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Huit heures trente.
La bouche tirée d'un côté de mon visage, je passai délicatement la lame contre ma joue pour enlever la mousse, qui ensuite tomba lourdement dans le lavabo. Le coupe-chou alla ensuite gratter de mon menton et le haut de mes lèvres, afin de retirer la légère barbe qui s'installait depuis une semaine. Je n'en avais que rarement, mais je n'aimais pas ça. Ça n'allait pas sur moi, je ressemblai plus à un brigand qu'autre chose. Un brigand idiot.
Je frappai un coup le rasoir sur le rebord du lavabo, et l'aventura ensuite sur mon autre joue, ma bouche tirée de l'autre sens pour un accès plus pratique.
Aujourd'hui c'était Samedi et je me préparais pour ma journée compète au restaurant. C'était le seul jour où je servais le midi comme le soir, et donc que je passais la journée entière là-bas. J'aimais bien ces journées, je les trouvais plus plaisantes que bosser simplement le soir. Une vague de client arrivait le midi, puis se calmait l'après-midi, où on en profitait souvent pour papoter en attente de clients, et cette même vague revenait le soir. J'appréciais vraiment ces journées.
Aussi, Seokjin revenait aujourd'hui après quelques jours de repos. Il ne m'avait pas contacté pour m'engueuler ou autre chose en rapport avec Mardi soir, lorsque Lee Minho était venu dîner. De lui aussi, nous n'avions pas eu de nouvelles, mais sa demande en mariage avait fait le tour des réseaux sociaux. Ce qui faisait que notre commerce accueillait un peu plus de client après cette petite pub. Je ne savais pas si Seokjin avait vu son commentaire à propos de notre restaurant, mais sans nul doute qu'il allait étirer ses lèvres jusqu'à ses oreilles.
Une douleur soudaine à ma joue me fit sortir de mes pensées. Un regard à travers la glace de ma petite salle de bain et je remarquai un liquide rougeâtre couler sur ma peau. Merde, je venais de me couper à cause de mon absence. Quelle cruche. Mes doigts vinrent essuyer mon sang avant qu'il ne tache ma chemise blanche, mais celui-ci coula de plus belle.
Je sortis une injure incontrôlée et terminai rapidement mon rasage afin de me débarbouiller le plus vite possible. Une crème appliquée sur ma peau lisse, et je désinfectai ma coupure et la compressai sous un petit coton pour arrêter le saignement. Deux doigts occupés, mes yeux glissèrent sur ma lame au fond du lavabo, lavée. Je la pris entre mon pouce et mon indexe, pour la lever devant mon visage.
Des initiales apparaissaient grâce à la lumière artificielle de la pièce; J.K.M. Je les connaissais bien, c'était celles de mon père, c'était son rasoir. Je l'avais récupéré dans ses affaires, peu après sa mort. C'était le seul souvenir matériel, excepté quelques photos, que j'avais de lui. Mes souvenirs mémoriels de lui et moi n'étaient pas grands en nombre. Lorsque je repensais à lui, je ne voyais plus ni sa manière de bouger, ni sa manière de parler, ou même son visage. Tout était flou, comme si j'avais rêvé pendant des années de lui et qu'au fur et à mesure du temps, tout se dissipait.
L'une des seules anecdotes de lui et moi, c'était que j'aimais le regarder se raser la barbe chaque matin. A l'époque, je souffrais de constipation chronique, et du haut des toilettes, les jambes pendantes et les coudes appuyés contre mes cuisses, j'observais sa barbe de pirate disparaître après chaque passage métallique. Un jour, je l'avais même filmé avec une petite caméra que je lui piquais souvent. Il m'avait vu à travers le miroir, et sans que je m'y attende, il avait fait un grand sourire à travers sa barbe de mousse blanche en se tournant vers moi, et ses doigts avaient formés le signe de la victoire. Derrière le petit appareil, j'avais souris à mon tour et lui avais dit que c'était une vidéo. À mes mots, il commençait à reproduire les mimes de super-héros, et, avec un immense rictus aux lèvres, je lui avais demandé s'il aimait se raser.
— Il faut apprendre à manier la lame, m'avait-il répondu en faisant tourner cette dernière entre ses doigts de bûcheron. Se raser la barbe, c'est comme apprendre à vivre. Au début, il ne se passe pas un jour sans que ton menton n'aborde quelques coupures, et plus tu t'entraînes, plus l'irritation disparaît pour te laisser une sensation inégalable par la suite. Lorsque tu as appris à dompter la bête, plus rien de peu te toucher, tu deviens alors invincible à toute attaque extérieur.
Je ne me souvenais plus exactement de sa réponse, mais c'était quelque chose dans ces eaux-là. Du haut de mes huit ans, je ne comprenais pas le sens de ses propos. Je lui avais simplement redemandé si, à sa mort, il allait pouvoir me la léguer. Je ne me rappelais plus du bruit de son rire face à ma question, je crois que c'était comme des pierres au fond de sa gorge qui se frappait l'une contre l'autre. Encouragé par son amusement, je lui avais demandé de me le promettre du haut de mes toilettes. Son visage imprimait un joli sourire à travers la mousse, et, il me le promis, même s'il ne savait pas quand il allait mourir.
Pour moi, Papa était immortel.
Malheureusement, deux ans plus tard, j'avais retrouvé la lame dans l'un de ses cartons, partant pour le grenier de la maison.
☯︎
Neuf heures cinquante-six.
J'ouvris la porte réservée au personnel et y entrai, n'oubliant pas de la fermer à mon passage. Seokjin m'avait dit qu'ils se retrouvaient souvent avec des ivrognes cherchant des toilettes et qui passait par cette issue, alors nous avions obligation de la fermer correctement. Elle ne s'ouvrait que de l'extérieur, l'intérieur n'était simplement qu'une poignée déverrouillée.
À l'instant où j'avais rejoins le couloir principal, des rires enfantins résonnèrent au creux de mes oreilles, me faisant froncer les sourcils. Le bureau de Seokjin était ouvert, alors sans aller déposer mon manteau dans ma petite loge, je me pointai devant, là où les rires se faisaient plus forts.
Sur la moquette, il y avait des barbies, le centre équestre et une voiture playmobiles, ainsi que tous les accessoires éparpillés autour. Au fond de la pièce, sur l'un des canapés qui formaient un petit salon, une petite fille d'environ six ans pleurait de rire sous les chatouilles que lui faisaient Seokjin.
— Tu fais moins la maligne là, hein ? S'amusa-t-il en cessant de la torturer.
L'enfant ne lâcha qu'un rire, reprenant peu à peu son souffle. Cinq secondes après avoir un peu recoiffé ses cheveux bruns, elle donna un coup de pied dans les côtes de mon sous-chef qui s'était assis sur le canapé. Alors qu'elle voulait recommencer pour se venger des chatouilles, elle se retrouva la tête en bas en moins d'une fraction de seconde, ses petites chevilles tenues par les grandes mains de Seokjin.
La petite fille se remit à rire, balançant ses bras partout pour tenter de déstabiliser son ainé, dos à elle, qui s'était levé.
— Fais-moi descendre !!! S'écria-t-elle entre ses rires.
— Et si je n'ai pas envie ?
Elle croisa les bras sur sa petite poitrine, vexée. Seokjin sourit et sortit d'entre les canapés, tenant toujours la fille comme un sac à patate devant lui. Il la baissa contre la moquette, et quand son petit crâne la toucha, ses fines mains vinrent s'y poser comme si elle allait débuter une perche. Mon supérieur la fit glisser sur le sol en se reculant, et la lâcha lorsque son dos rencontra lui aussi la moquette. Elle se remit à rire, et en demanda encore.
— Non c'est bon, j'ai du travail maintenant, Papa ne va pas tarder à venir te chercher pour aller chez Mamie.
— Mais j'ai pas envie ! Grogna-t-elle, en restant sur le sol. Je vais encore manger de la soupe !
— La soupe ça fait grandir, et quand tu seras plus grande, tu pourras rester plus longtemps ici. Pour l'instant t'es encore un petit cornichon qui ne tient pas en place, dit-il alors que ses yeux montèrent aux miens. Oh, Jungkook.
Je sortis de mes pensées concernant cette petite fille et souris légèrement à Seokjin en le saluant.
— Ça fait longtemps que t'es là ?
Je triturai mes doigts, j'avais l'impression d'interrompre une scène familiale. Je n'allais pas rougir de honte ou quoi ce que ce soit, mais je n'aimais pas m'imposer. Après tout, je ne pouvais m'en prendre qu'à moi, j'étais venu devant cette pièce de mon plein gré.
— Non, je viens d'arriver.
— Tant mieux, je voulais te voir.
Un frisson parcourut mon échine. J'étais sûr que c'était pour parler de ce soir là, celui où je l'avais remplacé pour servir Lee Minho. Aïe. Je ne voulais pas me faire virer juste pour ça, même si je savais que je n'avais aucun pouvoir pour discuter ses décisions. Il passa derrière son bureau et s'installa dans son fauteuil, et m'invita d'un regard à l'imiter. Je fermai la porte et je sentis la petite fille me regarder d'un œil curieux pendant que je retirai mon long manteau noir. Je lui souris en m'asseyant sur la chaise face à mon supérieur, sourire qu'elle me rendit timidement. Elle se mit à jouer avec ses barbies en silence derrière mon dos.
— Pourquoi tu voulais me voir ? M'osai-je alors que j'appréhendais assez.
— Pour te remercier.
Je me retins d'hoqueter de surprise face à cette information qui n'avait pas germée une seule fois dans mon esprit craintif. Intérieurement, je soupirai de soulagement, je ne voulais pas perdre mon travail alors qu'il était plutôt bien payé.
— Te remercier pour ce que tu as fait Mardi soir, reprit-il en plongeant dans son siège. Je n'aurais pas dû vouloir faire tout moi-même alors que j'en savais les conséquences.
— Ça fait longtemps que tu fais des crises d'angoisses ?
— Longtemps n'est pas le mot, c'est que je me mets à vite stresser lorsque quelque chose que j'aime peut tomber. La dernière fois que c'est arrivé, c'était pour le même genre de personne que Lee Minho l'année dernière. Et on n'a pas eu notre seconde étoile ni rien à cause de moi et parce qu'on avait pas encore une personne comme toi, une personne capable de garder son sang froid et de décider ce qui est juste de faire ou non. Il me fit un sourire très fier.
— Attends... Fis-je en interprétant son expression. Tu veux dire... qu'on a eu l'étoile ?
Il remua des sourcils comme s'il essayait de faire perdurer le suspense. Mon visage s'illumina lorsqu'il hocha lentement la tête, et la boule de stresse qui s'était coincée dans ma gorge disparue immédiatement. Il ne m'en voulait pas. J'étais vraiment rassuré et fier du potentiel de ce commerce, un grade venait d'être passé. D'un des tiroirs de son bureau, il sortit un autocollant en forme d'étoile dorée. Je fis les gros yeux, il était sacrément gros, au moins la taille de ma main.
— On l'a reçu ce matin dans la boîte aux lettres avec un courrier de Lee Minho nous félicitant pour cette réussite.
— Il a dit quelque chose en rapport avec le changement de serveur ?
— Non, c'est pour ça que je voulais te remercier. D'un côté tu as réussi à nous faire avoir cette étoile, mais tu as aussi très bien servi nos clients. Bon, même si Taehyung m'a dit que tu lui avais manqué de respect en le traitant de voleur ou en haussant la voix avec lui, je ne t'en veux pas. Et je pense que maintenant qu'on a cette étoile, il a oublié cette histoire.
— Je...
La porte s'ouvrît soudainement dans un léger grincement, me coupant la parole. Je vis mon supérieur soupirer d'agacement dû au fait que la personne venant d'arriver n'avait pas toquer ni prévenu sa présence. Je n'avais pas besoin de me retourner pour savoir qui était là, seule une personne ne toquait jamais. Et ma pensée se confirma bien quand une odeur d'alcool me chatouilla les narines. Celle-ci ne m'avait guère manquée, je ne l'avais pas sentie depuis Mardi soir.
Je tournai la tête dans sa direction et le regard de mon patron s'encra dans le miens le temps d'une seconde avant qu'il ne fixe la petite fille, qui se levait déjà. Je fis surpris de voir qu'il portait qu'un simple sweater noir et non pas une chemise comme habituellement.
— Dépêche-toi Yumin, ordonna-t-il d'une basse et fatiguée. Mamie t'attend.
Ladite Yumin contourna le bureau et alla embrasser la joue de Seokjin qui s'était penché, bisou qu'il lui rendit ensuite sur le haut du crâne. Un sourire aux lèvres, elle se courba devant moi et partit prendre la main de mon patron en sautillant. Était-elle finalement contente d'y aller ?
Et avant qu'il ne disparaisse en claquant la porte avec sa fille, nous échangeâmes un regard lourd. J'eus l'impression de me faire dénuder encore une fois, de tout secret. Pouvait-il lui aussi, lire la pensée de l'autre en un seul regard comme Jimin ?
Plus d'odeur nauséabonde, et nous continuâmes de discuter. Les paroles de Seokjin me revinrent en tête:
— Papa ne va pas tarder à venir te chercher...
Inconsciemment, mon visage se serra. Attendez... Un homme aussi froid et insupportable que lui avait une fille ?
Taehyung était père ?
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