Chapitre 78 : C A N V A S

Depuis qu'il est rentré, Andrea n'a pas décroché un mot. Son frère non plus. D'ailleurs ce dernier semblait encore plus atterré, la mine sombre, il ne nous a pas accordé le moindre regard -à Kayssi et à moi, qui étions attablés dans la cuisine devant une boisson chaude, j'ai été un peu surpris quand il me l'a proposé, mais nous n'avons finalement pas passé un si mauvais moment que ça- et il a directement marché vers sa chambre, ignorant Kayssi qui lui demandait si tout va bien.

J'ai vu la mine du petit brun se décomposer d'être ainsi snobé avant qu'il ne se soit levé pour aller le rejoindre.

D'un mouvement de tête j'interroge Andrea qui ne répond que par un haussement d'épaules.

Il vient m'attraper par la main et me tire jusqu'au canapé. Il me pousse dessus et s'installe à son tour, calé contre moi. Il reprend ma main dans la sienne et joue doucement avec mes doigts. Je le laisse faire et ne pose pas de questions. S'il a envie de me parler de ce que sa mère leur a révélé et qui les a mis dans cet état, il me le dira de lui même. Sinon, c'est simplement qu'il n'est pas prêt. Mais au fond, j'aimerais vraiment qu'il m'en parle, enfin pas forcément à moi, n'importe qui ferait l'affaire en fait, il a beaucoup trop tendance à tout garder pour lui pour ne pas blesser les autres, quitte à s'en rendre lui-même malade.

Au bout d'une dizaine de minutes, peut-être plus, il déclare sans me regarder :

« J'ai une sœur. Enfin j'ai eut une sœur, ou j'aurais dû avoir un sœur... Je sais pas comment je dois le dire... »

Il s'humecte les lèvres avant de dire dans un petit rire qui trahit sa nervosité :

« C'est bizarre. Il y a quelques semaines, tu apprenais que tu avais un petit frère, et là j'apprends que j'ai eut une grande sœur... Comme si la vie se foutait ouvertement de notre gueule. »

Je ne réponds toujours rien, et je le laisse s'exprimer à son rythme. Je vois bien qu'il cherche ses mots, alors pour lui montrer que je le soutiens, que je suis là pour lui et qu'il peut prendre tout le temps dont il a besoin, je resserre mes doigts qu'il n'a toujours pas lâché sur les siens.

« Elle s'appelait Hana. Je crois que ça veut dire fleur en japonais, j'ignore si ma mère le savait... Depuis tout ce temps... depuis plus de trente ans ma mère fait face à cela seule. Au chagrin d'avoir perdu son premier enfant. Noyée. Elle s'est noyée. C'est... c'est à cause de ça que ma mère était toujours surprotective. Un fantôme du passé qui m'a hanté à travers elle sans que j'en ai conscience. C'est juste tellement dur à encaisser tout d'un coup. Elle aurait eut trente-quatre ou trente-cinq ans maintenant. Je me demande ce que ça aurait fait d'avoir une grande-sœur. »

Son discours est assez décousu, il laisse les choses sortir comme elles viennent, mais au moins il les laisse sortir. C'est déjà quelque chose de très bien, alors je ne le coupe toujours pas, je me contente d'assembler doucement les pièces du puzzle dans ma tête, sans la moindre remarque. Je sais que je pourrai lui poser mes questions, mais plus tard. Pour lors, il a juste besoin d'une oreille pour l'écouter, et de bras pour le réconforter. Et ce sont deux choses que je peux lui prodiguer sans un seul effort.

« En fait c'est le père d'Hana qui est responsable de l'accident. Enfin ma mère aurait sûrement dû être là, mais une mère devrait pouvoir laisser son enfant avec son père sans craindre pour sa vie... »

Tout à coup, il se retourne pour croiser mon regard, et s'exclame précipitamment, comme si, pour quelque raison que ce soit, j'aurais pu lui reprocher sont attitude ou ses désistions.

« Je ne dis pas que je lui ai pardonné et que j'ai effacé l'ardoise d'un coup d'éponge magique. Juste que je comprends maintenant qu'elle avait des raisons qui l'ont poussé à agir comme elle l'a fait. On fait tous des erreurs, et parfois on prend les mauvaises décisions, et elles peuvent se montrer dramatiques en conséquences, sans que ce soit réellement ce que l'on veuille. Je veux dire, je crois que je peux comprendre, parce que moi aussi j'ai pris une décision que je regrette, j'ai choisi le mauvais chemin. Mon suicide... je ne pense pas que je voulais réellement mourir, c'était plus une sorte d'appel à l'aide. Et si j'avais choisi de parler de ce qui se passait dans ma tête, j'aurai pu éviter d'en arriver à des situations extrêmes pareilles, mais sur le coup, j'avais l'impression de ne pas avoir d'autre choix. Pour ma mère c'est pareil. Si elle avait parlé, si elle m'avait expliqué plus tôt, j'aurais pris soin de ne pas l'inquiéter pour rien, je me rappelle de certaines fois où je ne répondais pas à ses messages juste parce que je jugeais avoir mieux à faire. Alors non, je ne lui ai pas tout pardonné, et certaines choses sont et resteront sûrement impardonnables, mais je me mets un peu plus à sa place et je comprends comment les choses ont pu déraper sans qu'elle ne le remarque au point qu'elle se retrouve empêtrée dans un tissu de mensonges et de secrets et qu'elle ne sache plus elle-même comment s'en échapper... »

« Hé. »

Je pose une main sur son front, et masse doucement la peau entre ses sourcils, parce que même si notre position ne me permet pas de le voir, je sais qu'il a la fâcheuse habitude de les froncer quand il explique quelque chose et cela à tendance a tendre tous les muscles du visage et à créer des points de tension. Ses muscles se relâchent.

« Tu n'as pas à te justifier. Si tu penses qu'elle mérite ton pardon, donne le lui, sinon, tant pis pour elle. Tu es le seul juge de cela. »

« Je ne crois pas qu'elle le mérite. Du moins pas maintenant. Mais c'est ma mère. Et je veux lui donner une chance. Elle m'a promis d'essayer de changer, j'espère juste qu'elle tiendra parole. Après tout, désormais elle n'a rien d'autre à s'occuper qu'elle même, et se reconstruire. J'ai toujours vu ma mère comme une personne forte, elle restait souvent de marbre, mais au final, ce n'était qu'un masque pour cacher aux yeux du monde à quel point elle a été brisée... Évidemment qu'elle portait un masque, nous en portons tous un, parfois même sans le savoir. »

Je n'ai pas arrêté mes mouvements sur son visage, je caresse doucement son nez, à plusieurs reprises, et ça semble le détendre. Il bouge un peu et s'affale encore plus contre moi, sa tête désormais presque sur mes cuisses. Je constate qu'il a fermé les yeux, mais il continue tout de même son récit.

« Tu sais, je crois qu'Ab a été plus affecté que moi encore. Il a toujours voulu avoir une sœur. Tellement que parfois, quand j'étais petit, il me déguisait en fille. »

Il lâche un petit rire à ce souvenir.

« Je pense que c'est dur pour lui d'apprendre qu'il en a vraiment eut une. Même si ce n'était qu'une demi-sœur, au fond quelle importance, je ne pense pas que ce soit le sang qui fasse la famille -la preuve, celle que je me suis trouvée en France est bien plus solide que celle que j'avais ici-, enfin BREF je ne vois pas en quoi elle aurait moins été notre sœur juste parce que l'on avait un père différent. »

« Tu me parles de ton frère, de ta mère, mais toi, est-ce que ça va ? Je sais bien ce que tu fais, tu abordes le sujet juste pour dissimuler le fait que tu ne me parles pas vraiment de comment tu te sens. Je te connais maintenant. »

Il exhale doucement et passe sa langue sur ses lèvres.

« Pour le moment, je ne sais pas trop comment réagir. Je crois que je dois encore encaisser, réaliser que tout est bien vrai... Mais je sens que je vais mieux. Parce que la question qui me hantait a enfin trouvé sa réponse. Non il n'y a pas de fatalité, seulement des éléments intrinsèquement liés que l'on ne comprends pas toujours. Mais en prenant du recul, on arrive à discerner toute la toile, pas seulement notre minable petit dessin personnel, on comprend plus en détails les conséquences de nos actes, et l'influence des actes des autres sur notre propre vie. Au final, on devient sûrement meilleurs quand on fait attention à tout cela. Mais par dessus tout, nous sommes libres de changer. Notre histoire n'est pas une ligne toute tracée à l'encre indélébile, c'est nous qui l'écrivons, et malgré les ratures, on a toujours le choix d'aller de l'avant. De faire des choix vertueux, qui nous porterons, plutôt que de faire ceux qui nous couleront. Et quand je parle de choix vertueux, je parle de toi principalement. Tu es le meilleur choix que je n'ai jamais fait. »

Une bombe d'amour et de tendresse explose sans prévenir sur mon cœur. Il se met à battre si fort, que j'ai l'impression qu'il pourrait s'échapper de ma poitrine à tout moment. Et je suis sûr qu'Andrea peut entendre ses battements effrénés, désordonnés et cacophoniques qui pourtant sonnent pour moi comme la plus douce des mélodies. Incapable de prononcer quoi que ce soit, je me contente de sourire en silence.

Andrea ouvre les yeux, sûrement parce qu'il s'attendait à ce que je réagisse. Après tout on ne lance pas ce genre de phrase pour ne recueillir que du silence.

« Est-ce que tu pleures ? Oh mon dieu Éos... »

Je pose une main sur ma joue et constate avec effarement qu'en effet elle est humide.

« Non. C'est juste que... j'ai enfin l'impression que les choses vont aller mieux maintenant. Et je me rends compte à quel point j'ai peur de tout perdre à nouveau. De te perdre à nouveau. »

« Mais non. Ne pense pas à ça. Je suis là et crois moi je ne compte pas te lâcher de sitôt. Je vais m'accrocher à toi comme une puce sur le dos d'un chien errant, jusqu'à ce que tu en aies marre de moi. »

« Ça jamais. » Soufflé-je alors que je me penche pour l'embrasser. « Même si tu me traites de vulgaire chien errant. »

Il se relève un peu et inverse nos positions, puis prend ma bouche en otage. Un otage plutôt consenti je l'avoue. Il descend dans mon cou, et relève mon teeshirt d'une main qu'il glisse lentement sur mes abdominaux. Je remonte une jambe entre ses cuisses et pose les mains, une sur ses hanches, l'autre sur sa nuque.

« Oï les gars, vous êtes quand même dans mon salon là, alors évitez. »

On sursaute tous les deux, avant de remarquer Abraham derrière le canapé, revenant de la cuisine ouverte, un verre d'eau à la main.

« Oh putain... » Je lâche entre les dents alors que je me laisse retomber en arrière sur le sofa et rabaisse mon tee-shirt, tandis que les joues d'Andrea ont prit une adorable couleur rosée.

« Ouais, je sais c'est frustrant. Pour nous aussi remarque. »

« Mais Abraham ! » S'offusque mon châtain.

« Bah quoi, c'est vrai, vivement que vous rentriez en France que l'on puisse reprendre notre vie sexuelle en plein épanouissement là où on l'a laissé. »

« On n'avait pas besoin de savoir ça ! » S'indigne Andrea en soupirant alors que la remarque de son frère me soutire un petit rire.

Il a lui aussi l'air d'être dans un meilleur état d'esprit que quand ils sont rentrés tout à l'heure. Ça fait plaisir à voir.

Je trouve ce chapitre tout doux (même si jai quand même fait pleurer Éos, je suis incorrigible, frappez-moi)

On est si proches de la fin ça m'angoisse autant que ça me réjouit 😭❣

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