Sakura nageait entre la torpeur et l'épouvante. Perdue dans un recoin sombre de son âme, elle sentait son manque de contrôle refaire surface. La noirceur la surplombait. Avachi dans une salle miteuse, ses ongles grattant le sol à la paroi visqueuse, son esprit divaguait. Les membranes nerveuses de son corps ne lui répondaient plus. Elle était en apesanteur entre la réalité et l'inconscient. Une cascade prit forme dans la pièce étroite, puis un bassin. L'eau déferla dans un torrent de violence à faire frémir ses membres, mais elle restait sur place, figée. Les bras encadrant ses fins membres, son profil creusé et blanc, elle se sentait malade. Elle ouvrit la bouche pour sortir un cri d'agonie, mais sa douleur resta muette.

Son corps bouillonnait, brûlait de l'intérieur. Elle avait l'impression de fondre comme du petit pain. Les doigts agités, Sakura ne réalisa pas la portée de ses mouvements brusques alors qu'elle s'arrachait des bouts de peau sur le visage, les bras et les jambes. Un son guttural l'échappa, suivit d'une créature visqueuse à 10 pattes. Sortant des parois de sa gorge, la chose immonde se glissa au sol. Elle rampait, à la recherche de quelque chose. Les iris de la créature étaient d'un rouge sanglant et les canines acérées de celle-ci lui donnèrent un haut-le-cœur. Lorsque Sakura se sentit enfin en contrôle de son corps, elle tendit la main vers la chose, cria, puis rouvrit les yeux.

La première sensation contre sa peau à son réveil fut des draps noirs tout en soie. Ils étaient frais, tout comme la blouse d'hôpital qu'elle revêtait. On l'avait changée récemment. Mais elle n'en avait aucun souvenir. Ses cheveux couleur lilas brillaient sous les rayons de soleil qui transperçaient les quatre fenêtres de la chambre qui l'accueillait. Elle ne connaissait pas cet endroit. Et la sensation étrange de nager en plein rêve ne la quittait plus. Les décors étaient trop décalés de sa réalité par leur grandeur, et la lumière trop incandescente pour que ce soit normal. Entre la pièce aux draps de soie noirs raffinés, au lit baladin si immense qu'il pouvait contenir cinq personnes et aux lustres faits d'or ou de cristaux d'arc-en-ciel, Sakura ne put s'empêcher de grimacer.

Le luxe ne lui faisait ni chaud ni froid. Elle préférait nettement vivre dans une maisonnette perchée au fin fond d'une forêt qu'habiter un palais scandaleusement éclatant.

Ses yeux détaillèrent avec attention le plafond surélevé et les trousses de soins sur la table de chevet en bois d'acajou. Elle y découvrit une seringue. Quelques gouttes d'un produit inconnu suintaient de l'aiguille. En l'agrippant de ses petites menottes, Sakura échappa un gémissement de douleur. Tous ses membres éradiquaient une souffrance incommensurable, comme si elle s'était fait battre à coup de hache ou écrasée par un monstrueux éléphant. L'objet en sa possession, elle le porta à son nez pour le renifler. Une odeur âcre s'en dégageait, poisseuse. Sakura était certaine que le produit contenait des tranquillisants puissants.

Ce qui pouvait expliquer son engourdissement, pensa-t-elle.

Un mouvement se fit à sa gauche et avec épinéphrine, elle enjamba le lit en baladin pour s'emparer d'une arme. Un chandelier. Mortel comme arsenal. Ses yeux détaillèrent chaque fibre de la pièce qui l'accueillait, mais rien à signaler. Aucun intrus dans les parages. Seulement une paranoïa élevée et une dose d'adrénaline inutile. Son cauchemar avait réveillé une alarme dans son esprit et maintenant, elle était prête à partir en guerre.

En parcourant la pièce, elle ouvrit sans bruit l'immense armoire qui faisait office de barrière entre la sortie et la salle de bains. Elle y piocha un jogging gris, un t-shirt ample et une casquette pour recouvrir son visage le plus possible. Elle comptait bien s'enfuir de ce lieu qui ne lui inspirait que étrangeté. Mais en franchissant la porte de sortie, Sakura tenta de récupérer un fragment de souvenir avant sa venue ici. Mais rien. Elle avait la sensation amère d'oublier un détail important. Un événement. Des individus.

N'était-elle pas accompagnée à priori ?

Vaseuse, elle marchait le long de couloirs sinueux faits d'alcôves incrustées de pierre et de colonnes surélevées. Des insignes étaient enracinés dans chaque coin circulaire et Sakura se perdit dans la transcription de ceux-ci. Il s'agissait d'une langue ancienne. Elle n'en connaissait pas la portée. Continuant sur son avancée, des chaussons en forme d'éléphants aux pieds — son seul vestige de la terrible chambre, la jeune femme se convainquit qu'elle devait partir. Maintenant.

Son visage et ses yeux lui brûlaient. Elle se sentait engourdie et frigorifiée. Pourtant, son corps émanait une chaleur corporelle monstrueuse, comme si elle était en proie à une fièvre. Étrange.

Perdue dans ses réflexions, elle s'était arrêtée. À sa droite se trouvait une énorme porte faite de verre translucide et de l'autre côté, un balcon bordé de fines plantes grimpantes.

Elle nageait en plein rêve. Ce n'était pas possible autrement, pensa-t-elle en poussant le battant. Ou elle était morte.

Perchée tout en hauteur, la balustrade offrait une vue imprenable sur une citée au domaine si dantesque que les fortifications à ses pieds semblaient ne faire qu'un avec la végétation. Les structures surplombaient l'énorme lac sur des kilomètres à la ronde et flottaient au-dessus des arbres. C'était féérique. Comment pouvaient-elles être perchées là, dans les airs ? Était-ce de la magie ?

Son œil avide s'attarda sur la forêt broussailleuse des lieux. Les couleurs des plantes et des conifères passaient d'un vert translucide à un bleu arc-en-ciel pailleté. Le balcon, quant à lui, se faisait avaler par des branches et plantes grimpantes. Par automatisme, elle déposa ses doigts contre la végétation, curieuse. La surface se mouva et bougea, vivante. L'émeraude se transforma en mauve et les feuilles rougeâtre orangé formèrent une pluie de lumière dorée. L'ensemble rayonnant de mille feux, Sakura se demanda si se retrouver ici, morte ou vivante, n'était pas le meilleur des cadeaux qu'elle ait reçu.

Où se trouvait-elle ?

En observant avec plus de détails les maisonnettes sous ses pieds, elle y vit une cinquantaine de petits ponts faits de gléchoma turquoise. Les nénuphars dans le lac prenaient la couleur sakura quand une grenouille se posait dessus. Des individus, bordés de paniers pleins les bras, franchissaient les passerelles mystiques pour rejoindre leur cahute surélevée dans la forêt. Un brouillard translucide commençait à embaumer l'atmosphère, crachotant des brindilles roses et bleues.

Elle rebroussa chemin pour trouver une sortie, perturbée. L'irréalité de la situation la poussait à accélérer le pas. Elle se sentait encore plus stressée qu'auparavant. Quels étaient tous ces changements ? Et pourquoi n'arrivait-elle pas à se souvenir du moindre détail des derniers jours ? Elle se rappelait brièvement d'être en cellule, attaquée, frôlant la mort et la noyade. Puis la trahison et la torture de Tsunade. Et l'homme qui l'avait visité sous l'apparence de son meilleur ami, Naruto. Son ami. De nouveau le vide dans son cerveau. Elle frissonna. Où était-il ?

Était-elle coincée dans une illusion paranormale ? Piégée dans un corps qui vivait une réalité autre, dans l'incapacité de s'en sortir ? Ou s'agissait-il vraiment d'une nouvelle civilisation dont elle ne connaissait ni l'existence ni l'indication sur une carte du monde ?

— Madame Haruno, souffla une voix rauque.

Dans un soubresaut, elle échappa une flopée de jurons aux éloges épiques. L'individu étouffa avec difficulté un rire, pencha la tête et enchaîna de son timbre suave :

— Je sais que vous êtes sûrement perturbée par l'état des lieux, mais vous ne risquez rien ici.

L'homme avait une carrure d'ours, les épaules si larges qu'il pourrait l'écraser d'un mouvement rapide. Il portait une cuirasse en fer contre son torse, et un pantalon de combat. À ses hanches se trouvaient une hache et des couteaux aiguisés. Son cou contenait une flopée de tatouage à l'ancre noir et rouge. Une mâchoire carrée, une barbe de quelques jours et des yeux perçants rouges, Sakura recula avec lenteur en l'analysant. Il était différent. Ses cheveux argentés rasés au niveau des tempes lui conféraient un côté guerrier sexy, lui faisant hausser les sourcils.

S'il se sentait observé de trop prêt, il sembla s'en accommoder. Un sourire espiègle orna même le coin de ses lèvres.

— L'inspection est finie ? s'amusa-t-il.

Sakura ne lui donna pas le plaisir de réagir et choisit plutôt de le frôler et de poursuivre sa route, sans un mot de plus. Elle entendit son hoquet de surprise avant qu'il ne l'imite, d'un pas déterminé.

— Le chef de Madocia vous attend, comme le reste du groupe. Veuillez me suivre, s'il vous plaît.

Elle continua son avancée, faisant la sourde oreille.

Le reste du groupe. Un souvenir tilta, alliant Naruto, Shikamaru, Gaara et Lee. Sa tempe cilla sous l'image fugace de ses compatriotes. La douleur dans son crâne était palpable. Essoufflée, elle se força à vider son esprit. Ses amis l'attendaient quelque part. Elle devait les trouver vite pour démener le vrai du faux. Elle n'était pas certaine de faire confiance à cet inconnu. Il lui inspirait arrogance, impatience et vulgarité. Peut-être se faisait-elle des idées, car son apparence l'horripilait autant qu'elle lui tentait, mais elle garda un rythme soutenu et se contenta de l'ignorer.

— Vous ne savez même pas où vous allez, râla l'imbécile. Mais allons ! Je vous suis, nous pouvons perdre notre temps ensemble. Je n'ai rien à faire à part du baby-sitting, après tout.

Il avait raison et la frustration n'en fut que plus grande. Bordel ! Depuis quand agissait-elle de manière aussi enfantine ? Il fallait qu'elle se reprenne en main. S'arrêtant brusquement, elle l'observa d'un œil méfiant.

— Ah ! Vous vous êtes décidé ? C'était plus rapide que prévu, j'apprécie cette réactivité.

Ses sourcils se froncèrent sous sa fanfaronnade et Sakura se surprit à vouloir lui arracher les dents. Il dut le voir dans ses yeux, car son sourire se fana et il reprit avec vélocité son sérieux.

— Pardon. Par ici.

Les couloirs se succédèrent. Gauche. Droite. Droite. Gauche. Puis, l'homme se pencha proche d'une cheminée au feu ardant, entreprit de tourner un mécanisme suivi d'une série de code contre un écran électronique intégré dans le mur. Il allait trop vite et Sakura ne put entrevoir la combinaison. Merde. Un déclic se fit entendre, suivi de l'entrebâillement d'une porte, contre l'alcôve blanche de l'âtre. En la traversant, elle capta l'écho de voix, comme une dispute. Elle eut un mouvement de recul. Et si le guerrier qui l'accompagnait la piégeait ?

Comme s'il prenait conscience de ses pensées, il tenta d'empoigner son avant-bras pour l'approcher de sa personne. Avant qu'il ne puisse amorcer la fin de son geste, elle le repoussa, lui crochetant le bras au passage et faucha ses jambes. Il s'écroula par terre. Sakura ne lui laissa aucun répit. Elle devait être certaine qu'il ne la poursuivrait pas tout de suite. Un uppercut contre la tempe plus tard, elle se retrouvait à cascader les couloirs, tout en se rapprochant des voix.

En parcourant les chaînes du labyrinthe, Sakura aperçut Naruto. Accoudé contre le mur, il semblait en pleine réflexion et à voir son visage, l'état de ses pensées ne paraissait pas des plus agréables.

En croisant ses iris émeraudes, son ami eut un soubresaut.

— Sakura, hoqueta-t-il surpris.

Il donnait l'impression d'observer un fantôme.

— On doit partir, répliqua-t-elle avec urgence. Je ne sais pas quel est cet endroit, mais je ne fais pas confiance aux habitants.

Naruto restait silencieux, encore sonné.

— Où sont les autres ?

Il secoua la tête, songeur et avant de prononcer la moindre phrase, des bruits de course firent écho dans le couloir aux voûtes de pierre. Le garde qu'elle avait frappé se trouvait derrière elle, essoufflé et plus agacé que jamais. Un énorme bleu lui barrait la joue.

Par automatisme, Sakura se positionna devant Naruto pour le protéger.

— Kakashi ? Qu'est-ce qui t'est arrivé ? questionna son ami en se détachant d'elle.

Sakura jura en comprenant un peu mieux la situation.

— Ta copine n'est pas aussi agréable que ce que je pensais. Rappelle-moi la prochaine fois de ne plus te faire confiance quand tu qualifies une fille d'angélique. Celle-là à du sang de démon !

Naruto semblait proche de la syncope et au lieu de culpabiliser, Sakura n'arriva qu'à échapper un rire.

— Elle frappe plus fort que toi, Naruto.

— Quoi ? — Cela parut le faire sortir de sa torpeur. N'importe quoi ! Et Sakura n'est pas sauvage. À moins que tu l'aies mérité.

Parfois, Sakura s'étonnait du manque de connaissances de son ami quant à sa personne.

— J'essayais de lui montrer le chemin, putain !

Se frottant les tempes, il rajouta excédé.

— Bon, elle est avec toi maintenant, donc ma tâche est faite. Passe un message, veux-tu ? Dis au chef qu'on me laisse tranquille. Je veux mourir en paix et sans me faire valdinguer par une fille démoniaque.

Le prénommé Kakashi, alias le garde qu'elle avait frappé avec brusquerie, râla une dernière fois, lui jeta un regard empreint de noirceur — qui ne l'effraya pas la moins du monde et fit demi-tour. Naruto ricanait à ses côtés en se tenant le ventre, hilare.

— Tu me surprendras toujours, Saku. Mais je te félicite, ça faisait quelque temps que j'avais envie de le cogner. Il arrive en retard à toutes les rencontres importantes entre nations.

— Quoi ?

Sakura n'arrivait pas à aligner la moindre pensée. Que se passait-il en ce moment ? Où étaient-ils ? Et pourquoi son ami semblait connaître cet endroit alors qu'elle ne l'avait jamais vu ou identifié sur une carte ?

— Ça fait beaucoup d'informations à digérer, désolé, reprit Naruto en se frottant la nuque. Tu comprendras rapidement. Il t'expliquera, lui.

Qui ? Et pourquoi Naruto avait-il ce puits de tristesse dans le fond de ses yeux ?

Avant de pouvoir aligner la moindre phrase, son meilleur ami l'entraîna vers une vaste salle, où trônait en son centre une grande table ronde faite de minéraux purs. La surface de pierre rayonnait jusqu'à lui arracher un éclat de douleur. Les pupilles en feu, elle jeta un coup d'œil à Naruto pour savoir si elle était la seule à ressentir cette nuisance et sensibilité. Il l'observait, un sourire aux lèvres.

— La superficie est composée de gemmes de vérité. En entrant dans cette salle, notre langue se dénoue avec véridicité. Plus tu résistes et plus la douleur persistera.

Sakura ne voulait pas paraître trop perturbée et hocha simplement la tête, les dents serrées. Elle détestait déjà cet endroit. Bordel. S'échapper, était-ce une option envisageable ?

Kakashi entra à son tour, et ce n'est qu'à son apparition que la jeune femme remarqua les autres présences. Posés sur leur siège en or, certains arboraient un visage austère. Dans la foulée, elle croisa le regard de Gaara. Le clin d'œil qu'il lui lança lui arracha un sourire. Shikamaru et Kiba étaient aussi attablés en compagnie de plusieurs personnages aux allures sévères. Sakura déglutit en soupesant leurs oeillades de curiosité.

Son attention cilla à l'écoute d'un bruit de porte. La violence de l'impact fit trembler les murs crème et l'assistance. Du coin de l'œil, Sakura eut le temps de voir se profiler une mâchoire carrée, des cheveux ébène et des vêtements de combat. Des talons retentirent et Kyra prit place aux côtés de Kakashi. Le garde ne lui lança pas le moindre regard. Tous les yeux des invités étaient posés sur un individu. Celui-ci s'avança avec lenteur. Elle sentit son odeur boisée de cèdre et frissonna lorsque l'homme — qu'elle reconnaîtrait entre tous, frôla sa nuque de ses longs doigts. Une inspiration plus tard et il avait disparu. Les pas se rapprochèrent jusqu'à rejoindre la seule chaise prédominante, faisant office de trône.

— Bienvenue, Sakura, souffla-t-il.

Il tendit son bras vers le dernier siège, face à lui, et lui offrit un sourire moqueur, la tête penchée. L'enfoiré de première.

Sasuke Uchiha.

Le maître de son jeu, voilà ce qu'il était. Et l'imbécile avait bien caché ses cartes, jusqu'à la faire douter elle-même de sa nature propre, alors qu'il tissait les ficelles peut-être autant que Tsunade l'avait fait avec elle. La mâchoire crispée, elle prit place en silence. Gaara, à sa diagonale, cherchait son regard, comme pour la prévenir de quelque chose, d'un secret que lui seul détenait.

— Je vois que tu t'es réveillé, continua Sasuke d'une voix rauque.

— Quel observateur, grogna-t-elle en réponse et il éclata de rire.

— Tu dois avoir bien des questions. Pose-les donc, petit démon.

Kakashi souriait face aux propos du chef. Il avait déjà fait passer le mot.

La question de Sakura fusa, faisant fit des paroles de Sasuke :

— Quel est cet endroit ?

— Cette cité se nomme Madocia connue sous une autre appellation : l'arche vivante. Comme tu as pu le remarquer dans ta courte escapade, la nature est mouvante, vit et règne en maître. Elle fait partie de ses résidants. Après la Grande Guerre, la terre s'est fissurée jusqu'à créer et offrir une nation pour les habitants qui seraient dignes d'être protégés.

Digne ? Sakura fronça les sourcils.

— Peu de personnes peuvent y accéder. L'essence de la vie coulant dans les lacs et la forêt entre en compétition avec l'esprit de l'homme qui traverse ses lieux. Si l'âme lui résiste, l'individu sera plongé dans un coma et mourra.

Naruto à sa droite, lui jeta un coup d'œil, une lueur attristée au fond de ses iris.

— J'étais inconsciente.

Sasuke hocha la tête, la dévisageant avec insistance.

— Suis-je la dernière à m'être réveillée ?

Un silence s'ensuivit. Il fallait croire qu'elle n'aurait pas toutes les réponses à ses questions.

— Pourquoi cela peut prendre plus de temps pour certains individus ?

Kyra ricana face à ses paroles, la poussant à l'observer à la dérobée. Vêtue de rouge, elle était rayonnante d'énergie, de vie et de mesquinerie. Sakura se demandait bien comment l'essence avait pu l'accepter avec un tempérament de déchu comme elle.

— À cause de leur... blancheur d'âme.

Les personnes attablées semblaient la dévorer des yeux et le jugement transperçait les pores de leur peau. Voilà la réponse tant attendue. Sakura ne sut si elle l'appréciait. Sasuke était désireux de connaître le fond de ses pensées. Elle le voyait avec la façon dont il la scrutait. La suspicion. Tous ressentaient ce sentiment à son égard. Et avec raison. À bien y songer, la nature avait fait erreur en l'acceptant, mais Sakura se garda bien de le préciser. Seul Kakashi semblait en être aussi persuadé qu'elle. Il la toisait avec froideur.

— Pourquoi cette cité ne figure sur aucune carte alors qu'elle a fait son apparition après la Grande Guerre ?

— Ah, souffla-t-il un sourire sardonique aux lèvres. Madocia a certains tours de passe-passe.

— Comme effacer certains souvenirs ?

Sakura surprit le regard empli de fierté de Gaara à son encontre. Sasuke, quant à lui, se contenta de hocher la tête, une lueur d'elle ne savait quoi dans les yeux. Sakura avait perdu des bribes de réminiscences, et maintenant, les événements commençaient à se recoller. Elle se revit perchée tout en haut d'un arbre, guettant ses ennemis avec son arc, abattant ses opposants avec célérité. Puis Lee.

Elle abaissa sa figure, sentant les émotions refluer. Naruto, qui se tenait à ses côtés, tendit les doigts pour agripper sa main, mais elle s'échappa à son geste de réconfort. Elle n'en voulait pas. Sa réaction le blessa, mais les bourdonnements contre ses tempes, le goût amer contre sa bouche et l'agonie qui prenait forme dans son cœur dissipaient tout le reste.

Lee était mort.

Elle se força à changer de sujet, au risque de se noyer dans sa détresse intérieure.

— Pourquoi être venu à Konoha ?

— Après la Grande Guerre, j'ai découvert cette cité et fait d'aujourd'hui ce qu'elle est. Dans ce même temps, j'ai rencontré une âme en peine et en fuite, Kyra.

La dénommée détourna le regard, les membres crispés.

— Kyra était informé de bien des choses quant à l'existence de traîtres et complots à venir. Et ce pour des raisons personnelles, que je n'exposerai pas ici aujourd'hui.

Se triturant les doigts, inconfortables, voilà l'image que la compagne de Sasuke envoyait. Très rare. Sakura se surprit à développer de la sympathie pour la brune qui semblait si mal à l'aise.

— Nous étions au courant d'une partie du projet du camp ennemi : une arme à Konoha serait implantée. Pour écarter de possibles soupçons de Tsunade, je suis revenue dans le village en faisant de moi un homme épris d'une femme que j'aurai rencontré lors de ma rédemption. Cela évitait les questionnements, car l'amour peut faire durer le temps et rendre aveugle, dit-on.

Sakura ne prononça toujours pas le moindre mot. Sasuke, quant à lui, la fusillait du regard, comme s'il était en colère face à son manque de réaction. Elle ne lui donnerait pas ce plaisir.

— Tsunade n'était pas dupe et nous a fait surveiller. Étant elle-même scélérate, elle nous forçait à chercher des pistes ailleurs pour rester invisibles des radars, poursuivit Shikamaru, immobile sur son siège.

— En étant ainsi observés, vous étiez obligés de continuer de jouer le jeu.

Nouveau hochement de tête de la part de Sasuke.

— Neji a aussi exécuté un rôle dans l'équation, reprit-elle avec raideur.

— Neji ? lâcha Kiba, consterné.

La table ronde plongea dans un silence lourd de sens. Sasuke lorgnait chacun de ses mouvements, passant à la gesticulation de ses doigts au tressaillement de ses épaules. Elle mit son corps en arrêt en retour.

— Pourquoi te craint-il ? enchaîna l'Uchiha.

— La craindre ? souffla Naruto. Non, Neji déteste Saku, mais il n'est pas effrayé par sa personne.

— Oh oui. Sakura le sait tout autant que moi. Derrière sa haine se cachent un désespoir et une terreur sans nom. Alors, qu'as-tu accompli ?

— Ça ne regarde aucune des personnes attablées. Neji et moi, ça appartient au passé et je préfère que cela reste ainsi.

Son cœur était parcouru de chocs électriques pour refuser de prononcer la vérité, mais elle résista et la douleur devint plus forte, lui coupant presque le souffle. Certains secrets la suivraient jusqu'à sa tombe. Et ceux-là ne dérogeraient pas à la règle. Seuls Tsunade et Neji Hyuga connaissaient ses actes ignobles. Peut-être passeraient-ils aux confidences avec la nation de Konoha ? Elle n'en avait aucune idée, et préférait garder ces souvenirs horripilants loin de son esprit. Pour le moment, du moins...

Sasuke, prenant conscience de sa réticence, détourna les yeux pour les poser sur chaque compatriote présent dans la grande salle. Il les détailla au peigne fin, avant de se lancer dans la suite de sa tirade :

— En sachant que nous étions observés, nous nous sommes faits discrets, mais les évènements se sont précipités et le temps ne pouvait être compté.

En d'autres mots, sa capture avait éconduit leur mission.

— L'objectif de notre expédition a pris fin et l'arme reste toujours introuvable.

Sakura sentit le mensonge à plein nez. La table ovale qui offrait une souffrance électrique à ceux qui n'optaient pas pour la véracité des mots ne dut faire aucune exception avec Sasuke. Mais le chef ne renvoyait qu'une aura austère et un visage ténébreux, sans émotion.

— Peut-être qu'il ne s'agit pas d'un arsenal ou de simples traîtres à démasquer, mais autre chose ? exposa-t-il.

Au vu du regard qu'il lui lança, elle comprit. Elle était l'arme, la carte maîtresse. Et Sasuke le savait tout autant qu'elle. Sakura se demanda si ses compagnons étaient au fait de cette nouvelle. Le Maître la cherchait, ne lui faisait aucun mal lorsqu'elle était piégée. Et l'homme qui l'avait visité... Était-il seulement un simple individu ou le malfrat en personne ? Ses méninges tournaient à mille à l'heure.

Gaara prit la parole, coupant ses pensées. Il gardait un ton froid et foudroyait le chef de Madocia du regard.

— Quand j'ai appris ton emprisonnement, j'ai fait appel à Sasuke. Je savais qu'il nous cachait quelque chose de capital et j'espérais qu'en attisant son attention, il trouverait un moyen de t'éloigner et de te protéger. Nos deux nations sont maintenant des alliés.

L'éclat de ses yeux, proférant colère et résignation, lui coupa le souffle. Gaara avait passé un pacte avec Sasuke. Et celui-ci avait gagné quelque chose en retour. Voilà la raison de sa venue. Il ne l'avait pas aidée par charité, mais parce que l'homme qui l'aimait l'avait suppliée de le faire. Et au lieu de reprendre place avec ses habitants, et de régner sur sa nation, le roux se trouvait ici même. Sakura comprit autre chose : Gaara était prêt à se sacrifier et à encourir la sécurité de son peuple pour elle. Alors que Sasuke n'avait que signé un contrat pour des accords d'alliances et de guerre. Il s'en fichait d'elle.

— On s'est regroupés tous ensemble, parce que Sasuke nous garantissait une vie paisible et non de fugitifs. Il a fait une promesse : nous protéger autant que nos partenaires.

Shikamaru capta son regard pour s'assurer qu'elle avait bien assimilé ses bribes de mots.

— Mais tout choix comporte son lot de sacrifices. (Naruto se tordit les mains en affirmant ses pensées tout haut.)

— Et de souffrance, trancha Kiba, la mâchoire crispée.

Le silence pesant à la suite de leur dialogue faisait vibrer chaque cellule de Sakura. La table de vérité rayonnait et tremblait de l'intérieur.

Après maints échanges, Sasuke fit sortir tous les invités, reportant la réunion au lendemain. Ses yeux perçants ne la lâchaient pas d'une semelle, mais elle bouillait de rage, surtout lorsqu'il lui demanda de rester pour s'entretenir seul avec elle.

Quand la porte claqua et que le silence fendit l'air, son premier amour fit tomber le masque et s'approcha d'elle. Un prédateur, voilà à quoi il ressemblait, mais elle ne se laissa pas amadouer par son beau visage et glissa ses doigts sur la surface en pierre avec lenteur. L'éclat lui vrillait toujours autant les iris, mais elle s'y habituait. Croyait-il vraiment qu'elle craquerait pour lui, alors qu'elle connaissait l'ampleur de sa généreuse aide ?

— Tu as fait partie de cette mission de secours seulement à des fins de stratège.

Sasuke ne prononça pas le moindre son et continuait de l'observer. Sakura bouillait de rage.

— Affirmer quand on ne connaît pas les détails d'un événement, c'est très bas de ta part, Sakura.

— Oh, mais Sasuke, souffla la jeune femme, lasse de cette discussion. Je me fiche bien de ce que tu trouves d'immoral. Ce n'est pas comme si tu avais prévu de me tenir aux faits de toute façon.

— Effectivement. Certains secrets sont mieux ensevelis avec soi-même. Cacher sa vraie nature, Sakura, c'est comme respirer. Et je crois que tu ne pourras jamais me reprocher de garder des propos pour ma personne.

Elle le faisait aussi. Voilà ce que lui criaient les yeux du brun. Sakura verrouillait son cœur comme on observait les nuages avec détachement. C'était plus sécuritaire. Son jardin secret contenait des hectares de terrain et personne ne le franchissait. C'était mieux ainsi.

— Lee...

Sakura se figea. Elle ne voulait rien savoir. La bille au fond de la gorge, elle était prête à faire demi-tour pour s'échapper de la tournure que prenait cette discussion.

— J'ignore comment, mais il a survécu.

Le mouvement brusque qu'elle amorça sous la nouvelle lui arracha une plainte à l'épaule. Puis sans plus, elle s'élança vers la sortie.

— Tu n'es pas autorisé à le voir ! clama sa voix tonitruante.

Avec une rapidité hors norme, elle éclata de colère et lui jeta son chausson au visage. Sous son geste virulent, Sasuke ne put l'éviter et se prit la forme d'éléphant en pleine figure. Il en resta stupéfait quelques secondes, avant de froncer les sourcils.

— Il n'est pas en état d'accueillir qui que ce soit, alors tu vas poser cette chaussure, fille démoniaque !

Juste pour le surnom horripilant, elle lui balança sa seconde pantoufle dessus. Et pour le plaisir aussi. Il l'intercepta avec facilité cette fois-ci, un sourire de bouffon fini au coin des lèvres. Elle lui ferait manger bien plus que des chaussons en éléphants si ça ne tenait qu'à elle !

Sasuke se rapprocha dans un torrent de mouvement, et Sakura battit en retraite à reculons.

— Maintenant, il contourna la table pour l'atteindre et elle continua de l'éviter en restant à son extrémité. Cesse de me fuir, bon sang !

— Je fais bien ce que je veux, argumenta-t-elle avec acidité.

— Oui, je vois bien que ça t'a toujours avantagé ! À présent, ramène tes fesses qu'on est une discussion entre deux adultes.

Nom de Dieu. C'était l'hôpital qui se foutait de la charité ! Sakura avait cherché le pourparler avec cet imbécile si longtemps et il l'évitait comme la peste. Maintenant, c'était à son tour. Agacée, elle se posta à deux mètres de distance.

Furieux de sa réticence, il l'empoigna par les hanches, la plaquant contre son torse, lui coupant le souffle. Leur respiration se mélangeait à cette distance, la faisant frissonner jusqu'aux orteils. Mais Sasuke n'était pas en reste, les lèvres entrouvertes, les yeux assombris par l'appétit, ses narines se dilatèrent. Il la pressait contre lui avec une telle force qu'elle se surprit à pouvoir encore inspirer. Bon sang ! Il espérait la tuer, sacre bleu !

— Bien, susurra-t-il.

Elle voulut se dérober, mais Sasuke exaltait la puissance. Elle. Le. Détestait. Tant. C'était. Atroce. Sasuke lui redressa la tête, en empoignant son menton avec douceur. Ses cheveux ébène vinrent frôler son nez et Sakura n'eut pour vision que l'appel de ses lèvres. Elle déglutit, tiraillée de l'intérieur.

— Avant que le désastre et l'horreur ne s'abattent sur nos nations, je le voulais et je le veux toujours. Malgré nos différends, malgré ce qu'on a dû accomplir et malgré nos obligations. Je te le demande, Sakura.

Elle retint son souffle.

— Deviens ma Reine. Ma compagne.