18 - Au revoir, grande soeur...
«Elle ne reviendra jamais.
– Ce n'est pas ce qui me fait le plus mal.
–Alors c'est quoi?
Qu'elle ait eu l'idée de partir.»
Un an plus tard, deux mois après la chute de Lord Voldemort.
Le souffle de Narcissa se coupa. Alors qu'elle avait entendu un bruit étrange résonner à l'étage, elle avait laissé Drago sans surveillance, pour aller voir l'origine de la résonance. Mais à présent, elle regrettait son choix : le même bruit s'était répété dans le grand salon, lieu où elle avait laissé son fils d'un an seul. Elle se mordit la lèvre et retint une larme d'angoisse. Saisissant sa baguette, elle fit le moins de bruits possibles en descendant les escaliers. Si quelqu'un avait le malheur de toucher à un seul cheveux de son enfant, elle se promit de le tuer en lui faisant subir d'atroces souffrance. Et elle n'aurait pas besoin de l'aide de Lucius pour cela.
Au fur et à mesure qu'elle descendait, elle put se rendre compte que la fenêtre était anormalement ouverte. Le vent hurla et s'engouffra à l'intérieur de la pièce, dans une bourrasque qui balayait les rideaux de soi loin derrière. Les battement de son cœur redoublèrent d'intensité . Elle n'hésiterait pas à tuer quiconque s'approchait trop près du berceau de son fils. La crispation de ses doigts sur sa baguette en témoignait.
Mais alors qu'elle était prête à dégainer et lancer un Endoloris à l'intrus, une voix qu'elle reconnut aussitôt la coupa nette dans son élan.
– ... vas être le plus chanceux du monde. Même si tu ne commences pas fort avec un prénom pareil, mais bon, tu verras, ça viendra.
Narcissa descendit d'encore quelques marches, pour s'assurer que ce n'était pas son esprit qui lui jouait des tours. Mais non : c'était bien Bellatrix agenouillée devant les barreaux du landau, parlant à un Drago qui l'observait curieusement avec ses grands yeux gris typiquement Malefoy. Narcissa sourit lorsqu'elle pensa qu'elle seule pouvait dire de tels propos.
– Quand tu seras plus grand, je t'apprendrai à te battre, tu verras. Ne compte pas sur ton père sur ça, je m'en chargerai moi-même, c'est plus sûr.
Elle entendit un reniflement et crut voir la main de sa sœur aînée essuyer sans la moindre délicatesse ses joues. Bellatrix... pleurer ? Tout en rangeant sa baguette, Narcissa ne put s'empêcher de penser que quelque chose de grave s'était produit. Ou allait se produire.
– Tu... tu prendras soin de ta mère, hein ?
Sa voix se remit à trembler, et une seconde bourrasque fit légèrement balancer le lustre. Dehors, les éclairs commençaient à zébrer le ciel. Drago, comme réagissant aux paroles de sa tante, sourit dans un petit gazouillement.
– Oui, c'est ça. Prend soin d'elle, je te fais confiance. Je te confie ma petite sœur, alors tu as intérêt à assurer.
À l'écoute de ces mots, le cœur de Narcissa se serra douloureusement. Pourquoi Bellatrix disait-elle tout cela ?
– Allez, petit dragon. Tu gardes notre secret, hein ? Tiens, regarde, tu l'offriras à ta jolie maman.
Elle passa quelque chose entre les mains de son neveu que Narcissa ne put voir. Mais cela sembla plaire à Drago puisqu'il ne cessait alors de sourire. Elle décida de choisir ce moment pour faire acte de sa présence.
– Bellatrix ?
Celle-ci se releva si brusquement que pendant quelques secondes, elle en eut le tournis. Narcissa put alors contempler l'aspect terrifiant que donnait sa sœur aînée. Ses longs cheveux bouclés étaient emmêlés et sales, son visage noirci de crasse. Ses joues étaient creuses et des cernes violettes entouraient ses prunelles noires. Depuis la chute du Seigneur des Ténèbres, Bellatrix avait fuit les Aurors, sans relâche. Lucius, protégé par le Ministère, demeurait innocent aux yeux de la société sorcière, mais son affiliation secrète au cercle des Mangemorts lui permettait de connaître les dernières nouvelles. Ainsi, Narcissa savait ce qui était arrivé aux parents Londubat : torturés, jusqu'à en perdre la raison, laissant presque orphelin un petit garçon de l'âge de son fils. Narcissa avait repoussé avec force l'idée que ce soit Bellatrix qui leur ait fait cela. Elle la savait particulièrement excitée à l'idée de lancer des Impardonnables, mais elle ne pouvait pas croire à cela. Pour elle, cela restait inconcevable. Pas alors qu'elle venait de la voir parler si tendrement avec son propre neveu.
– Qu'est-ce que tu fais ici ? demanda la maîtresse de maison.
– Je, euh...
Elle aperçut la poitrine de sa sœur se lever et s'accélérer à un rythme démesuré, mais ce qui la choqua le plus, ce fut les larmes qui dévalaient lentement ses joues, laissant derrière elles de longues nuées blanches.
– Approche, ordonna-t-elle finalement.
Narcissa obéit, comme elle avait toujours obéi à sa sœur aînée. Elle descendit les dernières marches et avança vers Bellatrix, redoutant l'explication de sa venue. Les mots qu'elle avait adressé à Drago tournèrent en boucle dans son esprit, sans parvenir à trouver une réponse.
– Si tu veux t'installer ici, commença Narcissa, Lucius et moi ferons le nécessaire pour...
– Non, non, ce n'est pas ça, grimaça-t-elle.
– Tu pourrais revendiquer ton innocence... souffla sa sœur.
– Mon innocence ?
Les yeux de Bellatrix parurent sortir de leurs orbites. Elle recula de quelques pas en secouant énergiquement la tête, tandis que Drago observait la scène sans en comprendre un traître mot.
– J'ai fait des choses horribles, Cissy. J'ai tué, mutilé, torturé... et j'en suis fière, sourit-elle, quoique avec un sentiment caché de tristesse. Je l'ai fait pour mon Maître, et si c'était à refaire, je n'hésiterai pas un seul instant.
– Bella, tu ne penses pas ce que tu dis...
– Ton mari a peut-être été un lâche en déclarant avoir été manipulé sous l'Imperium, mais crois-moi, j'ai beaucoup trop d'honneur pour me rabaisser autant.
– Il n'est pas le seul à avoir fait cela ! le défendit-elle avec ferveur. Yaxley, Rookwood, Travers, et même les Carrow, tous ont agis de même, il n'y a que les Lestrange pour croire encore aux convictions d'un mort, tu le...
– Il n'est pas mort ! hurla-t-elle, l'hystérie prenant peu à peu le dessus.
Drago, par ce bruit trop fort à son goût, esquissa une moue et ses grands yeux gris se mirent à briller. À ce cri, Narcissa sursauta, avant d'observer avec pitié celle qu'elle avait jadis vu comme son héroïne. Bellatrix refusait d'admettre que le Seigneur des Ténèbres était tombé. Elle niait l'évidence, croyait dur comme fer à un mensonge que son esprit avait été le seul à ébaucher. Mais le monde entier connaissait la vérité : cette nuit-là, un petit garçon du nom de Harry Potter avait précipité la chute du plus grand Mage Noir de toute l'histoire magique. Lord Voldemort n'était plus, mais Bellatrix refusait de l'admettre. Elle l'avait servi avec tant de conviction et de fierté qu'il avait été le centre de son monde, jusqu'à en pleurer de ravissement lorsqu'elle parlait de lui et de ses soi-disant exploits. Mais Narcissa n'oubliait pas que Evan et Aurbun étaient morts par sa faute. Narcissa n'oublierait jamais cela.
– S'il te plaît, Bella, Lucius pourra faire en sorte de t'éviter Azkaban, au mieux, ou...
– Non, Cissy. Ils verront qui je suis. Ils croient tous que le Maiître est tombé, mais il reviendra. Et à son retour, il sera fier de moi. Peu importe si je dois endurer les Détraqueurs pour cela.
Narcissa aurait tellement voulu la prendre par les épaules et la secouer jusqu'à la convaincre que le règne du Seigneur des Ténèbres était terminé, mais la peur la planta sur place. Une explication à sa venue se dessinait, au loin, mais... non. Tout simplement non.
Comme si Bellatrix avait lu dans ses pensées, elle sortit de son corset abîmé une baguette marron en forme de crochet, qu'elle reconnut comme lui appartenant.
– Prend-la, garde-là jusqu'à mon retour.
Alors Narcissa se sentit glisser dans le même cauchemars qu'elle avait tenté d'oublier, la même réalité écrasant qui lui avait fait si mal, un an auparavant. Cela ne pouvait pas se passer ainsi. Il devait y avoir une erreur quelque part, ou peut-être quelque chose de mal qu'elle avait fait et qui se retournait à présent contre elle.
– Cissy, s'il te plaît, prend-la.
Son ton paraissait presque suppliant. Qu'attendait-elle d'elle ? Qu'elle accepte de la laisser partit, un grand sourire aux lèvre, sans faire d'histoire ? Elle avait laissé passer beaucoup de choses, toléré un grand nombre de fait, mais quand elle pensait qu'elle avait osé lui demander cela... Elle la voyait peut-être encore comme la petite Narcissa trop naïve pour comprendre. Mais la petite Narcissa avait grandi, et les « tu comprendras plus tard » ne la concernaient plus.
– Non, jamais de la vie, cracha-t-elle, hors d'elle. Jamais, tu m'entends ? Jamais !
Bellatrix sursauta, mais ferma les yeux d'accablement, comme si elle avait déjà prévu sa réaction. Une nouvelle bourrasque siffla l'air et fit voler les feuilles du journal un peu plus loin. Un tonnerre gronda, et Drago commença à esquisser une grimace, prêt à pleurer. Peut-être sentait-il le désespoir grandissant de sa mère. Peut-être était-il triste, lui aussi, pour elle.
– Cissy, je suis désolée...
– Non, tu n'es pas désolée ! explosa-t-elle. Tu n'as jamais été désolée, pour rien ni personne ! J'en ai assez de subir vos lâchetés, vos douleurs, j'en ai assez de souffrir sans cesse ! D'abord Andromeda, Evan puis toi...
– Andromeda n'est plus notre sœur, elle ne compte pas.
– Elle ne compte peut-être pas pour toi, mais tu ne t'es jamais préoccupée de savoir comment la pauvre petite Narcissa avait vécu cet abandon! Tu as beau revendiquer tes dons en Occlumencie, tu as toujours été aveugle à mes ressentis, tu n'as jamais tenté de comprendre la douleur qu'avait laissé son départ en moi ! Tu as beau l'insulter de tous les noms, salir sans cesse son image, tu n'es pas mieux qu'elle, Bella, et je dirais même que tu es pire.
– Mais moi au moins j'ai fait honneur à mon nom !
Ses yeux lui brûlèrent de frustration. Elle ne comprenait pas, et peut-être ne comprendrait-elle jamais. Si seulement elle pouvait lui faire vivre tout ce qu'elle avait vécu, tous les doutes auxquels elle avait été confrontée, ses déchirures intérieures, peut-être daignerait-elle de ne pas reproduire le même schéma que sa traîtresse de sœur. Peut-être resterait-elle. Juste pour elle.
Mais Bellatrix était égoïste et résignée : et tandis que le monde de Narcissa était en train de s'écrouler, lentement et douloureusement, Bellatrix posa sa baguette sur la petite table en bois de chêne, une énième larme retirant la crasse posée sur sa peau.
– Je suis sincèrement désolée de t'infliger tout ça, fit-elle, la voix brisée. Ne crois pas que je ne remarquais pas tes regards envieux, tes motivations de me ressembler. Je l'ai toujours vu, et j'étais fière de toi. Tout en me prenant pour exemple, tu t'es forgé ton propre caractère, décidée seule du chemin à prendre ; et regarde-toi à présent. Tu vis dans un immense manoir, tu es mariée à un homme qui t'aime et que tu aimes, tu portes un des plus nobles noms d'Angleterre et tu as mis au monde une magnifique tête blonde. Que te manque-t-il de plus ?
– Une sœur. Il me manque une sœur.
Et alors qu'elle prononçait ces mots, Narcissa sentit son cœur se déchirer. Parce qu'elle savait qu'au fond, elle ne pourrait jamais empêcher Bellatrix de partir. Tout comme elle n'avait pas pu empêcher Andromeda de partir, ni Evan, ni même Aurbun. Peut-être avait-elle été lâche, peut-être aurait-elle dû se battre avec plus d'ardeur contre la Fatalité. Mais Narcissa ne voulait plus se battre. Elle voulait vivre, simplement, sans ressentir tous les matins cette douleur lui comprimant la poitrine. Elle voulait être heureuse, pour son fils, pour Lucius, pour elle-même. Mais à présent, elle sentait à nouveau son cœur se briser, plus douloureusement que jamais. Bellatrix ne pouvait pas l'abandonner. Elle n'oserait pas.
Lentement, cette-dernière s'approcha et l'enlaça si fort qu'à travers ce geste, Narcissa sentit pour la première fois son amour qui la ranimait. Au début, elle voulut la repousser, lui hurler de partir puisque c'était ce qu'elle souhaitait tant, la frapper même, pour lui faire subir la même chose qu'elle était en train de lui infliger. Mais sa main caressa habilement ses longs cheveux dorés, et Narcissa succomba.
Elle ferma les yeux, et se revit elle-même se jeter au cou de sa sœur, devant l'entrée du manoir Black.
– Bella ! s'était-elle exclamée, en apercevant les épaisses boucles brunes de sa sœur aînée.
– Jolie narcisse ! l'avait-elle accueillie, en la serrant chaudement dans ses bras.
Elle revoyait aussi, non sans regrets, les papiers peints verdâtres de sa chambre, elle couchée sur les genoux de Bellatrix, cette-dernière profitant de ce moment pour toucher les doux cheveux dorés de sa cadette.
– Dis-moi ce qui te rends triste, Cissy.
Un énorme poids s'accabla sur sa poitrine, manquant de mener la mort à elle, alors qu'elle répétait infiniment ces souvenirs dans son esprit, s'accrochant éperdument à Bellatrix, comme pour tenter de la retenir. Tous ces moments étaient terminées. Elle avait beau souhaiter plus que tout y retourner, ils appartenaient au passé. Bellatrix avait fait en sorte de s'en assurer.
– Je t'aime, Cissy, si tu savais comme je t'aime...
Une énorme bourrasque balaya les cheveux des deux sœurs, faisant claquer au passage le battant de la fenêtre et gonffler les rideaux. Narcissa serra le tissu de la robe de son aînée avec ardeur, une dernière fois : une dernière étreinte, un dernier aveux.
Les pleurs de Drago retentirent, et Bellatrix s'arracha dans un sanglot à sa jeune sœur, lui lançant un dernier regard empli de regrets.
Narcissa aurait voulu lui hurler tout son amour. Lui tendre la main, la toucher, une dernière fois. Observer ses yeux sombres, semblables aux siens, une dernière fois.
Mais Bellatrix disparaissait déjà dans les flammes vertes de la cheminée. Au moment où son corps disparut, sa dernière larme s'écrasa au sol.
La main de Narcissa se tendit, mais ne rencontra que le vide.
Son hurlement lui déchira l'âme, et elle s'effondra au sol, mêlant son cri de douleur aux pleurs de son fils et au chant incessant du vent.
Bellatrix était partie.
Dans les petites mains potelées de Drago, elle y avait laissé une narcisse immaculée.
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