Par une soirée d'hiver ~ Partie II

Nous étions là, assis côte à côte sur son lit, sans nous regarder. Et nous parlions.

Nous parlions de toutes ces choses que nous ne nous sommes jamais dit. De toutes ces choses que nous n'avions pas partagées, de notre vie l'un sans l'autre. De ce qui avait comblé ces dernières années, de notre lutte respective pour émerger de cette douleur qui n'avait jamais cessé de nous lanciner le cœur. Qui nous avait séparés.

Mes larmes s'étaient taries sur mes joues, et je me contentais d'écouter sa voix grave et traînante relater ce qui avait été sa vie durant ces quelques années. Je ne le coupai pas; je savais que Kakashi n'était pas à l'aise avec les grands discours, surtout lorsque cela concernait sa propre personne. Les émotions étaient une chose sur laquelle il n'était jamais parvenu à poser un mot, car elles étaient trop brûlantes, trop cuisantes. Et je partageais cette difficulté.

Nous parlions tour à tour, écoutant l'autre dans un silence et un respect quasi-religieux, désireux de ne pas manquer une miette de ce pan de notre vie que nous n'avions pas partagé. Les mots sortaient avec une facilité que je n'aurais jamais soupçonnée, fluides, d'une aisance sereine qui me ramenait à l'époque où nous étions proches et soudés.

Il était étrange de voir comme certaines choses restaient immuables chez lui malgré les nombreuses saisons qui étaient passées; la distance qu'il imposait avec autrui, son côté secret, ses convictions inébranlables même si elles avaient changé de nature avec le temps. Du gamin désireux de faire toujours passer la mission en premier après la disgrâce qui s'était abattu sur son père et qui lui avait ôté la vie, il était devenu un homme soucieux de ses coéquipiers et avait décidé de placer la valeur de leurs vies au premier rang. Comme cela me réjouissait et me perturbait à la fois.

J'avais vu Kakashi grandir de loin, à travers mes rares petites escales à Konoha que je ne foulais de mes pieds uniquement quelques jours par an. Je ne l'avais plus jamais approché, me contentant des ouïe-dires sur ce fameux ninja copieur, Kakashi au sharingan, le ninja aux mille techniques, et parfois le fratricide. Je l'apercevais parfois au coin d'une rue, notai à chaque fois la façon dont les centimètres semblaient vouloir lui donner une tête de plus que moi, que les traits juvéniles qui n'étaient pas dissimulés sous son masque s'étaient aiguisés et avaient mués en ceux d'un homme.

Je m'étais toujours paralysée à l'idée de le croiser, dans une rue ou dans le bureau du Hokage, d'avoir à lui parler, à enfoncer mon regard dans cet œil noir si familier et inconnu à la fois. Et pourtant, j'avais toujours tenu à savoir ce qu'il était devenu. Cette distance qu'il avait imposé ne cessait de me tirailler entre ma volonté de le rayer de mon existence et celle de le voir faire partie de ma vie. J'étais comme un satellite; je gravitais toujours autour de lui, me rapprochant et m'éloignant en fonction des saisons, bloquée par les lois de la pesanteur qui me laissaient indécise, sans jamais pouvoir m'engager définitivement sur l'un ou l'autre de ces deux chemins. Je m'en était donc tenue à un comportement des plus formels pour les rares fois où j'avais à entrer en contact avec lui, me battant contre cette dualité qui me fendillait le cœur et me laissait toujours plus amère à mesure que les années passaient.

C'est pourquoi il me semblait presque irréel de l'avoir ici, juste à côté de moi, à me parler comme pour colmater le vide que cette situation avait perpétuée. J'étais étourdie par sa voix qui me berçait, droguée par sa présence qui comblait doucement ce manque insoutenable de mon existence. J'avais l'impression que son épaule qui frôlait la mienne était la dernière chose qui me rattachait à la réalité, qui me prouvait que je n'étais pas en train de rêver.

Il me parlait de ses années sombres au sein de l'ANBU, de la façon dont cela l'avait plongé davantage dans les ténèbres plutôt que de l'en faire sortir. Il me raconta comment ses amis Gaï, Kurenai et Asuma l'avaient épaulé et l'avaient aidé à maintenir la tête hors de l'eau, et m'avoua même que ces défis stupides que son fameux éternel rival n'avait de cesse d'engager lui faisaient plus de bien qu'il ne lui dirait jamais. Grâce à la bienveillance de ces trois jônin, le troisième Hokage l'avait relevé de ses fonctions dans les services secrets du village pour lui assigner sa nouvelle tâche de sensei. Il m'expliqua à quel point il eut du mal à se débattre avec ses regrets à ce moment là, comment il avait renvoyé des dizaines d'élèves de peur de reproduire la même tragédie avec ces enfants.

Enfin, il me conta sa rencontre avec ses élèves, Naruto, Sasuke et Sakura, et je décelai au ton de sa voix la teneur de l'attachement qu'il avait pour ces enfants. A la façon dont il s'esclaffait lorsqu'il racontait les bêtises du petit Naruto, comment il râlait face à l'entêtement du jeune Uchiwa et sa volonté presque paternelle de protéger la petite fleur rose, je compris que Kakashi avait trouvé en eux la force de continuer, et je l'admirai pour ça.

Il avait dans sa façon de parler une certaine pudeur qu'il lui était propre. Je le savais fier, et peu enclin à avouer à voix haute le fond de sa pensée; je devinai alors que toutes les éloges qu'il me confiait sur son entourage n'avait jamais dépassé la barrière de ses lèvres avant ce soir.

Je me sentais déroutée entre cette connaissance ancrée de sa personnalité que je détenais et ces nouveautés qui faisaient qu'il avait changé, que le gamin que je connaissais s'était transformé en un homme mûr avec son existence propre. Je ne pouvais empêcher les regrets de m'assaillir par à coups au fur et à mesure qu'il parlait, tant j'aurai voulu partager ses épreuves qui faisaient ce qu'il était aujourd'hui, un inconnu et un proche à la fois.

Lorsqu'il fut mon tour de parler, je bégayai légèrement, en me demandant comment l'argenté avait pu se dévoiler aussi simplement. Mais à mesure que les mots étaient prononcés, je me surprenais à entendre mes phrases se souder avec facilité et à m'affranchir de cette hésitation première, comme il l'avait fait. Je lui parlais comme je le faisais autrefois, sans artifices, avec des mots purs et simples qui faisaient échos à mes pensées, et bientôt, tout ce que j'avais en moi fut prononcé.

Je lui parlais pour ma part de ces années passées à découvrir le monde, à fouler des terres nouvelles de mes pieds, à traquer les ennemis de notre village dans des pays entiers. Je lui avouai ma réticence à ôter la vie de ces gens, aussi mauvais soient-ils, de cette horreur que m'inspirait ce sang qui giclait à chacune de mes aventures. Je lui racontai la façon dont j'avais vu des amis mourir sous mes yeux, comme je me sentais vide de l'intérieur, perpétuellement, malgré la beauté de ce monde que je découvrais tous les jours. Je lui racontais tout, dans les moindres détails, sans plus aucune barrière pour empêcher mes mots de sortir, ces mots que je n'avais jamais prononcés et qui me libéraient d'un mal qui me tordait les boyaux depuis trop longtemps.

Tandis que je parlais, je sentais son regard posé sur moi et qui me donnait l'impression de me brûler. Je n'osai lui rendre, de peur d'être trop déstabilisée par cet œil noir qui avait la fâcheuse tendance de me donner le tourni, et je gardais donc mes yeux fermement accrochés au mur en face de moi comme si j'avais le pouvoir de voir à travers. Son silence m'était agréable tandis que je parlais, et je sentais qu'il m'écoutait comme moi je l'avais écouté, me nourrissant presque de ses paroles qui me désinfectaient le cœur et me servant de sa voix vibrante pour y poser un pansement.

Au bout de longues minutes, après lui avoir étalé ma vie en long, en large et en travers avec une désinhibition qui me surprenait encore, je me tus.

Le silence fit violemment irruption dans la pièce, et, une fois de plus, je ne sus que faire à part faire mine de trouver le mur en face très intéressant.

Nos confidences respectives s'étaient faites presque naturellement, après qu'il m'ait montré cette photo qui m'avait fait craquer au bout de toutes ces années. Il m'avait serré maladroitement dans ses bras mais ne s'était pas attardé, comme s'il craignait de faire quelque chose de déplacé, et m'avait doucement poussé pour que je m'asseye sur le lit avant de faire de même. Il s'était alors mis à parler, et la surprise avait naturellement séché mes larmes pour me permettre de l'écouter comme il se devait.

Ceci à présent fait, je me retrouvais à nouveau perdue, ne sachant comment démêler cette situation. Qu'attendait-il de moi? Nos aveux allaient-ils réellement changer quelque chose? Est ce que Kakashi, cet homme autour duquel j'avais gravité toute ma vie malgré moi et qui habitait toujours mes pensées, était vraiment assis là, à côté de moi, au bout de toutes ces années?

Je sursautai violemment en sentant sa main effleurer ma joue, comme pour essuyer quelque chose.

Je ne m'étais pas rendue compte qu'une larme avait coulé.

- Oui, je suis là, murmura sa voix grave qui me fit presque tressaillir.

Et je ne m'étais pas rendue compte non plus que j'avais posé cette question à voix haute.

Confuse, je rentrai ma tête dans mes épaules et déplacai mon regard vers mes pieds bandés posés sur le sol.

- Eh.

Ses doigts s'étaient lentement posés sur mon menton, et semblaient me demander de tourner la tête.

- Regarde moi, si tu veux en avoir le cœur net, dit-il doucement.

Je ne sais par quelle force, mais ses mots me firent obéir instantanément.

Je le dévisageai alors, tandis qu'il reposait son bras le long de son corps, et je sentis mon palpitant paniquer violemment au fond de ma poitrine.

Je plongeai mon regard dans l'œil noir et scintillant qui me fixait, et au fond duquel dansait une lueur que je ne parvenais pas à identifier. Son bandeau frontal cachait éternellement l'autre et retenait ses cheveux argentés en une masse désordonnée que j'avais toujours affectionnée. Son masque, qui dissimulait plus de la moitié de son visage, laissait deviner un nez droit et une mâchoire aux contours affûtés et masculins.

A cet instant, et malgré son visage presque entièrement camouflé, je le trouvai magnifique.

Une envie déraisonnable m'électrisa. Et sans que je ne puisse les arrêter, mes bras s'étaient levés doucement jusqu'aux dessus des larges épaules de l'argenté, et mes mains s'affairaient à présent à chercher délicatement au milieu de cette épaisseur de cheveux presque blancs le nœud de ce bandeau qui maintenait son œil gauche caché.

Kakashi ne cilla pas. Il ne me lâcha pas du regard, balayant mes traits apaisés et torturés à la fois de son orbe sombre, suivant dans mes yeux l'avancée de mes gestes lents.

Je finis par le trouver. Précautionneusement, je défis le nœud et son bandeau tomba, laissant apparaitre une paupière fermée, scindée d'une longue balafre qui courait sur la partie gauche de son visage.

J'avais toujours aimé la façon dont ses cheveux retombaient par épis sur son front lorsqu'ils n'étaient pas retenus par son insigne de Konoha. Et cette couleur si étrange qui me fascinait... Ils lui donnaient un attrait presque enchanteur, et le revoir comme ça au bout de tout ce temps fit bondir mon cœur.

D'un geste téméraire, et sans vraiment réaliser ce que je faisais, je tendis ma main pour effleurer cette cicatrice blême que je n'avais pas vu depuis longtemps. Mes doigts longèrent l'entaille avec une paresse respectueuse, d'une lenteur presque révérencieuse, en partant de son sourcil entamé jusqu'au bord de son masque où continuait de courir la balafre en dessous, en passant par sa paupière sur laquelle j'attardai le glissement de mes doigts.

Dans un éclair de lucidité, je paniquai et me reculai légèrement. Je faisais quoi, là?

Je jetai un regard désolé à cet œil noir qui n'avait jamais cessé de me fixer. Je fus stupéfaite en constatant que Kakashi ne semblait pas le moins du monde offensé, et me regardait avec une intensité qui sembla me froisser quelque chose au fond de ma poitrine. Je demeurais bouche bée, avant qu'un souhait soudain me traverse soudainement l'esprit et ne passe la barrière de mes lèvres en un murmure:

- Kakashi, est ce que tu peux...

Je n'eus pas le besoin d'achever ma phrase qu'il ouvrait déjà doucement son œil balafré sous mes yeux écarquillés.

Je rencontrai alors cette pupille rougeoyante qui semblait me transpercer de toute sa puissance. Un frisson me parcourut l'échine.

- C'est dérangeant, hein? souffla Kakashi qui, pour la première fois depuis que je me trouvais ici, détourna le regard.

D'un geste spontané, j'attrapai sa joue au creux de ma paume et le forçai à me regarder de nouveau.

- Non. C'est Obito.

Il fronça les sourcils tandis que je détaillai l'écarlate de cet œil où se dessinaient trois symboles en forme de gouttes noires en cercle. Non, ce n'était pas dérangeant; et je le pensais sincèrement. C'était là le dernier vestige de ce qu'avait été notre ami. Et Obito vivait encore, à travers les yeux de Kakashi.

- Je trouve ça beau, soufflai-je pour moi-même, fascinée et chagrinée à la fois.

Dans les yeux de Kakashi dansait à présent une douleur presque palpable, dont la vue me tordit l'estomac tant elle faisait écho à la mienne.

- Je suis désolé, dit-il d'une voix rauque, chargée de regrets. Je suis tellement désolé, tu peux pas imaginer.

Je restai figée.

Ma paume toujours amarrée à sa joue, je sondai ses traits tiraillés de mes yeux, abasourdie.

Kakashi n'était pas quelqu'un qui s'excusait. Il souffrait, se repentait, regrettait, mais ne s'excusait jamais.

J'avais toujours espéré qu'il le fasse, pourtant. Pas seulement pour ce qu'il m'avait infligé, en imposant un mur infranchissable entre nous et en me privant de la seule personne qui aurait pu m'aider, mais aussi pour les autres, lorsque je lui en avait profondément voulu, quand je pensais encore que tout était de sa faute.

Maintenant, j'aurais voulu qu'il ne le fasse jamais. La vue de ses yeux aux lueurs torturées brisaient quelque chose en moi et me laissaient pantelante, désarmée, mon cœur semblant battre en écho avec sa douleur. A l'intensité de la souffrance que nous partagions, je sus que rien n'était de sa faute. Nous avions simplement fait les mauvais choix, lui comme moi. Lui d'avoir rejeté mon aide et moi d'avoir accepté cela.

Non, pour rien au monde je voulais qu'il soit désolé.

Et voir Kakashi craquer était l'une des pires choses qu'il m'ait été donné de voir.

- Je t'ai fait du mal, poursuivit-il lentement, indécis. Je pensais que ce serait trop difficile de supporter ça pour deux. Mais c'était la plus grosse connerie de ma vie, et pendant dix ans, j'ai jamais cessé de regretter, chaque seconde. Tu... Tu as toujours fait partie de ma vie. Et que tu sois plus là, c'est comme si on m'avait arraché la moitié de moi-même.

C'était trop dur à entendre. Estomaquée, je murmurai difficilement:

- Kakashi... Tais-toi...

Il fronça les sourcils, et je vis de la colère naître dans ses yeux. Mais elle n'était pas tournée contre moi.

- Je suis qu'un crétin maladroit et égoïste, dit-il plus fort, d'une voix saccadée. Je sais que m'excuser ne changera rien. Mais je ne supporte plus de te voir fuir en sachant que c'est moi qui t'ai obligé, et qu'on se comporte comme si on était des inconnus. Et le pire, c'est que c'est moi qui ai fait en sorte qu'on le devienne. Et ça me tue. Je me dis que toi, tu as dû supporter mes caprices et mes erreurs avec tout le reste, et tu l'as accepté, alors que moi, sans toi, j'avance dans le vide. Ça fait des années que ça dure, et que je vois pas comment faire pour nous sortir de ça. Je suis un lâche, aussi. J'ai toujours eu peur de revenir vers toi la queue entre les jambes, en te disant que j'étais désolé. Ça ne suffisait pas pour tout ce que je t'avais infligé.

Chacun de ses mots me donnaient l'effet d'une gifle. Je ne voulais pas qu'il me dise tout ça. Je voulais qu'il se taise, qu'on passe l'éponge, que tout redevienne comme avant. Que ses mots cessent de faire écho à ce que je pensais de moi, à cette absurdité pour laquelle on avait gâché tant d'années, qu'on arrête de se torturer, juste une fois.

Et bon Dieu, si, ça aurait suffit.

- Et chaque année, je te voyais changer. Je ne savais pas ce que tu faisais, à quoi tu avais consacré ta vie, et ça me rendait fou. Avant, on partageait tout. J'aurais voulu te protéger de toutes les atrocités que tu m'as dit avoir vues. Ça aurait dû être mon rôle, de ne pas faire comme Rin et Obito, d'avoir appris de mes erreurs, de pas te laisser crever comme si j'en avais rien à foutre de toi. J'étais toujours content de voir que les rares fois où tu étais au village, tu allais bien, et je me trouvais tellement ridicule de m'inquiéter alors que tout était ma faute.

Je tremblai. Il avait à présent le regard braqué au dessus de mon épaule, vers le mur derrière moi, et parlait sans s'arrêter, déversant tout son fiel à travers ses mots qui me bouleversaient et heurtaient violemment mon cœur à l'agonie.

- J'ai pensé qu'un jour je finirai par m'y faire, que j'arrêterai de penser à toi tout le temps, de regretter de ne pas avoir grandi avec toi. Je croyais que j'arrêterai de me sentir seul même avec une foule autour de moi, que je finirai par m'habituer de ne pas être compris comme toi tu avais le don de me comprendre. J'y croyais vraiment.

Il baissa à nouveau les yeux vers moi, et malgré sa voix dure, ses yeux s'adoucirent et son sharingan sembla scintiller.

- Mais j'y arrive pas, putain. Parce que je t'ai dans la peau.

C'en fut trop. J'attrapai brusquement son visage de mes deux mains et écrasai mes lèvres sur celles dissimulées sous ce fichu bout de tissu.

Kakashi se raidit, et ma bouche étouffa son grognement surpris. Je le sentis avoir léger mouvement de recul, mais mes paumes sur ses joues étaient fermes et l'obligeaient à garder son visage contre le mien. Il expira longuement par le nez, comme s'il manquait d'air, et je finis par sentir sa main se poser au creux de mon dos pour m'attirer doucement à lui; la chaleur de sa paume sembla se diffuser dans mon corps tout entier, et embrasa une flamme au creux de mes reins. Ses lèvres semblèrent enfin se mouvoir lentement sous son masque et j'y accrochai les miennes comme si ma vie en dépendait.

Je commençais à avoir le tourni lorsque je me détachais de lui pour poser lentement mon front contre son torse, reprenant mon souffle comme si je n'avais jamais respiré.

- Tais-toi, suppliai-je, le cœur battant. Par pitié, tais-toi.

Je ne savais plus ce que je faisais. J'avais juste besoin qu'il arrête de débiter ses bêtises. Et c'est ce qu'il fit, en gardant le silence tandis qu'il entourait mon être de ses bras robustes et en posant doucement son menton sur le haut de mon crâne.

J'avais recommencé à trembler. Putain, je ne faisais que ça aujourd'hui! Et jamais pour les mêmes raisons. A présent, mes émotions formaient une violente tempête dans mon esprit embrumé et j'avais l'impression que mon cœur battait aux quatre coins de ma tête. L'argenté dût croire que j'avais froid, puisqu'il me serra plus fort encore contre lui et la flamme qui s'était allumée au creux de mon ventre sembla redoubler d'intensité. Je tentai de calmer ma respiration hachée en me calant sur celui du torse qui se soulevait et s'abaissait tout contre moi, mais je réalisai qu'il était presque aussi irrégulier que le mien.

Je n'avais aucune idée du temps que l'on passa ainsi, serrés l'un contre l'autre, Kakashi n'osant plus ouvrir la bouche et moi n'ayant pas la force de lever la tête pour recroiser son regard. Je me sentais épuisée, balayée par mes émotions qui faisaient rage à l'intérieur de moi, entre le chagrin qui ne m'avait jamais quitté, l'indécision entre ma tête qui me hurlait de fuir et mon âme qui brûlait pour l'homme dans les bras duquel j'étais blottie. La panique, qui me rouait de coups et me demandait en hurlant pourquoi diable j'avais osé m'emparer de ses lèvres masquées. La douce et affreuse chaleur qui réchauffait mon corps refroidi, par ma soirée échouée dans la blancheur de la neige mais aussi par toutes ces années de cette solitude morbide, à perdre mes couleurs, égarée dans la cruauté de ce monde. Et ce bonheur, déterré de mon cœur sali, de l'avoir ici, avec moi, et mon corps fatigué qui réagissait bien trop à sa présence. Tout cela s'emmêlait dans mon crâne et me laissait paralysée, confuse, tiraillée et hésitante. Je ne savais pas quoi faire. Je ne savais plus.

L'argenté fit alors le premier pas et m'extirpa de ma léthargie par sa main qui vint quémander à mon menton de me faire lever la tête. Je me laissai faire, impuissante, et plongeai dans ses yeux dans lesquels je me serai bien noyée une vie entière. J'étais en train de perdre la tête.

Kakashi avait les sourcils froncés, et dans son regard se reflétait mon indécision mêlée à cette chaleur qui faisait bondir mon cœur. Il ne semblait pas plus à l'aise que moi, il était même franchement déstabilisé, mais je m'en contentai.

- Comment tu te sens? demanda t-il maladroitement d'une voix rauque, vibrante d'émotions.

J'eus envie de rire de sa maladresse apparente. Décidément, il n'était pas doué pour poser des mots sur ses sentiments, et préférait me demander mon avis. Sauf que je n'étais pas plus douée que lui.

Je ne pouvais tout simplement pas répondre à sa question. J'ouvris la bouche sans qu'aucun son n'en sorte, et me contentai de scruter dans les moindres détails son visage camouflé. La seule chose dont j'étais sûre en le voyant, c'est que j'avais cette envie furieuse de poser à nouveau mes lèvres sur les siennes, envie qui se transforma bientôt en besoin tant cette idée même me brûlait le creux des reins.

Au lieu de lui répondre par les mots, creux et vides de sens, je décidai donc de le faire par les gestes, plus puissants et révélateur sur cette chose qui m'habitait à cet instant.

Je m'approchai, très lentement cette fois, hésitante peut-être, curieuse de sa réaction.

Avait-il pensé qu'il s'agissait d'un accident, du seul moyen que j'avais trouvé pour le faire taire? C'est ce que j'avais cru moi-même, ne mesurant absolument pas la teneur de mon geste. Mais en reposant les yeux sur cet homme masqué qui avait toujours habité mes pensées jusqu'à ce qu'il se retrouve là, devant moi, je réalisai que j'avais l'envie ardente de recommencer, encore et encore.

Et Kakashi ne cilla pas. Il ne cessa de me fixer, immobile, tandis que j'approchai mon visage d'une lenteur insupportable, et je vis une lueur brûlante naître dans ses yeux, presque dangereuse lorsqu'elle s'alluma dans sa pupille écarlate qui semblait presque me transpercer l'âme.

A quelques millimètres de ses lèvres, j'hésitai. Je sentais son souffle qui avait soudainement repris sa cadence acharnée traverser son masque et s'écraser sur ma peau. Je l'effleurai de mes lèvres sans franchement les sceller, et me laissai aller à cet échange vague, nébuleux, de nos respirations mêlées sans être vraiment liées; je ne lâchais plus ses yeux du regard, qui me consumaient de part l'incendie qui brûlait en eux, et qui n'avaient de cesse d'attiser celui qui ravageait ma poitrine et le bas de mon ventre.

Ce temps de latence sembla durer une éternité, et je remarquai la tension qui habitait l'argenté, de part la raideur de sa position et la façon dont on pouvait deviner sa mâchoire serrée plus que de raison derrière son masque, faisant jubiler mon palpitant. Et c'est finalement Kakashi qui capitula.

- Oh, bon sang, grogna t-il avant de combler l'espace qui séparait nos lèvres.

Je frissonnai de plaisir en sentant sa bouche se mouvoir en cadence avec la mienne, sans plus une trace de l'hésitation qui avait pris possession de lui la première fois. Il m'avait violemment attirée à lui, m'étreignant à m'en rompre la respiration, et m'embrassait impatiemment, presque furieusement. C'était comme s'il avait peur que je disparaisse soudainement, comme s'il craignait que le temps nous rattrape et écourte notre échange. Je me délectai de ce moment comme je ne l'avais jamais fait dans ma vie, en laissant aller mon cœur battant et la puissance de mes sentiments à travers ce baiser aux allures presque désespérées.

Mais très vite, Kakashi rompit l'échange si subitement que j'en restai étourdie.

- Attends, souffla t-il dans un grognement rauque contre ma bouche alors que j'allais exprimer ma déception.

Il se recula quelque peu et sans détacher son regard brûlant du mien, il baissa son masque sous mes yeux écarquillés.

L'argenté ne me laissa pas le temps de détailler son visage à découvert et j'oubliai vite ma violente curiosité à ce propos lorsque ses véritables lèvres, chaudes et humides, rencontrèrent les miennes.

Je me sentis comme électrisée. Je frissonnai violemment sous la chaleur de sa chair qui s'entrechoquait avec la mienne, et je réalisai qu'à cet instant à quel point ce fichu bout de tissu avait été une entrave à sensations.

Les mains de Kakashi s'emparèrent de mes hanches pour me ramener fébrilement contre lui puis remontèrent dans mon dos, me tenant prisonnière de son étreinte, comme s'il craignait que je ne m'enfuie, me pressant toujours plus contre sa bouche. Je lui répondais en passant mes bras autour de sa nuque, avant d'enfoncer mes mains dans le soyeux de ses mèches argentées.

Ce fut doux et fiévreux à la fois; Kakashi n'avait de cesse de tourmenter mes lèvres tantôt en les mordillant ardemment, tantôt en les parsemant de petits baisers délicats comme pour s'excuser de sa brusquerie première. Il avait dans cette façon de m'embrasser un certain désespoir, une impatience éperdue, comme un exutoire qui lui permettait de déverser toute sa colère refoulée, son chagrin et ses regrets, à travers ses gestes rudes et tendres.

J'en perdais la tête. J'avais l'impression que mon corps tout entier était en train de brûler, conséquence de la bataille entre mon esprit confus et mon coeur battant d'un désir trop grand, trop foudroyant.

Parce que c'était un fait : cet échange fiévreux faisait enfler considérablement une immense boule de chaleur incontrôlable entre mes cuisses, qui me consumait toute entière à mesure que l'argenté parcourait mon visage de ses lèvres avides et vagabondes.

Kakashi entrouvrait sa bouche haletante, cherchant à franchir les dernières frontières menant à l'intérieur de la mienne. Je capitulai en un gémissement étouffé lorsque sa langue rencontra finalement son homologue, et je crus succomber de bien être lorsqu'elles entamèrent leur découverte mutuelle dans une danse lascive, hachée par nos souffles saccadés.

Il rompit notre échange lorsque nos respirations se firent trop difficiles, sans pour autant se reculer de moi en se contentant de poser doucement son front contre le mien.

Je gardai les yeux fermés et tentai de calmer mes ardeurs en expirant profondément, tremblante. Mon coeur me donnait l'impression de vouloir s'évader de ma poitrine tant j'étais ébranlée par ce que nous venions de faire.

J'ouvris doucement les yeux lorsque je sentis le bout du nez de Kakashi effleurer le mien, et me plongeai dans ces deux perles flamboyantes noire et rouge. La teneur de ce regard renversa mon être tout entier et je me mordai hardiment les lèvres, détaillant avec minutie chacune des nuances mystérieuses de ces deux iris.

Il était trop près pour que je puisse observer le reste de son visage, que je brûlait de découvrir. Mais j'avais peur de m'aventurer sur ce terrain là ; qu'il me permette de l'embrasser était une chose, qu'il m'autorise à le regarder en était une autre, et je ne pensais pas qu'il s'évertuait à éternellement se cacher derrière son masque pour une raison quelconque. Je luttai donc contre cette envie hasardeuse et me concentrais à nouveau sur mon souffle et ces deux pupilles ensorcelantes, qui semblaient avoir suivi mon combat interne à la façon dont il y brillait un éclat rieur.

- Tu as le droit de regarder, tu sais, chuchota t-il dans un souffle amusé qui vint percuter mes lèvres.

Je me demandai si j'avais bien entendu. Je cherchai la confirmation dans ses yeux qui se plissèrent en un sourire approbateur, et je compris alors que j'avais bel et bien son feu vert pour découvrir son visage si longtemps dissimulé.

Il m'avait déjà donné l'occasion de le voir une fois, il y a des années, lorsque je m'affairais à le soigner d'une blessure au visage avec Rin à la suite d'une mission compliquée. Le sang ruisselait alors sur sa peau et je ne m'étais pas franchement attardée sur les traits juvéniles de l'adolescent qu'il était tant la situation avait été alarmante.

À présent, je demeurai bouche bée face à la splendeur de ses contours exposés à mes yeux brillants.

Kakashi n'était pas simplement un bel homme aux allures secrètes et énigmatiques. Il était le plus bel homme qu'il m'ait jamais été donné de voir.

Pour la première fois, je le voyais sourire réellement. Ses lèvres, encore légèrement rougies et gonflées par notre récent échange, s'étiraient doucement en une moue terriblement enjôleuse. Son nez était long, fin, droit, et épousait son visage de la même façon que son teint clair s'harmonisait avec l'argent de ses cheveux en bataille, malgré ses joues légèrement rosies à cet instant qui lui donnait une expression frôlant l'indécence tant il était séduisant. Et ce regard enivrant, qui me déshabillait de la même façon que je le faisais en ce moment même, finit de m'achever.

- Tu es... Tu es...

Kakashi ne me laissa pas le temps de trouver un mot approprié pour lui dire à quel point il était sublime, même si je doutais qu'un tel terme n'existe jamais. Il emprisonna rapidement mes lèvres des siennes, coupant court ma réflexion, et chuchota contre ma joue de sa voix profonde:

- Là, c'est à toi de te taire.

Je frissonnai, tandis qu'il me ramenait à nouveau à lui pour reprendre notre baiser là où nous l'avions laissé.

Et nous ne nous arrêtions plus, ne cessant jamais d'alterner entre de longs échanges langoureux pour finir par nous regarder, transis et hébétés, à nous demander par les yeux si ce que nous étions en train de faire était réellement une bonne chose, ou si nous pouvions nous laisser aller à nos pulsions désireuses de se découvrir bien plus encore.

Parce que c'est ce que je désirais : le découvrir. Ou le redécouvrir. Je ne savais plus.

La tournure qu'avait pris nos retrouvailles m'effrayait autant qu'elle m'excitait ; était-ce vraiment la bonne manière de le retrouver?

Putain, oui, me criait mon coeur qui semblait avoir recommencé à battre pour la première fois depuis de longues années. Je me sentais vivre dans ses bras, respirer contre sa bouche, exister tout contre son corps.

Kakashi avait ce don de malmener mon âme, de faire vibrer mon être tout entier par la seule force de sa présence et de ses lèvres contre les miennes.

Je l'avais toujours aimé.

Cette évidence subite me coupa violemment le souffle, si bien que Kakashi se recula légèrement pour me regarder d'un air inquiet, sourcils froncés.

Je l'avais toujours passionnément, éperdument, profondément aimé, jusqu'au plus profond de mon être. Malgré ces années passées à pleurer son absence qui avait creusé une brèche profonde dans mon coeur, mon corps semblait avoir gardé en mémoire ce sentiment ardent qui avait patiemment attendu qu'on le déterre subitement. Kakashi venait simplement de souffler sur un brasier rougeoyant depuis déjà très longtemps, et avait allumé la flamme signant la fin de ma raison.

Je l'avais retrouvé. Je le désirais à présent comme on désire rentrer dans le chaleureux de son chez soi, après un voyage interminable n'ayant laissé pour trace que la froideur glacée de la peur et de la solitude. Je voulais redécouvrir ce qui était mien, noter ce qui avait changé, m'empresser de retrouver mes marques et m'y amarrer, jeter l'ancre pour ne plus jamais repartir.

Oh non, ça, plus jamais.

Kakashi me ramena sur terre en fourrant son nez dans mon cou avant d'y passer lascivement ses lèvres, son souffle chaud m'arrachant un frisson démesuré.

- À quoi tu pensais?

Dans sa voix vibrait les traces d'un amusement satisfait de m'avoir ramenée au présent mêlé d'une curiosité très mal dissimulée. Je levai le regard vers ses yeux voilés par l'instant dans lesquels planait néanmoins une nette hésitation. Et s'il ne partageait pas ma passion?

Pour lui répondre, je le poussai doucement en arrière, le forçant à s'allonger en pressant ses épaules de mes mains. Lui se laissa faire, sans moins me lancer un regard interrogateur tandis que je prenais place à califourchon sur son bassin, décidée.

Je me penchai pour m'emparer de ses lèvres et, tandis qu'il commençait à répondre fiévreusement à mon initiative malgré le doute installé dans son expression, je me mis à presser hardiment mes hanches contre les siennes.

Je me redressai pour observer ses yeux s'ouvrir en grand de surprise.

- Tu...

Je plongeai dans son cou pour y embrasser sa peau brûlante, avant de mordiller la base de son épaule; mes gestes fébriles firent s'étouffer ses mots dans sa gorge et le laissèrent muet, seuls les sifflements de sa respiration inégale se faisant entendre.

Je prolongeai mes attentions lentes, remontant mes lèvres le long de sa gorge pour venir embrasser le creux de sa mâchoire anguleuse méticuleusement. Mais son silence et son corps tendu à l'extrême sous moi m'effrayèrent et je m'arrêtai en posant ma joue contre la sienne, penaude.

- Désolée, soufflai-je difficilement, la honte me prenant à la gorge. Je sais pas si tu... Si tu voulais...

Il empoigna mes hanches brutalement pour remonter mon corps de façon à ce que je me retrouve le nez contre le sien, mes yeux plantés dans ces deux mers de rouge et de noir.

- Oh que si, j'ai envie de toi.

Je restai coite face à cette affirmation brûlante qui vint souffler sur l'incendie se déchaînant au creux de mon ventre. Pour appuyer ses dires, il me souleva doucement pour venir me poser sur le renflement entre ses cuisses qui me prouva que je n'étais pas la seule à souffrir de notre rapprochement.

Kakashi posa sa paume sur ma joue et caressa ma pommette de son pouce, et la tendresse mêlée au désir dans son regard me coupa le souffle.

- Mais... J'aimerais faire ça bien.

Je froncai les sourcils, incrédule. Que voulait-il dire par là ? Je cherchai la réponse dans ses pupilles bicolore, réffrenant comme je le pouvais ma puissante envie de le déshabiller sur le champ. Je dus avoir un regard un peu fou, puisqu'il rit doucement avant de me murmurer, de sa voix chaude et traînante que j'aimais tant:

- Ce que je veux dire, c'est que je veux pas qu'on couche ensemble juste comme ça.

Il me prit la tête de ses deux mains et me regarda droit dans les yeux.

- Je veux qu'on fasse l'amour.

Et il s'empara de mon corps tout entier.

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