Don't forget me
Hanahaki desease
" Tu as fait éclore des fleurs dans mes poumons et, malgré leur beauté, je ne peux plus respirer. "
— Auteur inconnu
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La première fois que c'est arrivé, c'était dans ma tasse de thé.
Il n'y a jamais rien eu de surprenant à boire un thé. En trempant mes lèvres prudemment pour tester le niveau de chaleur du liquide, comme je le faisais chaque matin, je ne m'attendais pas à ce que je me mette à m'étrangler à moitié en avalant une gorgée. J'avais sûrement bu de travers. Du moins, c'est ce que j'ai pensé en reposant ma tasse sur la table tout en me raclant la gorge pour tenter d'effacer ce sentiment de légère brûlure dans ma trachée.
Puis j'ai observé avec stupéfaction les minuscules pétales bleus qui flottaient paisiblement sur la surface de l'eau fumante.
C'était avec ça que je m'étais étouffée ?
Je me suis vaguement demandé comment ces petits pétales avaient bien pu se retrouver dans mon sachet de thé, avant que les impératifs de la vie n'ôtent cet étrange évènement bien assez vite de mon esprit.
La journée suivante, je me suis dit que je couvais sûrement un petit rhume. J'avais passé la journée à toussoter en essayant de dégager un drôle de grain qui me grattait la gorge, en vain.
Puis le soir, je me suis prise d'une telle quinte de toux que j'ai dû courir pour cracher de la bile dans le lavabo.
Des pétales. De nouveau. Bleus, sur l'acrylique blanche.
A ce moment-là, j'ai réalisé qu'il y avait peut-être un problème.
Ça a recommencé avant que je ne me questionne sur ce qui était en train de m'arriver.
Avant de me rendre compte que c'était moi, qui crachait des pétales de fleurs bleues.
C'est la même chose tous les matins, maintenant. Depuis un certain temps.
C'est un peu comme avoir des cendres dans la gorge. Tout le temps. Ça reste collé aux parois, c'est granuleux, ça ne s'en va jamais.
Ça empire.
Et au lieu de cracher du feu, on vomit des fleurs, de longues tiges vertes avec leurs feuilles. Des minuscules pétales bleus que j'ai appris à connaître durant les mois précédents.
D'après les Yamanaka - que je suis allée discrètement consulter après m'être rendue compte que je vomissais régulièrement des fleurs -, la plante que je leur avais décrite portait de nombreux noms. Le grémillet, la scorpione, l'oreille de souris, à cause de la forme de ses pétales. Plus communément, le myosotis. L'herbe d'amour.
Parce que j'ai de l'amour à revendre. Parce que j'ai compris plus tard que cracher des fleurs était une maladie du cœur, qui fatigue à force de battre dans le vide, et qui dépérit doucement de demeurer oublié.
« Ne m'oubliez pas ».
Le myosotis a donné une tangibilité à mon plus grand cri du cœur.
J'en voyais tellement, de ces fleurs, quand j'étais petite. A la fin du printemps, elles envahissaient mon jardin, dépassaient le vert de la pelouse pour la rendre bleue, un peu violette. Ça me fascinait d'observer mes pieds s'enfoncer dans un parterre de bleu. Elles étaient faciles à arracher, ces fleurs. Je les trouvais belles, délicates, si minuscules, d'une jolie couleur, un peu plus profonde que le ciel.
Elles se faisaient un peu oublier, quand elles fanaient. On regrettait un peu le bleu qu'elles avaient mis à terre, mais finalement, on le retrouvait dans les cieux.
Je suis un peu comme ces fleurs. Mais on ne se souvient pas de moi lorsqu'on lève les yeux vers le ciel.
Je ne peux pas trop en vouloir à l'auteur de ma situation de m'oublier lorsque lui aussi lève les yeux vers le ciel. Je pense qu'il a bien d'autres personnes à qui penser, là-haut.
Et puis, après tout, qui ne s'était pas entiché de Kakashi Hatake ?
« Pathétique » est le mot qui me vient à l'esprit lorsque je me fixe dans le miroir de la salle de bain, alors que je viens de boucher l'évier d'une nouvelle vague de fleurs et que je crache une dernière pétale restée collée sur ma langue. Mon reflet est pâle, ma peau est terne, mes yeux cernés.
Comme si l'attention de Kakashi pouvait arranger tout ça. Comme s'il y avait quelque chose chez moi qui pourrait lui donner envie de le faire.
Ce ne sera plus long, maintenant.
Quand j'ai réalisé que c'était un problème de retrouver des pétales de fleur dans mon thé du matin, j'ai paniqué un peu. J'étais tentée d'aller faire un tour à l'hôpital pour demander à un médecin compétent de me dire ce qui se passait, mais ma petite appréhension face aux blouses blanches – j'en avais assez vu comme ça, dans ma carrière de kunoichi – m'a convaincue d'aller me renseigner par moi-même. Je n'allais pas déranger le personnel de l'hôpital qui avait déjà bien à faire avec les ninjas qui rentraient à moitié morts de leurs missions, alors que moi, il ne s'agissait que de minuscules pétales de fleur qui semblaient remonter de ma trachée. Rien de très grave.
Je suis allée à la bibliothèque, et j'ai lu tout ce que j'ai pu trouver sur cette drôle de maladie.
Puis j'ai compris que je vivais en sursis.
Je peux les sentir, chaque jour plus encore, les racines qui s'enfoncent profondément dans mes poumons. Elles poussent, ne laissent plus de place à l'air. Elles envahissent ma poitrine comme elles envahissaient mon jardin, quand j'étais petite.
Lorsqu'elles se seront frayé un chemin jusqu'à mon cœur, la lutte pour respirer prendra fin. Ce n'est plus qu'une question de temps.
Mes sentiments non partagés envers Kakashi allaient me tuer. Littéralement. Et je ne pouvais rien y faire.
Ça dure depuis longtemps, je crois. Gaï semble toujours avoir eu la motivation de se lever uniquement pour défier son éternel rival, et puisque le dégénéré à la combinaison verte moulante est mon meilleur ami de longue date, j'aurai, d'une façon ou d'une autre, croisé la route du Ninja Copieur.
Les coups d'œil entendus qu'on a tout d'abord commencé à s'échanger lorsque notre ami aux sourcils fournis s'emballait dans ses moments d'hystéries. Puis les conversations qu'on a engagées timidement, quand Gai ne nous coupait pas dans nos élans d'une puissante tape dans le dos. Puis se croiser de façon hasardeuse dans la rue, et nous parler, comme si nous avions commencé à devenir amis.
Ça fait des années, maintenant. On s'entend bien. Mais on n'est rien de plus que deux collègues avec Gai Maito comme trait d'union.
Et fantasmer sur ce collègue masqué a commencé à faire pousser des fleurs qui s'enracinent à l'intérieur de ma poitrine.
C'est n'importe quoi.
Il y a quelques semaines, j'ai fini par aller voir notre Hokage, en voyant mon visage émacié un énième matin dans le miroir. J'ai réalisé que ça commençait peut-être à devenir grave, de devoir refuser de plus en plus de mission parce que je passais mon temps à m'étrangler après avoir fait deux pas. Ce n'est pas très discret, pour une kunoichi d'élite.
Tsunade a levé un drôle de sourcil en me voyant entrer.
Je n'ai pas eu besoin de m'expliquer. Les fleurs bleues que je venais de cracher dans ma paume en avaient dit assez.
Il y avait une solution, d'après elle. C'était rare, mais quelques livres de médecine ancienne mentionnaient une opération qui avait quelques chances de fonctionner, à une condition.
Que je me tienne prête à ne plus rien ressentir de toute ma vie.
Arracher ces racines du cœur de force, c'est arracher ce pourquoi on les a laissées pousser. C'est s'amputer de ce qui nous rend humains, sensibles et émotifs.
Au moins, je pourrais devenir une bonne machine à tuer au service du village, je m'étais dit avec ironie.
Tsunade m'a annoncé qu'il y avait un délai pour effectuer l'opération avant que les racines ne soient trop profondes, avant qu'il soit trop tard. Pour choisir si je préférais devenir une coquille vide ou mourir.
Et ce délai, c'est demain.
*
J'ai l'impression d'être déjà morte à chaque fois que j'ouvre les yeux.
Je regarde le plafond quelques secondes avant qu'une nouvelle crise ne se déclare. Je vomis tout dans un coin du lit, où la bassine remplie de bile et de fleurs m'attend toujours. Je tire une dernière tige de ma bouche, les larmes au coin des yeux. Ça gratte, ça brûle, ça écorche tout à l'intérieur de moi. Les premières fois, je m'amusais à me rendre compte à quel point les tiges étaient douces alors qu'elles me donnaient l'impression d'être criblées d'épines quand elles passaient.
Maintenant, ça ne me fait plus rire du tout.
J'entends toquer à la porte, et je soupire. Je balance ma carcasse à l'extérieur du lit, je cache les preuves. Je me dis qu'il faudrait peut-être que j'essaie de camoufler un minimum les dégâts sur mon visage, mais je renonce lorsque je reconnais l'ébullition de chakra qui se trouve devant ma porte.
J'ouvre, et Gaï m'éblouit de son sourire avant de me regarder avec des yeux ronds.
- Oulah. Ça va toujours pas mieux, toi ?
Je secoue la tête et sourit faiblement.
- Coriace, ta grippe. T'as une tête encore plus affreuse qu'il y a une semaine.
Je n'ai pas eu le courage de lui dire la vérité. Bizarrement, je vois Gai comme un grand enfant qui a besoin d'être préservé.
Il me tapote doucement l'épaule, et quand je sens une quinte de toux venir, je fuis à l'intérieur en essayant de lui faire comprendre qu'il peut entrer.
- Tu m'inquiètes un peu, tu sais.
Gai a un ton grave, et je n'aime pas trop quand il est comme ça. Lorsqu'il devient sérieux, il remarque tout.
Je cache les petits pétales bleus en serrant le poing et me tourne vers lui.
- Ça va. J'ai juste encore la gorge un peu prise.
Mon ami émet un grognement un peu suspicieux en me regardant de haut en bas. Je n'aime vraiment pas ça.
- Tu veux un thé ? Qu'est ce qui t'amène ? je tente de faire diversion.
- Ah tiens, bonne idée ! il répond en arborant à nouveau son fameux sourire éclatant.
Il s'échoue lourdement sur une de mes vieilles chaises avec la grâce d'une panthère obèse, comme il le fait toujours.
- Tu sais quel jour on est ?
Je lève un sourcil qui se veut interrogateur tandis que j'essaie de calmer l'immonde démangeaison qui monte dans ma gorge une nouvelle fois.
- Allez, fais un effort.
Je capitule et finis par m'étouffer au-dessus de l'évier de ma cuisine. Gai se lève et semble vouloir s'approcher pour tapoter mon dos, mais je tends une main en arrière en signe de contestation.
- Ça va, je finis par souffler en me pressant d'allumer le robinet et de faire partir les petites fleurs dans le siphon. Donc, il y a quoi aujourd'hui ? Tu as enfin réalisé que tu commençais à vieillir ?
Gai lâche un de ses rires gutturaux et ça me fait sourire.
- Tu sais très bien que les années n'égrènent pas notre solide jeunesse ! lance-t-il avec son assurance légendaire. Non, ce n'est pas pour ça que je viens.
- Quoi, alors ?
- C'est l'anniversaire de Kakashi.
- Ah.
La simple évocation de son nom fait courir un long frisson le long de mon dos. D'adoration, de dégoût. A ce stade, j'aimerais que cet homme n'ait jamais existé.
- Et ? je lâche avec une nonchalance surfaite.
- Eh bien, je lui prépare une petite fête. Je veux lui faire une surprise en rassemblant tout le monde ce soir. J'espérais que tu serais assez en forme pour te joindre à nous.
Pourquoi diable est ce que je voudrais fêter la naissance de celui qui, sans le vouloir, me traine à la tombe ?
- Kakashi déteste les fêtes, est la seule chose qui parvient à sortir de ma bouche à la place des fleurs.
- Justement ! Mais une année de plus dans notre belle jeunesse, ça se fête et c'est pas négociable !
Ce n'est surtout pas un âge pour crever, et c'est pire lorsqu'on est une putain de ninja et qu'on dépérit à cause de satanés fleurs !
- Hum.
Je verse l'eau chaude dans une tasse sans tourner la tête vers Gai qui, je le sens, est en train de me scruter de ses deux grands yeux adorateurs.
- Tu viendras, hein ?
- Je sais pas. Faudra voir comment je me sens, tout à l'heure.
Mon ami se lève brutalement en renversant sa chaise au passage. J'ai failli verser de l'eau brûlante sur ses pieds.
- Super ! A ce soir, alors !
Et il disparait comme une furie, avant que je ne sursaute en entendant la porte de mon appartement qui claque violemment.
Je soupire profondément, et alors que je tente d'inspirer une grande bouffée d'air, une vague de fleurs et de feuilles passent la barrière de ma bouche et se précipitent sur mon plancher.
Je me retrouve quelques secondes plus tard assise par terre, la respiration sifflante, du bleu partout autour de moi.
Bon sang, il faut que ça s'arrête.
*
Qu'est-ce que je fais ici, au juste ?
C'est un soir de septembre où il fait prématurément froid. Je claque un peu des dents et ma gorge me fait mal, et pour une fois l'air me fait croire que ce ne sont pas les fleurs mais le vent glacial qui me fait mal à la gorge.
Je serre le petit paquet que je tiens contre ma poitrine en me maudissant intérieurement. Je ne devrais pas être là. Je ne devrais pas me rendre à une fête stupide organisé par mon ami stupide, en l'honneur de l'homme stupide qui me conduit doucement vers ma fin imminente.
Je me suis torturée toute la journée. Une petite partie de moi me criait de rester à la maison, de réfléchir au chemin que je choisirai demain. Une autre, plus grande encore, me suppliait d'aller voir une dernière fois celui qui avait planté ces graines dans mon cœur. Parce d'une façon ou d'une autre, tout serait terminé demain, mon choix était fait ; je préfère ressentir une dernière fois cette douce souffrance avant de ne plus rien ressentir du tout.
Être à l'air libre me donne une sensation étrange. Depuis que les myosotis ont commencé à pousser, je me sens comme un être dégénéré, une erreur de la nature qui ne devrait pas se montrer. Cracher des fleurs bleues à la figure des habitants de Konoha me terrifie, leur montrer qu'elles me tuent rendent ma place en tant que kunoichi illégitime. Je ne veux pas montrer mon corps faible, vomissant des grandes tiges et des feuilles douces, je ne veux pas laisser une telle image derrière moi.
Un ninja sait que la mort peut arriver prématurément, et c'est une idée que mes années de service ont ancrée profondément en moi ; néanmoins, j'aurais préféré mourir d'un kunai en plein cœur plutôt que de putains de fleurs.
Et me voilà. Devant cette porte. J'entends un énorme raffut derrière, qui témoigne de la folie des grandeurs de mon ami à la combinaison verte. Je me doute que le Ninja Copieur n'a pas dû apprécier.
Ma dernière soirée.
J'essaie de calmer un relent qui me monte furieusement à la gorge ; les crises sont si fréquentes et violentes que je me demande comment je vais pouvoir cacher ça à tout ce beau monde. De toute façon, j'ai établi un plan très simple et concis : foncer à l'intérieur pour trouver Kakashi, lui donner son cadeau, faire comprendre à Gai que je suis passée, puis fuir. Peut-être, en passant, parler une dernière fois aux gens qui me sont sympathiques, puisque la notion d'amitié n'aura plus aucun sens demain. Si j'ai le temps.
J'entre prudemment. La fête bat son plein, la maison du Ninja Copieur est bondée de visages familiers et inconnus, la musique est forte et la pagaille à son apogée.
Certains me saluent dans le brouhaha, et je leur fais un signe en retour sans m'attarder. Je sens ma gorge me gratter dangereusement et je fends la foule comme je le peux à la recherche d'une certaine tignasse argentée qui viendrait sortir du lot. Mon cœur bat déjà la chamade à l'idée de voir sa paupière se plisser à mon arrivée, d'entendre sa voix grave qui semble vibrer du plus profond de sa poitrine. Cela a beau me faire mal à en crever, j'aime sentir ces frissons me traverser, mon cœur basculer lorsqu'il me regarde, lorsqu'il me parle.
C'est avec ironie que je me dis que ça m'aide à me faire sentir vivante.
Et je réalise que mon bourreau est introuvable. Ça devient urgent de le trouver ; je retiens un relent brûlant au fond de ma gorge alors que je me trouve dans une pièce noire de monde, où il fait trop chaud, trop humide.
J'erre ainsi quelques minutes au milieu de la foule, et je finis par sentir que je ne vais plus pouvoir retenir les pétales au bord de mes lèvres. Un haut-le-cœur me saisit et je me précipite vers la sortie en bousculant violemment ceux qui se trouvent au milieu de mon chemin, et je manque à plusieurs reprises de capituler et de vomir dans leur verre à bière.
Puis je pense à ma dignité, à l'image que je laisse alors que je disparais demain, et je lutte pour me retenir. J'entrevois la porte par laquelle je suis entrée il y a quelques minutes, et après avoir percuté un grand homme aux cheveux gris sans le vouloir, je parviens à retourner à l'air libre.
C'est en manquant de m'étouffer en vomissant et toussant à la fois dans le parterre de fleurs qui borde la maison que je réalise que c'est Kakashi Hatake que je viens juste de bousculer.
Et que je sens son chakra pétiller juste derrière moi.
Oh mon Dieu.
Je m'essuie la bouche en vitesse et jette un coup d'œil à mes pieds ; les pétales qui viennent de sortir de ma poitrine sont imperceptibles au milieu de l'herbe haute et des fleurs qui se démarquent du vert sombre dans la nuit.
Je souffle un bon coup et me tourne mécaniquement.
Sa simple présence me brûle. Je sens les bourgeons frétiller à l'intérieur de ma poitrine dans un sursaut à l'instant où il entre dans mon champ de vision.
Et mon cœur perd pied lorsque son œil unique se pose sur moi.
Je le vois me détailler de haut en bas. Passer en revue ma silhouette chétive et rongée par la maladie, mon teint cireux et mes joues creusées, mes yeux cernés de violet et légèrement voilés.
Kakashi sort doucement les mains de ses poches tandis qu'il me contemple dans la faible lueur que laisse apparaitre les fenêtres de la façade juste à côté de nous, et j'aime penser qu'il n'aime pas prendre ma présence avec nonchalance.
- Tu n'as vraiment pas l'air bien.
Mon cœur sursaute et la chair de poule nait instantanément sur ma peau.
Dieu, cette voix, cet effet que sa profondeur me fait.
- J... J'ai attrapé froid, je bégaie en serrant les bras autour de ma poitrine dans un vague espoir de faire cesser le carnage des fleurs qui éclosent en boucle dans ma cage thoracique.
Il me fixe avec une lueur de suspicion dans son regard.
- Tu n'es pas à l'intérieur ?
- Toi non plus ?
Il rit, et cette musique qui sort du plus profond de sa poitrine me fait tourner la tête.
- Je déteste les fêtes. Encore plus lorsqu'elles sont en mon honneur.
- Je sais.
Je me sens gênée que son œil noir ne se détache pas de ma personne pendant le temps infini qu'impose le silence entre nous. Je me sens m'empourprer, et ma poitrine se secouer.
- Tu n'aurais pas dû venir, surtout si tu es si mal en point.
Il me dit cela sur un léger ton de réprimande. Ça me fait sourire doucement.
- Je voulais te donner ça.
Dieu merci, je n'ai pas vomi des fleurs sur le petit paquet que j'ai laissé tomber avant de me baisser pour tout rendre il y a cinq minutes.
Je tends le cadeau à l'homme devant moi et je le vois grimacer sous son masque.
- Par pitié, pas ça, il geint et je réprime avec toute la force qu'il me reste une quinte de toux qui me secoue en même temps que mon gloussement.
- Tu vas aimer, je t'assure.
Il finit par prendre le paquet entre ses mains gantées et ses doigts frôlent les miens. Un tremblement sillonne tout mon corps et je sens des pétales s'agiter dans mes bronches.
- J... Joyeux anniversaire, Kakashi.
Il soupire bruyamment et ses yeux se plissent dans cette manière qu'il a de sourire de façon invisible et qui me tue littéralement de l'intérieur.
Je l'observe passer ses longs doigts sur le papier cadeau, pensif, avant de retirer doucement le ruban qui le maintient joliment emballé. Une fois le papier déchiré, Kakashi rougit imperceptiblement en contemplant le livre à la couverture orangée au creux de ses mains.
- C'est... C'est une blague ?
Je secoue la tête avec un petit sourire, heureuse de l'effet que mon présent peut avoir sur le légendaire Ninja Copieur.
L'édition limitée d'Icha Icha Paradise avec de nouvelles pages inédites et illustrées semble avoir son petit effet.
- Où est ce que tu as trouvé ça ? Il n'est pas encore paru dans les librairies...
- Ca aide d'avoir le grand Jiraya dans la poche, je ris doucement en faisant taire la pression des feuilles qui montent dans ma gorge.
Ce qui aide surtout, c'est la dépravation du légendaire Sannin qui n'a pas su refuser une requête furtive de la part d'un individu issu de la gent féminine.
Je me délecte de voir l'adoration dans l'œil de l'homme aux cheveux argentés qui se met à rapidement feuilleter quelques pages du livre interdit.
- Hum... Merci, finit-il par articuler en le rangeant soigneusement dans sa poche lorsqu'il se rend compte que le moment n'est peut-être pas approprié pour s'adonner à ce genre de lectures.
Même si le Ninja Copieur n'a normalement aucun scrupule pour lire ça devant le village entier.
J'acquiesce en souriant, mais je grimace lorsqu'un haut le cœur s'empare de mon être.
Bon sang, c'est pas le moment !
Je tousse violemment dans mon poing, et je tente de ravaler les pétales qui s'entassent contre mon palais avec fureur.
Jamais, au grand jamais il ne faut que Kakashi ne voie ça.
Les larmes aux yeux, je sens une grande main se poser contre mes omoplates et frotter doucement le haut de mon dos. Peut-être que c'est le choc de sentir sa chaleur même à travers son gant et ma veste, mais ma toux s'interrompt instantanément, ne laissant place qu'à une petite respiration sifflante et une gorge sèche.
- Il faudrait peut-être rentrer au chaud. Ce serait bête que ton état empire simplement parce que je n'aime pas cet amas de présence humaine.
Je ne parviens pas à répondre alors que sa main est restée logée au creux de mon dos. La tête me tourne un peu, à cause des fleurs, à cause de sa présence bien trop proche pour le bien de ma santé mentale, et je me contente de le suivre docilement à l'intérieur de sa propre demeure bien trop habitée.
L'air est irrespirable à l'intérieur. Kakashi empoigne doucement mon bras – oh mon Dieu – et m'aide à slalomer entre tout ce beau monde, ignorant celles et ceux qui l'appellent de leurs voix pâteuses et enjouées. Il m'amène dans la cuisine, congédie les quelques personnes qui étaient en train de dévaliser ses réserves d'alcool et s'empare de la bouteille de saké restée sur le comptoir.
- Un verre ? propose-t-il en secouant la bouteille sous mon nez.
J'hoche la tête timidement.
Et dire que je devais vite m'échapper de cette maudite soirée.
J'attrape précautionneusement le verre que Kakashi me tend et l'amène à mes lèvres. L'alcool qui glisse dans ma gorge brûle ses parois écorchées par les fleurs qui me rongent depuis des mois, et pourtant je continue à siroter mon verre en cachant mes grimaces de douleur comme je le peux. Si je me retrouve coincée ici en présence de l'homme qui a fait pousser ces fleurs qui me tuent, autant essayer de passer du bon temps.
Je jette un coup d'œil à Kakashi qui balaie du regard son salon dévasté et noir de monde d'un air dépité.
- Et dire que je lui avais dit de ne pas en faire trop...
- C'est de Gai dont on parle, je glousse maladroitement dans une toux qui mélange hilarité et étouffement de pétales que je sens remonter doucement dans ma gorge.
- C'est lui qui t'a obligé à venir ?
Il me scrute avec inquiétude alors que je lutte pour ne pas vomir à ses pieds. Cet homme met toujours le doigt là où il ne faut pas, et moi je fais de mon mieux pour cacher l'évidence de mon état miteux.
- Ouais, mais j'en avais envie aussi.
J'ai surtout envie de me gifler.
Et pour toute réponse, Kakashi m'envoie un de ses sourires invisibles qui plisse joliment ses yeux, et je me sens perdre pied. Dire que je tuerai pour être toujours à l'origine de ses sourires est un euphémisme, et dire que c'est surtout eux qui me tuent est le comble de l'ironie.
- Ça me fait plaisir que tu sois là, marmonne alors le Ninja Copieur d'une voix basse.
Et c'est trop pour moi.
Les fleurs réagissent instantanément en me déchirant l'intérieur de la poitrine. Je crache le saké que j'avais dans la bouche en hoquetant douloureusement, en tentant de repousser la crise de toutes mes forces.
Mais je n'y arrive pas.
Non, non, non !
Les larmes aux yeux, je me précipite devant l'évier en manquant laisser passer les petits bourgeons bleus qui s'agglutinent derrière mes lèvres, sous le regard alarmé de Kakashi qui me suit de bien trop près.
Le brouhaha ambiant cache le bruit gras de ma toux, mais à ce stade, je me ficherais bien que tout le monde m'entende, si seulement ce n'était pas Kakashi qui était en train de me transpercer de son œil noir bien trop intelligent, bien trop perçant, capable de voir les petits éclats bleus que je dissimule maladroitement entre mes doigts.
- Tu es sûre que ça va ? je sens la tension dans sa voix, alors qu'il lève une main compatissante vers moi mais qui semble hésiter à se poser sur mon corps tremblant.
J'essaie de le convaincre de ne pas s'approcher avec de grands gestes de la main, sans pour autant oser le regarder, la tête penchée sur l'évier.
C'est de loin la crise la plus violente que je n'ai jamais eue. Mes deux seules mains ne parviennent pas à retenir le flot de fleurs et de feuilles qui me sortent de la bouche, et je n'ai plus d'air. Mon cœur panique, mes yeux se brouillent, et je me dis alors que Tsunade s'est probablement trompée, que c'est maintenant que je vais mourir.
Mourir à cause de ses fleurs, devant celui qui les a plantées.
Je ne voulais pas que ça se passe comme ça.
Je finis par ouvrir la bouche pour trouver de l'air alors que je m'étouffe littéralement, et un minuscule pétale bleu s'échappe.
Il volète lentement, et je le vois tomber au ralenti, avant de se poser lentement sur l'acrylique blanche de l'évier. Il est presque hors du temps, ce moment, alors que je sens ma couverture malade s'effondrer en même temps que cette putain de fleur.
Parce que je sais que Kakashi a vu.
Il est instantanément plus proche de moi qu'il ne l'a jamais été, sans plus aucune hésitation dans son attitude. Il repousse mes cheveux de mon front d'un geste si doux que je sens mon cœur réagir non plus de panique, mais d'adoration.
Je suis finie, putain.
- Crache les, ne les retiens pas.
L'assurance de son conseil me surprend presque plus que l'écho de sa voix grave tout près de mon oreille. J'obéis, puisque de toute façon je ne peux plus rien faire pour camoufler la réalité de mon état à ses yeux, et je laisse alors passer un flot de fleurs bleues légèrement tachées de sang, des tiges douces plus longues qu'elles n'ont jamais été qui me déchirent les poumons et la gorge au passage.
Le tout sous les yeux de Kakashi Hatake, le légendaire shinobi pour lequel mon âme s'est si profondément inclinée, sans aucun espoir de réciprocité.
Je me demande si une honte si cuisante ne me tuerait pas à la place de ces fleurs, alors que ce dernier réalise sûrement que je ne suis qu'une pauvre kunoichi mourante et médiocre, à me laisser succomber pour quelque chose d'aussi ridicule qu'un amour à sens unique.
Mais Kakashi se contente de retenir mes cheveux en arrière, de déclamer des encouragements que je n'entends pas sous le bruit des mes propres crachats, avant de poser à nouveau sa grande main sur le haut de mon dos.
J'hoquète, et je sens la brûlure ardente dans tout le haut de mon corps s'apaiser de ce contact, un léger substitut à ce pourquoi ma vie fane lentement. Je suis stupéfaite de sentir les racines à l'intérieur de moi réagir de façon si consciente à la présence de Kakashi, comme si elles avaient vraiment vu le jour de sa main.
L'orage passe doucement, tandis que je crache quelques derniers pétales, que je tente de calmer mes tremblements incontrôlés, les battements de mon cœur à l'agonie et l'écoulement de mes larmes frustrées. Je respire fort au-dessus de l'évier, sous le regard brûlant de Kakashi que je n'ose pas regarder, et qui continue de me faire violemment frissonner en faisant passer doucement une mèche de mes cheveux derrière mon oreille.
- Regarde-moi.
L'injonction de sa voix est douce et pourtant ferme, qui ressemble à un ordre déguisé. Je n'en ai aucune envie et pourtant je lève les yeux, puisqu'il ne sert plus à rien de lui cacher quoi que ce soit.
Je ne vois d'abord qu'un flou argenté à travers ma vision brouillée et larmoyante, et c'est après avoir cligné frénétiquement des yeux pour effacer ce voile que je remarque à quel point le regard de Kakashi est sérieux, à quel point sa mâchoire semble serrée même sous son masque.
- Elles sont pour qui ?
- Q... Quoi ? je m'entends couiner d'une voix rauque.
- Les fleurs. Elles sont pour qui ?
Oh Dieu, s'il savait.
L'envie de répondre « Pour toi » me secoue si fort que je commence déjà à ouvrir la bouche pour prononcer ces deux mots insurmontables.
Puis je me retiens, en me rappelant que de toute façon je vais mourir, que je n'ai pas à lui mettre ça sur le dos alors que je vais déjà sur ma fin imminente.
Kakashi n'a pas besoin de ça.
- Ca n'a pas vraiment d'importance, je finis par balbutier en baissant les yeux.
L'homme aux cheveux argentés fronce des sourcils. Je ne saurais dire pourquoi, mais il semble pris d'une colère soucieuse alors qu'il m'observe de son œil noir si perçant, de haut en bas.
- Tu es consciente que c'est en train de te tuer ?
Et je me mets à rire. Une espèce de gloussement étouffé qui se termine dans une toux rêche et une pluie fine de pétales bleus, mais que je ne peux m'empêcher de tout faire sortir. Cette situation est tellement bête, tellement improbable, et qu'il me dise une chose pareille sans savoir me rend dingue.
Il me regarde me tordre d'un air médusé, et je pense rêver en voyant une réelle affliction dans sa prunelle sombre.
- Je risquais tôt ou tard de mourir en mission, je finis par lancer après m'être calmée. Ça ne fait pas grande diff...
J'hoquète de surprise lorsqu'il me prend subitement par les épaules et se penche pour me regarder de près. Mon souffle quitte mes lèvres alors qu'il plante son œil sombre profondément dans mon regard, avec une sorte de nécessité qui lui semble viscérale.
- Tu n'as pas le droit de dire ça. Tu dois te battre, et ses mots sonnent à nouveau comme un ordre, une intonation familière à l'incroyable chef d'unité qu'il est. Bats-toi, bon sang, tu dois te battre.
Et là, je sens la colère monter. Elle est infiniment triste, scandalisée par l'injustice de cette putain de situation, de la fatalité qui me court à près et que je ne peux pas arrêter.
Je me débats et repousse violemment ses grandes mains de moi que mon corps convoite pourtant tellement.
- Comme si je pouvais faire ça ! Comme si c'était facile, Kakashi, comme s'il suffisait que je me batte pour une cause perdue ! je ne peux m'empêcher de crier, les larmes aux yeux.
- Eh, tout va bien, ici ?
La tête d'un Gai particulièrement éméché dépasse de l'encadrement de la porte. Ses grands yeux sombres font des allers-retours entre Kakashi et moi, sur notre proximité, sur la rougeur de tristesse et de colère qui tapisse mes joues et qui se fait submerger par mes larmes, sur la main que Kakashi tend vers moi. Malgré son état d'ébriété, notre ami semble réaliser qu'il interrompt quelque chose.
- Oh, je vais vous laisser. Joyeux anniversaire encore, cher rival !
Et il disparait. Avec tout ça, j'avais presque oublié qu'il y avait un bataillon de présences humaines tout autour de nous.
Le souffle court et le cœur battant, je vois à peine la main de Kakashi attraper mon bras, et sa poigne est infléchissable.
- Viens, on va autre part.
Et même si ma conscience sait que c'est une mauvaise idée de continuer cette conversation stérile avec mon propre bourreau, mon âme saigne rien qu'à l'idée de le perdre de mon champ de vision.
- Pour... Pourquoi, Kakashi ?
Je ne peux plus retenir la détresse dans ma voix, alors que je ne vois que son bras qui me tire dehors, et que je cherche une explication au comportement sec du Ninja Copieur.
- Parce que si ce sont les derniers instants que je passe avec toi, je ne veux pas que ce soit au milieu de gens qui boivent en mon honneur, et pas le tien.
J'ouvre la bouche de surprise mais l'air glacial de l'extérieur me coupe le souffle et je toussote alors qu'il m'entraîne dans les rues endormies de Konoha de sa poigne aussi douce qu'implacable.
Nous nous retrouvons devant un muret, près des portes du village et de la forêt, qui me parait chaleureux dans ce froid silence de septembre. Kakashi semble lire dans mes pensées, puisqu'il finit par s'arrêter et me lâcher, avant de lourdement s'asseoir sur la pierre froide.
Il se retourne et tapote la place à côté de lui.
- Viens là.
La vision de lui, qui m'invite à m'asseoir à ses côtés sous un clair de Lune qui fait éclater l'argent de ses cheveux me paraît presque irréel. Le fait que je sois en train de dépérir à petit feu mis à part, je dirai que c'est là un rêve qui se réalise pour moi, une belle scène sortie du plus profond de mes songes les plus fous.
Avec ma démarche maladive, je m'installe timidement à côté de lui. Il a son nez levé vers le ciel nébuleux et dégagé, qui doit sa froideur chaleureuse aux étoiles qu'on voit briller si haut. Je laisse durant quelques secondes mon regard dériver sur ses traits masqués, son œil noir qui reflète la lueur du lampadaire à quelques mètres de là et ses cheveux argentés qui lui tombent légèrement sur le front en épis désordonnés. Mon cœur sursaute à lorsque je mesure le degré de son charme impénétrable, alors que son visage au trois quart couvert n'a jamais empêché mes sentiments de s'intensifier pour lui. J'imagine que beaucoup doivent trouver chez Kakashi Hatake un joli attrait pur leurs yeux, et je me sens bête d'avoir succombé à mon tour. Je ne le connais même pas très bien.
Alors que j'ai longtemps cru à un béguin sans importance, les fleurs ont montré quelque chose de plus intense, de plus viscéral. Je n'ai jamais vu d'inconvénient à être oubliée du monde entier.
Mais être oubliée de lui m'est insupportable, et voilà que les années à batailler en vain pour marquer sa mémoire touchent à leur fin.
Kakashi finit par baisser le regard sur moi et ça me coupe le souffle.
- Désolée d'avoir gâché ton anniversaire, je finis par marmonner en peinant à soutenir l'intensité de son œil sombre.
Il se contente de rire un peu, et ce son grave et mélodieux sorti tout droit de sa poitrine me donne la chair de poule.
- Tu ne l'as pas gâché. C'est juste que...
Il soupire lourdement, comme s'il cherchait ses mots.
- Je ne savais pas que tu étais malade. J'aurais dû le voir.
Je secoue la tête en souriant doucement.
- Je ne me suis pas vraiment montrée, ces derniers temps. Et tu as d'autres choses à faire, je suppose.
- J'étais censé ne plus laisser mourir les gens qui m'entourent.
Je lui lance un regard hébété. Kakashi a les sourcils froncés, ses doigts grattent péniblement la pierre, et je sens les échos d'un chagrin ancien résonner dans sa voix.
- Kakashi...
- Ca dure depuis combien de temps ?
Je déglutis sous son regard sérieux.
- Quelques mois, maintenant, je balbutie. Mais je crois que ça dure depuis bien plus longtemps, finalement.
Il hausse un sourcil interrogateur, mais ne relève pas. Je vois son poing se serrer encore.
Le silence s'installe, égayé par le bruit du vent qui danse doucement avec les arbres. Je frissonne un peu de froid, je retiens la toux qui me gratte la gorge, et je ne sais plus si mon cœur bat parce qu'il est heureux de ce bonheur factice d'être en présence de cet être si désiré ou s'il panique du chemin que prendra cette conversation, en sachant qu'il s'agit probablement de la dernière.
Une question se forme néanmoins dans mon esprit et ma bouche la formule après de longues secondes d'hésitation, ayant décidé que je n'avais de toute façon plus rien à craindre ni à perdre.
- Tu... Tu connais ma maladie, alors.
Je grimace à ma formulation maladroite. J'entends Kakashi soupirer, une fois de plus.
- Tu es en train de mourir d'amour, dit-il d'une intonation qui se veut égale et je crois me tromper en entendant sa voix flancher légèrement. Ces fleurs sont pour quelqu'un qui ne répond manifestement pas à ton affection, et ça te ronge de l'intérieur, jusqu'à t'empêcher de respirer. C'est... la pire maladie du cœur.
Je toussote comme pour confirmer ses dires alors que les fleurs me chatouillent la gorge. Kakashi m'envoie un regard consterné et cela fait diversion à ma surprise de le savoir si renseigné sur ce mal d'amour qui me consume.
- Comment tu en sais autant ?
- J'ai vu une femme mourir de ça il y a quelques années en mission. Elle avait l'air résignée, et l'idiot dont elle était amoureuse n'a jamais vu que ses chrysanthèmes étaient pour lui. J'ai trouvé ça... beau, d'une certaine manière, cette façon de mourir. Et injuste.
Je me mords la lèvre inférieure, et mon cœur se serre. J'ai envie de rire en pensant que dans cette histoire, c'est lui, l'idiot qui ne voit rien.
Puis je me rappelle qu'il n'a aucune raison de m'aimer, moi.
- Moi, je trouve ça pathétique, j'articule difficilement, en sentant les larmes me monter aux yeux.
- Il n'y a rien de pathétique à aimer quelqu'un, dit-il doucement, et je vis un petit sourire dans son œil unique. Ce qui est pathétique, c'est que...
Kakashi s'arrête et secoue la tête. J'ouvre la bouche pour lui demander de poursuivre, mais il dévie avant que je ne puisse trouver les bons mots.
- Et... Elles veulent dire quoi, tes fleurs ?
Je souris doucement.
- Ce sont des myosotis. Ce sont des fleurs très envahissantes, si tu en as une ou deux dans ton jardin, deux ou trois ans après, toute ta pelouse sera bleue...
Kakashi m'observe fixement tandis que je parle, et ça fait trembler ma voix.
- « Ne m'oubliez pas ». C'est ce qu'elles signifient.
Il cligne des yeux.
- Tu te sens oubliée ?
- Je l'ai toujours été.
- Je ne t'oublie pas, moi.
Je m'étouffe à ces mots, et quelques larmes coulent sur mes joues. Kakashi suit leur chemin sinueux de son œil sombre et toute ma poitrine se comprime de détresse.
- S'il te plait, Kakashi... Ne dis pas des choses comme ça.
- Je veux profiter du fait que tu sois encore vivante pour te dire ce que je veux.
Ça ne fait qu'accentuer le flot de gouttes salées qui tombent de mes yeux. Je serre les dents, j'encaisse des mots incroyables que lui-même ne semble pas en mesurer la portée.
Il ne sait rien, putain.
- Tu t'es résignée à mourir aussi, alors ? demande-t-il de la plus petite voix que j'ai pu entendre de lui, la plus douce aussi.
Et je crois que cette soirée m'a aidée à prendre la décision.
Demain, je dirai à Tsunade que je refuse l'opération.
- Je n'ai pas le choix, je crois.
- On a toujours le choix.
- Mais qu'est ce que tu en sais, Kakashi ?
Je me mets à franchement sangloter, et la honte n'est pas aussi douloureuse que la stupidité de cette situation. De ces quelques mots que je pourrais lui adresser et qui le feraient enfin comprendre, et de cette peur viscérale du rejet évident qui me tend les bras, et qui ne ferait que rendre ma fin plus stupide et misérable encore.
Kakashi tend une main vers mon visage, mais je le repousse en me reculant.
C'est douloureux. Beaucoup, beaucoup trop douloureux.
Plus encore lorsque je vois son regard se durcir d'un sentiment que je ne comprends pas.
Et la douleur dans mon cœur me fait cracher des fleurs, que je vomis sans plus aucun filtre derrière le muret, et cette fois je vois clairement le sang qui se mêle à la bile que je rends sur l'herbe éclairée par la Lune. Kakashi s'approche encore, et mes gestes frénétiques ne suffisent plus à le tenir éloigné. Il passe une nouvelle fois sa main dans mes cheveux, une autre dans mon dos, mais ce n'est pas assez pour dompter la crise qui prend de longues et douloureuses minutes à se calmer. Je crois que les fleurs commencent à comprendre qu'il ne s'agit là que d'un mirage qui ne trompe plus.
Je relève finalement la tête et m'essuie la bouche en essayant de contrôler ma respiration sifflante. Je ne supporte pas le regard que Kakashi a sur moi, et je fais tout pour l'éviter.
- Tu sais, je respecte ta décision de te laisser mourir, je l'entends murmurer à travers le sifflement dans mes oreilles. Je ne ferai rien pour t'en empêcher, si c'est ce que tu veux. Mais j'ai envie de faire quelque chose avant qu'il ne soit trop tard.
Sa main n'a pas quitté le creux de mon dos, et je tressaille lorsque je la sens se déplacer vers ma taille. Je m'essuie les yeux avant de lui jeter un regard hébété.
- Quoi donc ? je demande dans ce qui ressemble à un grognement.
- Ferme les yeux.
J'hausse un sourcil interrogateur, mais Kakashi se contente de plisser les yeux en un sourire invisible qui fait fredonner mon cœur.
Et puisque je n'ai rien d'autre à faire que de me laisser aller à la curiosité, je m'exécute.
Quelques longues secondes passent, alors que je me sens bête de rester debout ainsi sans savoir ce que mon collègue trafique, où j'ai tout le loisir de réfléchir à ce qu'il souhaite faire pour honorer ce dernier moment passé ensemble avant que la vie ne me quitte, par sa faute, parce que je n'ai pas la force de lui dire, parce que je ne veux pas partir sur une défaite certaine.
A ce dernier souvenir que je vais lui laisser, de moi, maladroitement debout dans mon propre vomi de fleurs, les yeux fermés sous le clair de Lune qui révèle mes traits mourants.
Pathétique.
Et puis, mes sens alertes dans la propre obscurité de mes paupières détectent la chaleur qui se dégage de lui tout près de moi. Je sursaute lorsque le bout de ses doigts se déposent doucement sur mon épaule, avant de monter le long de mon cou et de contourner ma mâchoire. J'ouvre la bouche et laisse sortir un petit bruit de surprise et une respiration déjà hachée par ce contact saugrenu.
Des milliers de questions explosent dans ma tête, mais je ne sais en exprimer aucune. Estomaquée, je me contente de me délecter de la trace que laissent ses doigts sur la peau de mon visage creusé. Le cœur battant, j'attends de comprendre où est ce qu'il veut en venir, avide, désorientée, triste et désespérée. Je sens les fleurs éclore dans ma poitrine dans un pétillement douloureux, et comme si Kakashi pouvait le voir, sa grande main se pose doucement juste à la base de mon cou.
Il doit les sentir s'agiter juste sous sa main, bouleversées par sa présence, entravant ma trachée dans l'incertitude que son être tout entier représente. Elles sont le fruit de ça, de son mystère, d'un espoir vain que j'ai entretenu pendant si longtemps, et s'il pouvait sentir qu'elles étaient pour lui, Kakashi comprendrait alors pourquoi ma chair est en train de tressauter sous ses doigts.
Et puis, je sens son propre souffle contre ma joue, et mon cœur s'arrête.
Sa main remonte pour encadrer le côté de mon visage, et son nez frôle le mien. J'ai conscience que son corps est si près, et lorsque son sa respiration percute mes propres lèvres, je manque de tomber à la renverse.
- Kakashi, qu'est-ce que tu...
Les lèvres douces et chaudes qui se pressent alors doucement sur les miennes m'empêchent de terminer ma phrase.
Je gémis de surprise, et manque d'ouvrir grand les yeux. Le souffle coupé, je ne sais plus que faire du désordre infernal dans ma tête et de ce cœur qui s'emballe si fort qu'il risque de s'extirper de ma poitrine fleurie.
Kakashi garde longtemps sa bouche découverte simplement posée contre la mienne, sans bouger, et pour moi, c'est comme si le temps s'était arrêté. Ce moment me semble si irréel, si placide et serein dans le silence de la nuit que j'ai l'impression que si j'avais le malheur de bouger d'un iota, tout s'effondrerait sous mes pieds.
Lorsque que Kakashi se met à bouger un peu, je suis prise de panique en même temps que les bourgeons qui secouent ma poitrine. Et puis je le sens embrasser doucement chaque parcelle de mes lèvres entrouvertes, jusqu'à arriver au coin de ma bouche, puis de recommencer. Il fait cela avec une telle révérence que j'en tremble, avant qu'il ne me prenne par la taille pour me maintenir debout.
Figée, je le laisse entrer dans ma bouche, et j'ai honte du petit gémissement que je lâche lorsque sa langue entre en contact avec la mienne. Quelques pétales trainent encore contre mon palais, et je me dis qu'il doit certainement trouver ça particulièrement répugnant.
Et pourtant, il continue de m'embrasser avec de plus en plus d'ardeur, sans se soucier des fleurs qui trainent sur ma langue. Je perds mon souffle contre son visage, je ne sais pas où poser mes mains, alors je me contente de m'accrocher aux manches de son chandail comme s'il était ma bouée de sauvetage au milieu d'un naufrage.
Cela fait si longtemps que quelqu'un ne m'a pas embrassée comme ça.
Et surtout, cela fait si longtemps que je rêve que ce soit Kakashi Hatake.
Je m'abandonne contre son visage et me dire que c'est bien lui qui est en train de m'embrasser comme ça me procure un sentiment innommable. Je sais que je suis sûrement en train de rêver, et même si l'obscurité de mes yeux fermés m'aident à me complaire dans cette sensation, je crève d'envie d'ouvrir les paupières pour inscrire cette image merveilleuse dans le plus profond de ma mémoire, pour qu'elle dépasse la fatalité vers laquelle je me dirige lentement.
Je sens Kakashi se reculer légèrement et je tente de ne pas céder à mon désir brûlant de m'accrocher à ses lèvres encore plus longtemps.
Je n'en ai pas le droit, de toute façon.
Je sens son front se poser contre le mien, et sans que ses mains ne quittent leur prise sur mon corps frissonnant, il expire profondément contre ma joue.
- Je sais que... commence-t-il d'une voix chevrotante, débordante d'émotions qui me fait un effet incroyable.
Il expire à nouveau, et je n'ose pas esquisser le moindre geste. Le cœur battant, attentive, les fleurs figées dans ma poitrine un peu comme à mon image, j'attends que la profondeur de sa voix se décide à s'élever à nouveau dans les airs pour me donner des justifications que je ne veux pas entendre.
- Je sais que je ne suis pas l'homme pour lequel sont ces fleurs... Je m'en veux d'être si égoïste, mais je voulais que tu le saches avant que tu partes.
Là, j'ouvre grand les yeux.
Et il est magnifique.
C'est la première fois que je vois son visage découvert, et le clair de Lune fait briller la pâleur de sa peau si longtemps dissimulée.
Estomaquée, je le regarde m'offrir un sourire triste que je ne vois pas seulement dans ses yeux mais aussi sur les lèvres gonflées qui viennent de m'embrasser.
Qui viennent de me sauver la vie.
J'aurais tant de choses à dire mais ma voix reste bloquée au fond de ma gorge écorchée, et je le vois vaguement secouer la tête tandis qu'une forme d'embarras prend possession de son visage entier.
- Je suis désolé. Je ne devrais pas faire ça alors que tu vas...
Mes jambes bougent avant même que je ne le réalise. Je me jette sur lui, et mes lèvres l'empêchent de formuler ce qui n'est plus.
Le baiser est profond et humide, parce que des larmes s'écoulent librement de mes yeux. Mais je m'en fiche, parce qu'il m'enferme dans ses bras, et me répond avec ferveur après avoir lâché un grognement de surprise qui s'écoule dans ma bouche puis dans mon corps tout entier.
Les fleurs pétillent, et c'est la première fois que je ne sens aucune once de douleur.
Elle a disparu aussi vite qu'elle est arrivée.
A bout de souffle, après un moment infini, je me résigne à le laisser respirer. Je pose ma joue contre la sienne, je sens sa respiration chaude contre mon oreille, ses mains dans le creux de ma taille.
- Pourquoi tu...
- Elles sont pour toi, Kakashi.
Je lève la tête, et j'encadre son beau visage de mes mains. Il a la bouche entrouverte par la surprise, et me regarde avec une incrédulité qui me fait doucement rire d'affection.
- Les fleurs. Elles sont pour toi. Elles ont toujours été pour toi.
Une lueur s'allume dans son œil noir, et je me délecte de voir son visage s'échauffer, de voir le coin de ses lèvres s'élever.
Et avant qu'il ne puisse répondre quoi que ce soit, je fonds à nouveau sur lui.
Sous le joli clair de Lune, tandis que je sentais les fleurs doucement faner dans ma poitrine, nous nous sommes embrassés toute la nuit.
*
- Joyeux anniversaire, Kakashi.
Le Ninja Copieur lève doucement les yeux de l'exemplaire usé d'Icha icha qu'il tient entre ses doigts, et hausse un sourcil à la vision du paquet emballé que je lui tends.
- On avait dit pas de cadeau, il ronchonne en fermant néanmoins son livre pour le déposer plus loin avant de me regarder avec intérêt.
C'est une vision incroyable, de le voir ainsi trainer entre les murs de mon salon, à s'adonner à ses habitudes comme s'il faisait partie de cet ensemble depuis toujours. Je ne parviens pas à cesser de trouver ça toujours plus merveilleux malgré le temps qui passe, et je suis de toute façon heureuse que cette fascination ne passe jamais.
Kakashi prend mon paquet entre ses mains mais à ma grande surprise, il ne l'ouvre pas et le pose simplement sur la table basse. Je l'observe alors se lever et se diriger vers moi avant de me prendre dans ses bras, où il me serre fort.
- Et... C'est en quel honneur ? je ris contre sa poitrine sans être moins émue par la profondeur de ses gestes qui signifient généralement bien plus que ses mots.
Il dépose un petit baiser sur mon front, avant de me regarder dans les yeux.
- Parce que c'est aussi notre anniversaire à nous.
Je souris en réponse, parce qu'il a raison.
Les fleurs ont fané depuis un an, et j'en suis même arrivée à un point où je me demande pourquoi Dieu elles ont été amenées à pousser.
- Je n'arrive pas à croire que tu ais failli mourir à cause de moi. C'aurait été stupide, il murmure dans mes cheveux alors que la pression de ses mains sur mes hanches se fait plus possessive.
- Je suis stupide, de ne jamais avoir eu le courage de te le dire, je raille contre moi-même avec une certaine amertume.
- On est stupides, tout simplement.
Je ris contre son épaule, et j'essaie de lui communiquer la véracité des émotions qui me submergent alors par l'intensité de l'étreinte que je lui rends.
- Tu ne m'as jamais dit, pourquoi des myosotis.
Il me frotte le dos, et la chaleur de sa paume me fait soupirer.
- Parce que je croyais que je n'arriverais jamais à marquer ta mémoire, je finis par articuler péniblement, en cherchant mes mots. Je veux dire, je croyais que tu ne me voyais pas. Je suis pas grand-chose, je suis...
- Toi, complète-t-il de sa voix vibrante qui fait fredonner mon cœur.
Kakashi se recule un peu, me regarde, caresse ma joue de son pouce d'un geste tendre.
- Si tu savais comme tu habitais mes pensées, tu n'aurais jamais laissé ces fleurs pousser.
Je rougis, légèrement honteuse du point de non-retour auquel je m'étais laissée allée à une époque pas si lointaine mais qui me donne l'impression d'appartenir à un autre temps.
- Une fois pour toutes, je vais te le dire.
Kakashi m'embrasse doucement, entrelace ses doigts aux miens, avant que ses yeux ne se plissent et qu'il m'offre un sourire que moi seule a l'honneur d'admirer.
- Je t'aime, et je ne t'oublierai jamais.
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Bijour.
Je viens de vous servir ma spécialité: une bonne grosse guimauve coulante. Franchement, je crois que je n'ai jamais rien écrit d'aussi culcul de toute ma vie.
Mais j'aime bien. J'espère que vous avez apprécié aussi.
J'avais commencé à écrire cette histoire à la base pour l'anniversaire de notre Jônin aux cheveux argentés préféré, en septembre, mais je l'avais complétement oublié. Je l'ai retrouvé il y a peu dans mes vieux brouillons et voilà que je le sors six mois plus tard. Gomen.
La thématique de cet OS est assez étrange, je vous l'accorde. Mais je suis passionnée depuis peu par cette maladie bizarre qui fait cracher des fleurs, Hanahaki, que j'ai vu dans beaucoup de fanfictions. J'avais envie d'en écrire une à ma façon.
Plein de bisous pour vos petits cœurs fleuris.
Emweirdoy
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