♆𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟐♆

-"Tu vas observer cette bestiole longtemps ?"

Suguru sursauta, lâchant presque la petite pince qu'il tenait entre ses doigts gantés. Dans sa précipitation, il heurta la lampe de bureau, qui se balança dangereusement avant de se remettre en place, éclairant de nouveau la créature étrange enfermée dans un petit aquarium de verre renforcé.

Il se tourna en se frottant la tête, une petite bosse déjà visible sous ses cheveux noirs.

-"C'est une nouvelle race, Choso !" s'exclama Suguru avec enthousiasme, ignorant la douleur. "Arrête un peu de faire la gueule et intéresse-toi-y !"

Choso, l'air blasé, pencha légèrement la tête pour examiner l'animal. Il s'agissait d'un organisme aquatique noir, à mi-chemin entre une méduse et une anguille. Son corps allongé nageait doucement sous la lumière artificielle.

-"Cette chose n'avait pas cette taille-là il y a une semaine, remarqua Choso d'un ton sec, c'était bien plus petit."

Suguru pencha la tête sur le côté, réfléchissant à la remarque de Choso. Il devait admettre que son collègue n'avait pas tort.

-"Ce n'est rien." répondit-il en haussant légèrement les épaules, son ton trahissant néanmoins une pointe de nervosité qu'il tentait de cacher. "À mon avis, il nous vient des profondeurs ! Et comme les profondeurs sont dangereuses, il doit se développer rapidement pour survivre. Une adaptation évolutive, rien de plus."

Choso croisa les bras, ses sourcils se fronçant un peu plus.

-"Et ça ne te semble pas être une excellente raison de ne pas garder cette chose ici ? Une créature qui évolue vite, dans un environnement confiné, c'est une recette pour un désastre, Suguru."

Suguru esquissa un sourire amusé, bien que son regard restât rivé sur l'aquarium.

-"Tu dramatises. Tant qu'il reste ici, il n'y a aucun risque."

Mais, au fond de lui, il ne pouvait s'empêcher de s'interroger. La créature avait grandi bien plus vite qu'il ne l'avait prévu.

-"Regarde ça, Choso. Ce n'est pas juste une adaptation... Cette créature semble se nourrir de l'intégralité de son environnement pour grandir... C'est fascinant !" murmura Suguru.

Choso, peu impressionné, recula d'un pas.

-"Fascinant, oui, jusqu'à ce que ça explose ou que ça décide de nous attaquer."

À cet instant, un bruit sourd retentit dans la pièce. Les deux Omégas se figèrent, leurs corps tendus, leurs regards rivés sur l'origine du son.

C'était juste un garde.

Le grand homme, vêtu de l'uniforme standard du GMU, se tenait dans l'encadrement de la porte, les bras croisés, l'air à la fois agacé et fatigué. Une lampe torche pendait à sa ceinture, pendant légèrement au rythme de ses pas.

-"Allez, les Omégas, extinction des feux. Ce serait dommage que vos jolies mines se fatiguent trop..." lança-t-il avec un sourire narquois.

Suguru plissa les yeux, une moue agacée déformant ses traits.

-" On travaille, si ça ne te dérange pas."

Choso, lui, se contenta d'un soupir et d'un regard blasé, visiblement habitué à ce genre d'intervention.

-"Laisse tomber, Suguru. Ce n'est pas comme si discuter avec lui allait changer quoi que ce soit."

Le garde haussa un sourcil, visiblement amusé.

-"Oh, mais je discute toujours avec plaisir, moi. Mais les ordres sont les ordres. Alors soit vous éteignez ça maintenant, soit je le fais pour vous."

Suguru serra les dents, jetant un dernier regard à la créature dans l'aquarium. Celle-ci semblait presque normale.

-"Très bien, très bien." finit-il par céder, éteignant l'éclairage au-dessus du petit bassin avec une pointe de frustration. "Mais tu pourrais au moins essayer de respecter le travail des autres."

Le garde haussa les épaules avec indifférence.

-"Respecter quoi ? Une bestiole qui va probablement crever dans le labo ? T'inquiète, c'est pas comme si j'allais en pleurer."

Cette fois, ce fut Choso qui répliqua, son ton plus mordant qu'à l'accoutumée.

-"Au moins, nous, on fait quelque chose d'utile. Contrairement à certains qui passent leur temps à surveiller (ou mater le cul) des Omégas comme si on était des délinquants."

Le sourire du garde s'effaça légèrement, mais il n'insista pas.

-"Faites pas trop les malins, les gars. Juste éteignez tout et allez dormir. Le couvre-feu, c'est pas une invitation."

Sur ce, il tourna les talons et quitta la pièce, laissant les deux Omégas seuls dans l'obscurité. Suguru consulta sa montre, il était 20h. Une heure où les omégas devaient se coucher. Il soupira profondément, s'effondrant presque sur sa chaise.

-"Il commence vraiment à me taper sur les nerfs, celui-là."

Il eut à peine le temps de se morfondre que Choso le tira doucement par la manche.

-"Viens, on s'casse. Je veux pas qu'il revienne."

Suguru remarqua qu'il tremblait légèrement. Choso avait toujours été quelqu'un attaché au respect mais pour être aussi fragile il devait être proche d'un chamboulement émotionnel... Un chamboule- Oh. Suguru se figea et comprit rapidement la situation. Il se leva et ferma la porte du labo, afin d'accompagner Choso, qui allait d'un pas pressé vers la suite qu'il partageait avec son Alpha.

Suguru consulta rapidement le visage de son ami, à peine éclairé par les lueurs pâles des couloirs aquatiques. Ce-dernier paraissait tendu, son souffle un peu trop rapide pour qu'il s'agisse d'une simple nervosité. Suguru plissa les yeux, mais il ne dit rien, se contentant de marcher à ses côtés. Le silence pesait lourd entre eux, seulement perturbé par le bruit régulier de leurs pas sur le sol métallique du complexe sous-marin. La suite n'était pas bien loin, et pourtant, l'atmosphère devenait de plus en plus oppressante. Suguru pouvait presque sentir l'agitation intérieure de son ami, comme un nuage de phéromones qu'il essayait désespérément de contenir.

Lorsqu'ils atteignirent la porte, Choso s'arrêta net. Il resta figé un instant, la main sur le panneau tactile, les yeux rivés sur le sol. Suguru posa une main légère sur son épaule.

-"Hé... Ça va aller. Ton Alpha est là, non ?" murmura-t-il doucement, presque rassurant.

Choso hocha la tête, mais son corps semblait toujours tendu tel un i.

-"Oui... Oui, elle est là. Je..."

Il inspira profondément, ses doigts tremblants activant enfin l'ouverture de la porte.

La lumière tamisée de la suite s'échappa dans le couloir, révélant un espace bien plus confortable que le laboratoire où ils travaillaient. Suguru observa Choso entrer, mais son ami s'arrêta après quelques pas, tournant la tête vers lui.

-"Merci... d'être venu avec moi..." dit-il dans un souffle, ses yeux empreints de reconnaissance, mais aussi d'embarras.

Suguru hocha simplement la tête, lui offrant un petit sourire.

-"T'inquiète pas pour ça. Repose-toi, d'accord ?"

Il eut à peine le temps de voir le maigre sourire de son ami avant que la pièce se referme... Suguru traversa le couloir à pas lents, les pensées tournant en boucle dans sa tête. Il ne pouvait s'empêcher de repenser à Choso. Comment faisait-il pour s'abandonner ainsi à quelqu'un qu'il connaissait à peine ? Cinq mois de relation, ce n'était rien. Un battement de cils dans une vie, et pourtant, Choso semblait avoir accepté cette dépendance.

Est-ce que c'est ça, être marqué ? pensa-t-il en serrant les poings. Cette idée le mettait mal à l'aise, et ce n'était pas la première fois. Le marquage... Cette morsure symbolique et biologique, cet acte inébranlable qui liait un Oméga à son Alpha. Beaucoup y voyaient une promesse d'amour et de protection. Suguru, lui, voyait des chaînes.

Il arriva finalement devant la porte de sa suite. Avec un soupir, il scanna son badge et entra. La lumière automatique s'alluma, révélant son espace de vie. "Espace" était un bien grand mot. Tout était rassemblé dans une seule et même pièce : un lit une place collé au mur, une petite kitchenette à peine fonctionnelle, et un bureau encombré de carnets et de données de recherche. Pas de séparation, pas d'intimité. Juste le strict nécessaire pour vivre.

Il referma la porte derrière lui et se laissa tomber sur son lit, les bras étalés de chaque côté. Le plafond, une plaque métallique grise sans le moindre charme, semblait peser sur lui.

"Une chambre temporaire," lui avait-on dit. Temporaire, en attendant qu'il trouve un Alpha. Mais Suguru n'avait aucune envie de chercher. L'idée même lui donnait la nausée. Pourquoi devrait-il se plier à ces règles absurdes ? Pourquoi devrait-il se soumettre à quelqu'un, tout ça pour satisfaire un gouvernement qui voyait les Omégas comme des outils de reproduction ?

Il tourna la tête vers le bureau, où trônait une petite photographie dans un cadre rouillé. C'était une vieille photo de lui et de ses parents, prise avant que les eaux n'engloutissent le monde. Sa mère lui souriait, son père avait une main posée sur son épaule. Ils semblaient si heureux, si pleins d'espoir. Suguru serra la mâchoire.

Papa, maman... Vous auriez voulu que je suive leurs règles ? Que je devienne comme Choso, à dépendre de quelqu'un d'autre pour survivre ?

Il se redressa soudainement, incapable de rester allongé. Il avait besoin de s'occuper l'esprit, de faire autre chose que de se lamenter. Il s'approcha de son bureau et alluma la lampe, faisant fuir l'obscurité de la pièce. Ses carnets de recherche, pleins de croquis et de notes sur les créatures marines qu'il étudiait, lui semblaient soudain beaucoup plus intéressants que l'image bancale d'un futur imposé.

Si je dois être marqué par quoi que ce soit, ce sera par mes découvertes, pas par une morsure, pensa-t-il avec détermination, attrapant un crayon pour se replonger dans son travail...

-"GMU, j'ai un colis pour vous."

La voix grave et légèrement robotisée résonnait à travers l'interphone de sa suite. Suguru grogna, passant une main sur sa nuque endolorie. Il avait passé la nuit à griffonner des notes et des schémas sur une nouvelle espèce marine qu'il avait observée dans les rapports de Choso, jusqu'à ce que le sommeil le rattrape.

Il se redressa lentement, froissant un croquis à moitié terminé sous ses doigts. Les contours flous d'un léviathan miniature occupaient encore le papier, accompagnés de commentaires précipités. Mais il n'eut pas le temps de s'y attarder.

-"GMU, ouvrez la porte, je n'ai pas toute la journée," insista la voix, plus impatiente cette fois.

Suguru se massa les tempes en se levant. Un colis ? À cette heure-ci ? Qui peut bien m'envoyer quelque chose ? pensa-t-il, les yeux encore embués de sommeil. Il jeta un coup d'œil à l'horloge murale. Il était à peine 9h. Trop tôt pour des livraisons banales, mais le GMU avait toujours son propre agenda, ne se souciant guère du confort des autres.

Il pressa un bouton sur le panneau près de la porte, déclenchant son ouverture automatique. Un garde imposant en uniforme gris se tenait là, un colis bien soigné entre les mains.

-"C'est pour vous," dit-il sèchement, tendant le colis.

Directement, le nez de Suguru capta un filet d'odeur sortant du colis. il n'eut pas le temps de demander quoi que ce soit que la porte se referma devant son visage. Il toisa quelques temps la grosse boite avant de le poser sur son lit. Dessus, il y avait une étiquette blanche et belle, avec le nom de ~𝓢𝓾𝓰𝓾𝓻𝓾 𝓖𝓮𝓽𝓸~, écrit exactement de cette manière.

Suguru fronça les sourcils, perplexe. C'est une blague ? Qui aurait pris la peine d'écrire mon nom avec autant de fioritures ? pensa-t-il en observant les lettres élégantes qui brillaient même légèrement sous la lumière de sa suite.

L'odeur était toujours là, douce et subtile, elle effleura de nouveau ses narines. Suguru sentit son cœur accélérer légèrement. Il s'assit sur le bord de son lit, ses doigts hésitant sur l'emballage raffiné. La boîte était soigneusement scellée, bien trop luxueuse pour quelque chose d'ordinaire. Il glissa une lame sous le ruban de satin et défit lentement l'emballage.

Le couvercle révéla un petit coussin de velours noir, sur lequel reposait un pendentif en forme de goutte d'eau, incrusté de minuscules pierres précieuses qui semblaient capturer la lumière. En dessous, une carte  s'y trouvait

Suguru prit le papier entre ses doigts, ses yeux parcourant les mots gravés dans une encre argentée :

"Cher Suguru,

Nous savons qu'être un Oméga dans un monde en reconstruction peut apporter son lot d'incertitudes et de peurs. Mais sachez que, même dans ce chaos, il y a des mains tendues pour vous offrir la sécurité et l'amour que vous méritez.

C'est pourquoi nous vous annonçons aujourd'hui, avec toute la bienveillance possible, que vous serez bientôt fiancé à Satoru Gojo, un Alpha exceptionnel, dont le dévouement et la force ne sauraient vous laisser indifférent. Nous avons confiance que cette union, bien que peut-être inattendue, vous offrira une stabilité nouvelle, un amour sincère et une protection des plus réconfortantes.

Ne doutez pas un instant que ce lien vous apportera soutien et bonheur. Vous n'êtes pas seul dans ce voyage. Votre Alpha vous offrira une main sûre, prête à vous guider, vous réconforter et vous rassurer dans chaque étape de cette nouvelle aventure.

Votre rencontre aura lieu sous peu. D'ici là, prenez soin de vous, et sachez que cette nouvelle étape est celle d'un avenir où vous trouverez la paix que vous méritez.

Avec tout notre respect et notre bienveillance,
L'équipe du GMU"

Suguru relâcha un profond soupir alors qu'il repliquait doucement la lettre, ses yeux fixant le texte une dernière fois, ses doigts serrant l'enveloppe comme pour éviter que son esprit ne s'égare trop loin. Son cœur battait fort, son corps figé dans une étrange torpeur.

Il n'avait pas vu ça venir. La nouvelle de ses fiançailles avec Satoru Gojo. L'Alpha que tout le monde respectait. Lui, un Oméga comme tant d'autres, destiné à être mis sous la protection d'un Alpha... Cela le rendait nerveux, presque confus. Pourquoi lui ? Pourquoi maintenant ?

Il s'effondra dans son fauteuil, jetant un regard nerveux autour de la pièce qui semblait s'étirer dans une lenteur abominable. Ses pensées s'embrouillaient, un flot de questions se bousculant dans son esprit. Une partie de lui se sentait presque soulager à l'idée que quelqu'un d'aussi puissant et respecté puisse prendre soin de lui, mais une autre ne pouvait ignorer la vérité qui pesait lourdement sur ses épaules : il n'avait pas le choix.

Je vais être fiancé à Satoru Gojo...

La lettre disait qu'il trouverait "soutien et bonheur". Il avait du mal à y croire. Satoru... il n'avait jamais interagi avec lui. Et pourtant, il y avait cette lueur de réconfort dans la promesse de la sécurité. Une part de lui se disait que c'était peut-être une chance, ou que le destin lui avait simplement imposé.

Et si je ne veux pas ? Et si ce n'est pas ce que je veux, même si on me l'impose ? pensa Suguru, serrant les poings, une vague de frustration s'emparant de lui.

Mais la vérité était là. Il n'avait pas le choix. La société avait décidé pour lui. Et ce qui le dégoutait au plus au point, c'était que au fond de lui, tout au fond, l'Oméga en lui voulait cette protection.

Il serra le bijou espérant le casser, mais rien ne se produisit. Alors avec rage, il le passa autour de son cou et se rendormit.

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