𝟐. 𝐈𝐧𝐬𝐨𝐮𝐭𝐞𝐧𝐚𝐛𝐥𝐞 𝐡𝐮𝐦𝐢𝐥𝐢𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧
Lorsque j'entre dans le véhicule, je suis surprise : l'intérieur est bien plus spacieux qu'il n'y paraît. L'assemblage de tons gris clair, du levier de vitesse au tableau de bord high-tech, donne une réelle sensation d'espace. Pour être franche, j'ai plutôt l'impression d'entrer dans le cockpit d'un avion que dans une voiture. C'est étonnant. J'ose à peine poser un pied sur la moquette tellement tout respire le luxe et la propreté. Sans parler de mon postérieur encore humide qui risque fortement de laisser des traces sur l'assise du siège si confortable.
La honte...
L'odeur du cuir est agréable, elle éponge quelque peu mon malaise, surtout parce qu'elle est mixée à la sienne. Toujours ce mélange de fleurs, de fruits et de bois qui emplit mes poumons à la première inspiration ; qui me fait vibrer, malgré moi. Aucun moyen d'en réchapper, cette fois-ci.
Il met en marche le GPS en pianotant sur l'écran tactile entre nous, et j'observe ses gestes avec beaucoup d'attention. Ses longs doigts fins qui dansent sur le clavier virtuel sans qu'un bruit ne parvienne à briser le silence absolu qu'offre le moteur électrique. Bientôt, je lis sous le mot « destination » en gras : Centre commercial des 4 Pavillons, Diane Croll, Boutique de vêtements, Lormont, 2,3 kilomètres. Je devine qu'il n'en a pas besoin, mais que c'est sa façon à lui de me rassurer. Je connais ce magasin, de nom, mais je n'y suis jamais entrée. En fait, je déteste faire du shopping. Toutes mes fringues datent de plusieurs années, sauf cette combinaison que j'avais commandée sur internet pour l'occasion. En général – et pour des raisons évidentes –, j'évite les habits blancs.
— Au fait, je m'appelle Basile. Et vous ?
Je détaille rapidement son profil viril. Son attention déjà rivée sur la route m'offre une certaine sécurité, bien que je m'efforce quand même de rester discrète. La ligne de son nez est régulière, délicate. Ses lèvres remuent sous sa langue, qu'il fait glisser sur sa chair sans même s'en rendre compte, je crois. Il semble concentré, attentif ; immobile et aussi beau que la statue d'un dieu grec. Honnêtement, il pourrait bien faire du 230 km/h à contre sens sur l'autoroute que je n'en serais pas perturbée pour autant. Là, tout de suite, c'est sa bouche humide qui me happe.
— Est-ce que tout va bien ?
En une fraction de seconde, ma bulle éclate. Il me fait face, un air mi-amusé, mi-interrogateur plaqué sur son visage lumineux. Évidemment, il est trop tard pour feindre l'innocence, et je me maudis intérieurement de ne pas avoir vu arriver ce feu rouge plus tôt.
Nous voilà au moins raccord sur la couleur.
— J... Je... bégayé-je, mal à l'aise. Léah, enchantée.
Il se penche pour me faire la bise et, sans réfléchir, je lui claque un bisou sur la joue. Sauf qu'après s'être figé un instant, il poursuit son geste pour prendre ses lunettes de soleil – enfin réapparu – dans le vide-poche. Je me liquéfie littéralement sous l'insoutenable humiliation.
Pitié, dites-moi que je n'ai pas fait ça...
Les yeux exorbités, une main affolée sur mes lèvres, je suis au bord de la crise de panique, prête à ouvrir la portière pour m'extirper hors du véhicule.
— Oh mon Dieu ! Je suis désolée. Je croyais que vous... Enfin... Oh mon Dieu !
Je m'enfonce davantage dans mon siège – si tant est que ce soit possible – tandis qu'il éclate d'un rire sonore. Si je n'étais pas aussi gênée, j'aurais sans doute pu me marrer avec lui du ridicule de la situation.
— Eh bien, Léah... Pour quelqu'un qui ne voulait pas monter dans ma voiture il y a deux minutes, je vous trouve bien entreprenante, tout à coup !
— C'est un malentendu, veuillez m'excuser... articulé-je péniblement, le visage à la limite de la combustion spontanée.
— Aucun problème, vous êtes pardonnée, affirme-t-il le plus naturellement du monde, me gratifiant d'un clin d'œil avant d'enfiler ses lunettes aviateur.
Pourquoi diable faut-il qu'il soit aussi séduisant ?
Heureusement pour moi, nous parvenons rapidement à destination. Bien qu'il soit bondé de monde en ce samedi matin, Basile trouve une place assez facilement dans le grand parking et m'accompagne jusque dans l'énorme bâtiment. Je crois que sans lui, je me serais déjà perdue au milieu de cette masse de gens, tous plus agités les uns que les autres. J'accélère la cadence afin de ne pas le perdre de vue, tandis qu'il file tout droit sans même un coup d'œil en arrière. Je penserai à lui mettre un collier et une laisse, la prochaine fois.
La prochaine fois que quoi ?
Il y a beaucoup trop de monde, ici. Mes réflexions se confondent et perdent leur sens. J'étouffe, et même les immenses baies vitrées du plafond, qui laissent filtrer la lumière naturelle et donnent un faux sentiment d'espace, n'y changeront rien. Je déteste les centres commerciaux ; surtout le samedi. Je déteste ce concept de vouloir faire pousser des arbres en intérieur. Je déteste les odeurs de transpiration et de clope froide qui m'agresse les narines. Et, par-dessus tout, je déteste que la présence de ce mec rende tout cela un peu moins détestable.
Nous marchons encore deux bonnes minutes dans le dédale des couloirs avant que Basile ne s'arrête. D'un geste rapide de l'index, mon guide – et peut-être sauveur – m'indique l'entrée de la boutique, sur notre gauche.
Placée entre un magasin de cycles et un autre de décoration d'intérieur, elle se démarque par une devanture colorée, éclatante de couleurs vives ; un contraste saisissant avec la sobriété des boutiques voisines. La vitrine est composée de deux mannequins – un masculin, l'autre féminin – vêtus de pièces sophistiquées, sans exubérance, mais créant tout de même un écrin d'originalité au cœur de cette galerie marchande.
Je n'ai pas le temps de me faire une idée du prix des pièces exposées que mon guide m'invite à le précéder. Je m'exécute en le remerciant, pénètre dans une pièce pratiquement déserte, aménagée de divers portants de vêtements qui longent les quatre murs. Au centre, un comptoir en bois derrière lequel sort une jeune femme aux long cheveux auburn, d'au moins deux têtes de plus que moi, et dont l'assurance impassible ne laisse entrevoir la moindre émotion. Elle lisse son tailleur tout en s'avançant pour nous accueillir.
— Bonjour, Madame, m'adresse-t-elle en souriant largement, le visage à présent un peu chiffonné par une expression que je ne saisis pas. Basile ! Quel plaisir de te voir !
Elle lui saute littéralement au cou. Je ne peux m'empêcher de trouver son attitude légèrement déplacée. Elle est obligée de lui coller ses gros seins siliconés sous le nez ? C'est vrai quoi, je pourrais bien être sa nouvelle petite amie où, je ne sais pas...
C'est peut-être bien sa petite-amie, aussi, me souffle une voix plus raisonnable.
— Diane, je te présente Léah. Léah, Diane, la propriétaire.
— Ravie de vous rencontrer, Léah. Comment puis-je vous être utile ?
Aucune animosité dans le ton de sa voix, et son attitude amicale semble sincère. Il ne faut jamais se fier aux apparences, mais après tout, je ne suis pas ici pour copiner. Et je n'ai vraiment pas de temps à perdre avec ce genre de réflexions !
— J'ai eu un accident à cause de la pluie. Et de lui, pointé-je Basile du pouce, par-dessus mon épaule. Je dois être au mariage de ma sœur dans très exactement...
Je sors mon portable pour vérifier l'heure, mais en plus de cette information, je découvre l'horreur. Resté sur mode silencieux depuis que je suis partie, je n'ai même pas pris connaissance des 23 appels manqués et des 4 messages, tous laissés par Isabella.
[Sérieux, t'as vu ce temps pourri ??? C'est la cata ici !]
[À quelle heure tu arrives ? Je crois qu'on sera obligés de faire la cérémonie dedans. Je suis dég...]
[On a pris du retard, mais tout le monde est déjà là. T'es où, bordel ??]
[LÉAH SI T'ES PAS DÉJÀ MORTE C'EST MOI QUI TE TUE]
Le dernier date d'à peine deux minutes. Je tape une réponse rapide, histoire de la rassurer – et tenter de désamorcer la bombe humaine que j'ai créée – avant de reprendre le fil de la conversation.
— Excusez-moi, en fait, je suis déjà censée y être en ce moment. Vous auriez quelque chose de blanc ?
— Bien sûr. Suivez-moi, je vais vous montrer.
Nous naviguons dans les rayons, elle me conseille plutôt bien et nous trouvons rapidement quelques tenues à essayer. Elle me demande si je fais bien du 40 en étudiant mes formes ; je lui mens, réponds un 38 en jetant un coup d'œil gêné vers Basile qui, pendu à son téléphone, n'écoute de toute façon pas notre conversation. En me retrouvant face au miroir, je hurle d'épouvante devant ce reflet qui est le mien. Du mascara sur les joues et du rouge à lèvres étendu jusqu'au menton ; je suis hideuse. Répugnante. Sans parler de mes cheveux trempés qui collent à mon front. Je comprends enfin pourquoi Basile a cru que j'étais au bord du suicide, c'est effectivement l'image que je donne. Et je saisis un peu mieux la réaction un peu surprise – limite choquée – de Diane.
Tu parles d'une première impression !
Un bon coup de mouchoir plus tard, les traces sont toujours là, mais atténuées. Les essayages se succèdent, je peste en me déshabillant : rien ne va ! Quand ce n'est pas la forme qui ne me convient pas, c'est la longueur qui n'est pas adaptée. Décolleté trop plongeant. Tissu transparent.
Je préfère encore débarquer en noir plutôt qu'à moitié nue !
L'horizon s'éclaircit, je trouve enfin mon bonheur – ou presque. Une jolie robe, évasée à la taille et longue jusqu'aux genoux. Mais je dois me rendre à l'évidence lorsque la fermeture éclair reste bloquée à la moitié : la taille 38 est trop petite. J'ouvre à peine le rideau et observe mon dieu grec à la dérobée. Cette fois, il détaille une sublime paire d'escarpins argentés ; de nouvelles questions s'imposent à moi, toutes concernant une petite amie dont je présume l'existence.
— Alors ?
La propriétaire est revenue sans que je m'en aperçoive. Mes réflexions s'évanouissent et je me sens rougir lorsque le regard curieux de Basile pivote vers nous. Je me racle la gorge, et essaie de lui exposer le plus discrètement possible mon problème.
— Vous auriez ce modèle, une taille au-dessus ? murmuré-je en me cachant au fond de la cabine.
— Oh, je suis désolée, c'est la dernière pièce que nous avons en stock.
— D'accord. Tant pis. Merci beaucoup.
Je referme l'épais tissu marron en cachant tant bien que mal la déception qui m'étreint douloureusement. Je dirige alors mon choix vers une espèce de longue tunique blanc cassé, aux manches bouffantes beaucoup trop longues. Ça ne me va pas du tout, mais je n'ai plus le temps de faire la difficile. Le pire, c'est que je manque de m'étouffer en voyant son prix exorbitant : 199,99 euros ! Bordel... Deux-cents balles pour un bout de tissu qui ne me plaît même pas.
Si je laisse l'étiquette, je pourrais peut-être la rendre ?
— Léah, pouvez-vous m'accorder dix minutes ?
La voix de Basile me parvient à travers les rideaux. À moitié nue, je ramène la robe sur ma poitrine avant de constater qu'il ne peut pas – ni ne cherche – à me voir d'où il est.
— Dix minutes ? Pourquoi ? Qu'est-ce que vous comptez faire ?
— Diane, pourrais-tu l'aider à arranger son maquillage et sa coiffure ? demande-t-il à son amie, sans prendre la peine de me répondre. Je serais revenu bien avant que tu aies fini.
Je ne suis pas certaine de bien prendre cette dernière remarque. Non, en fait, je me vexe carrément. D'accord, je ne suis pas aussi fraîche et pomponnée que je l'étais en partant – j'en suis même très loin –, mais quand même !
— Basile ? Vous m'expliquez ?
— Faites-moi confiance, je sais où trouver la tenue qu'il vous faut.
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