11 - Le Bois des Cyprès
«Le bonheur en partant m'a dit qu'il reviendrait.»
Jacques Prévert
Elles atterrirent au milieu d'un bois assombri par les lourds nuages chargés de pluie, aux arbres relativement écartés les uns des autres. L'air et le sol étaient comme recouvert d'une brume transparente qui flottait doucement au-dessus des restes de feuilles séchées.
Au milieu de ce triste décor, tels deux individus statufiés par le regard de Méduse, se tenaient Andromeda Black et son Sang-de-Bourbe, les mains entrelacées devant eux.
– Bella ? Cissy ? Réussit-elle à articuler, au bout de quelques secondes d'inactivité, s'éloignant de Ted Tonks comme si elle savait qu'elle n'avait rien à faire à ses côtés.
– Surprise ! Lâcha l'aînée accompagnée d'un rire sans joie. On vous dérange, peut-être ?
En seulement quelques secondes, le visage d'Andromeda devint aussi blanc que la chemise de son compagnon. Elles avaient compris, songea-t-elle. Elles avaient découvert son secret, mis à nu ses mensonges et étaient venues la tuer, ou la torturer, qui savait. Andromeda sentait l'espoir lui filer des doigts au fur et à mesure des secondes passées.
– Je peux tout vous expliquer, commença-t-elle, la voix tremblante.
– Je ne crois pas qu'il y ait d'explications valables, la coupa Narcissa, à la surprise de tous.
Elle qui se faisait d'habitude si discrète, elle s'imposait d'elle-même aux côtés de son aînée, la fureur brillant dans ses yeux noirs. Bellatrix sourit de fierté.
– Narcissa, s'il te plaît, ouvre les yeux, tenta de la convaincre la benjamine. Tu crois que toutes les affabulations que nous racontaient nos parents sur les Moldus sont vraies ? Tu crois vraiment qu'ils méritent qu'on les méprise et qu'on les rabaisse tel que le fait notre famille ? Tout ça n'est qu'un ramassis de mensonge, une...
– Ne lui mélange pas les idées avec tes paroles de traîtresse ! Siffla l'aînée, qui commençait à s'agacer.
– Cissy, insista néanmoins Andromeda, je t'en prie. Je sais que tu veux te marier avec un homme que tu aimes et qui t'aime, ça a toujours été ton souhait. Tu peux le faire ! Tu n'es pas obligée d'obéir à des règles stupides imposées depuis des générations chez les Sang-Pur, si tu me suis, tu peux encore modifier ton destin et...
– Tu ferais mieux de te taire, la coupa-t-elle.
Andromeda recula, beaucoup trop surprise par le ton glacial qu'avait employé sa petite sœur. Jamais Narcissa n'avait osé répliquer, jamais elle n'avait coupé la parole à quiconque, jouant à la perfection son rôle de cadette de la famille. Pourtant, pour la première fois, Andromeda vit la femme qu'elle était devenue, ce masque froid et impassible qu'elle revêtait pour cacher ses émotions du reste du monde. Avant même d'être mariée, Narcissa se comportait comme une Malefoy, et cela aurait pu la faire rire d'ironie si la situation dans laquelle elle se trouvait n'était pas si délicate.
– Il n'y a plus aucun espoir, c'est ça ? Je t'ai déjà perdu, dit-elle, les larmes menaçantes.
Soudain, elle se tourna vers Bellatrix et cria :
– Mais tout ça c'est ta faute ! Si tu ne l'avais pas initiée à tes foutus sorts impardonnables, si tu t'étais rendue compte qu'elle cherchait sans cesse ton attention et qu'elle ne cessait de te voir comme son héroïne, alors rien de tout cela ne serait arrivé !
Narcissa m'aurait rejoint, et je n'aurais pas été seule à partir de la famille, ne put-elle s'empêcher de penser. Était-elle égoïste à ce point pour vouloir que sa sœur la rejoigne afin de ne pas se sentir seule ?
– C'est toi qui t'es plantée, Andrie, répliqua Bellatrix en crachant son nom comme si c'était la chose qui la dégoûtait le plus au monde. C'est toi qui es en contre sens depuis le début ! Narcissa et moi, on a fait que ce que nos parents exigeaient de nous, au nom des Black et pour l'honneur de notre famille ! Tandis que toi... Tu es une honte pour nous tous.
Andromeda secoua la tête, la vue déjà embuée. Elle ne voulait pas croire que son pire cauchemar se réalisait, que ses sœurs se retournaient contre elle ; où était le pouvoir de l'amour, là-dedans ? Dans un de ses livres, Narcissa se serait rendu compte que toutes les valeurs importantes de leurs parents étaient fausses, et Bellatrix lui aurait pardonné. Tout se serait arrangé, Andromeda ne se serait pas retrouvée déchirée entre son sang et le choix de son futur avec Ted. L'amour aurait transcendé la haine inculquée par leur famille envers les moldus, toute colère se serait évanouie et le monde serait redevenu beau et lumineux.
Seulement, Andromeda n'était pas dans un livre. La réalité était bien plus dure, plus cruelle et sévère : elle avait perdu ses soeurs, était partie trop loin pour encore courir après elles et les convaincre de la rejoindre. Et l'amour ne l'aiderait jamais, parce que l'amour n'avait pas sa place dans sa réalité.
Sans la voir venir, Bellatrix pointa sa baguette sur Ted Tonks, qui était resté en retrait depuis le début, le teint aussi livide que sa compagne. Il devait certainement se douter que s'il restait plus longtemps, il allait peut-être mourir. Mais il était trop tard pour fuir, car la Mangemort hurla, le visage rougi par la colère :
– Toi ! C'est toi qui lui as retourné le cerveau ! Tout ça, c'est entièrement ta faute, infâme Sang-de-Bourbe !
Alors qu'elle prononçait ces mots, un éclair vert sortit de sa baguette et frappa de plein fouet le jeune homme qui s'écroula à terre et hurla jusqu'à s'en déchirer les poumons. Le masque froid et impassible de Narcissa retomba aussitôt ; il semblait que ces hurlements et cette lumière verte lui ravivaient des souvenirs douloureux. Andromeda supplia Bellatrix d'arrêter, celle-ci étant prise d'un fou rire presque jovial face à ce misérable Sang-de-Bourbe qui se convulsait sous sa volonté.
Sous la demande de la cadette qui ne pouvait s'empêchaient d'entendre de nouveau les cris d'Aurbun à travers ceux de Ted, la Mangemort cessa. Andromeda se jeta à côté de son compagnon, le visage déjà baigné de larmes.
– Tu n'as jamais travaillé au Ministère, n'est-ce pas ? C'était l'excuse pour aller le voir ! Et la lettre, ce soir-là, c'était lui !
– Tu en as mis du temps, cracha la benjamine, à présent submergée par la haine.
D'un ton menaçant et une expression de rage lui tordant le visage, Bellatrix s'approcha, sa baguette à présent pointée sur sa sœur, et dit :
– Ne t'avise plus de me parler ainsi, ou je te jure que tu sauras ce que veut dire apprécier la vie !
– Bella ! S'exclama Narcissa, qui tentait maladroitement de cacher sa panique à travers son masque de marbre. Tu m'as promis.
Durant les quelques secondes qu'il fallut à Bellatrix pour rassurer sa sœur du regard, Andromeda en profita pour brandir sa propre baguette et lancer un sort de stupéfaction à son aînée. Celle-ci réagit à temps et para l'attaque d'un rire aigu.
– Fréquenter ces sales mordus ne t'a pas aidé à t'améliorer en sortilège à ce que je vois.
– La ferme !
Elle tenta une seconde fois, la rage guidant ses gestes, son amour pour Ted étant plus fort que sa volonté, mais ses efforts restèrent vains ; Bellatrix était bien plus entraînée à combattre que la plupart des sorciers de son âge.
Alors, aveuglée par la rage, noyée dans ses propres larmes, Andromeda se tourna vers la seule personne capable de rendre vulnérable l'aînée. Seulement, durant leur affrontement, Narcissa avait réfléchi : sa sœur avait droit à une seconde chance. Elle pouvait encore abandonner son sale né mordu, les rejoindre à nouveau, rester unie comme elles se l'étaient promise petite.
Narcissa était prête. Elle allait lui accorder cette seconde chance.
Mais le Doloris qui brisa en seulement quelques secondes son âme mit fin à toute promesse de générosité.
Elle entendit des cris.
Elle sentit les larmes lui couler le long de ses joues.
Elle hurla. Fort. Jusqu'à s'en arracher la gorge et s'en déchirer les cordes vocales.
Il lui sembla qu'elle était destinée à souffrir ainsi une éternité. Que le bonheur n'existait plus, que la vie allait se résumer à cette douleur terrible qui anéantissait toute source de lumière.
Il lui semblait qu'elle allait mourir, oubliée de tous, perdue dans les ténèbres de son âme brisée.
Pourtant, lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle s'aperçut qu'elle respirait encore. Qu'elle vivait toujours.
Narcissa releva cela du miracle.
Plus loin, elle aperçut des éclairs de lumières fuser et des tas de feuilles mortes s'envoler sous les coups déviés. Le goût de la mort dans la bouche, Narcissa se releva, non sans grimacer sous la douleur qu'était devenu son corps. Elle avait encore du mal à assimiler que cette souffrance lui avait été infligée par sa propre sœur.
Tout ceci était irréel.
Tout ceci n'était qu'un cauchemar.
Sa tête tourna, et une nausée la saisit. Tout était flou, la terre tanguait dangereusement si bien qu'elle crut se trouver sur un bateau au milieu d'une mer agitée. Plus loin, elle aperçut un corps allongé. Un cadavre, peut-être. Narcissa paniqua lorsqu'elle crut qu'il s'agissait d'Andromeda gisante inerte au sol, les yeux assombris par la mort. Mais au moment où un sanglot voulut l'achever, elle entendit sa voix retentir plus loin, en échos avec celle de Bellatrix.
Elle ne s'attarda pas sur l'identité du corps. Il n'était devenu qu'un détail, l'aiguille dans une énorme botte de foin. Seules importaient ses sœurs. Ses sœurs qui étaient en train de s'entre-tuer loin devant elle.
Chaque pas qu'elle fit lui faisait l'effet d'un tambour résonnant dans sa tête. Chaque respiration lui déchirait les poumons. Mais seules importaient ses sœurs.
Le chemin fut long. Chaque fois qu'elle pensait se rapprocher des bruits électriques et des cris de rage, cela semblait s'éloigner inéluctablement. Narcissa avait le goût du sang dans la bouche, et elle se rendit compte qu'elle s'était mordu l'intérieur de la joue.
Mais seules importaient ses sœurs.
Même si sa vision était trouble, elle finit par apercevoir la chevelure drue de Bellatrix. Un éclair la frôla, mais elle ne réagit pas : toute sa concentration, tout ce qu'elle voyait était Andromeda. Alors elle eut comme cette lumière, cette résignation, cette réalité qui la frappa de plein fouet, tellement fort qu'elle eut le souffle coupé.
Andromeda n'était pas sa sœur.
Elle n'était plus sa sœur.
Elle avait cessé de l'être lorsqu'elle avait osé lui lancer le sortilège impardonnable. Elle avait choisi les moldus à sa famille, la traîtrise à son honneur. Et Narcissa la détestait. Pour les avoir abandonnées, Bellatrix et elle. Pour leur avoir menti, depuis tout ce temps.
Absorbée dans leur combat acharné, aucune des deux aînées ne s'aperçut de son arrivée. Bellatrix réalisait compulsivement des mouvements compliqués avec son poignet, un sourire diabolique aux lèvres. Mais Andromeda savait se défendre. Elle n'avait le temps que pour se protéger, mais cela suffisait pour fatiguer sa rivale.
Alors Narcissa fit une chose qu'elle n'aurait jamais cru capable de faire autrefois. Elle sortit sa baguette de sous sa veste, celle qu'elle n'avait pas eu le temps de dégainer pour se protéger du Doloris. Elle la pointa vers Andromeda, d'un geste rapide et assuré.
Leurs regards se croisèrent. Durant une fraction de seconde, les trois sœurs virent le temps s'arrêter, la vie se suspendre.
En une fraction de seconde, Andromeda sentit la honte brûler chaque partie de son âme. Elle avait été aveuglée par la haine et la rage, s'était retournée vers le seul point attaquable de Bellatrix. Elle avait pensé le faire pour Ted, pour son amour fou envers lui, pour son envie de passer le reste de son existence à ses côtés ; pour montrer à ses sœurs qu'elle n'avait peur de rien, et qu'elle assumait son choix. Mais faire du mal à Narcissa n'avait jamais fait parti de son plan. Sa petite sœur. Comment avait-elle osé.
En une fraction de seconde, Narcissa eut pitié. Pitié de sa sœur aînée qui avait préféré son Sang-de-Bourbe à sa propre famille. Pitié de l'existence qu'elle allait mener chez les moldus, elle, une si grande sorcière. Mais elle était surtout en colère. Non seulement elle les abandonnait, reniait tout ce qu'elle était, mais elle avait osé se retourner contre plus faible et faire du mal à sa propre sœur. Et Narcissa la haïssait pour tout ça.
En une fraction de seconde, Bellatrix vit sa sœur disparaître. De son cœur, de sa mémoire, de ses pensées. Narcissa était avec elle. Elle pouvait laisser Andromeda partir librement sans craindre de perdre sa petite sœur avec. Alors Bellatrix oublia Andromeda. Tout simplement.
En une fraction de seconde, les trois sœurs Black avaient fait leur choix. Décidé quel chemin prendre et avec qui. Le destin s'était retranché sur elles, et avait choisi ce moment pour les séparer à jamais.
Narcissa bougea ses lèvres et stupéfia Andromeda en un éclair blanc.
Prête à être livrée à la famille Black, telle une prisonnière.
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