C'est le grand départ.

La plupart vient tout juste de terminer leurs partiels, et les vacances leur tendent les bras. Il fait chaud, il fait beau, quoi de mieux que de louer une maison dans le sud pour commencer l'été ? C'est l'idée de Jisung. Au départ, il ne s'agissait que d'une petite semaine prévue avec son copain. Mais la vie a fait que la nouvelle s'est répendue, et que tout le monde s'est fait à l'idée qu'ils étaient les bienvenus. Jisung a les boules, carrément, mais il ne peut pas refuser de faire venir ses meilleurs amis.

D'ailleurs, la bande d'amis a eu un petit changement. Ils sont six, d'habitude. Mais cette année, il y a deux petits nouveaux. D'abord, il y a Minho : mec canon, grande gueule, et vachement drôle. Et puis Changbin : un peu timide, barraqué et très marrant lorsqu'il est à l'aise. Ils ont été invités au dernier moment, car Chan est sorti le jour d'avant. Tout s'est déroulé très vite, trop vite.

– Bordel Lix, t'enfumes la bagnole entière, se plaint Jisung, à l'avant.

– J'peux pas ouvrir, ça va puer dehors, répond ledit Lix, à côté de la plaque, en tirant sur sa cigarette.

D'accord, le groupe n'a pas l'air au meilleur de sa forme. Déjà Felix, qui a supplié le conducteur, Hyunjin, à l'autoriser à fumer dans la voiture. Puis Jisung qui boude depuis une heure parce qu'ils n'ont pas fait de pause. Et Changbin, un des petits nouveaux, timide et silencieux. Carrément, il a enfoncé ses écouteurs dans ses oreilles, à deux doigts d'activer la réduction de bruits. La brochette n'a pas été le meilleur choix.

De l'autre côté, l'ambiance est différente. Mais pas loin de la catastrophe. Minho refuse de conduire un kilomètre de plus si Seungmin continue de lui donner des coups de genou dans le dos. Chan qui essaie tant bien que mal d'apaiser les tensions, et Jeongin qui n'apprécie pas se mêler des affaires des autres. Connaissant Seungmin, il va nier jusqu'à la mort plutôt que d'avouer être coupable. Et vu la situation, impossible que Minho reprenne le volant s'il n'obtient pas d'excuses.

– Mais putain, excuse toi au lieu de me prendre la tête ! S'écrie Minho.

– On se connait pas, toi et moi. Arrête de faire l'homme viril que t'es pas, rétorque Seungmin.

Sérieusement, personne n'a envie de partir en vacances avec eux. Parfois, on se demande pourquoi ils sont toujours amis. Pourquoi ils restent ensemble alors que personne n'arrive à supporter les autres. Mais Chan préfère sauter d'un pont plutôt que de tirer un croix sur ses amis. C'est trop important.

– Je vais prendre le volant, c'est mieux pour tout le monde, déclare Chan, en se mettant au milieu de la querelle.

– Si on se fait arrêter, t'auras pas ton permis, lui rappelle Jeongin, la main sur son épaule.

Chan lui envoie un petit regard attendrissant. Le petit a raison, et il le sait. C'est en allant chercher Minho en premier qu'il s'est rendu compte que les papiers de sa voiture ne se trouvaient pas dans sa voiture, ni dans son porte-feuille. Alors, ils ont fini par prendre le véhicule de Minho, bien plus petit, avant d'aller chercher Jeongin, et Seungmin en dernier. Chan le sait, il perd la tête. Depuis que son sommeil ressemble à une attraction dans une fête foraine, c'est difficile pour lui de penser à tout. Il a beau être le plus âgé, il est étourdi comme pas possible.

Et Jeongin, c'est le plus jeune. Il pense à ce que ses aînés ne pensent pas. Il est l'esprit vif, l'âme innocente qui ne l'est plus vraiment. On le choie, le protège de tout ce qui peut potentiellement l'effrayer ou le choquer. Mais même si Jeongin est encore considéré comme un enfant, il vient d'avoit dix-neuf ans. Il est majeur, plus besoin de lui cacher les choses. Et pour tout dire, il n'a pas eu besoin des amis de son cousin pour apprendre certaines choses. Sa dernière année au lycée lui a enseigné comment faire des bébés, plier un toncar – avec un cœur à l'intérieur! –, à connaître sa limite question alcool, et plein d'autres trucs que son groupe de meilleurs amis ne lui aurait jamais appris. Enfin, il est content de partir avec eux, il a plein de nouvelles anectodes qui n'attendent que d'être racontées. Mais le début du voyage commence un peu mal.

–    Tu diras à la pute qui te sert de pote d'aller se faire foutre, crache Seungmin à l'encontre de Chan. Il a l'habitude, de toute façon.

–    Par pitié Kim, c'est pas parce que ton cul a été visité approximativement zéro fois de toute ta vie, que tu dois être jaloux, ricane Minho.

Effectivement, l'ambiance pourrait être cent fois mieux.

Et lorsqu'on retourne à l'autre voiture, l'atmosphère n'est pas meilleure. Ils se sont enfin arrêtés dans une station essence, et ils ont déjà perdu l'un de leurs camarades. Hyunjin fait le tour de la boutique, Changbin est resté près de la voiture si le disparu venait à réapparaître, et Jisung a cherché aux toilettes. Et là, c'est la cerise qui fait déborder le vase, ou l'eau sur le gâteau.

– T'es pas sérieux, souffle le rouquin, visiblement agacé.

Felix s'étouffe comme un enfant ayant bu la tasse à la piscine. Il fait mine de regarder son reflet dans le miroir, mais il est pris en flagrant délit. Il ne peut pas mentir.

– Tu te fous de ma gueule ?

– Quoi ? C'est une clope.

Il ne peut pas mentir, mais il le fait quand même. Au point où il en est, dire la vérité ou non, il est dans le pétrin jusqu'au cou.

– T'es vraiment obligé de fumer cette merde ? Juge t-il en lui retirant le mégot des doigts.

– Franchement, tu peux garder ta morale à deux balles, s'indigne le blond en dépassant son ami.

Il fut un temps où ils se considéraient comme des frères. Liés comme les doigts de la main. Mais apparemment, le temps fait changer les gens, et la tête.

Jisung ne prend pas la pique personnellement. Après tout, c'est toujours la même chose avec Felix. Depuis qu'il s'est mis à fumer, c'est soit la version de lui qui est détestable, soit il appartient à un autre monde, celui qui lui souffle de raconter n'importe quoi. Ça ne date pas d'hier.

Ils remontent tous les deux dans la voiture. Cette fois, Felix s'est installé près du conducteur, et Jisung doit se coltiner le nouveau à l'arrière. De toute façon, ils sont bientôt arrivés, et il n'a pas ouvert la bouche depuis qu'ils ont repris la route. Ce n'est pas comme si Changbin allait se mettre à parler d'un seul coup, pris d'une pulsion sociale. Il a ses écouteurs enfoncés dans ses oreilles, il ne fait attention à rien ni personne.

Felix s'endort, Jisung traîne sur son téléphone. Et Hyunjin ne peut rien faire d'autre que de garder les yeux sur la route. Le voyage se fait en silence. Même la radio a décidé de se taire. L'ambiance est bizarre, pesante. Il ne reste qu'une dizaine de minutes, peut-être un peu plus.

– J'veux pas être lourd, mais la main sur la cuisse de Felix me met mal-à-l'aise.

Pas réellement une pulsion sociale, finalement.

Felix ne dit rien. Il se contente de ronfler doucement, la bouche ouverte. Quant à Hyunjin, comme pris la main dans le sac, recule sa main d'un mouvement brusque. Il la pose brutalement sur le levier de vitesses. Jisung relève les yeux, trop tard, le mal est vu. Mais il ne fait pas de crise, ce serait ridicule. Il ne veut pas que Hyunjin le quitte. Alors il fait passer ses sentiments après le reste.

Changbin, lui, ne peut pas laisser passer ça. Il n'a pas besoin d'être devin pour comprendre que leur couple est en fin de vie. Mais il n'ose pas faire plus que d'exposer la tromperie. Il ne s'en sent pas capable, ni légitime. Il n'est personne pour eux, pour se permettre de mettre son nez dans leurs affaires.

Des oignons, ça pue. Alors ceux des autres, encore plus.

Il se contente de regarder la scène de loin, sur son siège, seulement du coin de l'œil. Hyunjin qui ne cesse de regarder dans le rétroviseur pour être certain qu'il ne s'est pas fait prendre, et Jisung qui a le regard perdu sur son téléphone, et de son propre reflet que rejette son écran vérouillé. Changbin a déjà vu ces yeux quelque part, les siens, dans son miroir, lorsque les pensées fusent de trop.

– Je vois les gars, prévient Hyunjin, en ralentissant.

Effectivement, ils viennent d'arriver sur un grand parking. Le conducteur se gare rapidement à côté de l'autre voiture. Felix se réveille doucement, avant d'ouvrir la portière une fois le véhicule arrêté. Ils remarquent l'ambiance glaciale de l'autre groupe. Minho écrase sa cigarette au sol, rageusement. Chan s'en va enlacer Jisung et Changbin, tandis que Seungmin secoue la tête, d'énervement, avant de saluer Hyunjin, puis Felix.

– Je vous jure, crache Minho. Si je dois conduire ce type quelque part, ce sera par dessus la falaise.

Personne ne parle alors que ce dernier vient prendre Jisung à part pour lui demander d'appeler le numéro du camping.

– Ouah, quelle ambiance, lance Hyunjin.

– Si quelqu'un sait pourquoi ce connard me déteste, venez me voir, lâche Seungmin, en levant les yeux.

En dehors de ce merveilleux groupe d'amis, l'endroit est plutôt calme. Un camping tout en haut d'une falaise, avec une vue sur l'océan et les vagues qui viennent s'écraser sur les rochers. Le seul bémol, c'est les deux emplacements ridicules qu'ils ont réservé. En plus d'être petits, le soleil tape fort, sans l'ombre d'un arbre. Et la surface est penchée comme pas possible. Pour quelques euros de plus, Jisung aurait pu choisir un meilleur camping.

Les tentes se montent, les matelas se gonflent, la table est montée et certains sont déjà en train de préparer le réchaud pour le dîner. Jisung demande à Chan de l'aide pour brancher la grande glacière, et Minho crie sur Seungmin pour qu'il l'aide à mettre la table. Les familles voisines leur lancent des regards râleurs, mais aucun des garçons ne leur prête attention, pas même Chan qui, habituellement, est le premier a crié de baisser le ton.

–    J'aurais choisi la baraque plutôt que ce trou pommé, soupire Hyunjin, allongé dans l'herbe.

–    Plains-toi à ton amoureux, balance Seungmin en lançant un coup de menton vers le concerné.

Jisung prend la pique en silence. Sérieux, il a fait les réservations au dernier moment parce que tout le monde a préféré le camping, et c'est comme ça qu'on le remercie ? Sans parler des propriétaires de la maison initiale, prévenus seulement la semaine dernière. Ses amis ne se rendent pas compte.

Cependant, il sent une main réconfortante se poser sur son bras. C'est Changbin. Ils ne se connaissent ni d'Adam ni d'Eve, mais il lui sourit. Son geste lui remonte le moral. Au moins un qui fait attention à lui.

– Mais ici c'est cool aussi, déclare Hyunjin.

Le grand bleuté se déplace derrière son amant, glissant ses doigts contre son bras nu, incitant le noireaud à retirer sa prise. Changbin le toise du regard, avant de pouffer un rire, et de reprendre son activité principale.

Jisung hausse un sourcil vers son copain. Puis il secoue la tête, se décale, et finit par attribuer du riz dans chaque bol. Hyunjin n'est pas de nature jaloux, alors le voir agir de cette façon juste parce que Changbin lui a touché le bras pour le réconforter de sa parole, ce n'est que ridicule. Il laisse tomber.

De toute façon, tout le monde ici aime être en désaccord avec les autres. C'est ce qu'ils font de mieux : débattre. Peu importe si l'autre à tord, ou si il a raison, le mieux, c'est de crier. Et même si ça n'a pas toujours été comme ça, c'est ce qui fonctionne le mieux maintenant. Alors puisque, à l'unanimité, ils ont voté pour faire du camping, Jisung a changé les plans pour tout le monde. Ils ont eux-mêmes tiré une croix sur l'immense maison, et opté pour un matelas qui se dégonfle toutes les nuits, et les repas à moitié chauffé. Mais apparemment, ils aiment bien.

–    À taaaable !

Et les voilà, tous assis autour de la table bancale. Sur leurs chaises pliantes, leurs corps se balançant d'avant en arrière pour essayer de trouver un parfait équilibre. Sans parler de tout ce qui se trouve sur la table, glissant vers les quatre garçons en "bas" de la pente. Mais l'ambiance semble s'être calmée. Jisung s'est éloigné de Felix, Minho et Seungmin sont à l'opposé l'un de l'autre.

–    Tant que je suis debout, qui veut une bière ? Demande Chan.

Tout le monde répond par oui. Même Jeongin qui, depuis son anniversaire, n'apprécie pas vraiment l'amertume de la boisson. Mais il ne refuse pas, les autres vont encore le catégoriser comme un enfant.

Les bières décapsulées et les assiettes empilées les unes sur les autres, l'ambiance est à son comble. Ils débattent déjà, sur un sujet sans grande importance. Mais ils n'en sont pas encore venus aux mains, alors tout à l'air bien.

–    Nan, tu peux pas dire que les meilleurs sons de soirées c'est le rap français, s'exclame Minho contre Hyunjin. Un bon son d'électro, c'est ce qui est le mieux.

–    On est d'accord putain, répond Felix en lui tapant dans la main.

–    J'ai un jeu ! Propose Jeongin, sautillant sur sa chaise. Mais il va être minuit, alors on baisse le volume sonore, et on m'écoute.

–    C'est les vacances Innie, rétorque Seungmin. On s'en fiche du boucan qu'on fait.

–    Ou on peut aller à la plage, propose Changbin. C'est à dix minutes à pieds d'ici. Il faut juste un flash parce que y'aura pas de lumière. Et connaissant la batterie de vos portables...

Ils se mettent tous d'accord. Pour le premier soir, profiter de l'étendue de sable sans civilisation, pourquoi pas. Et puis, il ne fait ni trop chaud, ni trop froid, et avec la brise du soir, tout le monde sera à l'aise avec sweat.

Alors ils se rendent à la plage. Chan a été lourd sur l'alcool dans les lieux publics, mais Jeongin l'a rassuré en lui disant qu'il n'y avait pas de gendarmerie dans le coin. Alors certains portent l'alcool, d'autres les serviettes, et ceux qui n'ont rien en mains emportent des choses inutiles comme un marqueur, un paquet de gâteaux, et une bouée qui n'est même pas gonflée. Ils se mettent en route, éclairés par le flash de quelques téléphones. Leurs chaussures s'agrippent aux gravillons, et le seul sujet de conversation est "Nekfeu ou Damso ?".

Les huit garçons arrivent sur la plage. Le sable est froid, les vagues s'écrasant sur le littoral fredonnent une mélodie réconfortante, et l'odeur de la mer salée fait remonter des souvenirs. Ils s'installent en plein milieu, il y a le choix de toute façon. Une playlist se lance, et le jeu peut commencer.

–    On se donne des gages, annonce t-il simplement.

Felix et Minho se permettent de pouffer un rire. Dit comme ça, le jeu est ridiculement considéré comme un jeu pour adolescents pré-pubères qui vont se donner le défi d'embrasser la personne à sa gauche.

–    On a une semaine. Ceux qui réussissent gagnent de la thune, détaille le plus jeune. Genre, je défie Chan de choper trois numéros dans la semaine. Il y arrive pas, il me doit cinquante balles. Il y arrive, je lui passe les cinquante.

– C'est de l'argent facile, je suis pour, déclare immédiatement Seungmin. Mais te connaissant y'a une couille dans le pâté.

– Pas du tout, répond Jeongin, le sourire aux lèvres. Tout est permis, c'est tout. On pioche le nom au hasard, on écrit le défi, et on remet le papier dans... il cherche des yeux un récipient convenable, le bob de Jisung, dit-il en retirant le couvre-chef de son ami.

– Et ton papier, on le trouve où ? Demande Changbin, sceptique.

Tout a déjà été réfléchi. Jeongin vient attraper le paquet de gâteaux. Il est fini, et tout est allé dans l'estomac de Felix. Le jeune blond découpe le paquet en huit, écrivant chaque prénom avant de les mélanger les uns aux autres. Là, il tend le bob à Chan, puisqu'il est le premier à sa gauche. Puis il fait le tour de ses amis, et tout le monde en fait une caisse pour cacher son bout de carton. Tout le monde a l'air plutôt content de la victime qu'ils ont, et chacun attend avec impatience le marqueur.

Chan met un temps fou pour écrire. Mais le chapeau est rapidement rempli des huit gages. Alors chacun essaie de choper celui qui désigne le sien, sans regarder ceux des autres. Avec la pénombre, c'est difficile de savoir lequel est lequel. Mais avec un peu de chance, tout le monde réussit à trouver le sien, en ignorant ceux des autres. Quelques plaintes se font entendre, du genre Seungmin. Et Jisung soupire en secouant la tête.

– Le but, c'est que les gages soient assez hardcore, explique Jeongin. J'veux gagner la thune, essayez de pas trop réussir vos trucs. On fait une partie de Picolo ?

Personne n'a su qu'à cet instant, parce que tout le monde est avide d'argent, Jeongin a sauvé la semaine de vacances. Il a posé les règles, mis en jeu les choses. Bien plus facile d'organiser ça que de poser un ultimatum à ses propres amis.

Et même si Jeongin risque de perdre beaucoup d'argent à la fin des vacances, il sait que quelque chose va changer. De son côté, mais surtout du côté de ses amis.