illuminé en partie par la lune qui, au-dessus de leur tête, les observait de son œil attentif. Narcissa put sentir son souffle caresser sa joue, et elle se perdit dans son parfum lorsqu'il s'approcha plus près encore. Elle put entendre les battements de son cœur résonner au creux de son oreille, sentir sa poitrine se soulever et s'abaisser dans un rythme effréné. Alors, dans un mélange d'émotions qui affluaient en elle, une seule question lui vint à l'esprit :

Le désirait-elle vraiment?

Lucius avait été son meilleur ami, son confident, son gardien du secret pendant longtemps. Derrière son visage fermé, ouvrage de son propre père, se cachait un garçon loyal et sincère, gentil et attentionné. Du moins, c'était toujours ainsi qu'il se montrait envers elle.

Mais malgré tous les moments partagés et les secrets confiés, Narcissa ne savait pas si elle était capable de l'aimer. Au fond, elle ne savait pas ce que c'était qu'aimer. Personne ne le lui avait appris.

Mais Narcissa voulait apprendre. Aussi, elle posa sa main sur son bras comme pour lui signifier qu'elle était d'accord. Leur approche restait timide, mais partagée. Lucius ne s'emballait pas, il était posé, réfléchis, réalisait chaque geste avec une infinie précaution. Il était doux et calme, tout ce que Narcissa avait toujours recherché.

Leurs lèvres se frôlèrent, délicatement, sans empressement. Leurs souffles se mêlèrent, et une légère fumée blanche s'élevait au-dessus de leur tête, par le froid qui sévissait. Narcissa vida son esprit de toute pensée négative, de tout souvenir et malheur, se concentrant uniquement sur le contact de leur peau en symbiose.

Pourtant, au moment où elle crut qu'il allait l'embrasser, il se détourna, presque honteux. Narcissa resta béate, sans savoir vraiment comment réagir. Elle était en colère pour lui avoir donné de faux espoirs, satisfaits parce qu'elle ne savait pas comment lui rendre l'amour qu'il lui donnait, mais surtout, elle était triste, parce que... Pourquoi était-elle triste ?

– Lucius...

– Tout ça n'aurait jamais dû arriver, déclara-t-il en secouant la tête.

Elle le connaissait assez bien pour savoir qu'il était en colère contre lui-même. Parce qu'il n'avait pas su gérer la situation, parce que le contrôle était absent. Et sans contrôle, Lucius Malefoy était incapable d'agir.

Sans lui laisser le temps de le contredire, il sortir de l'intérieur de son costume une petite boîte de velours verte qu'il ouvrit. Il en sortit une bague fine, formée uniquement de diamants et d'émeraudes. Sous le clair de lune, elle ressemblait à une étoile tombée du ciel.

Il s'empara de sa main et la lui glissa au doigt. Le cœur de Narcissa vola en éclat, par ce simple geste qu'elle rêvait pourtant depuis des années. Ce simple geste réalisé sans demande, sans annonce, pour lui rappeler encore une fois qu'elle était prise par les griffes de ses obligations, pour toujours. Pour lui rappeler qu'elle n'avait pas le choix, encore une fois.

Dans un silence étouffant, Lucius se releva et partit, aussi discrètement qu'un serpent entre de hautes herbes. Il l'avait laissé seule, sur la branche d'arbre qui contenait tous leurs secrets.

Narcissa contempla la bague de fiançailles qui brillait de mille éclats dans la nuit noire.

Alors elle fit ce qu'on lui avait appris à faire depuis son plus jeune âge : elle pleura, dans un silence qui l'emplit et brisa ce qui restait encore à briser de son âme.

Tel était le prix de la devise des Black.

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