𝐈 | 𝐈𝐧 𝐯𝐢𝐧𝐨 𝐯𝐞𝐫𝐢𝐭𝐚𝐬
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Withdrawn (adjectif) :
Se dit d'une personne qui montre peu ou pas d'intérêt pour les interactions sociales, souvent en raison d'une timidité, d'une introversion ou d'une tendance à s'isoler volontairement.
Une personne « withdrawn » peut paraître fermée, silencieuse, ou évitant activement la compagnie des autres.
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Pour ceux qui lisent sans afficher les commentaires, référez-vous au lexique intitulé "LEXIQUE".
Pour les autres, chaque explication sera intégrée dans un commentaire lorsque tu verras une * après un terme à expliquer.
(Laissez-moi juste le temps de le faire, y'en a pas mal dkfjfkkffkfkf 😭)
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Seokjin leva les yeux vers le cadran solaire installé à l'extérieur, ses paupières plissées. À en juger par la longueur des ombres, le cours du professeur Lee allait commencer dans quelques instants.
Seokjin compta sur ses doigts et soupira. Bien que ses résultats ne soient pas excellents, il restait un élève appliqué et respectueux de ses professeurs.
La ponctualité était l'une des huit règles d'or que les étudiants de Sungkyunkwan* devaient suivre rigoureusement. Transgresser l'une d'elles coûtait des points précieux. Les enfreindre toutes menait à un renvoi immédiat.
Un coude percuta son flanc et Seokjin trébucha, mais parvint à se rattraper de justesse à l'angle du mur, où lui et ses amis se dissimulaient, leurs cœurs battants.
« Faites attention derrière ! pesta-t-il à voix basse. Je n'ai aucune envie de me faire prendre par les préfets !
— Du calme, répondit Mingyu sur le même ton. Alors, ils sont partis ? »
Seokjin jeta un coup d'œil vers la sortie du dortoir.
Trois seonbaes* venaient d'en sortir, chuchotant entre eux devant la porte. L'un d'eux notait sur une tablette en bois enduite de sable fin les noms des élèves surpris en train de faire la grasse matinée. Choisis par le doyen pour leurs qualités morales et leur sérieux, les préfets s'assuraient du maintien de l'ordre et du respect des règles parmi leurs cadets.
Cadets qui les considéraient comme des lèche-bottes inspirant autant la crainte que le mépris.
Enfin, ils se retirèrent, et avec eux, leur besogne ingrate vers un autre dortoir.
Soulagé, Seokjin fit signe à ses complices que le danger était écarté. Mingyu soupira un « Ce n'est pas trop tôt ! », tandis que Yoongi demeurait impassible, presque ennuyé.
« Allons-y », déclara ce dernier.
Ils sortirent discrètement de leur cachette. Leurs pas chuchotaient aux lattes du plancher qui répondirent par des soupirs plaintifs. Tandis qu'ils gravissaient les marches menant au premier étage, Seokjin lâcha un inutile « Shhh », commandant le silence.
À leur arrivée, Mingyu avança et fit glisser la porte avec précaution.
Puis, devant eux : une scène désolante.
Les rideaux à demi tirés tamisaient la clarté naissante du jour, s'infiltrant dans la pièce sans troubler son occupant.
Comme toutes les autres chambres, elle portait une modeste table basse servant de bureau, un baquet rempli d'eau stagnante d'une toilette précédente, et un coffre renfermant livres, rouleaux et matériel d'écriture. Des panneaux dissimulaient des placards dans le mur opposé à la fenêtre, où se trouvaient ses vêtements et autres effets personnels.
Au centre sur le sol, le désordre : un yo* malmené et des couvertures éparpillées aux quatre coins. Émergeaient une chevelure sombre, un bras et deux mollets dénudés.
À pas de loup, Mingyu s'approcha et saisit la cheville la plus proche.
« Jungkook ! », murmura-t-il en tirant doucement.
Un grognement indistinct lui répondit, et le dormeur paisible s'enfonça encore plus profondément dans son sommeil.
Mingyu soupira, tentant en vain de libérer un Jungkook enfoui sous une mer de couvertures.
« Laisse-moi essayer, proposa Seokjin.
— Avec plaisir », marmonna Mingyu.
Seokjin s'accroupit devant un pied, le visage mutin. Il effleura la plante du pied. Les orteils frémirent brièvement avant de retrouver leur immobilité.
« Tu sais bien que ce n'est pas du tout ce qui le réveillera, Jin, pouffa Yoongi.
— Qu'est-ce que tu en sais ? grommela Mingyu.
— Tu te moques de moi ?
— Bah non ? »
Yoongi roula des yeux.
« Tu te souviens de l'alerte incendie de l'an dernier ? répondit Yoongi. Celle qui nous a tirés du lit en pleine nuit et nous a fait fuir l'école. Là où tu avais hurlé de terr...
— Je n'ai pas hurlé ! le coupa Mingyu, irrité et honteux.
— Ah, si. Tu as crié comme une fille, intervint Seokjin en gloussant.
— Tu me confonds avec quelqu'un d'autre ! protesta-t-il en haussant la voix. Namjoon, par exemple ! »
Seokjin plissa les yeux.
« Non, mais tu devrais arrêter ta fixation sur Namjoon.
— Je ne fais aucune fixation sur lui ! », protesta-t-il, outré.
Yoongi lâcha un souffle moqueur, échangeant un regard railleur avec Seokjin.
« Hé ! protesta Mingyu.
— Mingyu, soupira Seokjin, mi-las, mi-amusé. Namjoon est tranquillement sorti de sa chambre, traversé les jardins comme s'il se promenait. Et, si tu t'en souviens, c'est lui qui a calmé nos professeurs affolés en parlant de l'absence de fumée et en disant qu'il s'agissait probablement d'une fausse alerte.
— C'était sûrement une mauvaise blague de Seong seonbae, même si on n'a jamais trouvé de preuve, dit Mingyu, de mauvaise foi, espérant dévier le sujet.
— En tout cas, ce que voulait te dire Yoongi, c'est que Jungkook était resté dans sa chambre tout ce temps ! Il n'avait rien entendu et a dormi comme une pierre ! conclut Seokjin d'une voix forte et amusée.
— Non, mais allez-y, parlez plus fort, qu'on vous entende à l'autre bout de la ville », râla Yoongi, caustique.
Seokjin plaqua aussitôt sa main devant sa bouche, alarmé. Mingyu se pinça les lèvres et se tut pour retenir ses mots de frustration.
Yoongi franchit le corps endormi d'où s'élevaient de légers ronflements et s'éloigna. Doucement, il souleva le baquet d'eau, et revint vers le monticule de couvertures où se cachait Jungkook.
La mine sadique, il leva les yeux vers ses deux amis. En un seul regard, ils se comprirent.
Seokjin esquissa un rictus diabolique, anticipant la suite des événements. Avec l'aide de Mingyu qui s'empêchait de glousser, il tira doucement les draps, dévoilant le corps endormi de Jungkook. La pudeur de ce dernier restait préservée par un sous-vêtement mal ajusté, qui menaçait, au moindre mouvement brusque, de révéler plus qu'il le devrait.
Yoongi sourit, un sourire cruel. Sans la moindre état d'âme, il renversa la moitié du baquet au-dessus de la tête de Jungkook, lui laissant le reste pour ses ablutions matinales. Le contenu se déversa en un torrent glacial sur le visage bienheureux et innocent.
Un hurlement perça le silence, un cri rauque et primal qui sembla émaner des tréfonds de son âme, mêlé aux esclaffements des trois complices.
Fascinés, ces derniers admirèrent le saut spectaculaire de Jungkook.
« Le pauvre ! pouffa Mingyu.
— Yoon, c'est cruel, mais efficace et redoutable », rit Seokjin.
Le sourire satisfait de Yoongi s'agrandit.
« Il faut toujours la méthode forte avec lui, les gars.
— Tu as raison. J'ai toujours tendance à le materner », pouffa Seokjin, provoquant le petit rire de Mingyu.
Ils scellèrent tous les trois leur complicité d'un check du poing.
Enragé, Jungkook vociférait des obscénités dignes des plus infâmes et malfamées tavernes. Il frappait l'air avec une frénésie déchaînée, ses coups fouettant le vide jusqu'à atteindre Mingyu par mégarde.
« Argh ! Sacré nom d'un chien... ! », gémit-il, les dents serrées, apportant une main contre sa mâchoire sous les regards rieurs de ses amis.
Assommé, ses oreilles bourdonnant, Mingyu bondit sur Jungkook pour calmer l'orage furieux qu'il était devenu. Plus pragmatique, Yoongi choisit de battre en retraite, reculant prudemment de quelques pas.
« Les préfets ne tarderont pas à arriver avec tout ce vacarme... pouffa Yoongi, fixant la scène avec un œil amusé, les bras croisés.
— Aide-moi au lieu de ricaner, toi », dit Seokjin avec malice.
Soupirant, Yoongi revint prudemment vers la zone de combat. Il tendit le bras, ses doigts se refermant fermement sur le col de Mingyu, le tirant brusquement en arrière.
« Mon Dieu, merci », haleta ce dernier, à bout de forces.
Avec bien plus de difficulté, Seokjin lutta pour maîtriser un Jungkook dont la rage semblait inextinguible. À bout de forces, il se mit à le secouer désespérément.
« Jungkook ! Jungkook, cesse de te débattre... Aïe ! Pourquoi diable tu me mords, bougre d'âne ? », s'exclama-t-il, stupéfait.
Jungkook cessa aussitôt, son calme retrouvant peu à peu sa place. Il cligna des yeux, encore lourds de sommeil, ses paupières plissées entourant des yeux embués. Ses cheveux mouillés étaient plaqués autour de son visage gonflé.
« ... Jin ? demanda-t-il d'un ton hésitant et d'une voix plus grave et molle, réellement surpris.
— À la bonne heure ! s'exclama-t-il. Tu sais que tu es bizarre ?
— Mingyu ? Yoongi ? continua Jungkook, confus, en se libérant des bras de Seokjin. Qu'est-ce que vous faites dans ma chambre ? »
Un silence.
Il sembla réaliser une présence inhabituelle sur lui. Abaissant les yeux sur son corps, il hoqueta, choqué. Il secoua vivement la tête comme le ferait un chiot, avant de rabattre ses longs cheveux en arrière, passablement irrité.
« Mais pourquoi je suis mouillé ?!
— À ton avis, espèce de maroufle ? On est venu sauver tes miches ! répondit Mingyu en massant sa mâchoire, réprobateur. Et tu es mouillé parce que tu ne te réveillais pas !
— D'abord, mes fesses t'emmerdent, Mingyu, répliqua-t-il, la moue mécontente. Ensuite, pas besoin d'arriver à cet extrême. Qui l'a fait ?
— Moi, dit Yoongi.
— Je vais te tuer. »
Le regard de Jungkook se fit plus acéré. Puis, il bâilla à s'en décrocher la mâchoire. Yoongi pouffa.
« Tes fesses seront hors de l'école si tu arrives en retard à la leçon de Lee, ajouta Yoongi, les yeux pétillant d'amusement.
— Quoi ? s'exclama Jungkook, parfaitement réveillé. Il est quelle heure ?
— L'heure du premier cours de la journée ! dit Seokjin. Le tambour va bientôt sonner, alors dépêche-toi !
— Fais vite, Kook, tu as encore du temps, renchérit Mingyu, inquiet.
— Bon, on y va. »
Sur ces mots, Yoongi ébouriffa les cheveux humides de Jungkook, provoquant un grognement de protestation.
« Ne me touche pas, toi. Attends que je sois bien réveillé, tu vas voir. »
Ses comparses ricanèrent, lui soutirant un grommellement inintelligible. Tous les trois se hâtèrent à la sortie après un dernier regard, intérieurement inquiets pour le sort de Jungkook.
Un peu désorienté, ce dernier se frotta les yeux, puis prit une profonde inspiration en réalisant soudainement la portée des révélations de ses compagnons.
« Crotte ! », s'exclama-t-il en se relevant précipitamment.
Il sécha ses cheveux, retrouva son uniforme soigneusement lavé et plié par les domestiques de l'école. Il enfila son baji* bleu sombre et sa veste turquoise, dont la manche droite portait fièrement l'emblème de Sungkyunkwan ; un crâne de grue stylisé brodé en fils d'or, entouré de nuages sinueux et élégants.
Le symbole de la grandeur et de la tradition de l'institution.
Après une rapide toilette, Jungkook dévala les escaliers, chaussé, ses cheveux attachés en une queue basse, ses vêtements légèrement mal ajustés sous sa précipitation, les bras chargés de ses rouleaux, cahiers, pinceau et encrier.
Enfin, il se glissa dehors, prêt à affronter la journée malgré tout.
Au loin, les tambours.
Le début des leçons.
Et merde.
Il pesta et accéléra légèrement le pas.
Déjà irrité par son réveil brutal, Jungkook scrutait d'un regard noir et acéré les quelques aînés qui passaient près de lui, lui adressant des adieux moqueurs.
« Cette fois, tu n'y couperas pas, Jeon. Adieu, tes pirouettes ! lança un aîné en passant.
— Tu veux qu'on prépare ton linceul ? », renchérit un autre en ricanant.
Son sang bouillonnait. Sa mâchoire se contracta. Ses poings aussi. Il leur aurait volontiers réglé leur compte, seonbaes ou pas, s'il n'avait pas été déjà en retard. À la place, il les fusilla du regard.
Ils ne perdaient rien pour attendre.
Devant la salle de cours, la porte close de la salle de classe l'accueillit. Il grimaça.
J'en ai marre.
Il voulait s'enfuir. Cependant, il se pencha vers le panneau de bois, tendant l'oreille. La voix passionnée du professeur Lee résonnait déjà avec énergie et passion, sur un passage des œuvres de Confucius.
Jungkook en eut déjà la migraine.
Un long et bruyant soupir lui échappa. Il s'adossa contre le mur près de la porte, glissant lentement jusqu'au sol. Assis en tailleur, l'arrière de sa tête contre la pierre, ses yeux se perdirent dans l'immensité azurée.
Ses pensées s'évadèrent sur les raisons qui l'avaient mené dans cette institution prestigieuse. Il n'avait jamais excellé dans ses études ni nourri le moindre désir de servir comme bureaucrate au palais.
Un beau jour, alors qu'il déambulait dans les rues de son village, où ses farces épouvantaient les habitants, le doyen de Sungkyunkwan apparut soudainement sur le seuil de sa modeste demeure. Par un discours mystérieux et convaincant, le vieil homme réussit à persuader sa mère de confier Jungkook – alors âgé de quinze ans – à son école pour parfaire son éducation.
Après une fugue de trois jours et deux nuits, le doyen Jeong Yakyong retrouva l'adolescent turbulent devant la mer, dans son village. S'asseyant à ses côtés sur le sable, Jeong lui déclara avec sagesse que « ce n'était pas au renard que l'on montrait la tanière » et que, pour une fois, il ferait mieux de suivre les consignes.
Récalcitrant, Jungkook n'avait fait que riposter, scandant sa liberté, faisant éclater de rire le doyen qui, amusé par sa détermination, lui dit alors :
« Mon garçon, je peux t'offrir ce que tu désires le plus au monde. Si tu me suis, il se pourrait que tu découvres la vérité sur l'absence de ton père. »
Jungkook avait été piqué. Mais il avait haussé les épaules avec une nonchalance feinte pour masquer le frisson ténu qui l'avait assailli. Son père... Corde sensible.
Puis, le lendemain matin, des adieux à sa mère marquèrent le début de sa nouvelle vie, alors qu'il avait suivi le doyen jusqu'à Sungkyunkwan où il y vivait et s'y éduquait parmi ses camarades.
Le vieux roublard n'avait pas tenu parole, et jusqu'à ce jour, Jungkook attendait toujours les précieuses informations sur son père.
Au fond de lui, il ignorait s'il souhaitait vraiment connaître la vérité. Pourquoi courir après les raisons qui avaient poussé son père à les délaisser ? Avec le temps, une colère avait pris racine en lui. Une colère qui brûlait avec plus de force, là où l'absence de cette figure paternelle se faisait douloureusement ressentir.
Alors qu'il sombrait doucement dans le sommeil, la porte coulissa brusquement, perturbant son calme. Jungkook sursauta vivement, plaquant une main sur son cœur affolé, les yeux ronds levés vers l'auteur de cette brusquerie.
Un visage furieux se pencha au-dessus de lui.
« Jeon. Viens me voir une fois les élèves partis », déclara Lee, le ton chargé de reproches.
Jungkook cligna des paupières, ahuri.
Les leçons sont déjà finies ?!
« Jeon. »
Jungkook frémit sous son ton plus sombre. Sans piper mot, il déglutit et acquiesça.
« Tu ne pourras pas dire qu'on ne t'a pas prévenu, soupira Mingyu en le dépassant, le visage soucieux.
— J'ai fait au plus vite, pourtant », grommela-t-il, les bras croisés.
Les étudiants quittèrent la salle de classe, se faufilant un à un par la porte. Seokjin lui offrit un regard inquiet. Yoongi le regarda avec un petit « Pfff » harrassé qui laissait entendre un « Tu me fatigues », mais non sans une pointe de tourmente.
Jungkook se renfrogna, se sentant légèrement honteux.
Le dernier élève sortit tranquillement de la classe, le pas régulier. En dépassant le retardataire, il laissa croire à ce dernier qu'il avait évité le pire. Mais Jungkook se raidit lorsque son camarade ralentit et tourna légèrement la tête vers lui, le fixant du coin de l'œil.
Son regard... Noir et méprisant. Il le paralysa sur place.
Kim Namjoon.
Sa Majesté des livres.
Seigneur des connaissances.
Premier de la classe par excellence.
Toujours plongé dans ses devoirs, ignorant le monde autour de lui.
« Quoi », gronda Jungkook.
Le silence.
« Je n'aime pas ton regard », ajouta-t-il en se relevant d'un bond.
Sur le point de dévoiler le fond de sa pensée, il fut brusquement interrompu par la voix autoritaire et irritée du professeur Lee.
« Jeon ! »
Dépité, Jungkook regarda Namjoon s'éloigner. Agacé et à contrecœur, il ramassa ses effets et entra dans la classe en traînant les pieds, le regard fixé sur la silhouette de Namjoon qui disparaissait au détour du couloir. Il ferma la porte et se courba brièvement devant son professeur.
Lee était agenouillé derrière son bureau en bois sombre et massif, orné de sculptures et de motifs confucéens.
Jungkook prit un coussin au hasard, le plaça devant le bureau, et s'installa. Sa posture était nonchalante, à son image, défiante. Pensif, Lee entrelaça et dénoua ses doigts, une ride soucieuse creusant son front.
« Ah, Jeon Jungkook... soupira-t-il. Quand te décideras-tu à honorer les règles ?
— Quand elles seront un peu plus amusantes, peut-être ? », répliqua-t-il d'un air effronté.
Lee fronça les sourcils. Son visage s'assombrit et son regard se plissa.
« Jeon. Ma patience n'est pas illimitée et ton insolence pourrait avoir de lourdes conséquences », gronda-t-il d'une voix basse.
Jungkook se renfrogna, mais choisit de ne rien ajouter. Lee était le plus aimable et le plus indulgent de ses enseignants, mais ses colères n'en étaient pas moins redoutables.
« Tu multiplies les retards, engages des conflits avec tes camarades, manques de respect envers tes professeurs et négliges le règlement. Tes résultats académiques sont désastreux, et de surcroît, tu passes tes nuits dans des endroits dont la mention même serait indécente !
— Enfin, ce n'est qu'une maison de thé, seonsaeng*... dit-il, penaud.
— Ça suffit ! Je ne permettrai pas que de tels sujets scabreux et inappropriés soient abordés en ma présence ! », s'exclama Lee en frappant la table de son poing.
Jungkook baissa la tête et soupira, mordant sa langue pour contenir sa réplique. Lee prit une profonde inspiration, les yeux clos, les sourcils froncés.
« C'est ta dernière chance. »
Jungkook releva brusquement la tête, étonné.
« Quoi ? Ma derni... attendez... je ne suis pas renvoyé ? », s'exclama-t-il.
Il pensait vraiment que c'était la fois de trop, que leur patience était à bout et qu'ils le congédieraient sans ménagement, le renvoyant chez lui à coups de pied dans le derrière...
« Pas encore, soupira Lee. Cependant, sache que notre bien-aimé doyen ne pourra pas indéfiniment défendre ta cause devant le conseil de l'école. Il use de tous les moyens à sa disposition pour te maintenir parmi nous, au risque de se discréditer et de perdre sa position. Il te défend sans cesse depuis cinq ans, Jungkook... »
La voix grave et solennelle de Lee le pétrifia. Il était tout de même surpris par le dévouement du doyen Jeon. Pensif, il resta sans voix, figé, les yeux fixés sur le regard sérieux de Lee.
« ...Vraiment ? », souffla-t-il.
Jungkook n'avait jamais imaginé les efforts déployés par Jeong pour le défendre. Lui, le jeune chenapan venu des confins reculés de la campagne de Busan.
« Évidemment, répondit Lee d'une voix adoucie. Jungkook, le doyen fait énormément pour toi, bien plus que pour tout autre élève de Sungkyunkwan. Ce qui me peine, c'est que tu sembles t'en moquer.
— Non, Lee seonsaeng, je ne savais pas. »
Ses yeux reflétaient sa sincérité.
« Même en ayant eu connaissance de ça, aurais-tu changé ton comportement ? »
Jungkook se raidit, se pinça les lèvres, pris au dépourvu. Il hésitait. Son silence était un aveu.
Las, Lee secoua la tête.
« Je vois. Tu ne veux pas changer. Tu n'as pas même l'ombre d'un regret. À vrai dire, pourquoi m'étonner ? Ça fait cinq ans que ça dure... », soupira Lee, déçu.
Cinq ans à subir les mêmes reproches, les mêmes regards déçus. La mâchoire de Jungkook se crispa. Il détestait cela. Ce serrement autour de sa poitrine, cette impression d'être un échec sous leurs yeux. Il détestait décevoir.
Un goût amer. Puis, ses mots jaillirent avant qu'il ne les retienne.
« Je peux faire des efforts. »
Sa voix n'était qu'un souffle. Il baissa les yeux, ses poings se serrant. Essayer... Ce n'était peut-être pas suffisant. Mais c'était tout ce qu'il avait à offrir. Il regretta aussitôt ses propos, ses dents fermement enfoncés dans sa lèvre du bas.
« En es-tu certain ? Comment puis-je seulement te croire, Jeon ? Est-ce la culpabilité qui te pousse à parler ainsi ? »
Jungkook perdit toute trace de trouble. Sa mine se fit plus grave.
Lee étudiait son visage. Cinq ans qu'il le connaissait. Cinq ans à jauger ce gamin imprévisible et turbulent, arrogant et orgueilleux. Un frémissement lui effleura les lèvres, une envie fugace de sourire. Mais il se retint.
Jungkook soutint son regard sans ciller.
« Non, Lee seonsaeng. Même un "voyou" a son honneur. Je ne veux être redevable à personne. Pas même au doyen. »
Sa voix était posée. Pas une once d'hésitation. Juste cette fierté, cet orgueil qui l'animait.
Le visage de Lee s'illumina, feignant une surprise enchantée à ses paroles.
« C'est une raison que je peux accepter de ta part », acquiesça-t-il d'un ton satisfait.
Jungkook hocha la tête, le regard durci par la détermination.
« Je veux régler ma dette avec Jeong et partir en bons termes. Après ça, je quitterai cette école de mon plein gré. Dites-moi simplement ce que je dois faire. »
Lee ne releva pas son irrespect, trop habitué. À la place, il ne put réprimer un air triomphant. Jungkook grimaça légèrement, sentant son estomac se nouer. Il venait de tomber les pieds joints dans le piège.
— Dans quinze jours se tiendra l'examen de mi-semestre, composé de quatre épreuves : poésie, histoire, calligraphie et tir à l'arc. En réussissant l'ensemble de ces épreuves, ta dette sera annulée et tu pourras rester parmi nous. »
Jungkook le fixa, semblant chercher quelque chose dans ses yeux. Puis, résigné, il soupira et détourna les yeux.
« Seonsaeng, je crois que, quels que soient mes résultats, il va falloir que je parte. »
Il sourit en coin, masquant l'amertume.
« Je pense que vous avez remarqué que je ne suis pas vraiment le bienvenu ici. »
Lee sourit.
« Ne sois pas si sûr de toi. »
Perplexe, Jungkook fronça les sourcils, troublé par la réponse sibylline.
« Va, maintenant, reprit Lee d'une voix plus douce. J'ai chargé tes amis de prévenir le professeur de ton prochain cours que tu étais en ma compagnie. Ne tarde pas plus. »
Lentement, Jungkook se redressa, récupérant ses affaires. Son regard toujours habité par l'incompréhension resta fixé sur le visage serein de Lee. Il peinait à croire à leur échange, à saisir ce qu'il sous-entendait.
Finalement, il s'inclina profondément. Son geste était sincèrement respectueux.
Puis, il tourna les talons, quittant la classe sous le regard bienveillant de Lee, emportant avec lui ses affaires et ses pensées tourmentées.
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Du bout de sa sandale, Jungkook envoya valser un caillou. Il le suivit du regard tandis qu'il ricochait sur les pavés avant de s'échouer contre un mur dans un bruit mat.
Les mains profondément enfouies dans ses manches, il arpentait les rues d'un pas nerveux, le regard sombre et orageux. Les passants qui croisaient sa route détournaient les yeux face à l'hostilité qu'il dégageait. Les commerçants n'y prêtaient plus attention. Ils connaissaient sa silhouette indolente lorsqu'il diffusait son mal-être à travers la ville. Un énième tour qu'il avait dû jouer. Une énième conséquence qu'il traînait derrière lui. Alors, ils soupiraient, résignés.
Jungkook errait dans ses pensées, un pli creusant son front.
Pourquoi s'était-il tant empressé de réparer son offense envers le doyen ?
Qu'est-ce que cela pouvait bien lui importer, au fond ?
Cet éternel grincheux ne lui avait jamais offert que des réprimandes, des punitions et des heures perdues à écouter ses discours assommants dont il peinait à retenir ne serait-ce que le fil.
L'agacement lui noua la gorge. Il devait chasser ces pensées avant qu'elles ne l'engloutissent tout entier.
Ainsi, après avoir enduré les leçons du jour – non sans un effort colossal – Jungkook s'était enfin échappé des jardins paisibles de Sungkyunkwan pour se fondre dans l'effervescence du centre-ville.
Sa destination : le Daedongjeong*, un pavillon prisé des étudiants, célèbre pour ses pajeon*s et bibimbaps*réputés dans tout Séoul.
Mais pour Jungkook, le véritable trésor de ce lieu résidait dans leurs jajangmyeons* et leurs hotteoks*, qu'il savourait avec une délectation inégalée.
À cette pensée, son estomac émit un grondement impatient. Accélérant le pas, il s'engagea dans une ruelle étroite et déserte, un passage dont les détours le menèrent droit à la porte du pavillon.
Des éclats de voix attirèrent son attention. Jungkook ralentit le pas, et porta son regard sur la scène qui se déroulait devant lui.
Là, dans une ruelle cachée, un groupe de jeunes hommes encerclait un autre, contraint de baisser la tête sous leur pression. À en juger par son hanbok* turquoise, il s'agissait d'un camarade. Mais ce ne fut ni la couleur du tissu ni la posture soumise qui frappèrent Jungkook.
Non. Il reconnut aussitôt cette chevelure sombre, ces mèches épaisses qui retombaient sur une nuque tendue, cachant un visage qu'il connaissait trop bien. Cette carrure robuste, ce maintien à la fois fier et crispé.
Un sourire moqueur étira ses lèvres. L'ironie du sort avait parfois un goût exquis.
Ce matin encore, Kim Namjoon s'était montré méprisant devant sa malchance. À présent, c'était lui qui se trouvait à la merci de leurs seonbaes.
Parfois, la justice frappait avec une précision presque poétique.
« Il l'a bien mérité, cet arrogant », souffla Jungkook, un sourire en coin.
Devant lui, le ton montait.
La conversation s'envenima alors que Namjoon restait de marbre face aux sarcasmes de ses harceleurs. Son silence ne faisait qu'attiser leur frustration. L'un d'eux, une masse de muscles à l'intellect aussi limité que sa patience, le heurta violemment à l'épaule. Namjoon recula d'un pas, retrouvant aussitôt son équilibre avec une grâce surprenante.
Comme s'il n'avait subi qu'une légère bousculade.
Intrigué, Jungkook arqua un sourcil.
Un autre plus téméraire lâcha une insulte d'une bassesse telle que même Jungkook, pourtant maître en la matière, en fut outré. On ne touchait pas aux parents. Mais le malotru n'eut pas le temps de savourer son venin.
Namjoon laissa tomber ses livres et se précipita. D'un coup de paume aussi rapide que précis, il envoya son adversaire à terre. La stupeur qui suivit ne dura qu'un petit moment.
Furieux, le deuxième aîné se jeta sur lui pour venger son camarade. Mauvaise idée. Namjoon lui asséna un coup fulgurant aux parties intimes. Son geste fut vif, presque indécent de simplicité.
Gémissement étranglé. Puis le malheureux s'effondra.
Jungkook grimaça sous la douleur, puis dut se mordre la lèvre pour ne pas éclater de rire.
Un troisième, puis un quatrième rejoignirent bientôt leurs compères au sol, vaincus en un instant.
Jungkook arqua un second sourcil, cette fois réellement intrigué.
Qui aurait cru que le sombre seigneur dépressif et arrogant possédait d'autres talents que celui de manier le pinceau avec prétention ?
Mais surtout...
Par tous les dieux, qui pouvait bien terrasser quatre hommes seul ?
Même en admettant que Namjoon maîtrisait des techniques précises et redoutables, il était d'un tout autre niveau. Une chose était certaine : ce type cachait bien son jeu.
Un fin sourire étonné étira ses lèvres. Il était impressionné.
Namjoon épousseta nonchalamment sa veste à peine froissée par la rixe brève et brutale. Autour de lui, les aînés encore sonnés peinaient à se relever. Groggy mais fiers, ils s'éloignèrent en marmonnant des menaces de vengeance. Namjoon ne leur accorda pas même un regard, encore moins une réponse.
Avec sa grâce désinvolte, il se baissa pour ramasser ses livres, les empila sous son bras et reprit son chemin, sans doute vers la bibliothèque ou chez un marchand d'encre et de rouleaux.
Jungkook l'observa s'éloigner, le regard plissé.
C'était fascinant.
Avec une grimace, il dut l'admettre : Kim Namjoon n'était pas de ces lâches qui se réfugiaient derrière leurs bonnes notes. Il n'avait jamais cherché à flatter les professeurs pour s'attirer leurs bonnes grâces, ni quémandé un quelconque passe-droit sous prétexte qu'il excellait dans les chiffres, les arts et les lettres.
Non. Namjoon était d'un autre genre.
Il traversait le monde comme un spectateur insensible à ce qui l'entourait. Que ce soit en classe, à la cantine ou sur le terrain d'entraînement, il ne semblait jamais vraiment là, absent à tout ce qui n'était pas ses propres préoccupations.
Était-ce une simple arrogance d'aristocrate ?
Ou bien une inquiétante misanthropie plus ancrée ?
Jungkook secoua vivement la tête. Voilà qu'il justifiait l'insupportable conduite de celui qu'il n'avait jamais pu voir autrement que comme un étranger venu d'un monde étrange !
Il lâcha un souffle agacé et reprit sa marche, cette fois plus décidé. Il avait mieux à faire que de s'attarder sur Kim et ses mystères. Son estomac, lui, ne se tracassait avec aucune interrogation existentielle.
Il se hâta vers le Daedongjeong, guidé par l'odeur alléchante des plats qu'il devinait déjà à l'horizon.
Mais à peine eut-il fait deux pas que quelque chose attira son attention là où s'était déroulée la bagarre. Un morceau de tissu gisait au sol.
Curieux, il s'approcha, se pencha et ramassa l'étoffe. Le carré de soie noire aux bords finement découpés était intact. Mais ce fut ce qui ornait son centre qui le fit se figer net.
Broderie délicate. Motif précis.
Jungkook plissa les yeux.
Un paon majestueux au plumage déployé dans toute sa splendeur.
Un symbole qu'il ne connaissait que trop bien.
Celui de la famille Kim.
Étrange... Comment ce tissu avait-il pu se retrouver là ? Namjoon portait l'uniforme de l'école pendant l'affrontement. L'aurait-il gardé sur lui, dissimulé sous sa veste ? Un accessoire qu'il aurait perdu dans la mêlée, sans même s'en rendre compte... ?
« Oh, et puis quelle importance ! », s'exclama Jungkook en rangeant l'étoffe dans sa poche.
Il avait déjà perdu bien trop de temps à cause de l'arrogant Kim.
Sans plus s'attarder, il se remit en route et s'élança vers la devanture du Daedongjeong, poussé par l'impatience plus encore que par la faim.
Il fit coulisser les portes en bois, soupirant discrètement devant la chaleur réconfortante du pavillon. L'odeur des plats fraîchement préparés lui chatouilla immédiatement les narines, et son cœur bondit d'anticipation.
« Jungkook, bonsoir ! », s'exclama Hana tout sourire en le voyant entrer.
Jungkook la salua en retour et commanda.
Aussitôt, les mains agiles de Hana s'activèrent derrière le comptoir, préparant un bol fumant de jajangmyeons et une assiette débordante de hotteoks dorés.
« Hana, ajoutez-moi vos succulents bibimbaps ! lança Jungkook avec enthousiasme.
— Reçu ! Installe-toi, j'arrive ! », répondit-elle avec le même entrain.
Son regard balaya la salle jusqu'à repérer une table où ses amis s'étaient rassemblés. Un ricanement lui échappa. Ces lâches comptaient donc braver le couvre-feu pour venir ici ? Eux qui, d'ordinaire, ne mettaient jamais un pied dehors après le gong du soir, même s'ils se permettaient quelques sorties juste avant.
Il fut heureux de les voir là.
S'approchant sans hésiter, il s'abandonna sur le dernier siège libre, s'affalant sans grâce à côté de Seokjin, en face de Yoongi et Mingyu.
Leurs visages s'illuminèrent à son arrivée et l'accueillirent chaleureusement.
« Alors comme ça, vous venez ici sans moi ? », fit-il mine de se plaindre, la voix faussement blessée.
Mingyu leva les yeux au ciel.
« Justement, andouille, on t'a cherché partout. Tu étais où ?
— Je suis sorti dès la fin des leçons. »
Yoongi les observa en haussant un sourcil blasé.
« Voilà. Je vous l'ai dit. Il sort en fin d'après-midi quand il se fait gronder, comme d'habitude. »
Jungkook plissa les yeux et le fixa d'un air faussement menaçant.
Seokjin était plus préoccupé.
« Parlons sérieusement, on n'a pas eu le temps de te demander. Lee seonsaeng ne t'a pas trop malmené ? », demanda-t-il avec inquiétude.
Jungkook se détendit, balayant la question d'un geste nonchalant.
« Pff. Tu sais bien que je fais ce que je veux de ce brave Lee. »
Yoongi haussa un sourcil, un sourire moqueur.
« Ce n'est pas ce qu'on m'a raconté... » souffla-t-il avant de siroter sa boisson à la cannelle.
Jungkook claqua la langue contre son palais et grommela, exaspéré.
« Toi... tu parles, tu parles... Mais je ne t'ai toujours pas tabassé pour ce matin. »
Il le fixa, sourcils froncés, feignant une noirceur qui ne prit pas.
Puis, l'éclat étouffé de Mingyu eut raison d'eux, et ils pouffèrent.
Jungkook inspira profondément, les restes de son sourire flottant encore sur ses lèvres. Mais peu à peu, son regard se perdit dans le vide, et ses yeux se ternirent légèrement.
« Un jour ou l'autre, je finirai par me faire expulser de cette école, c'est sûr. »
Jungkook lâcha ces mots avec nonchalance, comme s'il parlait du temps au ciel. Mingyu frissonna à cette simple idée.
« Ça ne t'inquiète pas ? Si je me faisais renvoyer, ma mère serait tellement furieuse qu'elle en tomberait malade. Elle me le ferait payer jusqu'à la fin de mes jours.
— Pareil pour moi », ajouta Seokjin en hochant la tête, l'air grave.
Yoongi se contenta d'un regard pesant, qui suffisait à signifier qu'il partageait leur sort.
Jungkook leva les yeux au ciel et secoua la tête.
« Les gars, les gars, les gars... soupira Jungkook en prenant un air de vieux sage. Les études, c'est comme mourir à petit feu. Ça vous épuise de l'intérieur, ça vous tue les yeux à force de lire des gribouillis, et ça vous prive de l'énergie que vous pourriez utiliser pour des activités bien plus saines et intéressantes.
Seokjin le fusilla du regard.
« Si par activités intéressantes, tu veux dire traîner au Jardin des Lys et des Cèdres, c'est sans moi. »
Le Jardin des Lys et des Cèdres... L'une des maisons de thé les plus réputées – et les plus controversées – de la ville.
Jungkook leva les mains en signe d'innocence.
« Pas seulement ! s'exclama-t-il, faussement offusqué. Mais au moins, là-bas, les gens savent ce que signifie profiter de la vie. »
Seokjin haussa un sourcil sceptique.
« Ils savent surtout comment se faire plumer par des filles douteuses. Sérieusement, Jungkook, combien tu as dépensé, là-bas ? »
Un sourire fauve ourla les lèvres de Jungkook.
— L'argent ne compte pas quand c'est pour l'amour !
— On ne parle pas d'amour, mais de relations tarifées au prix fort, soupira Seokjin.
— Oh, l'amour, le sexe, quelle différence...
— J'aime à penser qu'il y en a une, grommela Seokjin, le regard las avant de grignoter sa galette sucrée.
— Jin n'a pas tort, tu sais », renchérit Mingyu, bras croisés.
Taquin, Jungkook posa son regard sur eux, puis éclata d'un rire grave et moqueur qui irrita aussitôt Seokjin et Mingyu.
« Ma foi, on croirait entendre des âmes innocentes nourries de littérature romantique ! », s'amusa-t-il, hilare.
Seokjin grogna en détournant les yeux avec agacement, tandis que Mingyu, pris de court, s'étranglait en avalant une bouchée de kimchi* de travers.
Amusé, Yoongi lui tapota mollement le dos sans la moindre conviction.
« Mais... »
Jungkook cligna des yeux, son regard allant de l'un à l'autre, la surprise se peignant peu à peu sur son visage. Il ouvrit la bouche... la referma... l'ouvrit de nouveau, mais aucun son n'en sortit.
Un discret raclement de gorge le fit sursauter. Hana venait de déposer devant lui un plateau garni de mets fumants. Jungkook marmonna distraitement un remerciement vague, tandis que Hana sourit avant de retourner à ses fourneaux, le laissant seul face à son indignation grandissante.
Il inspira profondément.
« Attendez, les gars... Je disais ça pour rire, mais... sérieusement ? », lâcha-t-il d'un ton las.
Un silence gêné s'installa.
« Bon ! Il serait peut-être temps de changer de sujet, non ? tenta Mingyu, mal à l'aise.
— Hors de question. Et je refuse de croire qu'aucun de vous ne l'ait jamais fait ! s'indigna-t-il.
Seokjin soupira, baissant légèrement les yeux, sa main soutenant distraitement sa tête tandis qu'il jouait avec ses baguettes.
« Ce n'est pas que je ne l'ai jamais fait, murmura-t-il. C'est juste que je ne me vois pas aller dans ce genre d'établissement. Il n'y a pas de honte à ça. »
Jungkook le fixa, l'air scandalisé.
— Franchement, pour un homme de vingt et un ans en pleine forme, c'est déplorable ! Et toi, Mingyu, toi qui te glorifies sans cesse de séduire toutes les femmes, pourquoi tu rougis comme une tomate dès que j'évoque une maison de plaisir ?
Mingyu s'étrangla avec sa bouchée.
« Hé ! Ce n'est pas parce que j'aime séduire que je me précipite dans ce genre d'endroit ! répliqua-t-il, outré. À nos âges, franchement ! Il y a des tas de filles qui attendent un petit ami dévoué, pas un client ! »
Jungkook roula des yeux, exaspéré, puis se tourna vers Yoongi, ultime espoir dans cette mer de vertu.
« Yoongi, je t'en conjure, dis-moi que toi, au moins, tu fréquentes un... »
Yoongi lui fit un clin d'œil. Jungkook s'interrompit net.
Oh.
Un sourire lent, presque carnassier, étira ses lèvres.
« Évidemment, pourquoi je pose la question, même », susurra Jungkook, provoquant le petit rire de Yoongi.
Des souvenirs communs effleurèrent leurs esprits, se glissant entre eux. Leurs sourires s'étirèrent d'un air entendu.
« Tu vas donc dans un pavillon ? », demanda-t-il, les yeux pétillants.
Yoongi acquiesça lentement, un sourire en coin, pas le moins du monde gêné.
« Tu vas dans quel wolhwa bang* ? demanda-t-il, un sourire malicieux éclairant son visage.
— Le même que toi », répondit l'autre d'un ton calme et amusé.
Jungkook ouvrit grand la bouche dans un « O » mi-amusé, mi-étonné.
« Et comment ça se fait que je ne t'ai jamais croisé ? s'enquit-il en se penchant au-dessus de la table, son intérêt piqué.
— Contrairement à toi, je reste discret, je préfère éviter ta réputation sulfureuse. »
Amusé, Jungkook gloussa, se redressant avec fierté, les bras croisés sur la poitrine. Médusés, Mingyu et Seokjin assistaient à l'échange avec des joues en feu, peu préparés à cette conversation déconcertante d'impudeur.
« V... vous êtes sans gêne ! », balbutia Mingyu, scandalisé.
Jungkook l'ignora superbement.
« Ta favorite ? », poursuivit-il en fixant Yoongi, un sourcil levé.
Ce dernier esquissa un sourire en coin.
« Minseo. Et toi ?
— Sunhi. »
Leurs sourires complices s'élargirent et leurs paumes claquèrent. Seokjin et Mingyu les regardaient, abasourdis, le teint rivalisant désormais avec un champ entier de coquelicots.
Jungkook balaya leur embarras d'un sourire narquois.
« Messieurs, je pense qu'il est temps que je prenne en main votre éducation », dit-il d'un ton solennel en s'adressant à Mingyu et Seokjin.
Seokjin eut un mouvement vif de recul, presque paniqué, tandis que Mingyu grimaçait de désarroi. Yoongi se contenta de les scruter avec son habituel sourire narquois.
Sans se presser, Jungkook saisit ses baguettes et mélangea les jajangmyeons dans son bol fumant, parfaitement indifférent à la gêne qu'il avait engendrée.
Seokjin le regarda faire, avant qu'un éclair de lucidité ne traverse son esprit.
« Jungkook. Non. »
Jungkook releva lentement la tête, une lueur espiègle dans les yeux.
« Si », contra-t-il, amusé.
Seokjin serra les dents.
« Jungkook... », siffla-t-il, les oreilles aussi rouges qu'un champ de roses en plein été.
Jungkook se pencha légèrement vers lui, un sourire insolent aux lèvres.
« Seokjinie », chantonna-t-il d'un air faussement angélique.
Mingyu cachait son visage brûlant derrière ses mains, incapable d'affronter plus longtemps cette discussion.
Yoongi émit un petit ricanement railleur, puis, avec un calme olympien, il prit son verre et l'éleva jusqu'à ses lèvres.
« Vous n'allez pas en mourir. Faites-en l'expérience. Si ça ne vous plaît pas, n'y retournez plus et n'en parlons plus. »
Un silence s'abattit sur la tablée.
Satisfait, Yoongi but son verre.
Et Jungkook éclata de rire.
☾
Les yeux écarquillés, Seokjin errait à travers les rues illuminées, comme si elles s'offraient à ses yeux pour la première fois. La nuit lui était étrangère, lui qui respectait toujours le couvre-feu et ne s'aventurait jamais dehors après le crépuscule. Peu rassuré, il se rapprocha instinctivement de ses amis, agrippant discrètement la manche de Mingyu.
Celui-ci, agacé, se dégagea en râlant.
« Arrête de faire le bébé, Jin », grommela-t-il avec fermeté, bien que son ton trahisse une légère nervosité.
Lui-même n'en menait pas large.
Devant eux, Yoongi avançait d'un pas tranquille, parfaitement détendu, connaissant le chemin par cœur. Jungkook marchait à ses côtés avec l'aisance de ceux pour qui la nuit n'a plus aucun secret. Ils évoluaient dans ce monde nocturne comme un poisson dans l'eau, indifférents aux mouvements et aux murmures qui peuplaient les ruelles.
Seokjin et Mingyu suivaient, plus hésitants, plus conscients du fossé qui se creusait peu à peu entre leur quotidien studieux et ce nouvel univers effervescent.
L'enceinte rassurante du Daedongjeong s'effaçait derrière eux à mesure qu'ils pénétraient dans le quartier des plaisirs. Les commerces respectables faisaient place aux tavernes où fusaient rires éraillés et chansons paillardes.
Par endroits, de jeunes gens en hanboks chatoyants accrochaient des lanternes rouges aux devantures des maisons de plaisir, leurs flammes projetant une lueur douce et mouvante sur leur passage.
Seokjin et Mingyu déglutirent, troublés par cette atmosphère étrangère, mais envoûtante et intimidante.
Fidèle à lui-même, Jungkook lançait quelques compliments aux filles qui passaient, savourant les sourires qu'il arrachait et les rougeurs amusées qui coloraient leurs joues. Leurs oreilles avaient entendu bien pire, mais elles jouaient le jeu, aguicheuses.
À ses côtés, Yoongi observait avec amusement leur manège sans y prendre part, préférant garder une distance avec cette forme de séduction.
Rares et discrets, certains jeunes hommes plus audacieux adressaient à Jungkook des regards lourds de sous-entendus. Habitué et loin de s'en offusquer, il répondait toujours par un rire poli, complice, acceptant le jeu sans jamais en franchir les limites.
Une légèreté qui ne manquait pas d'arracher à Yoongi une grimace d'embarras. Il n'avait jamais été sensible à ce genre d'invitations. Ni aux promesses murmurées dans un regard. Ni aux charmes du plus bel éphèbe que cette nation pouvait abriter. Il y avait une différence entre embrasser un homme...
Et coucher avec un homme..
Il frissonna.
Derrière eux, Mingyu s'efforçait de masquer son désarroi, refusant de passer pour une oie blanche. Quant à Seokjin, la bouche entrouverte, il était hypnotisé, incapable de détourner les yeux des nuques pâles des courtisanes, de la façon dont leurs mèches sombres glissaient sur leur peau délicate.
La petite troupe s'arrêta net.
Devant eux, une façade élégante où une flamme rougeoyante dans une lanterne suspendue juste au-dessus de la porte révélait la nature des plaisirs offerts à l'intérieur.
« Haein ! chantonna Jungkook en poussant la porte coulissante avec entrain. Bonsoir ! »
L'intérieur du Jardin des Lys dégageait une lueur douce et tamisée, entre l'intime et le décadent. Les lanternes accrochées diffusaient un pourpre qui projetait des ombres sur les paravents ornés de pivoines et de grues dorées. L'air était lourd d'encens capiteux, d'effluves sucrés du soju, et des parfums entêtants des courtisanes.
Au bout du couloir, une voix féminine et rauque fusa, résonnant contre les murs de papier de riz, son timbre toujours aussi fort comme un écho venu des profondeurs de l'âme.
« Jungkook ! Tu es venu régler la note de tes soirées impayées ou l'allonger encore un peu ? »
Un rire guttural accompagna ces paroles, et un fin nuage de fumée s'éleva dans l'air.
« Tiens, bonsoir, Yoongi », ajouta-t-elle d'un ton plus suave.
Ils ne voyaient que sa silhouette élancée, cachée derrière un paravent, mais ils surent qu'elle les voyait. Yoongi s'inclina respectueusement.
« Ni l'un ni l'autre, Haein, sourit Jungkook. Je suis venu avec des amis. »
Derrière le paravent, un froissement de tissu précéda l'ouverture fluide de la porte donnant accès au vestibule. Haein apparut enfin.
Grande. Élancée. Svelte.
Ses cheveux blonds et soyeux complètement lâchés, tombaient sur ses épaules, une rareté dans cette nation. Elle était drapée dans un splendide hanbok rouge et or, dont le col savamment ajusté laissait entrevoir un décolleté audacieux.
Envoûtante. Intimidante. Magnifique.
Chaque fois qu'il la voyait, Jungkook ne se lassait pas de contempler la blondeur de ses cheveux. Blonde, mais coréenne. Née d'une union entre une femme du pays et un étranger.
Un jour, Jungkook avait osé poser la question. Elle l'avait fixé d'un regard vide, avant de répondre d'un ton égal, sans détour : « Ma mère n'a jamais voulu m'en dire davantage, mais mon père n'était que de passage. Je ne l'ai jamais connu. Il est européen. C'est tout ce que je sais. »
Aucune plainte. Aucun regret. Juste un fait énoncé avec détachement, mais Jungkook avait senti quelque chose se tordre en lui. Alors, sans réfléchir, il l'avait prise dans ses bras, alors qu'elle avait doucement ri, touchée. « Ne t'en fais pas, je ne le vis pas mal, tu sais. » Mais lui, il voulait simplement partager avec elle l'absence d'une figure paternelle.
Ils étaient déjà proches, mais cet aveu les avait plus profondément liés.
Pourtant, le sujet ne fut plus jamais abordé. Jungkook n'avait pas insisté. Il devinait ce que Haein ne disait pas ou ne savait peut-être pas. Il soupçonnait sa conception... virulente. Une histoire où les silences des mères en disaient bien plus que les marques invisibles qu'elle gardaient enfouies, honteuses, impuissantes.
D'un pas lent, presque félin et hypnotique, elle s'approcha des quatre jeunes hommes. Ses yeux pénétrants et savamment maquillés scrutèrent les deux nouveaux venus, détaillant leurs expressions incertaines et embarrassées avec une lueur railleuse.
Seokjin et Mingyu étaient complètement crispés, très peu à l'aise dans cet univers sulfureux vibrant d'éclats de rires, de murmures confidentiels et de tintement des bracelets de jade. Plus loin, derrière des panneaux ajourés, ils distinguaient les silhouettes mouvantes des courtisanes accoudées aux coussins de soie, versant du thé ou du soju dans les coupes laquées de leurs clients aux mines déjà trop réjouies. Derrière eux, une mélodie langoureuse jouée au gayageum* s'élevait à travers l'air des tentations.
Haein les jaugea avec amusement.
« Tu les as dénichés sous les jupes de leurs mères, Jungkook ? persifla-t-elle, moqueuse.
Jungkook éclata de rire.
« Ce sont mes amis les plus proches, Haein. Un peu de respect, même s'ils ne le méritent pas. »
Il jeta un regard en coin à Seokjin et Mingyu, dont les visages empourprés lui offraient un spectacle des plus divertissants.
« Mais rassure-toi, ils sont riches. »
Le sourire de Haein s'agrandit, satisfaite.
« Très bien ! »
Gracieusement, elle s'écarta légèrement pour laisser Yoongi passer.
Celui-ci frôla discrètement sa main en passant. Un regard furtif, un sourire en coin échangé dans le secret d'un souvenir qui n'appartenait qu'à eux. Puis, sans un mot, Yoongi disparut derrière les paravents, englouti par la lueur feutrée de l'établissement.
Jungkook grimaça lorsqu'il vit leur petit manège.
Pour lui, Haein était comme une mère. Il ne l'aurait jamais courtisée. Jamais. Belle ? Absolument. Sublime, même. Envoûtante ? Sans l'ombre d'un doute. Mais tout de même !
Il frissonna de dégoût.
« Passez une excellente soirée, les jeunes ! La vie est trop courte pour ne pas en profiter ! », lança Haein.
Sa voix douce et rauque se mêla aux murmures et aux éclats de voix qui emplissaient la maison.
Haein porta sa longue pipe à ses lèvres, exhalant un fin nuage de fumée parfumée qui s'éleva dans l'air, ondulant doucement. Face à elle, Seokjin et Mingyu déglutirent, hypnotisés par l'élégance ensorcelante de la maîtresse de maison.
Jungkook, lui, n'en était pas à son premier sortilège.
Comme à son habitude, il lui prit la pipe des doigts et en tira quelques bouffées, savourant la senteur d'orange épicée qui chatouilla son palais.
Haein l'observa, les yeux plissés, pointant un doigt accusateur dans sa direction.
« Et toi, là. N'oublie pas de voir Jiwon pour actualiser ton ardoise. Je ne sais même pas pourquoi je continue de t'accepter ici. »
Jungkook lui offrit son sourire le plus insolent, expirant lentement une volute de fumée, flottant juste devant le visage froissé de Haein.
« Parce que tu m'adores et que je suis aussi comme ton fils ? »
Elle fit claquer sa langue, faussement irritée et, d'un mouvement aussi vif que gracieux, elle lui arracha sa pipe des mains. Jungkook ricana, amusé.
« Hors de ma vue, insolent », siffla-t-elle.
Il était évident que derrière sa mine sévère et agacée, une forme d'affection brillait dans ses yeux.
« Oui, oui », pouffa Jungkook avant de l'enlacer brièvement en guise de salut, Haein répondant à son étreinte.
Il se détacha d'elle, puis se tourna vers Mingyu et Seokjin, toujours hésitants à franchir le seuil du vestibule.
« Allez, venez ! Amusons-nous ce soir ! », déclara-t-il en les entraînant à l'intérieur.
Leurs attentes furent de courte durée. Trois jeunes filles firent irruption, parées de leurs plus élégants atours, faisant aussitôt rougir les deux hommes loin d'être habitués à tant de charme et de volupté. L'une portait une grande bouteille de soju, l'autre des coupes étincelantes, et la troisième un haegeum* délicatement tenu entre ses mains graciles.
« Kookie ! Tu nous as tellement manqué ! », s'exclama une belle brune aux cheveux lâchés à la peau hâlée, un sourire éclatant illuminant son visage.
Minseo.
Derrière les paravents, une voix impatiente geignit.
« Minseo, reviens ! »
C'était Yoongi, dont l'appel fit rire la courtisane.
Elle leva brièvement les yeux au ciel avant de se blottir contre Jungkook, ses bras fins l'enlaçant avec douceur.
Son parfum fleuri flotta un instant entre eux, puis elle déposa un baiser léger sur sa joue, laissant une empreinte carmin qu'elle s'empressa d'effacer du bout des doigts, gloussant d'amusement.
Jungkook lui adressa un sourire, ravi.
Seokjin et Mingyu restaient figés, aussi immobiles que des statues, leurs visages empourprés et leurs regards à la fois fuyants et fascinés, surpris de voir Jungkook et Yoongi si à l'aise au milieu de femmes d'une beauté et d'un charisme à couper le souffle.
Une nouvelle voix douce et carillonnante s'éleva. Une silhouette apparut.
« On ne t'attendait pas si tôt. »
Sunhi. L'une des plus belles du Jardin, rivalisant presque avec Haein. Presque. Car Haein, en plus d'être métisse et le fantasme de nombreux clients, était intouchable et inaccessible.
Une reine, non une courtisane. Jamais.
Sunhi était vêtue d'un hanbok blanc pur aux soieries argentées finement brodées, éclatantes sous la lumière tamisée. Un contraste saisissant avec sa longue chevelure d'encre complètement lâchée.
Ici, le Code du Jardin différait des autres maisons de plaisir : les cheveux détachés étaient la norme.
Pour Haein, c'était une forme d'élégance et de naturel bien plus séduisante que les coiffures rigoureusement élaborées des autres établissements. Moins de contrainte.
Une beauté libre.
Et les clients en raffolaient.
« Bonsoir, ma belle », susurra Jungkook.
Un sourire mutin aux lèvres, elle lui tendit sa main. Il la saisit aussitôt.
« Après ta dernière nuit ici, je pensais que tu mettrais des semaines à revenir », dit-elle.
Un éclat de malice brilla dans les yeux de Jungkook. Il porta sa main à ses lèvres et y déposa un baiser léger du bout des lèvres.
« Tu me connais pourtant, Sunhi. »
Elle rit, un son cristallin emportant un instant l'âme de Jungkook. Puis, se redressant, il se tourna vers Minseo, détaillant son hanbok aux tons jaunes et orangés, savamment ajusté.
« La coupe de ton hanbok. Sublime. »
Minseo lui adressa un sourire satisfait, savourant l'admiration non dissimulée que Jungkook portait à ses courbes mises en valeur.
« Il est chic, non ? dit Minseo. Jiwon l'a ramené de son séjour à Gyeongju. Puis ça tombe bien, Yoongi adore le jaune, gloussa-t-elle. J'arrive ! Je salue Jungkook ! », s'exclama-t-elle en entendant Yoongi l'appeler, une fois de plus.
Jungkook pouffa.
« Va le rejoindre, ou il ne va pas se taire. »
Un rire léger comme un tintement de cloche lui échappa avant qu'elle ne trottine gracieusement vers le vaste séjour, la pièce principale de la maison, ses cheveux ondoyant autour d'elle.
La pièce principale s'illuminait grâce à des lanternes en papier finement décorées. Ces dernières diffusaient une lueur douce et chaleureuse. Les murs parés de soie chatoyante étaient sublimés par des peintures audacieuses, illustrant des scènes de séduction et de passion. Ces œuvres accentuaient un peu l'audace de cette atmosphère déjà raffiné.
Élégance et témérité. Art et passion. Tel était le Jardin des Lys et des Cèdres.
Au cœur de l'immense salon, douze longues méridiennes en bois finement sculpté s'agençaient çà et là, leurs matelas de soie brodée. Elles invitaient à la détente, leurs courbes promettant un confort sans pareil.
Tout était pensé pour offrir un havre accueillant, où l'on conversait, où l'on riait, où l'on laissait le temps s'effacer derrière le plaisir, où la décision de monter ou non dans les chambres privées se prenait en toute quiétude et en toute sécurité, sous l'œil avisé de la maîtresse de maison.
Entre les convives, des courtisanes parées de hanboks légers aux couleurs éclatantes évoluaient avec grâce entre les canapés de repos. Leurs pas délicats les menaient vers de petites tables basses où elles déposaient du thé fumant aux arômes floraux et des alcools raffinés.
Le parfum des encens musqués flottait dans l'air. Bois de santal, fleurs d'osmanthe. Entêtant.
Par moments, des silhouettes se détachaient de l'animation du salon, deux silhouettes disparaissant dans la pénombre des escaliers, gravissant l'étroit passage menant aux chambres, toujours surveillés par une Haein au regard sérieux et attentif, veillant aux bien-être de ses filles.
« Yoomi, tu m'en veux toujours ? », demanda Jungkook.
Son regard s'était posé sur une jolie brune aux grands yeux et à la peau constellée de grains de beauté pareils à une voie lactée sur son teint clair, qui les avait rejoints.
Mais Yoomi n'était pas d'humeur à pardonner. Lorsqu'elle planta son regard flamboyant de colère dans celui de Jungkook, il sut qu'il était en territoire hostile. Sans lui répondre, elle se pencha, arracha l'un de ses beoseon* d'un geste rageur, et le projeta avec véhémence vers le visage de Jungkook.
L'étoffe plana, mais Jungkook était rapide. Par réflexe, il intercepta la chaussette en plein vol, l'attrapant du bout des doigts avant qu'elle ne l'atteigne.
Frustrée, Yoomi grogna, poings serrés, ulcérée de le voir toujours aussi insupportablement vif.
« Ça répond ta question ? cracha-t-elle, la voix sombre, un brin menaçante.
— Enfin, ma belle. Quand j'ai dit que ta coiffure ressemblait à des petits pains à la vapeur, c'était un compliment, se défendit-il avec une moue faussement penaude.
Un éclair meurtrier passa dans les yeux de Yoomi.
Sunhi qui observait la scène avec amusement, intervint avant que les choses ne dégénèrent davantage.
« Bonsoir », ronronna-t-elle, d'une voix charmante et douce.
Elle s'approcha gracieusement de Seokjin qui se figea aussitôt, le souffle coupé, les yeux ronds de stupeur.
Le pauvre n'était pas prêt. Elle était divine.
« Venez, rejoignons Minseo et Yoongi », dit-elle aux autres, sans quitter un Seokjin au bord de la crise.
Sans attendre de réponse, elle pivota gracieusement, et entraîna le groupe à travers la pièce, jusqu'à une méridienne luxueuse où, par un heureux hasard, quatre places venaient de se libérer, encore chaudes.
Jungkook s'installa près de Yoongi qui le regardait, un sourire malicieux. D'un coup de coude léger, il le taquina.
« Ça fait drôle de te voir ici», toi, souffla-t-il contre son oreille.
Yoongi ne détourna même pas le regard, se contentant d'un ricanement bas.
« Pareil pour toi. On dirait que tu possèdes les lieux », ricana Yoongi.
Jungkook pouffa.
« Tu te caches où, d'habitude ?
— Je monte tout de suite, répondit Yoongi sans détour. Je ne traîne pas en bas.
— Oh, tout le contraire de moi, répliqua Jungkook avec un sourire mutin. Je préfère cette ambiance avant de monter. Ou pas, d'ailleurs.
— Je sais, je te vois. »
Jungkook haussa un sourcil, faussement vexé.
« Et tu ne viens jamais me rejoindre ?
— Pour quoi faire ? J'ai déjà ta tête sous les yeux toute la journée. »
À nouveau, Jungkook lâcha un souffle rieur. Mais il n'eut pas le temps d'ajouter quoi que ce soit. Une main douce et impérieuse s'empara soudain de sa nuque. Il eut un léger sursaut, surpris par le geste assuré de Yoongi, qui l'attira contre lui, une lueur indéchiffrable dans les yeux.
« Ça ne te rappelle pas des souvenirs ? »
Une tension vibra entre eux. Jungkook sentit son ventre se contracter.
Un doux gloussement étonné s'éleva. Minseo, perchée élégamment sur les genoux de Yoongi, les bras enroulés autour de son cou, les observait avec un sourire entendu. Elle comprit. Même sans avoir été présente à l'époque, elle devinait.
« Noooon... », souffla-t-elle, oscillant entre la surprise et l'amusement.
Elle les scruta, tour à tour.
« Vous deux... ? »
Yoongi grimaça aussitôt, perturbé par la direction que prenait cette conversation.
« Non, ce n'est pas ce que tu penses, Minseo.
— Hein ? »
Elle haussa un sourcil, perplexe, puis, elle tourna son regard vers Jungkook, cherchant confirmation. Mais ce dernier se contenta de la fixer, espiègle, savourant son trouble.
Cela n'arrangea rien à sa confusion. Son esprit tournait à toute vitesse.
Mais de quoi parlent-ils, alors ?
Jungkook se détourna d'elle, son attention à nouveau fixée sur Yoongi.
« Pourquoi ? Tu veux recommencer ? souffla-t-il. Ça date, quand même. »
Yoongi haussa les épaules, l'air faussement détaché.
« Pas toi ? »
Un silence.
« On n'a jamais abordé le sujet. Je pensais que c'était l'histoire d'une seule fois, expliqua Jungkook.
— Disons que j'y pense, parfois.
— Moi aussi. »
Leurs regards se croisèrent, longuement, intensément.
Minseo rougit et détourna légèrement les yeux, son cœur bondissant malgré elle. Elle ressentait parfaitement la lourde tension qu'ils dégageaient.
Mais qu'on m'explique !
« Yah, lâche-moi. On en parlera un autre jour. Je ne suis pas venu pour ça. »
Yoongi lâcha un soupir exagéré, ses doigts relâchant doucement la nuque de Jungkook.
« Pfff. »
Jungkook ricana en secouant la tête, avant de détourner son attention vers Mingyu et Seokjin, abandonnant Yoongi à ses messes basses avec Minseo.
À côté, Sunhi s'installa aux côtés de Seokjin. Tout sourire, parfaitement dans son rôle, elle saisit une bouteille et emplit sa coupe d'alcool, avant de lever vers lui un regard pétillant d'amusement.
Seokjin avait perdu tous ses moyens.
« Je... je... je ne préfère pas boire... », balbutia-t-il, troublé comme jamais auparavant.
Sunhi porta sa main à son cœur, simulant une douleur en battant doucement des cils.
« Vous me causeriez un grand chagrin si vous refusiez ce verre que je vous offre. »
Seokjin déglutit. Le piège était redoutable.
Jungkook lâcha un rire amusé. Puis, chercha Mingyu. Là, il éclata d'un rire franc, le montrant du doigt, attirant les regards du groupe. À son tour, Yoongi ricana, et tous le regardèrent.
Non loin de là, Mingyu reculait comme un animal traqué, face à l'approche féline de Yoomi.
Jungkook sut que Seokjin et Mingyu ne ressortiraient pas indemnes.
☾
Le temps s'était étiré, bercé par la gaieté communicative des trois hôtesses. Les corps s'étaient détendus, les esprits s'étaient assouplis sous l'effet du soju.
Toute trace d'embarras avait déserté Mingyu qui se laissait bercer par les mélodies que Yoomi tirait de son instrument.
Plongé dans sa gaieté, Yoongi avait depuis longtemps quitté l'étage avec Minseo et s'abandonnait maintenant au rire, participant aux conversations animées, gardant Minseo sur ses genoux qui leur contait des anecdotes amusantes. Elle s'écartait légèrement de son rôle, car pour elle, Jungkook et Yoongi n'étaient pas de simples clients, mais bien plus que cela. Un attachement sincère les liait.
À leurs côtés, Seokjin était rendu à l'hilarité, laissant échapper un hoquet entre deux éclats.
Seul Jungkook ne s'était pas départi de sa place. Satisfait avec sa coupe à la main, il observait la scène avec un sourire tranquille, ravi de la réussite de sa mission.
Seokjin et Mingyu étaient conquis. Sans monter à l'étage, ils s'étaient laissés aller à la douceur du moment, oubliant leurs hésitations d'antan, et cela suffisait à Jungkook. La soirée suivait son cours, prometteuse, débridée, légère.
Mais nul ne pouvait prévoir l'intervention de Yoongi.
Car Yoongi avait bien un don propre : celui de faire éclater un instant parfait.
« Jungkook, que t'a dit Lee seonsaeng ? »
Son ton était trop détendu.
Le sourire de Jungkook se figea. La tension tomba sur lui, envolée la légèreté du moment. Sa mâchoire se contracta légèrement. Des mots grommelés et lourds de rancœur glissèrent entre ses lèvres.
« Yoongi, geignit-il. Ce n'est pas le moment pour ce genre de discussions. Profite plutôt de la soirée et évite de me gâcher l'ambiance. »
Yoongi roula des yeux. Il n'avait jamais été du genre à laisser couler.
« Pardonne-moi de me préoccuper de ton avenir. »
Jungkook soupira lourdement.
Intriguée, Minseo le scruta Jungkook, une main posée sur la poitrine de Yoongi, dont les pans du tissu s'étaient légèrement écartés par les soins de la courtisane.
« Que se passe-t-il ?
— Jungkook risque encore d'être expulsé de l'école à cause de ses conneries », répondit aussitôt Yoongi, devançant son ami.
Sunhi, qui jusque-là souriait et riait avec Seokjin, perdit sa joie. Ses sourcils se froncèrent, compatissante.
« Oh non... », souffla-t-elle.
Jungkook grinça des dents, lassé de cette conversation.
« Ce n'est pas comme si ça m'importait. De toute façon, j'ai obtenu un sursis. »
Enfin un peu plus lucide, Mingyu se redressa.
« Vraiment ? s'enquit-t-il, sceptique. Tu peux nous dire grâce à quel stratagème ? »
Exaspéré, Jungkook râla, balançant sa tête en arrière.
« Les examens, dans deux semaines. »
Un bourdonnement collectif s'éleva autour de la tablée et, d'un air ennuyé, Jungkook leva une main pour calmer les réactions.
« Je dois obtenir de bonnes notes dans toutes les matières de ce premier semestre. Je n'ai rien foutu depuis le début de l'année, comment veut-il que je réussisse ? Il attend un miracle ? », dit-il d'un air agacé.
Il grogna, le regard perdu dans le fond ambré de sa coupe. En vérité, quelque chose le crispait. Quelque chose qu'il ne savait nommer lui serrait la poitrine. Et même s'il refusait de l'admettre... il était stressé par ces examens.
Seokjin éclata d'un rire candide, aussi insouciant qu'un chant d'oiseau.
« Mais tu n'y arriveras jamais ! s'écria-t-il avant de s'effondrer sur les genoux de Sunhi qui l'accueillit en pouffant, amusée.
Jungkook ne riait pas. Il redressa le menton, scrutant ses amis un à un, à la fois vexé et incertain.
« À vrai dire... Je comptais sur un peu d'aide », hasarda-t-il.
Yoongi soupira aussitôt, las.
« Kook... »
Mingyu croisa les bras, secouant la tête.
« Tu nous en demandes un peu trop.
— Et je crains que nos compétences ne suffisent pas à combler tout ton retard », ajouta Yoongi
Jungkook battit des cils, abasourdi.
« Vous n'allez quand même pas m'abandonner ! hoqueta-t-il, cherchant un soutien dans leurs yeux.
— Ce n'est pas qu'on ne veut pas, crois-moi. On le ferait avec plaisir. Mais on peine déjà à suivre le rythme des professeurs... Puis les examens sont imminents, Kook. Deux semaines, c'est trop court, et on a aussi nos propres révisions intensives.
— Oh, je sais ! », s'écria soudain Seokjin, redressant brusquement la tête des genoux de Sunhi, qui sursauta avant d'éclater de rire, mi-surprise, mi-amusée.
Mais à peine son élan achevé, il grogna, une grimace tordant ses traits. Son front pulsa sous l'attaque d'une migraine, comme si son corps trop alangui par l'alcool lui refusait cette vivacité.
Malgré lui, Jungkook sourit. Les paupières plissées sous l'assaut du mal de tête, Seokjin reprit.
« Ce qu'il te faudrait, Jungkookie..., dit-il d'une voix toujours exaltée.
Puis, sans prévenir, il se laissa mollement retomber contre Sunhi, qui l'accueillit dans un petit rire. Il leva une main dramatique, comme s'il allait révéler un secret d'une importance capitale.
« ...C'est un génie. »
Il rit, brumeux d'ivresse.
« Un véritable génie. »
Il soupira d'aise lorsqu'elle lui flatta les cheveux, fermant les yeux dans une expression béate, comme un félin repu.
Un silence s'abattit sur le groupe. Yoongi joua distraitement avec les cheveux de Minseo, laissant son éternel sourire narquois apparaître.
« In vino veritas, dit-il. La vérité se révèle toujours dans les effluves du vin.
— Qu'est-ce que tu veux dire ? », demanda Jungkook, méfiant.
L'expression de son ami ne lui inspirant pas confiance.
« Comme vient de le dire Jin..., répondit Yoongi. Il te faut un génie pour superviser tes révisions. Quelqu'un qui puisse transformer ton désastre scolaire en réussite. »
Jungkook arqua un sourcil moqueur.
« Et où je vais trouver ce merveilleux génie ? J'ai réussi à m'en passer en cinq ans, je te rappelle.
— On se demande toujours comment », ironisa Yoongi.
Jungkook le fusilla du regard, mais Yoongi l'ignora, échangeant un regard avec Mingyu. Soudain, l'expression de ce dernier s'illumina.
« Oh ! »
Son sourire s'élargit.
« Il est dans notre classe, dit Mingyu.
— Qui ça ? » demanda-t-il, perplexe.
Mingyu inspira un grand coup, sous le regard rieur de Yoongi et celui irrité et impatient de Jungkook.
« Kim Namjoon ! »
Jungkook se décomposa.
Puis il éclata d'un rire si tonitruant qu'il en fit sursauter quelques clients de la maison de thé.
« Vous êtes des malades, hoqueta-t-il en secouant négativement la tête. Je préférerais encore mourir dans d'atroces souffrances que de...
— Jungkook ».
Le ton tranchant de Yoongi le coupa net.
Le rire mourut dans sa gorge.
Mingyu le fixait, impassible. Son regard n'avait rien de tendre : c'était celui d'un bourreau sur le point d'abattre son courroux.
Seokjin lâcha un petit rire, nageant entre conscience et flottement.
« Voilààà, Namjoooon », gloussa-t-il.
Jungkook déglutit.
« Mais... », tenta-t-il.
Un claquement réprobateur de langue résonna dans l'air.
Il n'osa plus ouvrir la bouche.
Quelle poisse.
À suivre...
Voilà pour le premier chapitre !
Alors, vos impressions ? 🌝
Le chapitre 2 sera publié dimanche !
À très vite, et j'espère sincèrement que ce début a su vous accrocher ♡
Surtout toi, armyourhopeff !
𝑾𝒊𝒕𝒉 𝑳𝒐𝒗𝒆, 𝑫𝒂𝒓𝒌 𝑬𝒚𝒆𝒍𝒆𝒕 🖤
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