𝟏𝟎. 𝐓𝐨𝐮𝐭 𝐜𝐞𝐥𝐚 𝐧𝐞 𝐩𝐞𝐮𝐭 𝐩𝐥𝐮𝐬 𝐝𝐮𝐫𝐞𝐫

 Mon ton implacable ne laisse aucune place à la négociation. Andrea s'exécute et tombe à mes pieds, non sans cacher son air satisfait, agrémenté d'un petit sourire en coin. Il relève ma chemise, envoie valser ma ceinture et baisse mon pantalon. Bordel. Je n'ai jamais bandé si fort. Jamais eu autant envie – besoin – d'être soulagé. Il empoigne ma verge fièrement dressée avec impétuosité, un grognement m'échappe. Penché en avant, les paumes à plat contre la porte du frigo, je l'observe lécher mon gland pendant que sa main libre caresse mes abdos, puis descend jusqu'à mes testicules, qu'il palpe énergiquement.

Merde, c'est bon !

Mes paupières se ferment un instant lorsqu'il me prend dans sa bouche, me laissant le loisir de profiter de la profondeur et de la chaleur de sa gorge. Un frisson électrisant me parcourt, un autre visage que le sien m'apparaît. Non ! Ça ne dure qu'une fraction de seconde, mais c'est suffisant pour me déstabiliser. J'empoigne ses cheveux et me concentre sur lui. Son nez doit, ses yeux amande, humides, qui me scrutent avec passion. Ses mâchoires ombrées d'une barbe de quelques jours et ses lèvres fines, scellées autour de mon sexe. Je ne sais pas à quel jeu pervers s'adonne mon esprit, mais je n'aime pas ça. Cette fille n'a rien à foutre ici. Ni maintenant, ni jamais !

— Bébé ? Tout va bien ?

Sa question me surprend. Ses prunelles soucieuses me happent et je m'en veux de laisser filtrer tous ses doutes qu'elle a fait naître en moi. Bordel ! Je devrais être tout à mon affaire. Tout à lui. Mais un truc indésirable parasite mes pensées.

L'adrénaline de ces dernières heures, sans doute.

— Ouais, me forcé-je à lui sourire. T'arrête pas.

Il s'attaque de plus belle à mon érection qui ne cesse de grossir entre ses dents. Mes hanches s'activent à son rythme, mon palpitant s'emballe. Je ne ferme plus les yeux, me promettant de rester connecté à l'instant T, moment auquel personne d'autre n'a sa place. Il s'applique, accélère, lèche goulument mon membre sur toute sa longueur avant de s'attarder sur mes bourses pleines, sur le point d'exploser. La tête en vrac, le souffle court, les muscles bandés et mes doigts enfoncés dans son crâne, j'accueille ce putain d'orgasme avec un arrière-goût amer. Acide. Perdu dans la brume épaisse qu'est devenue ma conscience, j'entrevois des courbes beaucoup trop féminines. Une bouche trop épaisse, des hanches trop rondes, un cul trop bombé et des jambes trop longues, trop fines. J'expulse la culpabilité, la rage et l'incompréhension en même temps que je touche aux portes du septième ciel – qui prennent méchamment l'allure de portes des enfers.

J'observe Andrea se relever tout en essuyant quelques restes de ma jouissance au coin de ses lèvres. Un spectacle qui devrait m'enchanter, moi le maniaque du contrôle qui semble pourtant cette fois perdre pied. Mon corps et mon cerveau ne sont pas de cet avis – au moins pour une fois, ils sont d'accord –, et m'empêchent d'esquisser le moindre mouvement, agonisant dans les méandres d'une réalité qui me terrifie.

— Viens prendre une douche avec moi, me propose-t-il en mordillant ma jugulaire. J'ai encore tellement de choses à me faire pardonner...

Et là, tout me revient en pleine face. Son comportement. Ses mensonges. Notre dispute de ce matin. Ma maladresse au volant. Cette rencontre. Son regard de biche, de braise. Son sourire, le mien. Sa voix apaisante. Sa peau claire et délicate. Et puis, tous ces remords qui m'incombent. Ce coup de téléphone. La fin d'un conte de fées où, pour une fois, je tenais le rôle du prince et non du monstre. Mon retour sur terre, dans l'antre de mes démons les plus enfouis.

— Non, tonné-je en m'écartant de lui. J'irai après toi. Nous devons discuter, Andrea.

***

Parler, ça n'a jamais été mon truc. Durant presque trente ans, j'ai appris à faire semblant, mentir et me taire. J'ai appris à être celui que tout le monde appréciait, encourageait, vénérait, en dépit de ce que je ressentais réellement. J'ai vécu dans la peau d'un autre. Quand j'ai enfin trouvé le courage de montrer mon vrai visage, beaucoup m'ont tourné le dos. Certains ont même jugé nécessaire de me faire payer ce qu'ils considéraient comme un affront, me privant de ce que j'avais de plus cher, ce pour quoi j'avais travaillé toute ma vie, la seule chose sur laquelle j'avais tout misé : ma carrière.

Celle-ci étant à présent derrière moi, je ne compte pas me satisfaire d'une deuxième vie à subir l'influence néfaste des autres. Même si cet autre en question est l'homme qui m'a maintenu la tête hors de l'eau durant les heures les plus sombres de mon existence.

— Tu m'avais promis, cinglé-je face à son silence coupable.

— Je sais... mais des potes sont venus à la maison, c'était juste pour prendre une bière, je te promets ! Sauf qu'ils m'ont parlé de cette soirée incroyable et...

— Et quoi ? le coupé-je d'un ton glacial. Ils t'ont mis un couteau sous la gorge pour t'obliger à jouer ?

Mon ton est agressif alors que je le voulais maîtrisé. Je pensais avoir l'habitude de ses excuses toutes faites, mais force est de constater que ça fait toujours aussi mal.

— Ce n'était qu'une partie de Poker, bon sang ! Tu me fais une scène comme si j'avais tué quelqu'un !

— Je t'ai attendu toute la soirée comme un connard ! Je suis même allé jusque chez toi parce que j'étais inquiet, et tu te demandes pourquoi je ne réponds pas à tes appels ? Sans parler que c'est mon fric que tu mets sur la table. L'addiction aux jeux est une maladie, Andrea ! Et désolé de te le dire, mais t'es complètement accro !

Les deux mains sur son visage, il balance sa tête en arrière avant d'atterrir sur les coussins moelleux du grand lit. De mon côté, je continue de faire les cent pas dans la chambre, creusant presque des tranchées dans les lames du parquet ciré à force d'allers-retours.

— Et tu comptes disparaître à chaque fois que tu es en colère contre moi ? me demande-t-il, à présent furieux. Où t'étais ? Et qu'est-ce que tu foutais habillé comme ça ?

— Tu vois, c'est toujours pareil avec toi ! Tu trouves toujours le moyen de retourner la situation à ton avantage.

— Tu ne réponds pas à la question.

— T'as voulu te jeter sous un train, nom de Dieu ! C'est de ça qu'on devrait parler, tu ne crois pas ?

— Je...

Il fuit mon regard. Je ne sais pas ce qui me retient encore de lui coller une droite dans sa petite gueule d'ange. Ni même de me casser d'ici, d'ailleurs.

Ouais. Si seulement c'était aussi simple.

— Je t'ai dit que j'étais désolé, reprend-il penaud.

— T'es désolé ? répété-je amèrement. Tu t'es donné en spectacle devant des dizaines de personnes et tu m'as entraîné dans tes conneries ! T'es désolé pour ça aussi ou ça te passe au-dessus ?

— J'ai pas envie de te perdre, OK ? Tu peux comprendre ça ? insiste-t-il. Je ne savais plus quoi faire !

— Petite info, juste au cas où tu n'aurais pas percuté : c'est pas comme ça que tu vas arranger les choses. Au contraire, tu...

— Est-ce qu'au moins tu m'aimes encore ?

L'uppercut que je voulais lui mettre, c'est finalement lui qui me l'assène. En une phrase. Une foutue question qui me paralyse de la tête au pied, sans épargner cette douleur infernale qui sévit partout sous ma peau. Un silence lourd et pesant règne en maître dans cette pièce devenue soudain trop étriquée. Nos regards se confrontent tandis que ma langue, jusque-là bien acérée, semble ne plus parvenir à se délier. J'aimerais tant pouvoir le rassurer, lui dire que mes sentiments n'ont pas changé. Mais ces derniers mois n'ont fait que mettre en lumière nos différences, nos torts et nos travers, sans jamais trouver un point d'ancrage solide auquel se raccrocher.

— C'est trop facile, Andrea. Tu m'as menti, trahi, et je ne parle pas que de ces derniers jours. Ça dure depuis quand, ton petit manège ? À chaque fois que tu me disais être trop fatigué pour passer la soirée avec moi, tu jouais, n'est-ce pas ? Tu passais ta soirée avec eux, et Dieu sait ce que vous faisiez d'autre...

— Je ne t'ai pas trompé, m'assure-t-il en sortant des draps pour me rejoindre.

Mais il ne nie pas le reste. Ça me révolte.

— Je ne te crois plus. J'ai besoin de temps. D'air. D'espace.

Je me retourne, incapable d'évaluer la distance qui me sépare de la sortie. Je veux partir d'ici. Allez n'importe où, trouver refuge là où je pourrai enfin y voir plus clair. Déjà sur le départ, les bras d'Andrea m'enserrent, tentent de me retenir tandis que je perçois ses sanglots résonner dans mon dos.

— Laisse-moi, lui intimé-je, sentant mon palpitant s'emballer dangereusement.

— Ne me quitte pas, bébé... je t'en supplie.

Je me dégage de son étreinte, me retourne et emprisonne son crâne entre mes doigts. Mon front plaqué contre le sien, son haleine chaude caressant mes lèvres et la tornade redoublant d'intensité dans mon bide, je trouve finalement le courage dont j'ai manqué ces derniers mois.

— Je ne te quitte pas, mais nous avons besoin de prendre de la distance. Je veux que tu réfléchisses et que pour une fois, tu te montres honnête envers moi, mais surtout envers toi-même. Soit tu choisis cette vie de débauche que je n'accepte plus, soit tu nous choisis, nous.

— Toi, bébé. Je te choisis toi.

— Non, pas comme ça. Accorde-nous du temps, s'il te plaît.

— Combien ? souffle-t-il, ne retenant plus ses larmes.

— Je ne sais pas.

Je m'éloigne de lui, pour de bon cette fois. Même si j'ai conscience que j'agis pour le bien de notre couple, j'entends un truc se déchirer à l'intérieur de moi. Mes poumons, mon cœur ; peut-être mon âme se fend-elle aussi. Comme si j'avais besoin d'une confirmation pour me prouver que je ne suis pas le monstre sans cœur auquel j'ai l'impression de ressembler, j'ouvre la porte d'entrée mais lui demande, avant de sortir :

— Combien tu as perdu, hier soir ?

J'attends sa réponse, qui peine à briser le silence implacable. Son hésitation balaie quelques miettes de cette culpabilité dévorante.

— Six mille.

J'expire bruyamment en levant les yeux au ciel. Telle l'évidence qui me frappe de plein fouet, sa confession sonne à mes oreilles comme la preuve qu'une distance entre nous est belle et bien nécessaire.

Tout cela ne peut plus durer.

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