𝟐𝟓. 𝐏é𝐜𝐡é 𝐦𝐢𝐠𝐧𝐨𝐧
𝓛é𝓪𝓱.
Quand j'ai reçu le message de Diane, plus tôt dans la soirée, j'ai dû le relire trois fois avant de percuter. Je n'ai aucune idée de la façon dont elle s'y est prise pour obtenir mon numéro, mais plus étrange encore : voilà qu'elle m'encourageait à lui parler. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir qu'il habitait l'appartement juste en face de celui de sa sœur. Son explication sur la salle de sport troquée contre le balcon a soudain pris tout son sens. J'avoue ne pas avoir mis longtemps à me décider. Parce que Basile est... Basile. Un être à part, mystérieux et attachant, le visage parfois teinté d'arrogance mais le cœur débordant de générosité. Doté d'une aura lumineuse qui m'a éblouie au premier regard, Basile est aussi la proie d'une ombre, de tourments secrets, barricadés derrière un mur de béton armé. Il est à la fois douceur et amertume. Maîtrise et désinvolture. Rire et colère. Allégresse et mélancolie.
Il est tout ce qui m'attire ; tout ce que je devrais fuir sans y parvenir.
— Léah ? Qu'est-ce que tu fais ici ?
Dès l'instant où il ouvre la porte, tous les arguments imparables soigneusement listés dans ma tête afin d'expliquer ma présence se font la malle. Sa tignasse blonde en désordre, sa barbe soigneusement taillée, son jean ajusté trop bas sur ses hanches et ses pieds nus sont autant de plaisirs pour les yeux que d'insoutenables tentations. Les lèvres pincées, il me transperce de ses disques azur tandis que je me tortille sur moi-même, agitée.
— J'ai apporté du ravitaillement ! déclaré-je fièrement en lui montrant mon sac en papier.
Vas-y au culot Léah, au point où tu en es !
Moulé dans un t-shirt bleu marine, je distingue son torse se gonfler d'air avant qu'il ne me réponde, les sourcils froncés et le sourire mutin :
— Du ravitaillement ? C'est-à-dire ?
— Je peux entrer ?
Il hésite, je crois. Mon rythme cardiaque s'emballe lorsqu'un court – mais pesant – silence s'installe entre nous. J'ai évidemment considéré la possibilité qu'il refuse, mais l'éventualité d'un dénouement plus positif était bien trop tentante.
— Ouais, bien sûr, interrompt-il le fil de mes pensées. Entre.
Rassurée mais pas moins nerveuse pour autant, je pénètre dans son appartement pour la première fois. Une douce lumière s'échappe de la cuisine semi-ouverte pour traverser la verrière qui la sépare du salon, plongeant la pièce dans une intimité paisible.
Dangereuse, nuance ma petite voix intérieure.
— Je viens de rentrer, j'allais prendre une douche. Ça ne te dérange pas ?
Consciente qu'il ne peut pas voir mon visage de là où il se trouve, je laisse filtrer mes émotions. La surprise d'entendre ces mots, le choc de réaliser ce qu'ils impliquent, puis la panique de voir jaillir, devant mes yeux ébahis, des dizaines d'images de Basile entièrement nu. De ses cheveux gorgés d'eau, ruisselant sur sa gueule d'ange. Des courbes de son corps athlétique qui se dessinent par-delà la brume épaisse.
Oh, bordel !
— Non non... pas de problème. C'est moi qui suis venue sans prévenir, donc...
Je peine à trouver mes mots tant j'ai peur de trahir mon état. J'ai chaud. Démesurément trop chaud.
— Bien, lance-t-il en me contournant. Je n'en ai pas pour longtemps. Fais comme chez toi.
Il disparaît derrière l'une des trois portes qui longent le petit couloir du fond. Cette soudaine solitude est la bienvenue. Elle m'est nécessaire à reprendre mon souffle et à faire le tri dans ma tête. Je pose mes affaires sur la table basse et m'installe sur le canapé en cuir, rappelant celui des sièges de sa voiture. J'évite quand même de le prendre au mot, car si j'étais chez moi, j'enfilerais ma nuisette et me calerais devant une série Netflix. Étant donné que je n'ai ni mon pyjama ni même la certitude qu'il possède un abonnement, la question ne se pose pas.
En réalité, je ne connais pas grand-chose sur Basile, à part qu'il a mis un terme à sa carrière de sportif, qu'il a une sœur adorable et qu'il est gay. Enfin... même ça, je n'en suis pas certaine. Son appartement ne me donne aucun indice sur sa personnalité, si ce n'est que tout est parfaitement rangé, ordonné, comme le serait celui d'un maniaque du contrôle. Une étiquette que je lui ai déjà attribuée pour d'autres raisons. L'endroit est digne d'une couverture de magazine. Seul un meuble imposant, à l'allure plus vintage, dénote de la décoration contemporaine. Cet énorme bureau en bois attire mon attention et éveille ma curiosité. Je jette un coup d'œil en direction de la salle de bain, d'où je perçois le bruit de l'eau, puis me relève afin de pouvoir le contempler de plus près. Le meuble, j'entends.
Ses moulures sont typiques du XVIIIe siècle, j'en ai une vague connaissance grâce à mes longues journées passées devant Outlander¹. C'est incroyable de constater à quel point le temps n'a que peu d'impact sur certains héritages du passé. Je ne peux m'empêcher d'imaginer tous ces gens qui l'ont utilisé, assis là des heures durant, à écrire des lettres du bout de leur longue plume. Artisans, soldats ou monarques, j'aimerais tant pouvoir lire son histoire dans chacune de ses entailles, sous chaque éclat de vernis.
— Il appartenait à mon arrière-grand-père. Le bureau, et tout ce qu'il contient.
Basile refait surface et m'arrache à ma contemplation. Sa voix d'abord, calme et profonde, puis la façon dont les muscles de son torse et de ses bras se bandent lorsqu'il enfile son t-shirt noir. Aussi rapide soit-il, la chaîne d'abdominaux qui converge indécemment jusqu'à son entrejambe ne m'a pas échappée. Un V dessiné à la perfection, délicieusement moulé entre ses hanches puissantes.
— Il est magnifique...
Un rictus moqueur naît sur ses lèvres tandis qu'il n'a rien manqué de mon observation minutieuse.
— Le bureau ! précisé-je alors que je réalise le double sens de ma remarque.
— Bien sûr, le bureau... ironise-t-il en s'avançant vers le salon. Je suis curieux. Qu'est-ce que tu as apporté ?
Je me précipite pour le rattraper avant qu'il ne puisse voir le contenu du sac et le lui retire des mains.
— Allez, arrête de faire durer le suspense !
Son air joueur m'aide à me lancer. J'ouvre le cabas en papier et dépose son contenu sur la table tout en citant chaque objet :
— Mon péché mignon : du rhum arrangé à la vanille. Des bonbons. Comme je ne savais pas ce que tu aimais, j'ai pris un mix de tout. Un film. Et...
— Une boîte de mouchoirs ? me coupe-t-il surpris, les sourcils relevés jusqu'au milieu du front. Tu comptes me faire pleurer ce soir ?
— Quand j'étais triste, mon père cachait des cookies dans une boîte de mouchoirs. Il l'a toujours fait. Je voulais faire perdurer la tradition.
Le regard tendre qu'il m'adresse m'apaise autant qu'il me touche. Je bénis la pénombre ambiante de camoufler mes joues échaudées et mon sourire gêné. Je ne voudrais pas qu'il se trompe sur mes intentions, celles de lui tenir compagnie, apprendre à le connaître et lui remonter le moral sans aucune arrière-pensée.
Il s'éloigne jusqu'au buffet, près de la cuisine, pour y récupérer deux petits verres, puis les pose sur la table tout en s'installant sur le divan.
— Et le film ? m'interroge-t-il curieux, de quoi ça parle ?
Voilà, nous y sommes. C'est précisément cette question que je redoutais. Parce que le film n'a pas été choisi au hasard. Non. Je l'ai choisi spécialement pour lui. J'ai pensé que cela pourrait l'aider à s'ouvrir, se livrer ; peut-être même s'identifier. Et plus j'y réfléchis, plus je trouve cette idée tout à fait ridicule.
Vas-y d'un coup, comme un pansement !
— Le secret de Brokeback Mountain. Tu connais ?
Il ricane en secouant la tête, visiblement amusé de l'œuvre choisie. Sans doute l'est-il aussi de me voir marcher sur des œufs, à l'affût de la moindre de ses réactions.
— J'en ai entendu parler, oui.
— Super ! enchaîné-je pleine d'entrain. Alors, ça te dit ? T'as aussi le droit de me foutre dehors, tu sais. J'ai conscience que je m'impose à l'improviste.
— Léah... soupire-t-il en ouvrant la bouteille de rhum. Si je n'en avais pas envie, je ne t'aurais tout simplement pas laissée entrer.
— Peut-être, mais tu ne savais pas à quoi t'attendre.
— C'est justement ça le truc. Avec toi, je ne sais jamais à quoi m'attendre.
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