27° Éclipse

Livaï

Si Livaï n'avait écouté que ses sentiments et ses impulsions, il aurait eu le visage couvert d'ecchymoses tellement il se serait auto-administré des gifles.

A chaque fois qu'il repense à ce qu'il a dit à Armin, il n'arrête pas de penser: Putain mais quel con... Qu'est-ce qui m'a pris ?

Tout se passait relativement bien, pourtant. Il s'occupait de couper les cheveux du jeune blond pendant que ce dernier lui faisait part de ce qu'il ressentait sur Annie Leonhart - ce qui, au passage, lui a fait quelque peu plaisir. Ça voulait dire qu'ils étaient arrivés à un point où Armin pouvait lui confier ce genre de choses sans arrière-pensée.

Puis est arrivé le moment où Livaï lui a demandé de relever la tête, histoire de voir le résultat final pour lequel il s'est appliqué de façon méticuleuse. Pendant une seconde, une micro-seconde, le visage d'Armin s'est changé en celui d'Erwin. Il aurait cru voir une version plus jeune du défunt Major. Toutefois - et Livaï en a l'absolue certitude - , le puissant soldat n'a pas imaginé une seule seconde faire à Armin une coiffure qui lui rappellerait Erwin Smith. Ce n'était absolument pas son intention.

Pourtant, la coiffure et les yeux bleus de son subordonné ont été suffisants pour que Livaï commette l'irréparable.

On se voit plus tard Erw... Armin.

Son cerveau n'a pas eu le temps d'anticiper quoi que ce soit car sa bouche a pris d'elle-même les devants. Après cela, il a continué de marcher sans un regard pour la pièce qu'il venait de quitter, alors même qu'il imaginait l'immense peine que son subordonné a certainement dû ressentir.

Alors bien évidemment, ce dernier n'a pas cherché à le revoir. Ou plutôt, à chaque fois que leur regard se croise, il a comme l'impression que le visage d'Armin devient sombre. Mais pas sombre dans le sens où il semble avoir une dent contre lui, mais plutôt dans le sens où il a l'air d'être en lutte avec lui-même. Comme s'il souffrait intérieurement. En plus, et Livaï le remarque bien, le jeune stratège l'évite de plus en plus, et il sait que ça n'a plus rien à voir avec ce qu'ils ont vécu quelques mois plus tôt, là où ils n'avaient plus le temps de se voir. Cette fois, l'éloignement d'Armin paraît plutôt volontaire.

Livaï ne lui en veut pas, loin de là même. C'est plutôt à lui-même qu'il s'en veut. Il pensait avoir réussi à remonter la pente suite à la mort d'Erwin mais, apparemment, le résultat est inefficace même quelques années après les faits.

Le puissant soldat, derrière son bureau, ne cesse de ruminer ces sombres pensées. Et comme si ça ne suffisait pas, des souvenirs du passé lui reviennent en mémoire.

Et parmi eux, il y a encore et toujours ce que lui a dit Kenny avant de mourir.

On a tous besoin d'une obsession, c'est ce qui nous permet de tenir. On est tous l'esclave de quelque chose...

Ces paroles n'arrêtent pas de tourner dans sa tête comme un vieux disque diffusant une musique entêtante. Ce qu'a dit son oncle a une part de vérité, étant donné que Livaï lui-même a pour obsession le souvenir du sacrifice de tous ses camarades pour faire avancer leur cause. Et bien évidemment la philosophie d'Erwin sur le fait de ne pas avoir de regret peu importe le choix effectué.

Et c'est vrai. Il n'a jamais regretté d'avoir gardé Armin à la place du défunt Major. Alors peut-être qu' il les a confondus à cause de son sang d'Ackerman. C'est peut-être ça qui fait qu'accroître ses obsessions...

-Fait chier, maugrée-t-il en prenant son visage dans ses mains. Encore ce maudit clan...

Il pousse un soupir agacé, alors qu'une boule d'amertume lui serre l'estomac.

-Ça finira jamais, dit-il avec une pointe de tristesse dans la voix. Quoi que je fasse, mon passé n'arrêtera jamais de me rattraper.

Ah oui parce qu'en plus, génie comme il est, il a réussi en une phrase à résumer ses problèmes et ceux d'Armin. On se voit plus tard Erw... Armin. Pour Livaï, cette simple phrase démontre le fait qu'il continue de lutter contre son passé, contre le manque des personnes qu'il a perdu, ainsi que ses origines, son héritage en tant qu'Ackerman, son lien avec Erwin et, finalement, le poids qui a toujours reposé sur ses épaules. Pour Armin, cette simple phrase englobe tout ce pour quoi il doit certainement se battre en ce moment-même, à savoir son manque évident de confiance en lui, le sentiment de ne pas se sentir à la hauteur - surtout comparé à Erwin, et sa culpabilité du survivant.

En prononçant cette phrase, il a coupé l'envie à Armin de venir lui parler de nouveau. Dire que cela l'ennuie serait un euphémisme de taille. En fait, cela ne l'ennuie pas. Au fond de lui, cela lui fait mal. Savoir qu'il est la cause du mal être d'une personne qui lui est proche et qui, accessoirement, a été là pour lui quand il se sentait au plus mal, lui cause une vive douleur à la poitrine. Ça encore, c'est un problème qu'il a. Il ressent trop intensément les choses. Ironique quand on connait la réputation de statue insensible du puissant soldat.

Le Caporal Livaï fait sortir le dessin d'Hansi de sa poche. Après l'avoir déplié, il prend un temps pour admirer les traits d'Armin et de lui-même dessinés au crayon noir. Le contraste que dégagent les deux hommes est renforcé par l'élément qu'ils incarnent, à savoir le soleil et la lune. Cela contribue à appuyer l'appellation qu'Armin leur a donné, à tous les deux: des doubles-inversés, comme l'indique le nom de ce dessin.

-Pourquoi ça doit être si foutrement compliqué entre nous deux en ce moment ?, murmure Livaï pour lui-même en fixant le représentation d'Armin en soleil.

***

Apparemment, il n'y a pas qu'entre Armin et Livaï que tout est compliqué, en ce moment. Ce qui, en soit, ne change pas de d'habitude.

-Donc c'est officiel ? Les recherches du clan Azumabito n'ont rien donné de bon ?

-Oui, j'en ai bien peur. Dire que j'en espérais tellement d'eux...

Hansi ne fait aucun effort pour masquer sa déception. Elle et Livaï sont en route pour rejoindre l'escouade du puissant soldat, désignée pour mettre en place une voie ferrée, et ce malgré cette chaleur de plomb. Preuve que l'île Paradis cherche à se moderniser.

Le Caporal comprend ce que ressent son amie Major et scientifique. Elle a sincèrement espéré que ces négociations viendraient à bout. Tout ça pour qu'ils retournent finalement à la case départ. Dans ces cas-là, même la personne la meilleure bonne volonté qui soit aurait pété un câble face à cette injustice. Malgré cela, Livaï est en mesure de voir dans l'unique œil d'Hansi une lueur qui laisse penser qu'elle refuse de se laisser abattre.

-T'as une idée derrière la tête, je me trompe ?

-On peut plus rien te cacher, hein Livaï ? T'inquiète pas, tu le sauras en même temps que ton escouade ! Et tu veux que je te dise ? Je suis persuadée que cette idée plaira à ton double inversé.

Le simple fait d'entendre son amie évoquer l'épisode de l'éloignement entre Armin et lui suffit à faire apparaître une boule de douleur au creux de l'estomac du Caporal Livaï. Lui qui souhaitait ne pas faire de bourde avec lui, le voilà royalement servi.

En voyant son mutisme, Hansi demande:

-Et d'ailleurs, c'est moi ou vous vous parlez plus comme avant, Armin et toi ?

-On se parle plus tout court, réplique-t-il d'une voix tranchante qui n'en reste pas moins amère à ses oreilles.

-Qu'est-ce qui s'est passé ?

Ne pouvant plus supporter le venin qu'il a accumulé au fil des jours, Livaï sent une violente frustration s'emparer de lui.

-Il se passe que j'ai merdé, parce que je suis pas foutu de bien faire les choses, débite-il avec aigreur. J'ai fait Armin se sentir mal au sujet d'un truc dont je savais qu'il complexe à en crever. Et à chaque fois que je le croise, à chaque putain de fois que nos regards se croisent, le sien se brise instantanément. Ça me tue de savoir que c'est à cause de ça qu'il souffre. Parce que je suis incapable de faire correctement mon deuil. Et qu'est-ce qu'il doit se dire à l'heure actuelle ? Que son aide pour moi aura servi à que dalle ? Qu'il est tellement bon à rien qu'il arrive pas à bien faire les choses, lui aussi ? Il faut qu'on cause, lui et moi, mais de quoi ? Intelligent comme il est, il a sûrement percuté pourquoi je l'ai confondu avec Erwin. Qu'est-ce que tu peux apprendre à quelqu'un qui sait déjà tout ? Tu peux me dire, Hansi ?

Le Caporal a posé cette dernière question sans attendre de réponse en particulier. En vérité, il n'a jamais vraiment réalisé toute la rancœur qu'il éprouvait envers lui-même.

-Pour massacrer des titans, être intimidant et accessoirement donner des ordres aux autres, j'assure comme personne. Par contre, pour les relations sociales, je pue la merde, ajoute-t-il alors que sa gorge se serre.

Hansi pose une main sur son épaule en s'arrêtant de marcher, l'obligeant à faire de même et à la regarder en face.

-C'est vrai qu'on t'en demande beaucoup depuis que tu as intégré le Bataillon d'Exploration, dit-elle d'un ton compatissant. Mais tu sais, il n'y a pas de honte à demander de l'aide. Tout le monde en a besoin, de temps en temps. Qu'est-ce que tu crois qu'on fait depuis plusieurs mois, à nous plier en quatre pour chercher de potentiels soutiens pour notre peuple ?

Ce que lui dit son amie fait étrangement écho avec ce qu'Armin lui a confié, ce fameux soir.

Ça arrive à tout le monde d'être fatigué, même aux plus forts.

-Et aussi, lui ajoute Hansi, tu te demandais ce que tu pouvais dire à Armin qu'il ne sait pas encore, est-ce qu'il sait au moins combien il compte pour toi ?

-J'imagine que oui.

Il ne sait pas qui il essaie de convaincre: Hansi ou lui-même. Pendant que son amie le fixe d'un air suspicieux agaçant comme elle sait le faire, Livaï mène une lutte intérieure acharnée. Son être est divisé en deux, entre sa part rationnelle et sa part plus intuitive. Sa part rationnelle lui souffle que son jeune subordonné doit déjà être au courant de... bref, de ce que vient de dire Hansi en dernier lieu, tandis que que sa part intuitive lui dit que cela ne lui fera de mal de s'entendre dire ce qu'Armin représente pour lui.

Devant son manque de réponse, Hansi dit:

-Est-ce que tu sais au moins combien tu comptes pour Armin ?

-Où tu veux en venir, là ?

La scientifique écarte les bras dans un geste théâtral.

-Ce que je veux te dire, mon cher Livaï, c'est que ça crève les yeux que ce gamin t'adore ! C'est vrai ! A chaque fois qu'il s'apprête à quitter mon Bureau, quand on a fini de discuter stratégie, il parle de toi et de vos discussions.

En entendant cela, le Caporal fait un effort conscient pour ne pas laisser paraître la moindre trace de surprise.

-Sérieux ?

-Mais oui ! Tu devrais voir comment il est quand il se met à parler de toi. Je rigole pas, on dirait qu'il a des étoiles dans les yeux. A moins que ce ne soit des larmes... Mais bref ! Pour lui, on dirait que tu es la personne la plus admirable qu'il soit, et c'est peu de le dire puisque vous avez passé pratiquement une année entière à vous voir régulièrement, et qu'il en connaît davantage sur toi.

Alors comme ça ces deux-là parlent de moi dans mon dos, songe Livaï qui n'en est cependant pas vexé le moins du monde.

Lui et Hange se sont remis en route lorsque cette dernière ajoute:

-Il t'aime beaucoup, Livaï. Ça saute aux yeux. Quand je l'entends parler de toi, je sens qu'il pense réellement ce qu'il dit. Pour lui, tu n'es pas seulement son supérieur, mais un ami cher.

La gorge du puissant soldat se serre à nouveau, mais pas pour les mêmes raisons.

-Comment tu peux être sûre de ça ?

-T'auras qu'à le lui demander toi-même. Et t'en profiteras au passage pour lui dire que tu tiens à lui, toi aussi.

Suite aux recommandations de la scientifique, Livaï laisse ses pensées défiler. En y réfléchissant davantage, il se dit qu'il y a effectivement des choses dont il doit faire part à Armin. Plus de choses que ce qu'il pensait. S'il voulait que son jeune ami cesse de se voir comme un pièce encombrante, un objet dont n'avait à l'origine pas prévu l'utilité, il devait faire cet effort.

Livaï ne veut pas le laisser couler ainsi, le jeune blond est trop important à ses yeux pour cela. Pas seulement en tant que soldat ou stratège, mais aussi en tant qu'ami et confident. Car ce gamin lui est devenu cher, lui aussi. Et il souhaite que le lien si particulier qui les unit ne se brise pas. Aussi songe-t-il qu'il est temps de mettre les choses au clair avec lui.

Car qui sait ce que leur réservera l'avenir dans ce monde incertain qu'est le leur. S'il arrivait quoi que ce soit à Armin sans qu'il ne sache à quel point il tient à lui...

Non, arrête de t'imaginer des trucs, se sermonne-t-il. Reste sur le qui-vive, comme tu l'as toujours fait. Fonce, et ne t'enlise pas.

-D'ailleurs tu sais quoi, Livaï ? Votre éloignement l'un de l'autre rappelle un peu une période d'éclipse, à savoir la disparition passagère d'un astre à cause d'un autre corps céleste. Par contre je ne sais pas si je devrais appeler une éclipse solaire ou une éclipse lunaire. Qu'est-ce que t'en dis ? Parce qu'Armin représente le soleil et par extension le jour, et toi la lune et donc la nuit. Mais bon, ça, j'ai pas besoin de te faire un dessin. Ah, quoique...

Le puissant soldat se contente de ne pas lui répondre, comme à chaque fois qu'Hansi se lance dans des théories farfelues dont elle seule à le secret. D'ailleurs, vu comme elle semble partie, il y a de fortes chances qu'elle continue à se parler toute seule. A ceci près, Livaï lui est sincèrement reconnaissant de l'aider à y voir plus clair dans ce brouillard dans lequel il baigne depuis plusieurs jours.

Aussi, lorsque la scientifique aperçoit l'escouade de Livaï et leur fait un grand signe de la main, le Caporal se dit:

Je parlerai à Armin. Il le faut.

***

Il faut croire que Livaï n'est pas au bout de ses surprises, car il n'a même pas eu à dire un mot à Armin pour qu'ils puissent se voir, tous les deux. En réalité, c'est Armin qui a pris l'initiative de le prendre à part pour lui dire qu'il comptait lui parler.

Livaï a l'habitude d'être pris de vitesse par Armin, mais savoir qu'il avait lui-même l'intention de le voir l'a presque laissé pantois.

Remarque, c'est pas plus mal, pense-t-il. Au moins, je sais qu'il a envie de me voir...

Ça s'est passé juste après qu'Hansi leur ait annoncé qu'elle comptait organiser un voyage pour aller directement " en terre inconnue ", comme elle l'a si bien dit. Alors que son amie et lui-même s'apprêtaient à prendre congé des six jeunes gens, Armin a pris la parole:

-Caporal Livaï ? Vous permettez que je vous parle en privé ?

Si le puissant soldat est habitué à ce que le jeune blond prenne la parole en présence des autres soldats de son escouade, c'est la première fois qu'il a demandé ouvertement à parler en privé à un de ses supérieurs. Mais le plus impressionnant, c'est la réaction de ses camarades. Ils n'ont pas eu l'air surpris d'une quelconque façon. Sans doute sont-ils au courant qu'Armin et lui entretiennent un lien particulier. En tout cas, ça n'avait pas l'air de les déranger outre mesure.

Une fois son subordonné et lui-même suffisamment éloignés des autres, Livaï lui a demandé :

-Qu'est-ce que t'as à me dire qui soit si important ?

-En fait, il y a des choses que j'aimerais te dire mais... seul à seul. Comme avant.

-Pour ça, faudrait peut-être que t'arrêtes de me snober à chaque fois qu'on se croise. Tu crois pas ?

Son regard navré lui a fait comprendre qu'il souhaitait lui aussi mettre au clair certaines choses.

-Dans mon Bureau. Ce soir, lui a-t-il finalement dit d'un ton sans appel avant de tourner les talons pour rejoindre Hansi.

Livaï attend à présent Armin, derrière son bureau, avec son coquillage entre les mains. Au bout d'un moment, il entend trois coups à la porte, puis la tête blonde d'Armin apparaît.

-Bonsoir Livaï, lui dit-il de sa voix habituellement calme avant de s'asseoir en face de lui.

Pendant un moment, aucun des deux hommes ne prononce un seul mot. Armin a la tête baissée, tandis que Livaï l'observe. Il est vrai que se retrouver seul à seul après s'être ignorés pendant plusieurs jours est un poil malaisant.

-Bon alors ?, dit finalement Livaï. Je croyais que t'avais plus les jetons pour venir me parler. Ça aurait changé entre-temps ou...

-Je suis désolé.

La voix pleine de culpabilité du jeune blond réussit à l'interrompre.

-Je sais que je n'aurais pas dû m'éloigner de toi comme je l'ai fait. C'est juste que... l'idée que tu puisses me voir comme le remplaçant d'Erwin me faisait souffrir. Et puis... il y avait aussi ton regard. Je vois bien qu'Erwin te manque et je ne t'en veux pas pour ça, c'est tout à fait normal. Cependant... (Il se mordille légèrement la lèvre inférieure) Je ne voulais pas t'infliger tout ça non plus. Je voulais éviter de te faire davantage souffrir à cause de... de ce que tu peux voir d'Erwin en moi. J'ai bien vu comment tout ça t'a marqué et je ne voulais pas être un lot de souffrance pour toi en plus.

Livaï est estomaqué, il n'y a pas d'autres mots. Lui qui pensait qu'Armin l'évitait uniquement à cause de sa douleur causée par la malheureuse parole qu'il a prononcée, voilà qu'il lui avoue qu'il voulait lui éviter de souffrir davantage.

Et en plus, il a l'air de se considérer comme un poids lourd... Cette pensée fait naître en Livaï un pincement au cœur.

-C'est donc à ce point que t'as pas confiance en toi, gamin ?

Il se lève pour se placer près du jeune soldat, en s'adossant contre son bureau.

-Mais tu sais, reprend alors le détenteur du Titan Colossal, j'ai demandé conseil à Hansi. Je lui ai confié certaines choses parce que je sais qu'elle te connait bien et qu'en m'adressant à elle, je pourrais trouver des réponses pour t'aider du mieux que je le peux dans la condition qui est la mienne, dans laquelle tu as choisi de me ramener, et dans laquelle notre amitié inattendue m'a placé.

Cette fois, c'est l'incrédulité qui parcourt entièrement Livaï. S'il s'était attendu à ça...

-Tu t'es adressé à Hansi uniquement pour pouvoir me comprendre et m'aider ? Alors même que tu te sentais mal...

Cette attention toute particulière lui fait chaud au cœur. On dirait bien que Livaï n'est pas le seul à se décarcasser pour les autres quand bien même il souffre aussi à en crever.

Il t'aime beaucoup, Livaï. Ça saute aux yeux.

Si Livaï avait un doute quelconque sur l'attachement que lui porte Armin, celui-ci vient d'être balayé d'un coup d'épée. Et puis, il faut dire que Livaï se demande souvent comment quelqu'un d'appréciable comme ce jeune homme peut supporter quelqu'un qui soit loin, mais alors très loin, d'être appréciable. Peut-être bien qu'Armin n'a jamais voulu que Livaï soit différent d'une quelconque manière, et qu'il l'aime tel qu'il est.

Il serait peut-être temps qu'Armin prenne ces principes pour lui-même également.

-L'aide d'Hansi m'a été précieuse, poursuit Armin. Elle m'a aidé à comprendre davantage de choses, sur toi mais également pour d'autres sujets... J'ai un peu l'impression d'avoir en elle une sorte de mentor.

-Du moment que tu deviens pas titanophile comme elle, ça m'arrange.

Le jeune blond esquisse un petit sourire.

-Ses conseils m'ont aidé à décomplexer sur certaines situations, et en particulier celles qui ne dépendent pas de moi ou qui ne sont pas de mon ressort.

Pas besoin pour lui d'aller plus loin dans ses explications car Livaï comprend qu'il fait allusion à la mort d'Erwin et au choix qui a été fait de garder Armin à la place.

-Tout ça m'a aussi permis de voir les situations dans lesquelles je peux faire quelque chose, malgré tous les problèmes.

Il lève ses grands yeux bleus vers lui, et Livaï y décèle un mélange étonnant de détermination et de douceur.

-Je sais que je ne remplacerai jamais Erwin, ni même ceux que tu as connu par le passé... Mais je veux être là pour toi, Livaï. Je ne sais pas ce que le futur nous réserve, mais c'est une promesse que je m'efforcerai de tenir.

Il marque une pause avant d'ajouter:

-C'est en tout cas une promesse que je veux tenir pour les personnes que j'aime.

Alors que le cœur de Livaï se serre, il se dit que ce ne sont décidément pas les titans ou d'autres menaces qui finiraient par l'achever, mais bel et bien les paroles du jeune blond en face de lui.

-C'est tout ce que t'avais à me dire, gamin ?

-Oui. Je voulais que tu le saches.

Le puissant soldat garde le silence, s'accordant le temps de laisser passer les émotions qui ont pris possession de lui pendant le discours d'Armin. Il est certain d'une chose: l'affection qu'il éprouve pour ce jeune soldat, qui ne cesse de le surprendre, ne fait que s'intensifier au fil du temps.

Le voilà maintenant en train de se faire violence pour ne pas prendre son jeune ami dans ses bras pour le serrer comme une bouée de sauvetage. Car il faut bien l'admettre, il n'assume pas encore tout à fait de s'être laissé attendrir par les paroles de celui qu'il considère à présent comme son protégé.

Si Hansi le voyait ainsi, elle n'en aurait jamais fini de se payer sa tête.

-Il y a des trucs dont j'aimerais te parler aussi, dit-il finalement.

Armin le regarde à présent avec curiosité.

-C'est au sujet du jour où je t'ai fait l'injection.

-Ah... (Le regard du jeune soldat se fait déconfit) Tu veux m'expliquer en détail pourquoi tu as choisi de me garder à la place d'Erwin, c'est ça ?

-Ouais, entre autres.

Une moue rapide passe alors sur son visage, et Livaï trouve qu'il ressemble à un enfant en train de bouder.

-D'accord, je t'écoute...

Livaï prend une inspiration, se force à se remémorer ce jour si marquant dans leur vie à tous les deux, puis se jette à l'eau:

-Je te l'ai déjà dit mais si je t'ai laissé vivre, c'est pour qu'Erwin puisse reposer en paix. Mais il y a autre chose aussi: je ne voulais pas qu'il devienne le monstre qu'on attendait de lui pour en finir avec les titans. C'aurait été trop lourd pour lui, surtout avec ce qui s'est passé plus tôt quand il a fait face au Titan Bestial avec le reste du Bataillon.

Le visage désespéré d'Erwin lors de cet assaut revient à sa mémoire, et une douleur soudaine s'empare de lui.

-Je l'avais jamais vu comme ça, dit-il d'une voix rauque. Aussi misérable et démuni. Il avait des rêves et des ambitions, et pourtant la réalité l'a vite rattrapé. Tout ce qu'il voulait, c'était voir ce que renfermait ce foutu sous-sol, quitte à faire passer son vœu avant le but premier du Bataillon d'Exploration. J'ai senti le conflit qu'il y avait en lui, Armin. Je sentais qu'il était à bout, quand il a vu qu'il ne réalisera pas son rêve. Le poids de toutes ces morts qu'il avait sur la conscience avait l'air soudain trop lourd pour lui. Il m'a dit qu'il y avait des jours où il s'était dit que mourir serait plus simple mais que finalement, c'était son ambition qui le réussissait à le faire se ressaisir, même s'il fallait pour cela envoyer plusieurs de ses propres soldats à la mort.

Le visage d'Armin se décompose au fil des révélations qu'il entend. Erwin Smith fait partie des personnes qu'il admire, et découvrir la face plus sombre de la personnalité d'un si grand homme doit sûrement lui faire un choc.

-On dirait que lui aussi avait sa part de vulnérabilité, murmure le jeune stratège. Comme chacun d'entre nous. L'image qu'on se faisait de lui comme un dieu vivant était erronée pour la simple et bonne raison qu'il avait sûrement plusieurs facettes, lui aussi. Celle du Major admiré de tous, et celle d'Erwin Smith, un être humain comme nous tous.

Livaï choisit de ne rien répondre. Il comprend bien que son jeune ami est en pleine remise en question concernant son avis sur le défunt Major adulé par tous.

-Et toi Livaï... tu as sûrement choisi d'être fort pour lui dans sa détresse, pas vrai ? C'est pour ça que tu as tenu à prendre les décisions à sa place ?

Encore une fois, le puissant soldat ne dit rien. Armin a déjà deviné quelles étaient ses motivations dans ce moment pénible.

-Toute le monde attendait de lui qu'il devienne cet être impitoyable qui mettrait fin à la menace que représentent les titans, continue Livaï. C'est aussi ça qui a dû lui pomper toutes ses forces, à la fin.

Et c'était même précisément l'argument de Frock pour faire ramener Erwin. Seul un démon parviendra à anéantir les titans!

-Et... tu penses que j'aurais les épaules pour assumer un tel rôle?, demande Armin d'une petite voix.

Le regard du Caporal croise brièvement le sien, et il comprend à ce moment-là qu'il n'a plus droit à l'erreur. S'il veut réparer la gaffe qu'il a commise quelques jours plus tôt, il n'aura pas d'autres occasions.

-Je ne voulais pas qu'Erwin devienne ce démon. Je ne voulais pas ça pour lui. J'ai préféré qu'il meure avec la conscience d'avoir accompli son devoir comme il le devait, et qu'il pouvait partir l'esprit tranquille. Quant à toi Armin...

Il attrape le menton du jeune blond entre son pouce et son index pour le forcer à le regarder dans les yeux.

-Tu possèdes beaucoup de qualités qui nous sont indispensables. Ton intelligence, ta clairvoyance, ton pragmatisme, ton empathie...

Il s'accroupit au niveau du détenteur du Titan Colossal, puis approche son autre main vers la poitrine de son jeune ami avant d'y appuyer son index.

-Ton humanité.

Les yeux du jeune homme s'arrondissent d'incrédulité, comme si Livaï venait de lui apprendre quelque chose.

-En plus de tout ça, il y a quelque chose chez toi que je n'avais jamais vu chez qui que ce soit. Sauf Erwin, il y a bien longtemps. Une chose qu'il a perdue au fil des années.

-Et quelle est cette chose ?, demande Armin, intrigué.

-Vous avez tous les deux la même lueur dans les yeux. Une lueur qui donne envie de croire en un avenir meilleur. Celle d'Erwin s'éteignait progressivement, mais toi... Quelque chose me dit qu'on aura besoin de toi pour la suite des événements.

Il fait une pause avant d'ajouter:

-On aura besoin de tes rêves pour la suite, Armin. De ça, j'en suis convaincu.

Le visage d'Armin se fait plus triste, mais Livaï n'en est pas surpris. Il sait qu'il a toujours des doutes sur ses propres capacités. Toutefois, s'il faut qu'il répète encore et encore toutes les qualités qu'il possède jusqu'à ce que ça soit inscrit dans son esprit pour de bon, alors qu'il en soit ainsi.

-Une chose est sûre, ce sont tes rêves qui m'ont poussé à m'intéresser davantage à ton cas. Je pensais pas que ça prendrait de telles proportions entre toi et moi.

Et la vache, quelles proportions... Aucun des deux hommes n'aurait pu anticiper ça lors de leurs tous premiers échanges. Armin doit certainement le penser également car il esquisse un petit sourire, alors que Livaï ajoute:

-Je pensais pas que je m'attacherais autant à toi. Et ce lien entre nous... j'y tiens aussi.

Le Caporal fait une courte pause, puis poursuit:

-Ce soir-là, après que tu te sois réveillé de ton cauchemar... ton aide m'a été bénéfique. Plus que ce que tu peux imaginer. J'étais littéralement à bout, j'en pouvais plus et je me demandais si je pourrais continuer à vivre ainsi... Depuis que je me confie en toi, je dois t'avouer que je dors mieux. Déjà que je dormais vraiment pas beaucoup, je peux te dire que c'est presque inespéré que j'arrive à dormir normalement... Depuis que je te connais, je peux te dire que j'apprends des trucs que je n'aurais jamais appris par une autre personne, des trucs qui me semblent nouveaux, inédits... Depuis que je te connais, j'ai l'impression que je suis libre de penser autrement que d'habitude. Je réfléchis à des trucs auxquels j'aurais jamais réfléchi avant. Mais surtout, je me rends compte que j'ai comme une tranquillité de l'âme, comme si être en ta présence me permettait de ne plus me prendre la tête, ou de pas avoir de pensées négatives.

En entendant cela, le jeune stratège le fixe droit dans les yeux, comme s'il cherchait à lire dans les tréfonds de son âme s'il disait la vérité sur l'importance et la valeur qu'il a pour Livaï. Il a l'air d'avoir du mal à réaliser à quel point le puissant soldat tient à lui, et à quel point sa présence dans sa vie lui est pratiquement salvateur.

-En un mot comme en cent, je suis chanceux de te connaître, et je suis chanceux de t'avoir à mes côtés, Armin. Grave ça bien dans ton crâne.

L'attendrissement est de plus en plus visible sur le visage du jeune homme. Il pose ensuite la tête contre l'épaule de son supérieur. Cette démonstration prend Livaï par surprise, et il lui faut quelques secondes pour entourer les épaules de son subordonné avec son bras. Armin ne bouge plus, ayant l'air de vouloir profiter de cette proximité physique et de la chaleur humaine créée par cette étreinte.

-T'avise plus jamais de me fuir comme ça de nouveau, l'avertit Livaï.

Ce à quoi Armin réagit en riant doucement, sans pour autant répondre. A croire qu'il a perdu l'usage de la parole.

-Foutu mioche...

Oui bon, techniquement, Armin n'est plus un ado. Il n'empêche que cette appellation est sortie toute seule. Après tout, il est le seul qu'il appelle ainsi. Il compte en profiter autant qu'il le peut, quand bien même leur monde à tous volerait une nouvelle fois en éclat.

Et, c'est plus fort que lui, mais il a le pressentiment que ce n'est qu'une question de temps avant que de nouveaux drames ne fassent surface.

~~~

Vous venez de lire le chapitre le plus long de cette histoire.

C'était assez dense, mais je ne voulais pas que cette sorte d'éclipse en Armin et Livaï soit trop étendue. Pour être honnête, je ne les voyais pas mettre autant de temps pour régler cette situation. J'avais l'impression que ça ne correspondrait pas à leur personnalité d'origine de laisser traîner un "conflit" de la sorte, et l'idée qu'Armin prenne l'initiative de faire le premier pas pour montrer qu'il ne s'est pas tourné les pouces alors que tout va mal me paraissait pertinente. Et puis au moins, ça a permis à Livaï de comprendre qu'il tient à lui.

On a commencé à voir, vite fait, ce que chacun apporte à l'autre. Mais comme c'était vite fait, ça veut dire qu'on va voir comment ils vont gérer avec toutes les galères qui vont leur tomber dessus.

Et autant vous dire que ça va être intense.

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