Chapitre IX
Empire de Hanâ, au nord de la Capitale
Autour de Loë et Xi, seuls persistaient les claquements des sabots de leurs chevaux, les grincements de la cotte de mailles de la jeune femme, et le vent d'automne sifflant dans leurs oreilles. Ils avaient passé la Capitale il y avait quelques heures de cela : désormais les encadraient deux murs d'arbres frivoles, et en face d'eux sinuait un chemin de terre battue, creusé par des carrioles de marchands.
Parfois, derrière les buissons et les feuilles vertes, ils apercevaient des cottages ou des bosquets. Et, bien plus loin, la première forêt qu'ils allaient traverser.
Loë baillait, derrière Xi. Il avait râlé la première nuit qu'ils avaient passée à la belle étoile, soupiré d'aise en passant chez lui, et grognait de nouveau, car ils n'allaient pas dénicher de toit avant un moment.
Tu as fait deux ans d'école martiale..., pensait, de son côté, Xi.
— Xi, geignit-il d'ailleurs. Tu veux pas faire un détour vers la mer ?
— Non. Tu as gardé le secret de notre destination, auprès de tes amis ?
— Oui. Aller visiter l'alchimiste de la forêt, alors ?
— Non, articula-t-elle.
Elle l'entendit bougonner, derrière, mais peu importait pour elle. Il avait accepté de la suivre : alors, il allait suivre.
— Tu sais, on pourrait aller jusqu'à l'Empire de Sekkya, songea-t-il ensuite. Là-haut, il y a des plantes qui survivent au froid, car il y fait froid, donc on aura certes froid...
— Il me semble avoir déjà tracé notre route.
— Tu n'en tireras rien, de toute façon.
Elle se retint de lui balancer sa gourde à la figure. Il lui avait assurée qu'il allait l'accompagner. S'il ne tenait pas parole, tant pis : il allait aller dans son foutu Empire de Sekkya. Se retrouver plus tard n'était jamais exclu. Et s'il devient trop chiant, je le jette dans un fossé, décida-t-elle, bien que peu convaincue par cette option.
Elle ne saisissait pas pourquoi il reniait ainsi l'existence des Diables. Les cartes le criaient : il y avait un massif montagneux entier, au nord-est de leur Continent, qui restait inexploré pour des raisons loufoques. Pas le temps, trop dangereux, pas l'argent, aucun intérêt. Aucun humain n'y avait jamais établi la moindre base, et elle n'en avait tiré que de médiocres esquisses dépourvues de tout sentier ou de tout repère.
Elle avait pourtant cherché, encore et encore, durant ses permissions à l'école martiale. Mais même la bibliothèque de la Capitale ne lui avait délivrée que de maigres informations sur ces montagnes obscures.
Si ces éléments seuls étaient suspicieux, ils avaient pour de bon éveillé l'attention de Xi lorsque ce territoire avait été mentionné dans l'une des vieilles, très vieilles archives sur les Diables. « Bien au Nord, bien à l'Ouest. » Plus explicite, cela n'existait pas.
Derrière, Loë poussa un énième soupir, étouffé par le pas de leurs montures et le doux chant du vent. Une boule se formait dans la gorge de Xi : elle se concentra sur les bruits alentours. Un mauvais pressentiment nécrosa petit à petit son estomac. Elle n'avait rien à craindre : personne ne savait qu'elle allait voir le Diable, à part Loë. Et encore, lui n'y croyait pas. Alors, pourquoi être à crans ?
Est-ce que je le mets en danger ? Le gazouillis d'un oiseau la fit frissonner ; elle manqua de tirer son sabre lorsqu'un pauvre papillon fila sous son nez. D'un coup, le monde entier semblait sur le point de leur bondir dessus, et sa main n'avait de cesse de se contracter sur la poignée de son arme.
Je devrais peut-être y aller seule. Si Loë y passe aussi, je ne me le pardonnerai jamais...
Et à cet instant précis, un vif galop s'éleva derrière. Elle recula avec panique ; mais, au loin, dans leur tunnel ombragé de verdure, aucune calèche n'allait démolir son ami. Seul un grand cheval, monté par une petite silhouette, qu'elle aurait pu la reconnaître à mille kilomètres.
C'était Phoe qui fonçait sur eux.
Xi arrêta son cheval dans l'instant. Sa bouche béa sous une stupeur sans précédent. Phoe ? Ici ? Ses yeux virés sur elle ? Elle semblait courir droit pour Xi. Peut-être celle-ci se trompait-elle, peut-être son ancienne camarade était-elle simplement pressée. Néanmoins, si Phoe se hâtait vers autre chose, pourquoi fixer Xi de la sorte ?
On aurait dit qu'elle courait pour sa vie.
— Xi, pourquoi tu souris comme ça ? s'inquiéta Loë. Y avait un truc pas frais, au déjeuner ?
— Non. Je dois la remercier ! débita-t-elle.
Elle se retourna pour de bon, et trotta avec vivacité jusqu'à Phoe. La dernière fois, je l'ai jetée comme une vieille chaussette ! Je ne peux pas laisser ça comme ça. Si je dois lui dire au-revoir, autant que ça soit propre !
— Phoe ! s'écria-t-elle.
Mais la verdure étouffa sa voix : sa respiration se bloqua, son esprit se glaça, elle relâcha petit à petit ses rênes. Devant elle explosèrent une allée bondée, un « Liz » s'y noyant avec cruauté, et son amie d'enfance au visage explosé.
Cependant, deux yeux noirs la tirèrent brutalement de son cauchemar. Phoe n'était pas Liz, se souvint-elle avec labeur. Autour d'elles, il n'y avait que des arbres. Et si la moindre carriole tentait d'écraser Phoe, Xi allait la détruire avant qu'elle ne la frôle.
On dérapa enfin devant elle en haletant ; elle s'approcha de Phoe, sans un regard pour ses traits tordus sous l'effort, et lui attrapa la main.
— Merci, trancha-t-elle.
Quelques feuilles se coincèrent dans le carré noir de l'intéressée. Elle ne bougea pas, peut-être car c'était à son tour d'être prise de court. Sa paume, elle ne la reprit pas ; les mots qu'elle avait voulu former moururent sur ses lèvres. Elle s'immobilisait, purement et simplement.
Xi ne comprenait pas pourquoi. Avait-elle encore dit quelque chose de travers ? Si c'était le cas, elle ne savait plus parler qu'à Loë. Mais Phoe m'a supportée pendant sept mois. Ses doigts serrèrent un peu plus ceux, fins et froids, de son ancienne amie.
Cette dernière se réveilla alors. Ses doigts, elle les récupéra dans la seconde... pour mieux attraper les épaules de l'autre.
— Ne t'en va pas, débita-t-elle.
— Pourquoi ? Je ne vais pas mourir.
— Reste à la Capitale, martela-t-elle.
Xi cligna de l'œil avec confusion.
— J'ai le droit de voyager, hésita-t-elle. Tu ne peux pas m'en empêcher.
— Si. Alors, ne pars pas.
— C'est pour ça que tu m'as courue après ? Et comment tu savais que j'allais au nord de l'Empire ? Loë, t'as lâché des infos ?! gronda-t-elle.
Seuls des hoquets lui répondirent. Elle lui fit donc face, pour le voir à terre, les yeux fixés sur la prairie d'à côté. Puis, une flèche se planta juste à côté de lui : il roula sur le côté et se cacha désespérément derrière sa monture.
— Des... des gens ! s'affola-t-il. Des brigands !
Ces brigands, Xi les remarqua aussitôt : ils sautaient dans les herbes hautes comme des lièvres, leurs arbalètes rivées sur le jeune homme. Son sang ne fit qu'un tour dans ses veines. Elle dégaina son sabre, plaqua ses talons contre les flancs de son cheval, et fila droit sur eux.
Pas encore, pas devant ses yeux. Pas une mort de plus.
Son animal bondit au-dessus du fossé, pour atterrir abruptement dans les champs : le soleil aveugla brièvement Xi. Elle distingua six silhouettes, lesquelles se tournèrent dans sa direction... puis regardèrent derrière encore. Si la jeune femme fonçait déjà, une ombre passa en un éclair à sa gauche : Phoe serpenta entre deux voleurs. Trois coups d'épée, et ils s'écroulèrent par terre dans un râle.
Puis, un dard effleura l'oreille de sa consœur.
Il passa au ralenti. Elle vit tout de sa pointe rouillée et de son bois sec ; elle en savoura même le sifflement, avant qu'il ne la rate d'un centimètre. On lui avait tirée dessus. Ce « on », elle le repéra sans mal : une bonne femme avec un arc, habillée de pauvres habits de lin. Mais ce qui la stupéfia fut son regard vide. Tous agissaient comme des pantins, réalisa Xi – et ils en était d'autant plus dangereux.
Alors que Phoe abattait un troisième opposant, elle se jeta avec rage sur le trio restant, sabre en avant. Trois mètres avalés plus tard, il fendit vivement l'air ; des gouttes pourpre suivirent à la trace. Sous les sabots de sa monture, des os craquèrent, et on hurla à s'en déchirer les poumons.
Alors, elle perça une dernière épaule : la personne au bout, elle la souleva du bout de sa lame, et la balança au loin dans un grondement. On s'écroula à terre, on se tordit un instant, et, enfin, on se releva. Mais cette fois-ci, on courut dans la direction opposée.
Deux autres suivirent à la trace : un peu plus, et Xi aurait cru qu'ils fuyaient la Mort même. Toutefois, elle ne s'y attarda pas bien longtemps. Elle tira sur la bride de son cheval, et déboula de nouveau dans le sentier : ses prunelles cherchèrent Loë avec frénésie, et le trouvèrent sans mal. Il se cachait piètrement derrière son sac.
Même sa monture était moins peureux que lui, à se contenter de piaffer avec nervosité.
L'alchimiste leva un doigt tremblant vers la position des agresseurs.
— C'était qui ? trémula-t-il. C'était quoi, ça ?!
Une profonde irritation remplaça le soulagement de son amie.
— Remonte sur ton cheval, et casse-toi ! cracha-t-elle.
Il obtempéra aussitôt. À eux de fuir, assaillis par l'air sifflant dans leurs oreilles et le puissant souffle de leurs destriers et le chahut de leur galop. Autour d'eux, les arbres défilèrent à pleine vitesse, enfiévrés par ce guet-apens des plus aléatoires. Les bouts de ciel qu'ils dévoilaient s'effaçaient aussi vite qu'ils apparaissaient : l'adrénaline compressait leur monde entier, à eux trois.
Eux trois.
Nous trois.
Xi jeta une œillade en arrière : Phoe suivait, plus lugubre que jamais. Elle s'étouffa avec sa salive. Qu'est-ce qu'elle fout là, encore ?! Plus les secondes passaient, plus les alentours s'assombrissaient : ils pénétrèrent bientôt la forêt. Là Loë ralentit-il en premier. Son amie l'imita, et la nouvelle venue ne broncha pas.
Il passa une main secouée de soubresauts sur son front transpirant. Plus pâle que lui, cela n'existait pas. Les pensées de Xi, elles, s'ordonnèrent petit à petit : elle réalisa que son ami avait frôlé la mort, mais s'en était sorti vivant.
Et elle réalisa aussi que quelque chose se débattait, sous le bras gauche de Phoe. Ses furieux frous-frous et autres caquètements fous éclatèrent le peu de calme s'étant installé autour d'eux. Lorsqu'elle reconnut la bête que son ancienne camarade avait chopée, elle resta interdite. Loë réagit à sa place : son ton était tant hébété qu'abrupt.
— Tu te fous de moi ? laissa-t-il tomber. Tu viens de péter des bras et des jambes, et tu rameutes un canard pour le dîner ?!
— Je voulais en attraper deux, murmura-t-elle.
— C'est pas la question ! Xi, on y va. Loin d'elle !
— Non, coupa l'apostrophée. Elle vient de te sauver la vie, montre un peu de gratitude. Phoe, pourquoi des...
« Canards. » Non, le terme n'était pas approprié. La chose qu'elle enserrait sous son biceps avait certes deux pattes et un bec orangés, mais ses yeux noirs étaient exorbités, et ses plumes qui se gonflaient sous la colère semblaient avoir été taillées dans l'or. Le cheval de Xi plaqua ses oreilles en arrière, soudain agité : il tenta de reculer face à cette créature, mais la jeune femme le talonna avec fermeté.
— Phoe.
Celle-ci évita brièvement son regard.
— Oui ?
— Qu'est-ce que c'est ?
Une brève toux plus tard, elle sortit une cordelette de l'une des poches de son pantalon, et ficela le bec de l'animal.
— Un Canard Spirituel.
Lourd silence.
Xi avait dû mal entendre. Et pourtant, elle ne demanda pas à son ancienne amie de répéter ce nom. Entre elles deux s'instaura un malaise palpable : il n'y eut que ce canard pour gronder encore, plus furieux que jamais.
Son destrier tenta de nouveau de fuir, mais une main retint fermement l'une de ses rênes. Loë s'était avancé, et plantait désormais ses yeux dans ceux de Phoe. Elle ne lui jeta qu'un bref coup d'œil, avant de se concentrer de nouveau sur Xi.
— Tu pourrais nous éclairer ? insista toutefois l'alchimiste.
— Vous ne savez pas ce qu'est un Canard Spirituel ?
— C'est dangereux ? Oui, avec un nom pareil, ça ne peut être que dangereux. Xi, on s'en va, c'est une malade.
— Je ne veux pas qu'elle s'en aille, protesta l'intéressée. Lorsque j'ai revu Phoe, j'étais en colère. Mais maintenant, je suis heureuse.
Il béa à s'en décrocher la mâchoire ; l'autre combattante manqua d'en lâcher sa créature. Xi ne comprit pas pourquoi ils la dévisagèrent de la sorte, noyés dans un profond choc. Est-ce que j'ai été malpolie ?
— Il y a un problème ? jeta-t-elle. J'aime la compagnie de Phoe, et je veux qu'elle reste avec nous, tant qu'elle ne me demande pas toutes les secondes de revenir à la Capitale.
Néanmoins, on ne lui répondit toujours pas. Pire : les paupières de Loë s'écarquillaient d'autant plus, et les joues de Phoe rougissaient petit à petit. Elle la fixait avec des yeux ronds, les lèvres pincées. Les mots de la jeune femme semblaient la paralyser.
Y avait-il un quelconque malentendu ? Elle eut beau fouiller, aucun problème ne lui vint en tête. Mais d'un autre côté, discuter avec d'autres personnes de Loë sentait toujours le pipi de chat. Alors, sa seule solution fut de se tourner vers Loë même.
— Je ne sais pas comment te dire ça, moi, balança-t-elle. Quand Phoe est là, le monde semble plus clair...
— J'ai compris ! l'arrêta-t-il. J'ai compris. Mais, Xi, il faut déjà comprendre comment elle a su qu'on partait de la Capitale, comment elle nous a trouvés, et pourquoi elle veut que tu restes. Phoe, tu pourrais t'expliquer ?
— Je vous ai entendus.
Elle balaya les environs d'une brève œillade.
— L'idée même d'aller voir le Diable est dangereux. Xi, n'y va pas.
— C'est juste ça ? s'étonna l'intéressée.
— Non, ce n'est pas juste ça.
— Tu as fait des recherches dessus ? Tu veux encore me couper devant ?
Une légère peine perça les prunelles de Phoe. Elle secoua la tête de droite à gauche.
— Je veux t'aider.
— Suis-nous, alors. Tu vas voir, ça va être si drôle ! railla-t-elle.
— Ce n'est pas une blague ! protesta son ancienne camarade.
Un sérieux tombal tomba sur la face de Xi.
— Je ne blague pas non plus.
Sur ce, elle se força à faire volte-face : son cheval s'éloigna gaiement du Canard Spirituel. Mais un galop la rattrapa l'instant d'après, et Phoe dérapa devant elle, les dents serrées.
Son destrier bloquait la route ; les versants escarpés les encadrant leur coupaient toute avancée. La voir plus décidée encore que lors des finales perturbait sa camarade au plus haut point.
— Je suis désolée, souffla-t-on. D'avoir perdu, contre toi.
— On est arrivées à égalité, la corrigea son interlocutrice.
— Cela compte comme une défaite. Cependant, si tu dois aller voir le Diable, tu devras toujours me passer sur le corps avant.
— Tu proposes ça devant un canard ?! s'étouffa-t-elle.
Jamais n'aurait-elle imaginé que Phoe pouvait sortir une phrase aussi indécente – et de nulle-part, dans une telle situation ! Lui « passer sur le corps » ? Lui proposer avec tant de franchise de coucher avec elle, face à un animal manifestement spirituel ? Ses joues chauffaient sous l'embarras.
— Xi, elle veut dire par là que tu devras la battre, soupira Loë avec exaspération.
— Ce n'est pas ce qu'elle vient de me proposer, siffla-t-elle.
— C'est une expression.
Oh. En effet, cela avait bien plus de sens : elle toussota donc.
— D'accord, je te passerai dessus, gronda-t-elle.
— C'est encore plus ambigu ! s'agaça son ami. Pousse-toi, je m'en charge !
— Mais je veux lui parler !
— Je me fous de ce que tu veux. Phoe nous a espionnés, et tente maintenant de se mettre sur ton chemin : tu vas la laisser faire ?
— Non, et c'est pour ça qu'elle devrait venir. Déjà, je veux la voir ; ensuite, elle pourrait plutôt essayer de me convaincre, au lieu de me confronter.
Cela profitait bien plus à Xi que des chamailleries incessantes. Elle n'allait pas abandonner sa quête pour Liz : alors, que Phoe les suive en tentant de la « raisonner » l'arrangeait. Elle allait profiter de sa compagnie, et lui prouver qu'elle n'allait pas lâcher le morceau.
À la fin, lorsqu'elle aura battu le Diable, peut-être allait-elle même l'inviter, et lui présenter Liz.
Phoe ouvrit la bouche bien des fois, en vain. Elle finit par poser ses pupilles sur son Canard Spirituel, les lèvres pincées. Son expression passait de ferme à résignée – au final, elle céda d'un acquiescement.
Un sourire sincère s'étala sur les lèvres de Xi. Elle ignora Loë, qui tentait encore de causer, et reprit leur chemin.
— Dans ce cas, c'est parti !
Un petit silence saupoudra les cinq minutes suivantes. Il s'épaissit ensuite, seulement brisé par les caquets incessants du Canard Spirituel, qui se débattait avec toujours plus de colère.
— Phoe, grincha Loë. C'est quoi, donc, un... Canard Spirituel ?
Son ton criait son irritation, mais il avait visiblement abdiqué pour laisser la jeune femme les suivre. Pensait-il toujours qu'elle avait renversé Liz ? Jamais ne détachait-il ses yeux d'elle, et sa méfiance semblait à son paroxysme.
— Ces canards servent à parler par télépathie, expliqua Phoe. Lorsque deux personnes en tiennent un chacune, elles peuvent communiquer si elles sont consentantes.
— Laisse-moi deviner : tu voulais en donner un à Xi pour que vous vous coordonniez en me défendant ?
Elle hocha la tête : il se pinça l'arête du nez, les dents serrées.
— Ça aurait signé mon arrêt de mort. Avec une seule main libre, vous ne vous en seriez jamais sorties ! C'est déjà un miracle que vous les ayez chassés.
Il prit une inspiration saccadée.
— Cette flèche a failli me trouer le front..., souffla-t-il d'une voix rauque. La prochaine fois, Phoe, n'essaie pas d'utiliser les Canards Spirituels. Toi et Xi avez peut-être gagné un tournoi renommé au travers des Empires, mais vous n'êtes pas invincibles.
— Ce n'était que des voleurs, commenta son amie.
— Il a raison, posa pourtant Phoe. On ne sait jamais à quel point nos ennemis sont puissants.
Elle braqua ses pupilles sur Xi : celle-ci soutint son regard. Première tentative de dissuasion ? Personne ne pourrait être plus terrible que le Diable. Je ne suis pas non plus assez tarée pour tenter l'impossible. Le Diable, je sais que je peux le vaincre.
Mieux : elle se l'était promis, et en aucun cas ne pouvait-elle se détourner de sa dévotion pour Liz.
Alors, elle balaya le sujet sans plus de commentaires. Loë rapprocha son cheval d'elle, mais continua de poser des questions à Phoe quant à cette race de canards. Ils n'étaient pas très complexes, expliquait-elle ; leurs capacités se résumaient à permettre une connexion spirituelle entre deux individus. Elle mentionna qu'ils vivaient sept ans, sept mois et sept jours – ce qui était diablement long, pour un canard.
Elle avait beau répéter qu'ils étaient simples, Xi les trouva fascinants. J'aurais pu discuter en toute intimité avec Phoe, songea-t-elle.
— D'ailleurs, intervint Loë, tu ne nous a toujours pas expliqués comment tu nous as « entendus. »
— Je réside à la Capitale. Je voulais aller voir Xi. Vous êtes sortis de ta maison au même instant. Je suis donc partie chercher un cheval, et vous ai suivis.
— C'est malsain, renifla-t-il.
— Je t'avais dit au-revoir, non ? s'étonna Xi.
Phoe se raidit aussitôt ; à partir de cet instant-là, elle évita son regard jusqu'au soir même. Xi eut beau tenter de lui parler, elle écourtait la moindre de ses phrase. Loë, quant à lui, passa leur trajet à marmonner dans sa barbe.
Elle crut entendre plusieurs fois « manque de tact », « pas un mot pour rattraper l'autre », « c'est désespérant. » Elle avait fait une erreur, devina-t-elle aisément, mais ne savait pas comment la réparer.
La dernière fois, lorsqu'elle avait voulu expliquer ce qu'elle ressentait en voyant Phoe, il l'avait interrompue : alors, elle ne s'étala pas après son « je t'avais dit au-revoir. » Cela allait créer plus de quiproquos encore.
Donc, elle se ramassa sur elle-même. Elle se maudit en silence ; elle maudit ses années de solitude ; et elle maudit le Diable aussi, pour l'avoir rendue aussi incompétente. Même leur feu de camp, pourtant bien calé dans une clairière entourée de hauts arbres, parut glacial.
Quand je prendrai sa place..., pensa-t-elle, l'esprit engourdi, alors qu'elle se réfugiait sous ses couvertures et que les ombres des arbres et des buissons l'envoûtaient. J'utiliserai un sort pour m'aider avec les mots...
Elle le savait, ce souhait était irréalisable. Mais elle avait toujours le droit de rêver, un peu, juste un peu, avant de refaire face à sa maladresse le lendemain et le surlendemain et plus loin encore.
En réalité, elle rêva avec tant de désespoir qu'elle n'entendit pas les murmures étrangers qui s'immiscèrent entre elle et ses deux compagnons.
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