℘ Leïla ℘

La douleur est toujours vive, mes jointures sont violacées, je me suis entraînée durement pendant deux jours consécutifs. Aujourd'hui, je me repose, demain c'est le grand jour et je dois reprendre des forces. Je n'en reviens pas que c'est déjà le moment, je n'ai pas vu passer le semestre vu que j'étais aux abonnés absents.

Je ne dois pas me laisser intimider par les autres filles de ce concours, qui ont l'air d'avoir énormément bossé, je ne peux m'empêcher d'en admirer une en particulier. Chaque matin, depuis les deux jours où je suis rentrée, je la vois, faisant tête à tête avec le sac de frappe. Elle est déterminée et prête à gagner, ça c'est certain. Soudain, je suis effrayée à l'idée de me confronter face à elle. Et si je perdais ? Je pourrais dire au revoir à l'argent et à ma dignité. Il n'y aura plus rien sur quoi je serais un minimum intéressé. Je n'aurais pas la possibilité de déménager, je serais prise au piège dans un tourbillon que je ne souhaite plus tourner. Je devrais encore crouler sous mes dettes, affronter la misère une fois de plus.

Non. Il en est hors de question. Je dois à tout prix gagner ! C'est plus qu'important et je ne laisserais pas cette fille m'empêcher de voir le bout du tunnel.

– Il est bon ce burger hein ? Prends des forces, c'est bien, prononce Isas en esquissant un sourire.

J'étais tellement dans mes pensées que j'en avais oublié que je dégustais ce délicieux hamburger chez Boston Burger Company, j'ai de la sauce à peu près partout autour de la bouche. Il est énorme, c'est difficile de ne pas se salir. J'attrape ma serviette et m'essuie le visage, accompagné par la moquerie de mon coach qui ne se fait pas prier pour observer tout de la scène.

– Quoi, ça t'arrive jamais à toi ?, pouffé-je en croquant dans une frite.

Une lueur dans ses pupilles pétille et il pioche dans ma barquette.

– Moi ? Je ne mange pas ça, je fais attention à ma ligne.

– Quel menteur !

Je l'observe en train de manger la frite qu'il vient de me voler un peu plus tôt et plisse les yeux.

– Tu pourrais manger tout un tas de trucs que tu ne grossirais pas, lui rappelé-je.

– C'est vrai, j'ai un métabolisme d'enfer.

Il renverse ses sourcils ce qui me fait rire avant de lui voler sa boisson fraîche pour m'hydrater. Lui, il a de quoi se vanter, je ne peux pas lui retirer ça.

Après cette semaine intense, je ne peux m'empêcher de repenser à John, mon père, paraît-il. Serait-il prêt à me faire du mal ? Il a bien été lâche pour me laisser moi et ma mère, ça en dit long sur sa personne. Ce n'est pas que je lui en veux plus, je crois juste que j'en ai plus rien à faire qu'il nous a abandonné finalement, ce n'est pas comme s'il aurait pu apporter grand-chose à notre famille. Ma mère n'aurait pas pu survivre à son foutu cancer de toute manière. Et je n'aurais pas connu ma tante sous un autre angle. Elle est tout pour moi aujourd'hui, je compte aller la voir toute à l'heure. Ça fait longtemps et cela va la rassurer de me voir en chair et en os.

Elle ne sait pas à quel point ma vie a plongé dans une autre dimension, je connais la partie obscure que je n'aurais jamais voulu connaître, évidemment. Mais je crois que je n'aurai pas le choix, si mon père compte décider ou non de me retrouver. S'il le souhaite vraiment, il fera tout pour que je le vois en face-à-face pour la première fois.

Ce connard.

Je suis peut-être un peu apeurée de découvrir les membres des Nameless si l'on croise malheureusement leur chemin, ce que je ne veux pas par-dessus tout.

Je suis certaine qu'ils seront capable du pire si je refuse de les écouter ou de procéder à leur manière.

Isas lui, à l'air serein, ou du moins c'est ce qu'il montre. De toute façon il est du genre à ne rien montrer, c'est sa carapace. Mais la j'aurais vraiment besoin de savoir s'il est vraiment confiant sur ce qu'il pourrait se passer si cela tourne mal.

Et s'ils débarquaient pendant le concours ? Qu'ils m'observeraient me battre pendant qu'ils concocteraient une idée pour me ramener aux côtés de John.

Je flippe.

– C'est quoi cette tête ?, intervient mon coach coupant mes pensées intrusives.

Je relève mon regard vers le sien, je perçois qu'il s'inquiète parce que je le suis moi-même. Je ne veux pas l'affoler, il ne peut aussi rien se passer.

– Après le concours, qu'est-ce que je suis censée faire ? Rester ici ?

– La meilleure idée c'est de t'éloigner de ce monde obscur Leïla, grimace-t-il.

– Et comment si ce monde compte à chaque fois me rattraper ? Si mon géniteur n'obtient pas ce qu'il veut, que crois-tu ce qu'il serait capable de faire ?, m'emporté-je sans aucun contrôle.

Toute cette histoire crée un conflit entre Isas et moi, je le sais et ça ne fait que s'agrandir.

– Crois-moi, je suis bien capable de savoir ce qu'il pourrait faire ou non.

Ses yeux s'assombrissent si rapidement que cela me fait froid dans le dos, je ne les avais jamais vu autant durcir de cette manière ses sourcils et ses traits sont tirés d'une sériosité sévère. Je ne compte pas le contredire, il a raison et il en sait plus que moi. J'ai l'impression d'être en face de son frère, son visage n'est que remplis de colères et de rancunes. Je remarque ensuite que sa main s'est formée en poing et qu'Isas se contient de ne pas taper la table où nous sommes assis.

– Tu n'as aucune idée à quel point ces hommes sont dangereux, et ils n'hésiteront pas à tuer si l'ordre est donné, m'avertit-il en attrapant mon poignet d'une rapidité qu'il m'en ferait presque mal.

Je suis surprise par la force qu'il emploie avec moi, sa main serre l'emprise sur mon avant-bras tandis que son regard me transperce toute entière. Je ne l'avais jamais vue aussi sérieux et prévenant.

– Je n'accepterais pas qu'il t'arrive quoi que ce soit, peu importe si John est ton père, il n'a pas le droit de te prendre toi aussi. Poursuit-il en descendant doucement sa main dans la mienne pour me la serrer.

Je n'hésite pas à la serrer à mon tour.

– Isas, raconte moi ce qu'il s'est passé, commencé-je dans une faible voix.

– Je...

Il semble chercher ses mots, se pincent les lèvres et fuis mon regard. Je veux qu'il m'avoue tout ses secrets, même ceux qu'ils lui font encore du mal, je dois savoir, c'est vital.

– Quand Victor a prononcé les mots d'une personne tuée à cause d'eux, que vous avez connu et aimé, de qui s'agissait-il ?

– Avant de devenir coach, j'étais comme toi, je croulais sous les dettes. Je n'avais pas beaucoup de nouvelles de mon frère, on se disputait souvent alors il a disparu quelque temps. Puis un soir, j'ai rencontré Hayley, dans un bar comme celui-ci. Elle était rayonnante et pleine de vie, je ne sais pas pourquoi le destin a décidé de la mettre sur mon chemin...

Le fait qu'il me parle de son ancienne femme me fait tilt et me donne la sensation d'une décharge électrique dans tout mon corps. Je suis sous le choc alors qu'il vient à peine de commencer son histoire.

– Pour être honnête, je devais de l'argent à des gens différents pour qui je demandais des services auparavant, puis j'ai travaillé pour un patron méprisable qui me payait une somme dérisoire dans un bar de la ville, mais je n'ai pas eu d'autre choix que de continuer à travailler pour lui. Un soir comme un autre, il m'a proposé de dealer de la drogue en parallèle de mon travail. Il m'a convaincu en me disant que ça me ferait un salaire à côté du mien et qu'avec moi, il était confiant que je ne me ferais pas choper.

J'essaye de faire le rapport avec tout, mais je ne comprends pas totalement où il veut en venir. Je l'encourage à continuer en caressant doucement le revers de sa main.

– J'ai accepté. Figure-toi que cette drogue provenait du réseau des Nameless. Ce bouffon de patron gérait mal sa marchandise, car il s'en procurait pour lui-même mais un jour il a craqué. Il en a trop pris pour sa gueule et il devait des sous au gang. Moi, je n'étais au courant de rien, je vendais juste pour me gagner de la thune pendant que lui s'en filait de son côté sans que le réseau n'en sache rien. Jusqu'au jour où ils s'en sont aperçus.

– Évidemment, m'empressé-je de dire.

Son autre main traverse ses cheveux et il soupire profondément avant de continuer son histoire.

– Entre temps, avant qu'ils ne s'en aperçoivent, il s'en est écoulé du temps, j'ai ouvert mon donjon que tu connais très bien. Le monde affluait au fur et à mesure tandis que je filais le parfait amour avec Hayley. Elle avait même rencontré mon frère qui avait décidé de réapparaître du jour au lendemain. C'est à ce moment là que je l'ai découvert dans le bar où je travaillais, parler avec mon patron. Comme s'il savait tout et qu'il avait un coup d'avance sur cette affaire.

– Doucement, je ne comprends plus trop. San a débarqué de nouveau, mais il connaissait ton patron ? Pourquoi ? Pour la marchandise ? Mais elle appartenait au Nameless tu m'as dit.

Il hoche la tête.

– Avant que je ne sois au courant que mon frère était dans ce genre d'affaires, il lui en vendait aussi par son réseau, donc les Forsaken. Mon ancien patron devait trop d'argents à l'autre gang, alors il pensait qu'avec eux, ça passerait mieux. Il était stupide en fin de compte.

– Alors il a fait quoi ?, froncé-je les sourcils essayant de recoller les morceaux dans ma tête.

– Le patron ? Les Nameless ont fini par débarquer dans ce foutu bar, ne laissant aucune once de charité envers les clients ce soir-là. Ils n'ont pas hésité à en tuer quelques-uns pour les crédibiliser. Ensuite ils sont montés à l'étage, dans le bureau de l'autre con.

C'est horrible. Et dire que mon paternel est derrière tout ça.

– Qu'ont-ils faits ensuite ?

– Ils l'ont emmené et moi avec, car cet enfoiré n'a pas eu la moindre hésitation à me balancer en affirmant que je m'étais procurée de la drogue aussi pour me faire plaisir. Foutaises ! Moi je ne faisais que la vendre mais ça, le réseau s'en foutait de la vérité. Ils n'ont pas cherché à comprendre et je me suis retrouvé dans leur planque aux côtés de cet enculé, attaché à une chaise. Comme il n'y a pas longtemps où ils ont décidé de nouveau me prendre en otage.

– Je m'en souviens oui, ces connards, assénée-je de nouveau furieuse. Je suis désolé que tu as dû vivre tout ça Isas.

Son regard est toujours fuyant et je sens que les prochains mots qu'ils souhaitent prononcer ont du mal à sortir.

– Pendant que j'étais caché dans leur planque, ils se sont renseignés sur ma vie, croyant toujours que je m'étais enfilé leur drogue de merde. Ils me demandaient alors de l'argents que je n'avais pas, j'avais en plus acheté avec Hayley la maison de ses rêves. J'étais comme, revenu au point de départ. Je devais enchaîner les heures supplémentaires, je n'avais pas de quoi payer tout l'argent que cette enflure leur devait. J'ai essayé de les convaincre qu'il se trompait de personne mais ils s'en foutaient. Ses sbires suivaient comme des chiens les ordres de John.

Isas se pince les lèvres et relève ses yeux vers moi, ce qui propulse en moi une vague de frissons qui me parcourent jusqu'à l'échine.

– Ces fils de putes ont trouvé où j'habitais, sachant que je ne leur donnerais pas ce qu'ils veulent, ils prendraient ce que j'avais de plus chère. Hay-

– Non !

Je suis horrifiée et plaque ma main sur ma bouche suite à cette révélation aussi cruelle et tragique. Je m'en veux terriblement de lui faire repenser à tout ça, je comprends tout désormais, du pourquoi il ne voulait pas parler de la raison de sa mort. Il doit se sentir tellement coupable.

– Ils t'ont libéré après ça ? Mon Dieu, Isas c'est...Tu ne mérites pas ça, personne ne devrait vivre cette douleur.

– Ils m'ont relâché oui, je suis rentré chez moi sachant très bien ce que j'allais trouver aux pieds du lit, déclare-t-il dans une voix terne et sans émotions.

– Est-ce que je peux te poser une question ?

Il opine de la tête, sa main toujours dans la mienne.

– Pourquoi tu en veux à ce point à ton frère ?, prononcé-je dans l'incompréhension.

– Je ne le hais pas, cependant, je suis conscient de certains faits qui m'ont déplu et m'ont fait conclure qu'il n'a causé que des ennuis.

– Dis-moi, l'encouragé-je à poursuivre.

– Quand mon frère a fait la connaissance de Hayley, ils ne s'aimaient pas trop au début, elle le trouvait provocateur et arrogant. Tout ce qu'elle détestait, elle me disait, puis je les ai vu se rapprocher au fil du temps, d'un côté ça me faisait plaisir et d'un autre ça créait en moi une jalousie, car je voyais bien que mon frère commençait par être intéressé. Hayley fidèle à elle-même, ne le voyait que comme un ami et me rassurait qu'elle n'aimait que moi. Sauf que San n'a pas su réfréner ses sentiments pour elle et cela a éclaté entre lui et moi, il a préféré repartir à son réseau, que j'ignorais complètement à l'époque.

Alors San était aussi amoureux de la femme d'Isas ? Cela expliquerait qu'il a aussi vécu son deuil.

– Est-ce que c'est à cause de la mort d'Hayley, que San s'est effondré dans la drogue dur ?, lui demandé-je curieuse.

– Ouais, je suppose.

Aouch. Moi qui lui reprochais sans cesse de prendre cette merde, lui la prenait par peine de cœur et malheureusement encore aujourd'hui, il a du mal à s'en séparer.

– Il s'en veut aussi de n'avoir pu sauver Hayley, bien que pour se venger, il est parti tuer un des leurs. Apparement, c'était celui qui avait tiré sur la gâchette, continue-t-il.

– C'est pour ça qu'ils s'en sont pris de nouveau à toi n'est-ce pas ?, élucidé-je en détaillant toutes ses réactions.

– Ouais, je servais seulement d'appât pour eux, afin que mon frère vienne à mon secours et qu'il puisse le choper pour de bons sauf que les Forsaken ont été plus malins qu'eux. Ils ont réussi à me sauver tout de même. Le lendemain, je t'ai vue, c'est là que j'ai vrillé dans ma tête quand j'ai compris que tu pourrais potentiellement...

– Isas, je vais bien, le coupé-je. Ils ne vont pas me tuer. Tu n'as rien fait pour qu'ils t'en veulent. Et je suis la fille de John, il y a une infime chance qu'il ne désire pas ma mort.

J'essaye de le rassurer comme je peux, et j'aimerais que ce soit le cas, que mon père ne me veuille aucun mal. Isas ne mérite pas une seconde fois de perdre quelqu'un à qui il tient.

Après toutes ces révélations, j'ai l'estomac retourné et le cerveau en compote. Le puzzle est maintenant emboîté, je comprends enfin certaines réactions qu'Isas et San ont eues entre eux ainsi qu'avec Victor qui laissait des sous-entendus. Les morceaux enfin recollés, je compte bien remporter ce concours afin de sortir de la misère et donner tord à Monsieur Williams que je n'ai pas besoin de son réseau pour gagner ma vie. Ce n'est pas pour moi leur trafic, enfin je crois.

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