𝑪𝒉𝒂𝒑𝒊𝒕𝒓𝒆 38 - 𝑈𝑛 𝑚𝑜𝑛𝑠𝑡𝑟𝑒 𝑠𝑒 𝑑𝑜𝑖𝑡 𝑑'𝑒̂𝑡𝑟𝑒 𝑛𝑜𝑢𝑟𝑟𝑖

Quand Sakura se réveilla, c'était le noir complet. On lui avait déposé sur ses yeux un bandeau pour qu'elle ne puisse faire appel à sa vue. Mais elle n'était pas effrayée par la situation. Elle sentait l'énergie de Tsunade à ses côtés, miroitante de vert forêt, tirant sur le brun. Les couleurs prenaient vie et malgré son turban, elle arrivait à les distinguer avec une netteté folle. Sakura fronça les sourcils, perturbée par la teinte inhabituelle qui transperçait les pores de la peau de son ancienne préceptrice. Ses yeux améthystes lui picotaient sous son masque et avant de pouvoir réfléchir à retrouver leur nuance originelle, on le lui enleva.

La lumière vrilla ses iris, lui arrachant un éclat de douleur. Les mains attachées, elle était assise sur une chaise en métal. Une table de fer se trouvait devant elle et ses coudes reposaient dessus. De gros projecteurs embrasaient la salle, la forçant à fermer ses paupières. En les rouvrant, elle croisa le regard vert forêt de son ancienne préceptrice. Il n'y avait pas le moindre sourire sur son visage. Les traits imperturbables, elle semblait presque agacée.

Elle claqua sa langue contre son palais, les sourcils froncés. En remarquant comment Tsunade le toisait, Sakura comprit pourquoi elle éveillait autant d'animosité.

- Si tu pouvais éviter de te transformer, je t'en serais vraiment reconnaissante.

Son ton de voix était sarcastique, mais Sakura sut y discerner une certaine angoisse. En quelques secondes, ses pupilles reprirent leur teinte habituelle. Les épaules de la chef du village se détendirent imperceptiblement. Un sourire orna ses lèvres pulpeuses, mais la rose resta de marbre. Elle ne lui faisait plus confiance.

Des caméras encadraient la salle. Il y en avait au moins cinq différentes.

- Elles sont désactivées, si c'est ce qui t'inquiète.

Sakura ne fit pas de commentaire et continua d'observer les lieux. Elle se trouvait dans une pièce close, si petite qu'elle ne renfermait qu'un bureau et deux chaises. Le panneau opaque à sa droite n'éveilla pas le moindre sentiment de sécurité à la jeune femme. Elle était dans une salle de détention, prête à subir un interrogatoire. Rien d'effrayant en soit, mais les émotions de son ancienne préceptrice étaient si brumeuses contre sa peau, qu'une odeur désagréable s'en dégageait. Elle fronça les sourcils, impatiente.

Se triturant les doigts, Tsunade de son côté semblait chercher ses mots avec soin.

- Il fallait qu'on se parle. Seule à seule.

Sakura éclata de rire sous ses paroles. Si la chef cilla à l'intonation de son hilarité, elle tenta tant bien que mal de ne pas le montrer, mais trop tard, la jeune femme avait tout vu. Encore une fois, elle éveillait la peur. Et aujourd'hui, elle ne s'en souciait plus. Elle appréciait même. Alors, toute souriante, la jeune femme lui lança un clin d'œil, les yeux brillant d'une lueur dangereuse.

La chaise de son ancienne préceptrice craquela contre le sol, trahissant la terreur qu'elle pouvait ressentir à l'égard de la rose.

- Il y a trois gardes derrière cette foutue porte et six autres à l'arrière de cette baie vitrée opaque, acéra-t-elle d'une voix glaciale. Tu me prends vraiment pour une imbécile, Tsunade. Fais attention, tu me connais et tu sais à quel point je peux être dangereuse. Tu ne voudrais pas figurer dans mes ennemies, n'est-ce pas ?

Ses liens irradiaient d'une chaleur insupportable, lui brûlant les poignets, mais Sakura ne fit pas le moindre mouvement pour exprimer sa douleur. Elle laissa son pouvoir prendre lentement le dessus. Ses menottes tentaient de contenir ses capacités en vain. Un sourire orna ses lèvres. L'heure des réponses avait sonné et rien ne pourrait l'empêcher de découvrir le fin mot de l'histoire.

Pas même Tsunade.

Surtout pas elle.

- Alors ? Rien à dire ? Je t'ai toujours connu avec une langue bien pendante, que s'est-il passé depuis, la vieille ?

Son ancienne préceptrice détestait quand Naruto l'appelait ainsi. Aujourd'hui, plus rien ne comptait. Elle n'en avait que faire. Elle voulait mordre, griffer et hurler de rage. Le sang chaud et noir qui coulait dans ses veines exigeait sa vengeance. Elle se battrait, elle en rêvait presque en fait.

Se passant la langue sur ses lèvres, les iris brillants d'un violet pur, Sakura pencha la tête avec lenteur tout en observant la chef du village. Les cheveux or pendant contre son visage, des poches sous les yeux et les joues creuses, elle éveillait presque de la pitié pour la jeune femme. Presque.

Sans réfléchir une seconde de plus, Tsunade tendit son bras vers la fleur, pour le coller contre la table en fer, mais Sakura réagit au quart de tour et malgré ses sangles, esquiva l'attaque, sauta et enfonça son pied en pleine mâchoire dans le visage de la blonde. La chef fit une roulade par terre et se redressa maladroitement, une grimace défigurant ses traits. Mais la jeune femme ne lui laissa aucun répit et enchaîna avec un coup d'épaule dans la poitrine. Le souffle étouffé sous l'impact, Tsunade se retrouvait plaquée contre le mur en béton de la salle et, bien qu'une baie vitrée fît face à la droite des deux femmes, Sakura sut que les renforts ne viendraient pas. Et elle en fut presque déçue. Ce ne serait qu'un combat entre elles.

Sakura apprécia l'éclat de fureur qui brillait dans les yeux de la chef, tout autant que les gouttelettes de sang au bord de ses lèvres fendues. Une grimace altérait le visage anguleux de Tsunade et la jeune femme n'eut aucune miséricorde ou indulgence pour elle. Elle voulait la briser, tout entière, la laisser avec la même misère et mansuétude que Sakura avait pu ressentir ses derniers mois. Mais elle ne put continuer l'issue du combat tant attendu, car son ancienne préceptrice sortit une minuscule manette aux filaments écarlates et appuya sur le bouton intégré dessus. Un éclair de fumée prit place dans la salle, suivi d'un cri de détresse.

Elle venait de lui cramer ses poignets, bordel!

Ses menottes lui calcinaient la chair fine et Sakura grogna sous la colère, ne sentant plus que de minces décharges électroniques de douleur sous l'adrénaline. Elle amorça un mouvement, mais la chaleur se propagea jusqu'à son torse, parsemant sa peau de plaquettes rouge en feu. Elle céda sous la souffrance, s'aplatissant contre le sol, le souffle erratique et les yeux brillants d'une frénésie difficilement contenue. Tsunade l'empoigna par les cheveux et la ramena de force contre la chaise. Sakura bouillait d'une rage abyssale.

Elle avait soudainement envie de sang.

- Je ne veux pas courir le risque que tu me tues, Sakura. Vois-tu, j'ai fait un pacte avec des individus dangereux.

Le silence qui suivit ses paroles était éloquent. La jeune femme ne fit pas le moindre geste, fermant les yeux pour mieux assimiler la traîtrise de la chef du village. L'ironie frappait à sa porte, pensa-t-elle. Tsunade qui faisait la chasse à l'homme aux délateurs, s'avérait n'être nulle autre qu'un scélérat elle-même.

- Le Maître, un sourire naquit les lèvres de la blonde, presque songeur, et Sakura amorça un mouvement pour vomir sous cette réaction pitoyable.

- Ne me dis pas que tu as eu une liaison avec lui, cracha-t-elle en retour, une moue dégoûtée déformant les traits de son visage.

En réponse, elle aplatit sa main contre la table, les yeux pétillants de colère. Bien, bien, elles avaient un sentiment de partagé maintenant.

- J'ai échangé avec lui à travers ses hommes, car il n'a jamais osé montrer le bout de son nez. Il est lâche, que veux-tu ? Mais Sakura, ma douce Sakura. Il a de grands desseins pour toi. Tu figures dans son plan sordide depuis bien longtemps.

- Comme si ça m'intéressait. Libère-moi, maintenant, avant que je te réduise en cendres.

Tsunade ricana.

- Ne me fais pas rire, Sakura. Je sais à quel point tu veux savoir ce qui se produisait dans ton dos, lorsque tu passais les couloirs de ta propre maison, quand tu conversais avec tes amis, et alors que tu devais épier chaque individu, à devenir malade de méfiance envers et contre tous. Tu désires découvrir la vérité, savoir le vrai du faux et ne t'en fais pas, ça viendra. Mais avant...

Lentement, sachant que la douleur était trop grande pour la rose, Tsunade lui planta une seringue en plein dans la main. La jeune femme ne fit pas le moindre bruit, malgré le liquide argenté qui lui brûlait le sang dans les veines.

- Comme je te l'ai dit, je préfère être en vie pour les prochaines années, alors je m'assure un fauteuil pour la réussite. Même si j'avoue que ta destinée risque de ne pas être aussi charmante que la mienne.

Tsunade baissa ses iris pour observer ses ongles d'un air las et soupira de manière théâtrale.

- Pauvre Sakura. Incapable de se contrôler, devenant une tueuse d'innocents, tu te replis sur toi-même, tu t'isoles et personne ne le remarque, parce que tu es insignifiante et surtout, car personne ne te connaît réellement. Pas même tes chers et tendres meilleurs amis. Naruto et Lee. Une vraie risée que tu es.

La jeune femme serra ses poings, mais ne fit pas le moindre mouvement. Les yeux fermés, elle semblait en pleine méditation. Si méditation rimait avec désir de sang.

- Tu ne peux pas t'échapper, ma belle. Donc, regarde-moi dans les yeux. Je veux voir cette sale couleur se volatiliser lorsque je t'apprendrais ce qui risque de t'arriver dans les prochaines heures et jours.

L'éclat améthyste était intact lorsque Sakura rouvrit ses paupières. Ses pupilles dilatées exprimaient colère et chagrin. L'eau y siégeait et la chef du village explosa de rire en voyant la peine de son ancienne élève.

- Alors, toi qui es si intelligente, dis-moi. Comment tu t'es retrouvée dans cette situation ?

La grande blonde tendit les bras, les écartant, un sourire aux lèvres et une lueur de défi foudroyant ses yeux vicieux. Sakura eut vaguement un sentiment de déjà-vu et détourna le regard, perturbée. Comme elle ne prononçait pas la moindre parole, Tsunade fronça les sourcils, reprenant une moue rechignée. Elle planta ses pupilles dans celles de son ancienne élève.

Maintenant qu'elle n'était plus dangereuse, Tsunade faisait la fière, pensa la fleur amère. Si elle n'avait pas ce foutu produit dans les veines, elle arracherait le crâne de cette sale vieille femme.

- Le plan était de prouver ton identité au Maître. Il m'a demandé de chercher quelque chose de précis. D.V.H

Tsunade pencha la tête de côté, évaluant le non verbal de la jeune femme, mais elle ne faisait pas le moindre mouvement. Les poignets et la peau à vif et ses yeux luisant toujours d'une haine farouche.

- Qu'est-ce que ça veut dire ? Aucune idée, et je me demande si toi-même tu ne le saurais tout simplement pas.

Toujours aucune réaction.

- Lorsque Kyra a trouvé ton amulette, je savais que le marché était scellé. Il fallait juste une confirmation et je l'ai en ma possession. Il veut te récupérer et je compte bien lui faciliter la tâche.

- Pourquoi ? Vous m'en voulez à ce point-là ? Naruto est semblable.

- Non, Naruto n'est pas comme toi. Et il a fait ses preuves en sauvant des vies, quand toi tu n'as fait qu'en prendre !

La mâchoire crispée, Sakura détourna son regard, puis ferma brièvement les yeux pour inspirer par le nez.

- Oh non, Sakura, tu vas affronter la vérité et me regarder dans les yeux.

Elle retint sa respiration.

- Vous étiez 40 individus au retour de la bataille, des médecins et infirmières. Vous aviez pour mission de sauver et de guérir les souffrants de la Grande Guerre et c'est ce que vous faisiez, Sakura. Au départ, n'est-ce pas ? Mais il a fallu que tu assistes à un tragique évènement et que tu perdes les pédales.

Sakura détourna le regard, les membres tremblants d'une rage si sombre que des taches ivoire et noires commençaient à recouvrir sa peau, mais la transformation s'arrêta abruptement sous les décharges électriques et la brûlure qui siphonnait son corps.

- Ils ne méritaient pas ça et tu voulais que j'assiste à la scène. Tu voulais que je craque, parce qu'au fond, tu avais toujours su ce qui vivait en moi. Mais c'était plus fort que toi, grogna Sakura en la fusillant du regard, les poings serrés à s'en blanchir les jointures. Il fallait vite faire sortir la bête, et ce, peu importe les répercussions, alors, tu m'as poussé à bout et elle a émergé. Et je n'en savais rien. J'ai subi les conséquences et j'ai tué, décapité et lorsque je me suis réveillée, le fardeau était si grand que j'ai cru que j'en mourrai.

- Non, non, non, souffla Tsunade en soupirant d'une voix méprisante. Ne mets pas la faute sur les autres, ça ne se fait pas. On ne s'améliore pas comme ça. Où est donc passée la petite fille qui donnait toujours le bénéfice du doute à autrui, qui pardonnait et surtout, qui prenait conscience de ses erreurs ?

- Elle est morte ce jour-là, claqua-t-elle de sa voix glaciale.

Tsunade écarta ses doigts de son visage pour les observer, pensive, et les lèvres recourbées. L'éclat de dégoût qui brillait au fond des pupilles de la blonde n'atteignait plus la jeune femme. Seule la fureur restait. Rien de plus.

- Sakura, répliqua la chef du village, en reculant sa chaise pour ne pas être trop proche d'elle. Personne ne te croira et surtout, personne ne te pardonnera pour ce que tu as fait cette journée-là.

Le corps de Sakura était pris de spasmes étranges, sous la douleur et le chagrin. Les larmes affluaient au coin de ses yeux sous les paroles de son ancienne préceptrice. Elle savait. Personne ne lui pardonnerait, parce qu'elle avait commis l'irréparable, l'abominable. Elle avait tué sans merci. Un hoquet franchit la barrière de sa gorge en prenant conscience qu'elle ne pouvait plus s'enfuir, éviter l'horrible réalité qu'elle était. Elle avait...

- Tu as décimé la troupe entière de 40 individus. Des guérisseurs, des personnes innocentes, des gens bien. Tout ça, parce que tu n'as pas su contrôler tes émotions.

Silence. Reniflement. Une douleur irradiait de sa poitrine, mais Sakura savait que ce n'était pas physique.

- Tu es une meurtrière. Neji a raison.

Toujours ce même calme dans la salle. Sa respiration erratique faisait seulement écho entre les murs de béton qui la maintenaient prisonnière.

- Je n'ai pas voulu les tuer, murmura-t-elle dans un souffle. Je ne savais pas à ce moment-là ce que j'avais en moi, j'ignorais ce que j'étais...

- Et qu'es-tu, Sakura, hein ?

La réticence qu'elle avait à prononcer la moindre parole résidait dans ses émotions. Elle bouillait de rage, de fureur et d'un abattement si profond qu'une aigreur obscure déteignait dans l'atmosphère.

- Tu as ravagé des familles entières et j'ai dû cacher tout ce carnage en trouvant de pitoyables excuses. Konoha croule sous les mensonges que j'ai assumés pour toi et pour Neji.

Elle n'avait jamais voulu de son aide, car si elle avait perdu autant le contrôle sur sa part sombre jusque-là inconnue, c'était à cause de la chef, mais elle se garda de prononcer les moindres paroles. Les souvenirs de cette affreuse nuit la hantaient encore. Le sang suintant dans la forêt, les membres disloqués, les yeux vitreux qui l'observaient. Tout n'était que sombreur douloureuse.

- Tenten est morte par ta faute. Et c'est Neji qui a dû trimballer sa dépouille sur des kilomètres parce que le champ était tellement dans un mauvais état qu'il ne pouvait prendre le risque d'amener des troupes en renfort. On aurait posé des questions. Et personne ne pouvait savoir ce que tu avais fait...

Elle ne souvenait de tout. Des regards furtifs des villageois en apprenant qu'elle était la seule survivante. La belle excuse : une attaque avait eu lieu, un tragique accident et elle s'était trouvé hors cible, par chance. La pitié sur les visages, la compassion des habitants ne lui avaient laissé d'une piqûre mordante de désolation, d'horreur et de dégoût. Elle détestait Tsunade, mais elle se mentait par-dessus tout. L'amertume et la géhenne de sa rage n'entouraient qu'une seule et même personne : elle-même. Sakura avait commis ce massacre. Personne d'autre. C'était elle qui avait fait exploser sur des kilomètres à la ronde des amis, des camarades. C'était elle qui avait perdu le contrôle.

- Je regrette de t'avoir protégée. Neji m'en veut, il aurait préféré que tu meures au lieu de sa bien-aimée et je comprends.

Tsunade s'était relevé et tournait en rond, les yeux sombres de colère mal contenue. Gardant le visage baissé, elle sentait tout, les émotions de la chef, le goût de sa chair brûlée sur sa langue, et le parfum du remords, de la violence et du supplice de ses victimes.

- Un plan s'est dessiné dans ma tête lorsque Neji m'a donné le contact du Maître. Il faut croire que les anciens amis peuvent parfois commettre les plus grosses trahisons.

Sakura n'était pas surprise. Neji et elle étaient très proches auparavant, toujours à se taquiner. S'il avait fini avec sa bien-aimée, Tenten, c'était parce qu'elle l'avait poussé dans ses bras lors d'une soirée. Leur histoire avait été magique, comme des papillons dans la nuit, mais leur parcours à deux fut bref, écourté par le monstre qu'elle était. Son ami avait comploté dans son dos par après.

La tête dodelinant sur ses épaules, elle n'articula pas le moindre son.

Ce n'était pas vraiment une surprise.

Alors, elle changea de sujet, parce que c'était sa manière à elle de se protéger.

Lâche, lui soufflait sa conscience.

- Les félons, prononça la jeune femme en se raclant la gorge. Ils sont un poids dans la balance, n'est-ce pas ? Tu t'en fiches d'eux. Si le Maître se retourne contre toi, tu aurais un certain contrôle sur ses actions avec ses membres à ta merci. Est-ce exact ?

- Oh, Sakura, mais non. Tu me surestimes. Les traîtres capturés ne servaient que pour mon plaisir personnel. Je vais les tuer après mon arrangement avec le Maître.

- Et il te laissera faire ?

La chef du village éclata d'un rire cinglant, ses yeux virulents pointés vers elle, mais Sakura ne lui reprocha pas sa colère ni sa haine.

- Il a bien assez de pions et pour toi, il sacrifierait bien des individus...

- Je ne comprends pas, il ferait de moi son arme et je serais l'ennemi.

- Non, Sakura. Je n'ai pas vraiment prévu te donner à l'équipe adverse.

Un silence imposant parcourut la pièce, si lourd qu'il forcerait n'importe qui à s'arracher les cheveux, mais Sakura resta calme. Les méninges en feu, elle commençait à réaliser ce qui se déroulait.

- Tu comptes le faire sortir de sa planque et après le tuer. Et m'éliminer serait un ajout nécessaire, car je suis une nuisance.

- Tu réfléchis rapidement, Sakura.

- Et toi pas assez, grogna-t-elle. Le Maître, s'il a aussi bien caché son identité, pourquoi se montrerait-il à jour ? Il pourrait simplement amener des pions.

Tsunade poussa une poussière imaginaire de la table avec ses longs doigts cornus.

- Alors, tu mourras pour rien, termina-t-elle d'une voix faussement tragique.

- Qui était au courant ? souffla Sakura pour la deuxième fois, les yeux vitreux.

Elle était toujours dans cette foutue salle morne et respirait l'odeur putride de la sueur de Tsunade. Elle souhaitait être tout sauf ici, mais le karma avait une drôle de façon de tourner les choses. Alors, les dents serrées, la jeune femme s'était contentée de relever sa petite bouille pour fusiller du regard son ancienne préceptrice, celle pour qui elle aurait tout donné et sacrifié, celle qui jadis avait remplacé le rôle de sa mère.

Mais la trahison était un cercle vicieux qu'elle avait intégré depuis bien des années et s'en débarrasser semblait aussi difficile que de résister aux sangles calcinant ses poignets. La torture avait duré des heures et Sakura était épuisée. La peau sur ses poignets s'était détachée, avait durci jusqu'à devenir noire, puis après elle guérissait et tout recommençait. Tsunade lui faisait vivre un calvaire et la rose se demanda en observant le visage crispé de la blonde si c'était plus dérangeant pour elle ou pour sa lointaine enseignante.

Ses doigts pianotaient contre la table de fer. Les yeux dans le vague, elle semblait en pleine réflexion. La torture n'avait servi à rien. Elle ne pouvait soutirer des informations à Sakura. La pauvre ne connaissait même pas l'existence de l'essence de son sang.

Se mordant la lèvre, elle grogna et se releva, ignorant une nouvelle fois la question de son ancienne élève.

- D.V.H, Sakura. Essaie de t'en souvenir, tu dois bien avoir une idée de sa provenance ? Pourquoi le Maître se réfère-t-il à ça pour te trouver ? Que caches-tu ? Tu débordes de secrets, bordel!

Tsunade était en train de péter un plomb, se tirant les cheveux, les yeux écarquillés d'horreur. Un peu plus et elle ressemblait à une morte vivante. Sakura ne lui fit pas le plaisir de lui répondre. Jamais.

Alors, elle esquissa un sombre sourire, malgré la fatigue, malgré la douleur et la lassitude de la situation. Elle en avait marre. Mais elle n'était pas la seule et en vue des cernes de son ancienne préceptrice, les yeux de Sakura pétillèrent. La mine désastreuse de la blonde lui apportait une certaine satisfaction.

Penchant la tête vers l'arrière, les yeux fermés, elle ricana.

- Ne joue pas à ça avec moi, petite idiote, écuma Tsunade en l'observant, alors qu'elle tournait en rond. Je sais que tu joues avec mes nerfs.

- Vraiment ? chuchota Sakura d'une voix amusée. Et si je te proposais un accord ?

Tsunade aplatit sa main avec vigueur contre la table dans un cri de rage.

- Tu me prends pour une imbécile, c'est moi qui suis aux commandes, ici ! Pas de compromis, tu réponds, c'est tout !

- Aux commandes, tu dis ? En as-tu seulement l'air ?

Toujours ce petit sourire moqueur. Sakura savait que bientôt la dirigeante du village craquerait. La patience n'avait jamais été son fort.

L'esprit d'une chef, que des conneries! pensa-t-elle en observant une nouvelle fois à la dérobée la vieille à la peau jaunâtre.

- Tsunade, susurra Sakura d'une voix doucereuse en plantant ses iris améthystes dans ceux émeraudes de la femme. C'est donnant-donnant. Je te pose une question, tu réponds et j'enchaînerai avec les réponses que tu attends depuis tellement d'années.

- Tu crois que je vais tomber dans ton piège ?

- Quel piège ? ricana-t-elle.

Elle releva ses menottes ensanglantées dans des chaînes au fer chaud et pencha la tête de côté, toujours une risette encadrant les traits de son visage.

- Je ne suis pas dans une position très menaçante, Tsunade. Comme je te l'ai dit, c'est donnant-donnant. On perdra moins de temps ainsi. Tu as ce que tu veux, et moi aussi. Point la ligne.

La chef échappa un juron maladroitement, souffla fort, puis se laissa tomber sur la chaise en face de la rose, les yeux fixés sur sa personne. Elle n'eut besoin que d'un hochement de tête avant que Sakura enchaîne d'une voix cachant avec habileté son empressement.

- Qui était au courant ?

- Oh, bien des individus, petite chose!

Sakura ne fit aucun commentaire face au surnom, elle attendit. Tsunade était connu pour détester les silences, elle les comblait assez rapidement en général.

- Tu n'as pas beaucoup de vrais amis, Sakura. Je pensais t'avoir appris à être plus vigilante, pourtant. Tu me déçois.

Sakura se revit quelques mois auparavant lorsque Sasuke avait prononcé ces mêmes paroles à une soirée qui avait dérapé. On dirait que cela faisait une éternité. Elle était une petite fille à ce moment-là, perdue dans les méandres de ses pensées amoureuses. Le sentiment mélancolique qui prit place face au souvenir lui tordit l'estomac. Était-ce idiot d'affirmer que cet imbécile d'Uchiha lui manquait ? Lui et son caractère de bouffon ? Bon sang. 

Ses derniers jours avaient fait vraiment dérailler son cerveau. Rien de plus frustrant que de se faire insulter par la personne qu'on avait le plus aimé. Et pourtant, voilà. Fermant les yeux, elle s'imagina le noiraud la fusillant du regard, les pupilles fulminantes de rage et lui crachant au visage à quel point il la détestait, à quel point elle était l'accablement et la perte qu'il ne voulait pas avoir dans sa vie. Puis ses lèvres, son torse, son corps.

Ses paupières s'ouvrirent soudainement. Son souffle était erratique.

Tsunade crut qu'elle était perturbée par la possibilité de se faire trahir par ses amis proches. Elle n'avait aucune notion de ses pensées et cette imbécile sourit en imaginant la voir souffrir.

- Tu aimerais bien connaître les noms, n'est-ce pas ?

La blonde pencha la tête, tentant de capter un éclair d'émotion dans les yeux violacés de Sakura, mais rien. Le néant complet. Elle souffla, excédée.

- Maintenant, que veut dire D.V.H ?

- Aucune idée, répliqua la jeune femme d'une voix où transperçait un rire.

L'éclair de rage qui jaillit dans les iris de son ancienne préceptrice l'amusait tout autant que sa perte de contrôle. Tsunade bondit de la chaise, les pupilles écarquillées d'hystérie intérieure et empoigna le cou de la jeune femme, le broyant au passage. Sakura ne fit pas un bruit, ses yeux se révulsaient, mais elle souhaitait garder le contact visuel avec la vieille folle du village. Les secondes s'écoulaient à une lenteur macabre. Lorsqu'elle lâcha prise, Sakura sentit sa trachée brûlée et une quinte de toux la prit.

- C'est donnant-donnant, hein ? murmura tremblante Tsunade, encore perturbée d'avoir perdu autant le contrôle sur ses émotions.

- Maintenant, tu sais ce que ça fait.

La chef du village tourna un œil vers elle, confuse.

- Lorsqu'on se fait pousser à bout, jusqu'à perdre la raison.

La blonde éclata d'un rire tonitruant, une lueur insalubre dans le fond de ses iris. Elle se lécha sa lèvre inférieure, tout en craquant les phalanges de ses doigts.

- Tu n'es rien qu'un pauvre monstre enfermé dans une cage, Sakura. On n'a rien de semblable, toi et moi. Je vais continuer ma vie, quand toi tu croupiras six pieds sous terre.

- Six pieds ? C'est peu, non ? Je pourrais toujours venir te hanter. Non, non, ce serait probablement mieux douze, répliqua Sakura d'une voix rauque. À moins que tu rêves autant que moi de te faire éventrer par mes mains ?

Elle toucha ses doigts ensanglantés avec un émerveillement si fort en prononçant ses paroles que Tsunade recula de terreur.

- Le pauvre monstre enfermé a toujours du pouvoir sur toi à ce que je vois, poursuivit-elle.

La chef du village déglutit, puis tendit la manette rouge vers elle.

- Je n'ai aucun problème à employer mes instruments de torture sur toi, petite chose. Tu ne peux rien me faire là où tu es.

- Oh, Sakura fit semblant d'avoir peur, puis éclata dans un grand rire. Tu as déjà utilisé ce joujou sur moi pendant des heures, je ne le crains plus. Il fait certes mal, mais quand je sortirais d'ici, pour ton marchandage, soit prête, parce que rien ne m'empêchera de te poursuivre et de te tuer. Le monstre est assoiffé, Tsunade, et c'est toi qui ne l'as pas nourri.

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