Chapitre 1

J'hésitai entre exploser de rire ou m'inquiéter du pauvre crâne de Naruto qui venait de se prendre une droite magistrale de Sakura. Je m'abstins néanmoins d'esquisser le moindre geste, à la vue du blond assommé et de la rose me lançant un regard meurtrier, et me contentai de détourner le regard en gonflant les joues pour empêcher mon fou rire de s'échapper. Je n'étais pas suicidaire; je n'avais aucune envie que Sakura m'envoie brouter l'herbe à mon tour pour aller nourrir les pissenlits par la racine. J'avais appris aux dépends des nombreuses gaffes de Naruto qu'il ne valait mieux pas contrarier la kunoïchi aux cheveux roses; et aujourd'hui, je n'avais pas particulièrement envie de mourir.

Je ne pus m'empêcher cependant de lui lancer un petit regard réprobateur après avoir passé mes yeux sur la silhouette étourdie de Naruto qui gisait à terre.

- Il l'a cherché.

J'haussai les épaules.

- Si pour toi, chaque mot qui sort de sa bouche mérite une raclée... C'est toi qui vois, répliquai-je avec un sourire amusé.

Sakura finit par s'esclaffer à son tour tandis qu'un Naruto grimaçant se relevait difficilement en se frottant la tête.

- T'y vas fort, Sakura-chan...

La vie serait parfois bien ennuyeuse sans ces deux énergumènes, pensai-je en observant mes deux coéquipiers reprendre leur gentille dispute sur je ne savais quel sujet.

La froideur de la brise matinale s'était changée en un vent plus doux à mesure des minutes passées à patienter le terrain d'entraînement numéro trois. J'étais assise en tailleur sur la pelouse, adossée contre le tronc d'un arbre, et je m'amusai à arracher distraitement les brins d'herbe verte sous mes paumes tout en écoutant les vives discussions de mes deux coéquipiers, debouts à quelques mètres de moi. Je n'intervenais que très rarement dans leur chamailleries, préférant m'en amuser de manière plutôt désintéressée. Ils semblaient avoir fini par s'habituer à ma nature discrète et ne tenaient plus à me faire absolument prendre part à leurs discussions musclées contre mon gré; au fur et à mesure du temps passé ensemble, nous avions tous les trois établi une sorte accord tacite qui maintenait un certain équilibre entre leurs caractères forts et le mien, plus modéré, qui semblait arrondir les angles. Je ne prétendais pas être le trait d'union liant les deux, mais plutôt une soupape qui empêchait le tout d'exploser. Et ça m'allait bien comme ça.

- Qu'est ce qu'il fiche? Ça fait une demi-heure qu'on poireaute! s'écria Naruto en scrutant l'horizon, les yeux plissés et la main en visière sur son front.

- Bah, on devrait être habitués, à force, soupira Sakura en haussant les épaules.

Je n'avais intégré l'équipe seulement quelques mois auparavant et j'avais vite été mise au parfum de l'absence (totale) de ponctualité de mon nouveau sensei. A présent, cette situation m'était si familière que je n'en prêtai presque plus attention et ne trouvai pas l'intérêt de notifier ce défaut manifeste tous les matins. J'avais simplement pris soin de m'habiller plus chaudement avant de partir, en vue des longues minutes à affronter la fraîcheur matinale du village caché en attendant que notre cher sensei ne daigne montrer le bout de son nez.

L'intéressé apparut finalement au milieu d'un nuage de fumée une dizaine de minutes plus tard et nous salua en levant nonchalamment la main.

- Salut! J'ai croisé une vieille dame en détresse sur le chemin, alors...

- Menteur! s'écrièrent mes deux acolytes en chœur.

Tandis que notre sensei encaissait leurs reproches en passant machinalement sa main à l'arrière de sa nuque, je me levai et m'approchai du reste de mon équipe tout en prenant soin de rester un peu en retrait.

L'unité à présent au complet, le jônin argenté nous détailla un par un de son unique œil visible, puis prit la parole:

- On part en mission demain.

A peine eut-il terminé sa phrase que Naruto hurla de triomphe et je ne pus m'empêcher d'esquisser un léger sourire amusé tout en sentant une excitation familière monter en moi à l'idée de repartir enfin accomplir ce pourquoi nous portions fièrement un bandeau sur le front.

- Mais avant ça, je dois m'assurer de quelques petites choses avec vous trois.

- C'est quoi, c'est quoi, Kakashi-sensei? demanda énergiquement Naruto.

L'œil noir de ce dernier se plissa en un sourire que nous ne pouvions pas voir, avant de croiser les doigts de ses deux mains en un signe de croix.

Trois clones à la chevelure argentée apparurent sous nos yeux dans un "pof!" de fumée, et nous interrogeâmes notre sensei du regard.

- Vous allez faire un exercice de filature, expliqua ce dernier de sa voix traînante. Je vais m'enfoncer dans la forêt avec mes clones et vous allez devoir me retrouver avant que je ne vous retrouve d'abord. Retrouver le "vrai moi", j'entends. Et pour une fois, faites ça chacun de votre côté. J'ai besoin de mesurer vos capacités individuelles. Si l'un d'entre vous se trompe et qu'il s'attaque à l'un de mes clones, ou si je le retrouve avant, l'exercice sera terminé pour lui mais continuera pour les autres. Compris?

- On vous cherche mais vous nous cherchez aussi, grommela Naruto en se grattant la tête. C'est casse-tête. Et vous devez fuir et chercher trois personnes, le tout à la fois. Vous pouvez faire ça?

Kakashi-sensei arbora un nouveau sourire invisible.

- Je crois que c'est dans mes cordes, effectivement, affirma t-il avec ironie.

Pour ma part, j'étais convaincue que cet homme était capable de choses bien plus compliquées que de nous chercher simultanément dans une forêt. Je me demandais si ce n'était pas le blond qui avait intégré l'équipe que très récemment, parfois.

- Bon, si tout est clair, on va commencer. C'est parti!

Le jônin masqué et ses clones disparurent l'instant d'après.

***

Je sautai prestement de branches en branches à pas de loup, nerveuse. Cela faisait bien un quart d'heure que je déambulais à travers les ramures verdoyantes de la forêt, et je n'avais encore rien remarqué de pertinent. Je sentais une certaine agitation monter en moi qui vint nuancer l'absence criante d'animation dans ce bois désert. C'était un peu le calme avant la tempête.

Je décidai de cesser de tourner en rond et m'arrêtai calmement, hautement perchée sur une branche feuillue. Je fermai les yeux et inspirai profondément en me concentrant sur mes sens en alerte, comme pour sonder les alentours.

Et ça marchait bien. Je détectai un léger mouvement, quelques mètres sur ma droite, et je remerciai le ciel de m'avoir doté d'une ouïe si fine. Je vérifiai mes arrières avant de m'élancer droit vers le lieu suspect, en prenant soin de demeurer la plus silencieuse possible. Les feuilles s'agitaient à peine sous mes pas aériens, et le seul bruissement perceptible était celui du vent qui venait épouser doucement l'ombrage émeraude des chênes et des peupliers.

J'atterris finalement sur un rameau fragile et je crus un instant qu'il n'allait pas supporter mon poids. Mais il tint bon et je pus me pencher en équilibre pour observer, plus bas, la finalité de mon exercice.

D'où j'étais, je voyais distinctement la tignasse grise de mon sensei qui était accroupi à l'abri d'un bosquet, dos à moi. Il semblait observer minutieusement le sentier rocailleux devant lui, sûrement à la recherche de l'un de mes coéquipiers qu'il avait repéré.

C'était l'instant rêvé pour remporter l'exercice. Mais j'hésitai un moment.

Depuis bien des années, j'avais entendu parler du ninja copieur comme étant un shinobi prodige aux multiples compétences. Me voir intégrer son équipe il y a quelques mois n'avait pas affaibli le respect profond que je lui vouais par le pouvoir de son seul nom, même après avoir découvert sa déficience pour la ponctualité et son drôle de penchant pour les livres douteux qu'il ne se gênait pas de lire sous les yeux du village entier.

Ainsi, je trouvai qu'à cet instant, ma victoire imminente se révélait trop facile. Que faire, dans ce cas?

Je secouai machinalement la tête. Je tenais ma première piste depuis de longues minutes à vagabonder seule dans la forêt, et même si la promenade était plaisante, j'avais besoin d'en avoir le cœur net. Alors je m'élançai.

Je sautai silencieusement et plongeai droit sur mon sensei, pieds en avant. L'argenté se tourna à peine que je le heurtai de plein fouet.

Il se volatilisa dans un nuage de fumée l'instant d'après.

Et une seconde plus tard, j'avais un kunaï sous la gorge.

- Trouvée.

Je déglutis difficilement tandis que le froid tranchant de l'arme déserta doucement ma jugulaire. Je me tournai vers mon pseudo agresseur, légèrement tremblante d'être passée si près de me faire égorger, même pour de faux. Je levai les yeux vers Kakashi-sensei, le vrai cette fois, qui me scrutait de son œil noir en fronçant son sourcil gris.

- Dis voir, commença t-il d'une voix grave et traînante. Pourquoi tu l'as attaqué alors que tu savais très bien que ce n'était pas moi?

Je me figeai. Comment avait-il pris connaissance du débat intérieur qui m'habitait quelques instants auparavant, avant de sauter de cette branche?

- C'était un entraînement pour évaluer votre jugeote, expliqua t-il comme s'il avait lu dans mes pensées. Je vous ai observé quelques temps avant de vous attraper, pour voir. Et j'ai bien pu constater que tu avais compris que ça n'était pas moi, sinon tu n'aurais pas tellement hésité. Alors?

Je décidai de jouer l'idiote et j'haussai les épaules.

- J'avais envie de finir l'exercice, déclarai-je, sans oser le regarder dans les yeux.

- Mmh, répondit-il, sans m'épargner sa moue sceptique. Dans ce cas, tu vas être contente, j'ai déjà trouvé les deux autres. Viens, ils nous attendent sur le terrain.

Il enfonça nonchalamment les mains dans ses poches et se mit en route sur le sentier menant à la lisière de la forêt. Je lui emboitai timidement le pas, et nous marchâmes côte à côte en silence. Je me sentais légèrement honteuse de lui avoir ouvertement menti mais mon sensei ne semblait pas s'en embarrasser et reprit, comme si de rien n'était:

- Je pense que tu m'as déjà entendu te le dire, mais je préfère me répéter. Je crois que tu fais trop confiance en tes sens affutés et tu en oublies parfois ton jugement, en préférant t'en remettre à ce que tes yeux et tes oreilles te disent. C'est une bonne chose, souvent même, mais ça peut te jouer de mauvais tours.

J'acquiesçai en silence. Effectivement, il me l'avait déjà dit, mais il était difficile de se défaire des vieilles habitudes; elles vous collent à la peau.

- Ça va mieux avec les deux autres?

Je m'arrêtai brusquement. Il avait demandé ça si subitement que je me demandai un instant s'il avait bien parlé.

- Hein?

- Avec Sakura et Naruto. Tu te sens plus intégrée?

Je levai les yeux vers son visage masqué et je crus entrevoir une lueur inquiète au fond de sa pupille aussi noire que la nuit.

- Ah oui oui! m'empressai-je d'assurer. Oui, ils sont vraiment supers avec moi. Ils ont fait des efforts, et je les en remercie pour ça. Je peux comprendre que ça n'a pas été facile pour eux de me voir arriver à la place de... de leur ami. Mais c'est passé.

Sasuke Uchiha. Ce simple nom était presque tabou pour mes deux coéquipiers qui semblaient toujours souffrir de son absence cuisante.

J'avais intégré, il y a six mois, une équipe déchirée par les regrets et l'amertume d'avoir laissé un de ses membres partir, impuissants face à la rancœur brûlante de l'Uchiha. Je n'avais été qu'un pâle substitut à l'amitié puissante et inconditionnelle qui avait unit ces trois là autrefois, et les deux restants m'avaient fait savoir inconsciemment à quel point je n'avais pas ma place ici, avec eux.

On m'avait dressé pour Naruto le tableau d'un jeune homme énergique et souriant, résolu et audacieux malgré les chaînes qu'il semblait traîner à ses chevilles depuis sa naissance. Mais lorsque j'avais foulé le terrain d'entraînement de mes pieds pour la première fois, m'était apparu qu'un adolescent froid et impulsif qui semblait souffrir de ne pas me voir porter le visage de l'Uchiha.

Sakura, quant à elle, n'a pas réussi à me regarder dans les yeux pendant des semaines.

Je n'avais pas fait plus d'efforts que ça pour leur prouver ma valeur. Je n'étais ni audacieuse, ni valeureuse, ni franchement désireuse de me mettre en avant. Je ne savais pas sur quel pied danser et me retrouvai sur un terrain miné, et le risque qu'une bourde sorte de ma bouche et m'explose à la figure était trop grand pour que j'ose l'ouvrir. J'avais alors décidé de laisser les choses se faire.

Le temps avait fait son travail et les mois passés en ma compagnie les avait doucement déridés, au point qu'un soir, ils m'avaient invités à l'Ichikaru sans que je ne comprenne la raison d'un tel revirement.

J'ai alors fait la connaissance de mes vrais coéquipiers.

Cette soirée avait marqué le début de notre timide amitié. Ils se sont ouverts à moi, m'ont invitée au cœur de ce restaurant chaleureux qui semblait représenter tant pour eux. Ils m'ont expliqué ce qu'il les torturait depuis ces deux années sans Sasuke, ils m'ont balancé leur fiel et je leur ai retourné le mien. Nous avons bien ri, et l'abcès fut crevé d'un seul coup. Le jour suivant, lorsque j'étais retournée timidement sur le terrain en pensant que j'avais rêvé la veille, ils m'ont accueillie comme si j'avais toujours été là. Naruto avec son grand sourire et Sakura me regardant droit dans les yeux.

Depuis lors, je me sentais membre de l'équipe 7, même si je ne le serai jamais vraiment véritablement. Mais il y avait du progrès.

- Je pensais que le fait que je sois moins... expressive qu'eux serait un problème, repris-je doucement, comme pour moi même. Mais on dirait que ça marche bien quand même, finalement.

Je sursautai presque en entendant mon sensei me répondre. J'avais quasiment occulté sa présence tant j'étais plongée dans les images des premières semaines difficiles avec mes coéquipiers.

- Mmh... Ta réserve ne me semble pas être un problème non plus, éluda t-il en levant la tête vers le ciel, pensif. J'ai plutôt l'impression que tu aides à freiner les ardeurs des deux autres, et c'est pas plus mal.

Je me tournai vers l'argenté qui regardait droit devant lui, imperturbable. Contrairement à Naruto et Sakura, mon arrivée dans l'équipe ne semblait pas avoir perturbé mon nouveau sensei le moins du monde. Il m'avait fait participer aux entraînements et m'avait inclue dans nos quelques missions au même titre que les autres, et n'avait fait aucune différence entre nous malgré le fait que je ne sois pas un membre de son équipe originelle. J'étais plutôt heureuse de comprendre que ma simple présence ne s'apparentait pas à un couteau remuant dans une plaie ouverte pour tout le monde, même si je m'étais toujours demandée ce que pouvais bien penser Kakashi-sensei de mon arrivée inattendue dans leur unité. Et je ne sais par quelle magie, j'osai subitement lui demander.

- Et vous, sensei, ça... Ça ne vous gêne pas de me voir remplacer...?

- Sasuke, termina t-il d'une voix plate. Tu as le droit de prononcer son nom, tu sais. Et tu n'es pas sa remplaçante.

Je fronçai les sourcils tandis que mon sensei s'arrêtait subitement dans sa marche pour tendre un bras vers moi. Il posa sa main sur mon crâne et m'ébouriffa doucement les cheveux, l'œil plissé, sous mon regard interloqué.

- Pour moi, tu es un membre à part entière de mon équipe. Alors cette question n'a pas lieu d'être.

Et il reprit sa marche après s'être détourné. Je m'empressai de le rattraper, un petit sourire naissant sur mes lèvres tandis que je m'empressai de rejoindre mes nouveaux amis, le cœur léger.

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