𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟒 (corrigé)
La petite Mia ouvrit les yeux en sursaut, haletante. Les battements désordonnés dans sa poitrine résonnaient dans la pénombre de la chambre. Encore ce rêve, encore ce visage. Celui de sa mère.
Elle se redressa lentement dans un lit bien trop grand pour elle. Un lit aux draps frais, encadré d'une structure en bois massif blanc qui en imposait par sa présence. Le silence de la nuit, lourd et moelleux, semblait retenir son souffle autour d'elle.
La petite Mia posa avec précaution ses pieds nus sur le tapis moelleux qui recouvrait le sol. D'un pas hésitant, elle s'approcha du petit fauteuil d'enfant placé près de la baie vitrée — un geste d'attention, préparé pour elle, bien avant son arrivée. Elle le savait. Elle l'avait compris dès le premier soir : ses frères l'attendaient.
Le fauteuil l'accueillit dans un doux froissement de tissu. Dehors, la ville était endormie. Seuls quelques halos urbains découpaient les silhouettes floues des immeubles au loin. Les nuages, poussés par une brise légère, filaient lentement dans le ciel nocturne, comme des pensées insaisissables.
La fillette leva les yeux, scrutant la voûte céleste, à la recherche de l'éclat familier de « l'étoile de maman ». C'est ainsi qu'elle l'appelait, en secret, cette lumière qui brillait parfois plus fort que les autres. Une invention d'enfant, peut-être... mais une consolation véritable. Son esprit se mit à rejouer ses premiers instants dans cet appartement. L'arrivée, les regards, le silence chargé.
Personne ne lui avait encore parlé de son père. Et quant à ce frère absent dont le nom était resté suspendu en l'air, le mystère demeurait entier. Elle aurait pu poser des questions, bien sûr. Mais elle avait appris — bien trop tôt — que la curiosité pouvait ouvrir des portes qu'il valait mieux laisser fermées.
Trois jours, peut-être quatre, s'étaient écoulés depuis. Elle n'en n'était pas vraiment certaine. Le temps, ici, avait une consistance étrange. Mais peu à peu, Mia commençait à s'habituer à ce nouveau quotidien. Anthony travaillait le jour dans un bureau à l'autre bout de la ville. Matthew, lui, veillait de nuit à l'hôtel familial. Et Tommy — le plus jeune — partait chaque matin au lycée, sac sur le dos et écouteurs dans les oreilles. À tour de rôle, chacun prenait soin d'elle. Un relais maladroit, parfois, mais empreint de bonne volonté.
Avec Anthony, c'était plus simple. Son calme, sa voix grave et douce, ses gestes toujours sûrs... tout cela rassurait Mia. Elle n'avait pas peur de rester avec lui. Il savait s'y prendre. Tommy, c'était différent. Elle sentait sa nervosité, sa maladresse. Il n'insistait jamais. Et elle, de son côté, restait sur la réserve.
Mais Matthew... Matthew l'intimidait. Il parlait peu. Son regard semblait toujours ailleurs. Et il avait cette manière de soupirer, de s'éloigner même quand il était là. Mia croyait parfois qu'elle le dérangeait, qu'elle était un fardeau de plus sur ses épaules déjà pleines.
Et pourtant, elle ignorait tout de la douleur qu'il portait.
Un bruit discret brisa le silence : la porte s'ouvrit lentement.
— Sweetheart... why aren't you sleeping yet?
[Chérie... pourquoi est-ce que tu ne dors pas encore ?]
La voix d'Anthony, râpeuse de sommeil, s'éleva dans l'obscurité. Mia sursauta.
— J-j'ai rêvé de maman...
Il la regarda, longuement. Ses traits s'adoucirent. Il sentit son cœur se fendre. Encore un cauchemar. Encore cette peine trop lourde à porter dans un corps aussi petit.
Il s'approcha, s'agenouilla devant elle, les bras tendus dans une invitation silencieuse.
— Come here.
[Viens par ici.]
La petite se figea un instant, puis s'avança lentement vers lui et se blottit contre lui. Son torse nu dégageait une chaleur réconfortante, celle d'un grand corps protecteur. Elle ferma les yeux un instant, posant sa joue contre sa peau tiède.
— Tu veux dormir avec ton grand frère ? demanda Anthony en souriant doucement, faisant référence à lui-même.
La fillette baissa les yeux, puis se mit à trifouiller le bout de ses doigts. Un geste d'hésitation. Elle n'avait dormi qu'avec maman. Toujours maman.
Mais ce soir-là, elle ne voulait pas être seule.
Alors, elle acquiesça doucement, sans un mot.
— Alright. Come with me, angel.
[Très bien. Viens avec moi, mon ange.]
Il la souleva délicatement dans ses bras puissants, puis traversa le couloir plongé dans un silence nocturne. Sa chambre était sobre, élégante. Des lignes droites, un bureau bien rangé, des murs gris clair.
Il la posa délicatement dans son lit, puis se glissa à ses côtés. La petite se nicha contre lui sans un mot.
Et cette nuit-là, pour la première fois depuis longtemps, Mia s'endormit sans peur, bercée par une chaleur humaine, celle d'un frère qui l'aimait déjà plus qu'il ne saurait le dire.
Le lendemain, c'était au tour de Matthew de veiller sur elle.
Anthony refusait toujours l'idée d'engager une baby-sitter. Trop tôt. Trop risqué. Trop étranger.
Matthew, lui, n'était pas serein. Il se sentait maladroit, inutile. Cette gamine fragile, il avait peur de la briser rien qu'en la regardant trop fort. Et puis, elle ne disait rien. Ne riait pas. Ne demandait jamais à jouer. Il se contenta donc de lui tendre un tas de feuilles blanches, ainsi que quelques crayons de couleur.
— Here. Make me something beautiful.
[Tiens. Fais-moi quelque chose de beau.]
À sa grande surprise... elle s'y mit. Silencieuse, concentrée, presque absorbée. Quelque chose venait de s'allumer dans ses yeux.
Lui, s'affala sur le canapé, exténué. La nuit précédente au bar de l'hôtel avait été infernale. Il avait géré trois crises à lui seul, sans compter les clients désagréables et les serveurs absents. Alors, il ferma les yeux. Une seconde. Deux.
Mais un frisson l'alerta. Quelque chose. Il se redressa d'un coup, regarda la table basse... et resta figé.
Le dessin.
Le visage de leur mère. Dessiné par une main d'enfant. Les traits étaient simples, tremblants, mais l'intention était là. Il en eut le souffle coupé.
— Oh, sweetheart...
[Oh, ma chérie...]
Il sentit sa gorge se serrer. Cette enfant portait un chagrin bien trop grand pour son âge. Et lui... il se sentait désarmé.
Matthew connaissait ce vide, ce trou noir qu'on tente de remplir avec n'importe quoi. Le sien avait failli l'engloutir. Il s'était noyé dans l'alcool, le sexe, les pilules, les nuits blanches. Il avait tout ruiné. Ses études. Ses amitiés. Sa place dans la fratrie.
Anthony avait dû le forcer à sortir de ce gouffre, et il s'en était sorti. En partie. Mais certaines ombres restaient accrochées à lui.
Et Mia, sans le savoir, les voyait.
— Elle te manque, maman ?
Sa voix, douce et timide, le fit sursauter. Il releva la tête. Elle ne le regardait pas. Juste un hochement discret.
Il inspira.
— Tu sais... je l'ai connue pendant les seize premières années de ma vie.
Elle s'était arrêtée. Elle l'écoutait.
— Et tu lui ressembles. Beaucoup.
Elle leva les yeux vers lui, avec une lenteur presque solennelle.
— O-on a le même papa, toi et moi ?
Sa question surgit de nulle part, ce qui le surprit.
— Yeah. Anthony, Tommy, you and I... we all have the same dad.
[Oui. Anthony, Tommy, toi et moi... on a tous le même papa.]
Un instant de silence.
Puis là, une autre question tomba. Franche. Désarmante.
— Alors pourquoi tu ne m'aimes pas ?
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