00:07:00
Dix-neuf heure vingt-quatre.
Je sortis de mon vestiaire attitré et me regardai dans le grand miroir qui décorait la longueur du mur du couloir. Ce café était extrêmement grand. Dans le couloir principal, Seokjin avait ouvert une autre porte, donnant sur une autre longue allée pourvue d'une dizaine de petites pièces personnelles les unes à côtés des autres. Des pièces où l'ont pouvait se reposer et se changer, et d'une taille moyenne. L'espace n'était qu'éclairé que de néons bleus placés autour de l'énorme miroir, où je me retournai toutes les deux secondes afin de vérifier si ce costume de serveur m'allait bien.
Costume de serveur était un bien grand mot, ce n'était qu'une chemise blanche, un pantalon noir ainsi que des chaussures en cuir que le café m'avait prêté le temps que j'achète mon propre.
J'arrangeai légèrement mes cheveux. Il allait falloir que je revois ma mère si je ne voulais pas ressembler à une fausse femme. Seokjin entra par la porte donnant sur le couloir principal, et me sourit.
— La taille va ?
— Oui, je ne suis pas trop serré, fis-je en bougeant mes épaules.
— Super, il s'approcha et analysa une dizaine de seconde en me tournant autour. Oui, c'est nickel. Bien ! Il claqua dans ses mains. C'est l'heure de la photo !
— Quoi ? Quelle photo ?
— Chaque nouvelle recrue à droit à une petite photo avec le patron.
Génial. Je haïssais être pris en cliché. J'avais l'impression que lorsqu'une photographie était prise, elle violait l'âme de la personne et on se retrouvait complètement dépourvu. Enfin, je n'avais jamais vu d'annonce aux informations comme quoi une photo avait en elle-même tué une personne mais bon, cela ne faisait rien, je n'aimais pas ça. Pour un futur cinéaste, c'était une drôle de croyance plutôt contradictoire. Je soupirai discrètement, je n'allais pas m'opposer dès mon premier jour.
— Vous... Il souffla. Oublions la politesse, je n'aime pas vouvoyer quand je travaille avec quelqu'un. Fais de même avec moi, ça me vieillit ! Je lâchai un rire.
— Et moi je n'aime pas trop tutoyer une personne plus âgée que moi, mais soit, je respecte ta décision. Il pouffa.
— Quelle politesse. Bref passons ! Le patron doit attendre.
Nous sortîmes donc du couloir secondaire, au nom, inscrit sur la porte, de Heaven, que je vis en sortant de celui-ci. Ici, tous les espaces avaient l'air d'être reliés à quelque chose, je n'en savais pas la raison, mais c'était plutôt original. La porte d'en face se nommait Wave, celle à sa droite, Ashes, la suivante Dust, ainsi de suite. Je n'avais jamais vu ça. Au lieu de numéro comme tout le monde faisait, ici, c'était des mots plutôt forts. Et tout au bout de l'allée, il y avait cet escalier en colimaçon, plongé dans l'obscurité, où une pancarte identique aux portes était accrochée aux marches qui nous faisaient face. Mais au lieu d'un mot beau comme les autres, celui-ci s'intitulait Forbidden Way, soit chemin interdit.
À ce moment là, je ne savais pas si c'était simplement un nom comme un nom de rue, ou une indication cachée. Du genre, l'étage était fermé pour le personnel et encore plus à la clientèle.
Je suivis Seokjin qui entra dans son bureau, Acacia, là où j'avais passé auparavant mon entretien. Décidément, ils aimaient les langues étrangères. Je ne savais pas en quelle langue était ce mot ni même celui du café, Coquelicot, mais en tout cas, ce n'était ni du coréen ni de l'anglais.
La pièce était illuminée par une simple lampe de bureau, la nuit étant tombée depuis bien longtemps. Mais ce qui me surprit, c'était que le patron, Kim Taehyung, était assis au bureau, les yeux fixés sur un papier plastifié. Ses cheveux noirs retombaient sur son front, lui donnant un air lugubre. Et comme la seule fois où je l'avais vu, il était encore très bien habillé d'une chemise moutarde et d'un simple pantalon noir. Une nouvelle odeur d'alcool.
— Déjà là ? Demanda Seokjin.
— Mh, je regardais l'emploi du temps du gamin. Il me fixa.
Je tiquai, c'était moi le gamin ? Je me courbai légèrement, ignorant que ce geste allait et resterait toujours à sens unique.
Seokjin prit des mains de son supérieur la feuille plastifiée, et l'essuya légèrement avec sa manche en jetant un regard mauvais à celui-ci, avant de finalement me la tendre.
— Voici ton emploi du temps. Je l'ai aménagé en fonction de celui de ton école. Je le pris. Comme aujourd'hui nous sommes jeudi, tu finis à vingt-deux heures en prenant à dix-huit heures. Est-ce que ça te suffira pour avoir le temps de faire ton travail ?
J'observai les horaires. Ils étaient vraiment pas mal. Tous les jours de la semaine sauf le mercredi, je faisais dix-huit heures, vingt-deux heures avec trente minutes de pauses toutes les deux heures. Et le samedi, dix heures vingt-et-une heures avec une heure de pause toutes les deux heures et demie. Cela me convenait bien. Je relevai la tête pour répondre, et du coin des yeux, je voyais Taehyung me fixant sans aucune émotion. Seokjin lui, me regardait avec un léger sourire, attendant ma réponse.
— Je pense que oui, il me plaît, fis-je calmement. Par contre, pour mes partiels semestriels je dois tourner un long-métrage avec quelqu'un. J'ai peur que certains jours je ne puisse être présent, mais ça dépendra bien sûr aussi de la disponibilité de mon collègue.
Je ne savais pas si j'avais le droit d'utiliser le mot ami pour parler de Jimin.
— Pas de soucis, tu me préviendras par un message quel jour tu comptes tourner et je me débrouillerai.
— C'est gentil merci.
— Allez la photo ! S'enjoua-t-il d'un coup en prenant un appareil photo sur la grosse commode. Jungkook, mets toi là, il m'indiqua un mur neutre plus en arrière à son bureau, et Taehyung à côté.
Je me plaçai sans broncher même si intérieurement j'avais envie prendre les jambes à mon cou. Mon cœur battait de stress. Le patron de ce commerce se leva sans un mot, les mains dans les poches, puis se plaça à mes côtés, l'expression toujours aussi fermée. Ça puait l'alcool à m'en piquer les yeux.
Après avoir régler l'objectif et le cadrage, il eut un décompte. Trois, deux, un, clic.
Puis pendant une vingtaine de minutes, Seokjin m'apprit rapidement les bases dans le métier de serveur. Comment s'adresser à de nouveaux clients, leur donner directement la carte et annoncer – si c'était le midi ou le soir l'éventuel plat du jour, venir quelques fois leur demander si tout va bien, et le plus important :
— Rester poli.
J'acquiesçai. Cela ne me paraissait pas si compliqué que ça, même si j'étais sûr que j'allais regretter mes dires à vingt-deux heures.
— Tu as des questions ? Me demanda Seokjin à la fin de son discours. En sortant je te montrerai quelle partie du restaurant tu t'occupes. Sinon ?
— Est-ce que je peux aller ranger ça avant de débuter ? Je montrai mon emploi du temps.
Demande acceptée et je sortis du bureau, me détachant enfin du regard que mon nouveau patron portait à mon égard. Je ne savais pas si c'était normal mais en tout cas, il allait devoir vite cesser s'il ne voulait pas que je lui remette les yeux en place. Je ne supportais pas qu'on me fixe aussi longuement si ce n'était pour rien dire.
Je me rendis donc à ma salle de repos personnelle en passant par Heaven et déposai ma feuille sur un petit meuble vide. Cette pièce faisait environ une dizaine de mètres carrés, et était meublée comme un appartement d'étudiant. Un lit, une penderie, une table, un lavabo et une douche. Tout dans le même espace. Bien sûr il n'y avait pas de toilettes pour des raisons hygiéniques, ceux-ci se trouvaient simplement au bout du couloir. Ce n'était donc pas la mer à boire.
Le seul inconvénient, c'était qu'il n'y avait pas de fenêtre, seulement une bouche d'aération. Mais bon, c'était déjà un grand luxe d'avoir sa propre chambre de repos. Ce qui me paraissait étrange, c'était que je n'avais pas croisé les autres serveurs.
Je retournai au bureau, mais m'arrêtai juste avant en entendant la voix agacée de Seokjin. La porte était restée ouverte.
— Je commence à en avoir ras le cul Taehyung.
— De ? Sombre, il avait l'air de n'en avoir rien à faire.
— Arrête de fixer ce jeune comme si tu allais le dévorer, tu ne fais que de le mettre mal à l'aise !
— Je pense simplement à son frère, lâche-moi un peu.
— Eh bien penses-y sans le regarder ! Moi aussi je me pose des questions à son sujet, mais ce n'est pas comme ça que tu vas avoir tes réponses !
— Tu me casses les couilles, je me tire.
— Oui c'est ça, va dire bonsoir au marchand !
Je n'eus le temps de reculer pour faire style que je venais d'arriver que mon patron me passa devant le nez, sans même me porter un regard. L'odeur d'alcool m'aspergea une nouvelle fois le nez, me faisant tirer une grimace de dégoût. Je ne savais toujours pas si c'était un parfum très fort ou du vrai alcool mais en tout cas, je n'appréciais vraiment pas.
Je le suivis du regard jusqu'à ce qu'il disparaisse après avoir tourner à la droite de l'escalier. Je savais où cela menait, c'était la suite de ce couloir qui donnait sur une porte d'entrée pour le personnel. En somme, j'allais devoir utiliser celle-ci pour venir et partir afin de ne pas déranger la clientèle. C'était normal.
Je finis par entrer dans le bureau après quelques secondes. Seokjin était dos à moi en train de râler des mots incompréhensibles, tout en se regardant dans un miroir accroché à côté de la baie vitrée. Louchant sur son reflet, je vis qu'il appliquait une sorte de crème sur son bleu.
Nos yeux se rencontrèrent à travers la glace.
Il se retourna.
— Ça se voit beaucoup ?
Il parlait de son bleu. Je mimai un comme-ci comme-ça.
— Assez. Il soupira.
— J'en ai pour deux semaines quoi.
— Tu t'es fait quoi ?
— Je suis tombé ce matin contre le bord de mon bureau.
Ça sonnait faux, mais je ne fis qu'une légère grimace pour lui faire part de la douleur que cela avait dû être. Il soupira une énième fois, le visage en l'air, les yeux fermés. Je sentais sa fatigue m'atteindre tellement il devait être épuisé.
— Excuse-moi, fit-il quelques secondes après. Je lui souris.
— On a tous des bas.
— Encore heureux, ce serait gênant sinon.
Il se mit à rire de sa propre blague, me faisant pouffer en même temps. J'avouai lui avoir tendu une perche pour sortir cette ânerie. Et cela me rassurait un peu de voir qu'il pouvait toujours rire.
— Aller, il m'invita à sortir avec toujours des rires aux lèvres. Je vais te montrer quelle partie du café tu dois t'occuper.
Tout en sortant, je repensais soudainement à leur discussion plus tôt. Ils connaissaient mon frère, Seokjin inclut. Sauf que je n'arrivais pas à comprendre comment, une personne comme mon frère et venant d'un petit village du sud, pouvait connaître deux hommes résidant à Séoul et propriétaires d'un grand café.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top