Chapitre 4
Je me suis perdu. Bon, en vérité, c'est bien fait pour moi.
Je n'avais qu'à pas décamper au moment où madame Martin est revenue reprendre la tête de notre groupe.
Mais c'était plus fort que moi.
Ses jacassements incessants sur la bonne conduite à suivre pour respecter le règlement me donnaient plus mal au crâne qu'autre chose.
Je suis mieux seul, à arpenter à mon rythme les vallonnements de cette université colossale. Je me prendrais peut-être un avertissement pour cet écart, mais j'estime pouvoir me l'octroyer pour mon premier jour ici.
Surtout à l'égard de ce que cet endroit m'a fait. De ce qu'il m'a pris.
À cette pensée, je serre avec plus de force la sangle de mon sac en foulant la pelouse extérieure et retrousse les manches de ma chemise sur mes avants bras lorsque je quitte le couvert de l'une des façades en brique.
Le soleil s'empresse de m'auréoler, insinuant une chaleur cuisante sous la couche de vêtements que je suis forcé de porter.
Cessant de fixer mes pieds, je m'intéresse un peu plus à ce qui m'entoure et quitte le cocon familier que sont mes pensées bourdonnantes.
Je me suis habitué à trop penser, prenant ça comme un échappatoire plutôt qu'une malédiction.
J'aime me perdre dans les méandres de mon esprit et me laisser aller à diverses réflexions philosophiques sur la nature, l'astronomie, la littérature, la science, l'humai...
— Attention !
Trop tard.
Je n'ai pas le temps de faire un pas de côté qu'un ballon de basket me percute violemment l'épaule.
Grimace et geignement de douleur accompagnent le plat de ma paume quand je masse l'endroit de mon corps endolori.
Aveuglé par les rayons du soleil qui m'agressent la rétine, je mets un moment à discerner l'endroit où je me trouve.
Je ne me suis pas tant éloigné que ça du bâtiment principal. Simplement plus fourni en mètre carré que mon ancien établissement, il est entouré de pâturages verdoyants qui s'étalent à perte de vue.
Les étudiants peuvent ainsi profiter du beau temps à l'ombre des grands bouleaux blancs et des chênes pédonculés. Des tables et des bancs en bois sont également mis à leur disposition près des chemins de terre, les enjoignant à travailler sous une belle toile couleur azur.
Mais beaucoup n'en ont pas besoin et préfèrent directement s'asseoir par terre entre les marguerites et les trèfles pour flâner entre deux heures de cours.
Levant une main pour me tirer de mes pensées, je fais de l'ombre à mon regard et scrute avec un certain agacement le garçon qui vient récupérer la balle qui repose non loin de mes pieds.
Il est grand, porte un maillot de corps gris ainsi que des lunettes de soleil qu'il a relevé sur le dessus de ses mèches châtains et qui scintillent sous le soleil proéminent.
Essoufflé, il récupère la balle d'un simple geste précis et analytique du pied, et la coince ensuite sous son bras en penchant sa tête sur le côté pour me dévisager.
— Ça va ? Tu ne nous as pas entendus ? On a essayé de te prévenir plusieurs fois.
Les baskets qu'il porte aux pieds sont usées et les muscles qui se tendent sous ses mollets ainsi que derrière la peau ferme de ses biceps m'indiquent que c'est un sportif et qu'il doit même faire partie de l'un des clubs de l'école.
— Ce n'est rien.
Je secoue la tête et remarque plus loin son groupe d'amis installé dans l'herbe qui attend qu'il revienne.
Ça doit être plaisant de passer du bon temps de la sorte, avec des personnes qui comptent pour nous.
Un nœud m'enserre soudain le cœur, au moment où je détourne les talons.
Le garçon s'excuse une dernière fois, mais je suis déjà parti vers de nouveaux horizons, à savoir : le reste du campus.
J'ai l'impression qu'il ne cesse de s'étendre, encore et encore. Et visiblement, on lui a même rajouté du terrain si j'en crois les grues et les bandeaux de signalisation plus loin qui alertent qu'un chantier est en cours.
J'en suis trop éloigné pour en discerner quoi que ce soit, hormis l'édifice bétonneux à moitié éventré dont les fenêtres ne sont pas encore formées, ni quoi que ce soit d'autre d'ailleurs. Ça reste surtout un gros bloc de ciment.
Je me demande ce qu'ils comptent en faire.
Curieux, je reprends ma route avec pour objectif de trouver la ou les cafétérias. Puisque vu l'immensité de la zone, il peut potentiellement y en avoir plusieurs.
Je l'aurais sûrement su si j'étais resté avec madame Martin, mais sans façon.
Une odeur printanière embaume l'air, croisée avec celles que portent les différents étudiants que je croise sur ma route, comme du parfum, du déodorant, ou même celle des paquets de sucreries qui sont ouverts sur certaines tables.
Ça me conforte encore plus dans mon idée que j'ai bien fait d'entamer cette visite tout seul.
Aucune contrainte ne m'emprisonne, m'autorisant ainsi à mener l'enquête tout en prenant mes marques dans cet endroit qui deviendra mon foyer pour une année entière.
Enfin, c'est une façon de parler puisque contrairement à d'autres, je n'ai pas pris une chambre universitaire et continue de vivre avec mes parents à une dizaine de minutes de voiture de la fac.
— Si jamais vous êtes intéressés pour rejoindre l'association qui vise à soutenir les étudiants souffrant de précarité, n'hésitez pas à signer ici ! Un badge est offert à chaque souscription !
J'évite gentiment une jeune femme en salopette qui brandit un stylo sous mon nez, et lui sers un faible sourire avant de me diriger vers l'entrée devant laquelle nos groupes ont été répartis ce matin.
Une fois à l'abri des regards, mon visage se ferme, mes lèvres se fanent.
Mon ventre à beau crier famine, l'aura sombre qui m'englobe dès que je foule les marches de cet institut plein de vie, prend le pas sur tout le reste. Je ne peux me résoudre à rayonner comme tous les étudiants que je croise, avides d'entamer cette nouvelle année.
Pas quand il lui a ôté la vie.
— Quoi ! Non, j'avais demandé à être dans le club d'échec ! Pas de maths !
Je slalome entre quelques étudiants bruyants plantés devant divers tableaux d'affichage dans le couloir du bâtiment principal, et tend brièvement le cou par curiosité lorsque je passe à proximité.
Épinglées dans la surface en liège, plusieurs listes annonces les clubs créés par la faculté ainsi que tous leurs adhérents. Escalade, piscine, foot, rugby, échec, danse, théâtre... Il y en a pour tous les goûts.
Et visiblement, tous s'y intéressent vu la foule inquiétante qui s'amasse autour de moi.
À tâtons, et non sans pousser quelques grommellements, je parvins à quitter le couloir étriqué pour bifurquer vers la première volée de marches que je vois.
Essoufflé, il me faut quelques instants pour me reprendre, jusqu'à ce que je me rende compte que nous n'avons pas emprunté ces escaliers avec madame Martin.
Cette constatation déploie alors en moi le frémissement caractéristique de la curiosité.
Bien qu'il doit principalement se trouver dans les étages du dessus un nombre incalculable de salles de classe, j'y trouverais peut-être autre chose...
La main sur la rambarde en bois vernis, je la laisse glisser sous mes doigts lorsque je monte les marches une à une pour me retrouver au premier étage. Mais trop encombré par la vague d'élèves qui font la visite des lieux, je me rétracte sur le deuxième, puis le troisième étage, un peu moins pris d'assaut.
Malheureusement ma visite ne m'apprend rien d'intéressant, si ce n'est qu'on a une vue magnifique sur tout le campus et qu'une petite bibliothèque a été installée au quatrième étage.
Une main sur le ventre, déçu de ne pas avoir vu quoi que ce soit à propos de la cafétaria, je m'arrête un instant devant une machine à café et me fait couler un chocolat chaud avec les quelques pièces trouvées au fond de mon sac.
J'ai repris celui que j'utilisais l'année dernière, dans mon ancienne université. Il n'est donc pas étonnant que j'y retrouve quelques vestiges.
En fouillant un peu je devrais peut-être tomber sur un bouchon de stylo mordillé, un bout de gomme, et quelques pages griffonnées à la va vite entre deux cours.
J'adorais y étaler mes pensées quand ils devenaient trop ennuyeux. J'y écrivais des histoires et des questionnements, tels que « quel était le plat préféré de la reine Victoria ? » ou encore « pourquoi les égyptiens ont-ils fait des constructions triangulaires et non pas carrés ou rondes ? ».
La machine fait un bruit tonitruant qui achève de me tirer de mes pensées quand le chocolat atteint le fond du gobelet.
Je le récupère avec précaution, non sans manquer de m'en renverser partout sur les doigts, et laisse la place à ceux qui attendent derrière moi.
Une main autour de l'anse de mon sac, l'autre serrée autour de ma boisson chaude, je regagne le quatrième étage et souris en apercevant les battants aux vitres transparentes de la bibliothèque.
Je pousse l'un d'eux du coude, mais en les franchissant, je perds rapidement de ma jovialité, née de la vue de tous ces ouvrages alignés qui couvrent les murs de leurs couvertures reliées en cuir.
Mon groupe est là.
Par chance, madame Martin ne m'a pas vu. Mais ma présence qui se greffe au reste du groupe comme si je n'étais jamais parti ne manque pas d'interpeller la jeune femme de tout à l'heure.
Elle me décoche un petit regard sévère, un brin déçu si j'en crois l'éclat de ses iris, avant de reporter son regard sur les explications que dicte notre professeur.
Trop loin pour l'entendre, je me consacre à l'étude visuelle de ce qui m'entoure, et souris doucement en ressentant les effluves des vieux livres m'envelopper d'un parfum familier.
La bibliothèque n'est pas très grande, mais assez pour contenir tous un tas d'ouvrages variés qui ravissent aussi bien les étudiants que les professeurs et les chercheurs.
Il n'y a pas un seul pan de mur qui est vide. Tous sont recouverts d'étagères remplies jusqu'au plafond de bouquins alignés méthodiquement, de documents de recherche, de trophées, ou de petits bibelots décoratifs. Les seuls endroits où le matériau médiocre du bâtiment aurait pu s'épanouir, ont été recouverts de carte du monde et d'affiches en tout genre.
L'atmosphère regorge de savoir et de sérénité.
J'inspire longuement pour en remplir mes poumons.
Même les longues tables en bois, disposées stratégiquement dans les différents espaces de l'immense pièce, comportent chacune en leur centre une petite lampe qui éclaire les devoirs des élèves se rendant dans cet endroit à la nuit tombée.
Les chaises sont assorties aux plans de travail, offrant confort et légèreté à cet emplacement plein de grâce et d'ancienneté. L'abondance des fenêtres laisse également le loisir au soleil d'illuminer par ses rayons chaque coin de la bibliothèque, permettant aussi aux étudiants de s'octroyer une pause en regardant par-delà les vitraux pour succomber à la vue du campus en pleine effervescence.
— Qu'est-ce que ça pue ! C'est certainement pas moi qui viendrais me perdre ici !
Un sourire crâneur au coin des lèvres, le type de tout à l'heure dont les Rayban ornent toujours le sommet de son crâne, prend la parole en ricanant, un bâton de sucette coincé entre les dents.
— Ça c'est sûr. Ça explique même beaucoup de choses.
Ses cheveux blonds cendrés ne bougent pas d'un centimètre lorsque la jeune femme non loin de moi chuchote d'un ton léger. Il n'est pas moqueur, simplement empreint d'une vérité qu'elle ne fait qu'énoncer.
Malgré moi, j'admire sa bravoure bien qu'elle n'ait pas parlé fort pour rester discrète.
— Bien ! Si j'en crois le bruit de vos estomacs, il est temps de vous conduire à la cafétéria la plus proche du bâtiment principal.
Affamé, je tourne les talons, prêt à suivre le reste du groupe, mais accroche mon regard à un étudiant, plus loin, à demi penché vers la bibliothécaire assise de l'autre côté du bureau de l'accueil.
Tandis qu'il discute avec la professionnelle, j'observe sa main qui farfouille en même temps à l'intérieur de son sac qui rebondit sur sa hanche d'un geste agacé.
— Je me suis inscrit en juin pour la rentrée ! Mon nom est forcément quelque part, regardez mieux.
— Je vous prie de me parler sur un autre ton, jeune homme. Je ne vois votre nom nulle part, c'est un fait.
— Regardez mieux, s'il vous plaît, rétorque-t-il en insistant bien sur la formule de politesse, malgré l'écho de sa langue qui claque contre son palais.
Les feuilles qu'il vient de tirer de son sac et qu'il consulte d'une main, ne semblent pas être les bonnes vu la moue qu'il tire.
Les sourcils pincés, il marmonne quelque chose d'incompréhensible, agacé, jusqu'à ce que la bibliothécaire pousse un soupir en faisant défiler l'écran de son ordinateur à l'aide de sa souris.
Je ne sais pas pourquoi je m'attarde sur ce genre de choses, alors que les autres sont en train de descendre le reste des étages, mais je crois que c'est ce qui fait la principale source de ma personnalité : m'attarder sur des situations futiles aux yeux des autres.
— Il n'y qu'un certain Jang, énonce-t-elle finalement d'une voix claire, en lui renvoyant un regard fermé par-delà la monture de ses verres.
— Ah, voilà ! C'est moi !
Elle hausse lentement un sourcil, très lentement, dubitative.
— Mais vous, c'est Jeon.
— Simple erreur typographique, rétorque-t-il d'un geste désinvolte de la main en lui servant son plus beau sourire.
— Le nom Jang appartient à une femme, réplique-t-elle en retour, visiblement de moins en moins patiente.
— ... Bien... Ça risque d'être plus compliqué que prévu.
L'étudiant se rembrunit légèrement, comme s'il cherchait de nouveaux arguments, mais je n'ai pas le temps d'en entendre davantage que mon estomac me rappelle à l'ordre, m'ordonnant de rattraper le reste de mon groupe.
Je les suis jusqu'à ce que notre professeure nous guide à la cafétéria située beaucoup plus loin sur le campus, intrigué par ce que me réserve mes prochaines journées dans cette université.
⸻
Aïe aïe aïe, Jungkook arrive enfin dans l'histoire 👀
J'adore son personnage, on ne va pas s'ennuyer avec lui, je vous le garantis ! 😏
J'espère en tout cas que l'histoire vous plait touujjoouurrsss !! À dimanche prochain pour la suite hihi !
- Vee
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