Chapitre 76 : L E T T E R

Les caresses d'Andrea dans mes cheveux ne tardent pas à m'endormir. Je n'aurais jamais cru que se battre avec de la neige puisse être si fatiguant... Il reste un peu à mes côtés encore, mais ne tarde pas à se relever, prenant garde à ne pas me réveiller, pour aller se chercher à boire. Son verre d'eau a la main, il reviens dans le petit couloir quand, en passant devant la porte de la chambre de son frère, il l'entend qui semble se disputer avec Kayssi tout en chuchotant.

Il allait passer sans s'en préoccuper. Tout le monde à de petits différents, et les histoires de couple de son frère ne le concernent pas. Mais une phrase le fit revenir sur ses pas.

« Ab' il faut que tu lui dise. Il a le droit de savoir. C'est ton frère. »

« Je sais, mais j'ai pas envie qu'il souffre encore. Tu l'as vu, il va beaucoup mieux, rien avoir avec quand il est parti. Il n'était plus qu'une ombre. Je ne veux pas le faire retomber. »

« Je sais que c'est ton frère, mais ton rôle n'est pas de le protéger mais d'être honnête avec lui. En plus, avant qu'il ne parte, les médecins le bourraient de cachets et de séances chez le psy, forcément il n'allait pas bien, mais là c'est différent. »

Toujours caché, Andrea prend une inspiration, pour demander :

« Me dire quoi ? »

« Drea ? Tu... »

« Oui je vous ai entendu. Et je veux savoir. Kayssi a raison, ton rôle n'est pas de me protéger. »

« Mais... »

Le regard appuyé d'Andrea le dissuade de protester.

« Ok. Alors viens. Je vais te montrer. » Se résigne le plus âgé.

Le petit châtain entre complètement dans la chambre de son aîné et s'assoit à côté de lui sur le lit.

« Je vais vous laisser. » Souffle Kaissy en sortant discrètement de la pièce.

Abraham soupire doucement, avant de se remettre debout, puis de sortir un papier -une lettre- de sa table de nuit, et de la donner à son frère. Pendant que ce dernier la lit, Abraham ne peut pas s'empêcher de faire les cents pas, la mine concernée. A plusieurs reprise il entrouvre les lèvres pour parler, puis se ravise, laissant Andrea terminer sa lecture en silence. Andrea baisse la lettre, une fois qu'il est arrivé à la fin. Les deux garçons restent ainsi sans rien dire pendant un instant, avant que le plus jeune ne demande :

« Tu l'as reçue quand ? »

« La semaine dernière. Je l'avais appelé pour... je ne sais pas trop pourquoi, pour savoir si on le verrait pendant les fêtes, je suppose. Il n'a pas répondu. Puis m'a envoyé cette lettre. »

La lettre en question venait de leur père. Et c'était en tout point une lettre d'adieu. Il avait commencé à refaire sa vie, et ne souhaitait plus que ses deux garçons en fassent partie. Ce n'était pas vraiment uns surprise, il avait commencé à prendre ses distances depuis la tentative de suicide d'Andrea et ne lui avait pas reparlé depuis que le divorce avait été prononcé. Mais cela fit tout de même un choc au châtain. Avant, il pouvait toujours se dire que son père avait juste besoin de temps, que tôt ou tard, il accepterait de revenir vers lui, mais désormais c'était clair, écrit noir sur blanc, officiel.

« Je suis désolé Bro. »

« Ne le soit pas. Tu n'y es pour rien. C'est même plutôt l'inverse. »

« J'en sais rien. Peut-être que si je n'étais pas parti de la maison quand tout allait de travers, j'aurais pu... j'en sais rien, ratrapper les morceaux, j'aurais pu être le mortier qui souderait la famille... »

« Non. Une famille doit tenir d'elle même. Le seul mortier est l'amour, et visiblement, on en manquait cruellement... Je suis content que tu ne sois pas resté, tu aurais juste finit par être blessé. Il y avait quelque chose de toxique dans notre famille. Et c'est moi qui l'ai ramené. »

« Non. S'il y avait quelque chose de toxique, tu n'as fait que le révéler. Et peut-être que c'est mieux ainsi. »

« Peut-être... » Soupire le plus jeune alors que son frère lui offre une étreinte réconfortante.

Aucun d'eux ne savait que dire.

« Je suis désolé que ça vienne plomber l'ambiance. »

Andrea hoche négativement la tête.

« J'ai demandé à ce que tu me la montre. Et puis je crois qu'il vaut mieux arracher le pansement d'un seul coup plutôt que de laisser les choses croupir. »

« J'admire ta force frérot. Si tout le monde en avait ne serait-ce qu'un dixième... » Commence Abraham bientôt coupé par Andrea.

« Arrêtes un peu. Je suis celui qui ait choisi d'abandonner. »

« Mais même après cela, tu as trouvé le courage de te battre. »

« Se battre parce qu'on a même raté a abandonner n'est pas un honneur. Mais finalement, je suis content de l'avoir fait. »

Il se relève du lit et ouvre la porte de la chambre.

« Je peux... garder la lettre ? »

Il ne savait pas pourquoi il tenait à la garder, mais c'est comme s'il en avait besoin pour se prouver que c'était vraiment réel, pas juste un cauchemar de plus...

Abraham hoche positivement la tête pour toute réponse.

« Bon. Je vais aller rejoindre Éos. Il faut que l'on refasse notre valise. On part demain. »

Silencieux, il traverse le couloir en sens inverse et entre dans la chambre. Il s'assoit sur le lit, adossé contre le mur et presque par réflexe, une de ses mains vient se perdre dans mes cheveux. J'émerge doucement de mon sommeil et papillonne des paupières.

« J'ai dormi longtemps ? »

« Non. Pas trop. Pardon, je ne voulais pas te réveiller. »

Sa voix tremble et je me retourne vers lui.

« C'est pas grave. Qu'est-ce qu'il y a, ça ne va pas ? »

« Mon père m'a écrit une lettre. »

« Oh, et ce n'est pas une bonne nouvelle ? »

« Ça aurait pu s'il ne l'avait pas fait pour m'écrire de ne plus chercher à le contacter, qu'il refaisait sa vie. »

« Connard. » Ne puis-je m'empêcher de marmonner.

Andrea hausse les épaules.

« Ça doit pas être facile à gérer, apprendre que son fils a tenté de se suicide a cause d'un stratagème monté par sa femme... »

« C'est pas une raison. Moi qui pensait que mon père avait merdé dans son rôle, le tien est encore pire. »

« C'est censé me remonter le moral ? »

« Merde. Désolé je voulais pas être... »

« T'en fait pas. J'avais comprit. Tu n'as jamais eut beaucoup de tact. »

« Je te remercie... »

Il tente un sourire.

« Il dit que ça n'allait déjà plus avec ma mère depuis longtemps. Ils se trompaient mutuellement et je n'ai rien vu... Ça me fait bizarre d'entendre que tout ce temps, ils faisaient semblant que tout allait bien. Au moins, je sais que ce n'est pas entièrement de ma faute s'ils se sont séparés. C'est peut-être ce qui pouvait leur arriver de mieux, de retrouver leur liberté. Tu imagine être enchaîné à quelqu'un que tu n'aimes plus... »

« On peut rester si tu veux. »

Le changement de sujet était peut être trop abrupte, parce qu'il me lance un regard bordé d'incompréhension.

Je m'explique :

« On n'est pas obligé de partir demain. Si tu as besoin de plus de temps pour mettre les choses au clair avec toi-même. »

« Qu'est-ce que tu veux que je mette au clair. Mon père a prit sa décision. Il n'a pas laissé d'adresse, je n'ai qu'à l'accepter... »

« Tu pourrais parler à ta mère. »

« Quoi ? Mais pourquoi ? Tu sais ce qu'elle a fait, alors pourquoi voudrais-tu que je lui parle ? » S'offusque-t-il presque, croisant ses bras autour de lui comme un geste de protection.

Je soupire. Je n'ai jamais été très bon à cela, parler aux autres et les rassurer je veux dire, mais pour lui, je peux -non, je dois- faire un effort.

« Oui, on sait ce qu'elle a fait, mais pas pourquoi elle l'a fait. Tu devrais peut-être lui laisser la chance de s'expliquer, non ? J'ai jamais été fan des psychologues, mais si il y a un point sur lequel ils ont raison, c'est que pour pouvoir refermer entièrement une blessure, il faut comprendre comment elle a été causée, par qui, et pourquoi. »

Je pose une main sur ses poignets.

« Les cicatrises visibles ne sont que la partie la plus simple du travail. Et ce n'est pas parce que tu ne saigne plus qu'il faut oublier celles qui ont été laissées au fond de ton cœur. »

« Mais je ne suis pas prêt à lui pardonner. Je doute de l'être un jour. »

« Alors ne lui pardonne pas. Ne fait pas ça pour elle, fais-le pour toi. Parce qu'au fond tu as besoin de savoir. »

« Et si je n'arrive même pas à lui faire face ? »

« Un jour, un garçon fort intelligent m'a dit que si l'on commençait à marcher sans se décourager à regarder l'ampleur de la montagne, on finirait, un pas après l'autre, par tutoyer les plus beaux sommets. Alors applique tes propres conseils et fais-toi confiance. Si jamais ta prise est mauvaise, que tu trébuches, je serais derrière pour te rattraper. »

« Ok. Je lui enverrai un message tout à l'heure. Si elle me réponds, j'annulerai nos billets d'avion. » Murmure-t-il toujours quelque peu incertain.

Je lui embrasse la tempe avant de me lever pour aller prendre la petite tortue qui se promenait sur le bureau, dans le petit vivarium de fortune qu'on lui avait fait. Je m'allonge de nouveau, et la regarde se déplacer lentement sur mon ventre, se prenant parfois les pâtes dans les plis de mon sweat. Je lui tends une feuille de salade que j'ai pris dans le vivarium et la regarde la manger goulûment. Ces animaux sont vraiment fascinants, je ne l'aurais jamais cru. Je caresse sa petite carapace.

« Tu lui as donné un nom ? »

« Non. Pourquoi, il faut ? »

Il pouffe discrètement. J'ai enfin réussi à lui soutirer un rire.

« Bien sûr qu'il faut. Et s'il te plaît, soit un peu plus créatif que La Tortue. On se souvient encore tous que tu appelais Ganesh ''Le Chat'', avant que je ne vienne et le rebaptise. »

« Ok, je ne suis pas sûr que ce clash était mérité mais on ne va rien dire. Je pensais à quelque chose comme Roquette, t'en dis quoi ? Ou Cresson, c'est bien aussi Cresson. Au fait, c'est une fille ou un garçon ? Comment on connaît le sexe d'une tortue ? Et elle va devenir grande ou rester toute petite comme ça ? Parce si elle devient grande, il faudra qu'on songe à rajouter un jardin dans nos exigences pour notre futur appartement. T'en penses quoi ? »

On dirait qu'il m'a contaminé avec sa manie de poser tout un tas de questions stupides sans attendre les réponses.

Il me regarde sans rien dire un moment, juste en souriant, puis il murmure :

« J'en pense que je t'aime. C'est bien suffisant. »

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J'ai l'impression que les chapitres sont plus longs ces derniers temps, j'espère que ça vous plaît haha ;)

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