𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐗𝐗𝐗𝐕

















—    S  A  N  S    M  A  N  I  E  R  E  S    —

























             RAIDE COMME UN PIQUET, je fixe la femme devant moi. Le canon de l’arme qu’elle pointe en ma direction me dissuade d’exécuter le moindre mouvement. Alors, droite comme un « I », je me contente de la dévisager fermement tandis qu’elle contracte la mâchoire.

             Ainsi, elle a tué Esther Andrews. Ma langue claque contre mon palais. J’aurais dû me douter de la supercherie.

— Esther était venue se plaindre de moi auprès d’un flic mais personne a retrouvé sa trace. Elle avait des photos prouvant mon lien à Halmes… Je suppose que c’est vous qu’elle a vu et que, lorsque vous les avait vu, vous avez compris mon lien à son décès.

— Bien joué, Holmes. Dommage, ça t’achètera pas la vie.

             Penchant la tête sur le côté, elle donne un léger coup dans l’air avec son flingue, me faisant le signe de bouger.

— Allez, grimpe. Fauteuil conducteur.

— Petite virée nocturne ?

— Fais pas la maligne avec moi, pétasse. Cette virée sera ta dernière alors je te conseille d’en profiter. Et t’as pas intérêt à me la mettre à l’envers, je surveillerais la moindre des routes que tu vas prendre donc tu pourras même pas tenter de filer en douce, fait-t-elle remarquer.

— Et on va où, exactement ?

— PUTAIN, TA GUEULE ! GRIMPE DANS LA CAISSE !

             Je ne sursaute même pas. Mes capacités de déduction ne sont pas nécessaires pour comprendre qu’elle est mentalement instable. Alors son accès de colère ne me prend pas au dépourvu.

             Docilement, je marche jusqu’à la portière de droite que j’ouvre avant d’entrer et prendre place derrière le volant. La chaleur est étouffante, à l’intérieur. Bientôt, un claquement sec retentit et elle reprend place à côté de moi.

             Posant l’arme sur sa cuisse, elle rive tout de même le canon vers moi.

— Pas la peine de me faire croire que tu sais pas conduire, j’ai vu les photos où t’étais au volant avec Han.

— Oh, mais c’était nullement mon intention, je lâche dans un soupir.

— Allez, prend la sortie A.

             Poussant un soupir, je me tourne vers elle. Face à mon regard exaspéré, elle attend quelques instants. Cependant, très vite, elle craque.

— PUTAIN T’ES BOUCHEE ? ROULE !

— Ta ceinture.

— QUOI !?

— Tu veux vraiment qu’on se fasse arrêter pour les flics parce que t’es pas ceinturée ? je lance.

             Ses yeux se posent sur moi puis l’attache et encore moi. Précautionneusement, elle tente de comprendre le piège dans mes paroles, peut-être se demander si j’essayerai de prendre son arme pendant qu’elle sécurisera le verrou.

             Soupirant, je lève les yeux au ciel.

— Bon après, moi, ce que j’en dis…

             Sans perdre un instant, j’appuie sur les pédales, avançant doucement. Le parking défile devant moi jusqu’à ce que j’atteigne le panneau indiquant la sortie. Là, avec soin et tandis que le cliquetis de sa ceinture s’actionnant retentit, je sors du lieu illuminé par des néons.

             Aussitôt, une rue déserte m’apparait.

— A gauche. On va prendre l’autoroute, ordonne-t-elle d’une voix sombre.

             Je m’exécute.

— Vu que tu vas me crever, je pense qu’on peut discuter avant. Avec un égo surdimensionné comme le tien, tu dois avoir envie d’expliquer tes exploits. Ne serait-ce que regarder le visage de tes collègues quand ils ont appris comment s’y était pris le tueur… Les frissons…, je chantonne.

— J’ai aucune envie d’en parler.

             Je secoue la tête.

— Pas à moi, Agnès.

             Un soupir franchit ses lèvres mais elle ne répond pas à ma pique.

— Voilà comment je vois les choses et tu me dis si j’ai tort, je lance tandis que les lampadaires et rares passants se succèdent sous mes yeux. T’étais amoureuse d’Han et tu t’es jamais remise de son décès mais t’as pas pu avoir de renseignements sur ce qu’il s’était passé, tu étais désespérée mais, un beau matin, Esther Andrews frappe à ta porte.

             Elle se tend.

— Elle, qui a enquêté sur moi par jalousie, a mis la main sur les photos qu’avait pris Eren de moi, à l’époque où il travaillait pour Han, histoire de pouvoir me faire chanter si je décidais d’ouvrir ma bouche, de montrer que j’étais aussi impliquée. Et quand Esther a vu ça, qu’elle a compris que j’étais liée à un parrain de la drogue, elle a décidé d’aller en parler auprès des flics, s’imaginant favoriser mon arrestation.

             Toujours silencieuse, son arme demeure pourtant résolument pointée sur moi.

— Mais elle est pas juste tombée sur un flic. Elle est tombée sur la nana qui avait fait l’école de police en espérant trouver le fin mot de l’histoire sur le meurtre de son ex. C’est ça ? Ou peut-être que t’es plus du genre à l’avoir approché dans le cadre d’une enquête et être tombée amoureuse ensuite ?

             Un faible rire me prend. Moqueur. Elle se tend à ce son.

— Fin bref, tu as compris que j’étais lié au meurtre grâce à Esther et son témoignage. Et en ressortant le dossier sur son décès, sans cadavre mais classé comme accident, tu as compris le loup. Et tu as décidé que si je ne payais pas pour le meurtre de Han, je paierai pour un autre.

             L’autoroute défile maintenant sous les roues. La voiture va plus rapidement. Autour de nous, les autres conducteurs n’ont aucune idée de ce qu’il se passe ici.

— Alors au lieu de demander une assistance médicale pour une nana en plein délire paranoïaque, tu l’as confortée dans celui-ci. Toi, figure d’autorité, policière, tu as marché dans son jeu. Mais tu lui as dit que tu pouvais pas m’arrêter tout de suite, qu’il te fallait des preuves… Alors tu l’as envoyée dans mon bar. Et, jouant sur sa paranoïa, tu lui as dit que le verre que je lui servais serait sûrement droguée puisque j’étais dangereuse et lui en voulait à mort, dans son délire.

             Elle ne répond toujours rien.

— Au Brésil, ils commercialisent des faux ongles détecteurs de drogue. On trempe un doigt dans le verre et, si l’ongle change de couleur, celui-ci est drogué. Tu lui as expliqué ça en lui tendant un lot de faux-ongles qu’elle s’est empressée de m’être afin « d’assurer » ses arrières.

             Je déglutis péniblement, une vague de tristesse me prenant tout de même quand je déclare :

— Sauf que, quand elle a trempé son doigt dans le cocktail, pensant se protéger, elle a en réalité trempé une manucure imbibée de cyanure qui l’a tuée… D’un verre que je lui avais tendu.

             Un soupir me prend.

— Ce que je comprends pas, c’est la mise en scène… Pourquoi…

             Là, ma voix meurt dans ma gorge est je hausse les sourcils.

— Mais bien sûr. Tous les soirs, normalement, je vais en coulisse pour m’assurer que les éclairages fonctionnent bien et garder un œil sur certains clients. Normalement, le moment où je disparaissais aurait dû tomber en même temps que celui où le corps se faisait suspendre…

             Malgré moi, un léger sourire attendri étire mes lèvres.

— Sauf que, comme Sieg était là pour la première fois, je n’ai pas abandonné mon poste. Sa présence m’a conféré un alibi… Manque de pot, hein ?

             Rapidement, je jette un regard en direction d’Esther. Ses yeux bruns me fixent avec une haine pas le moins du monde dissimulée. Le flingue encore posé sur ses cuisses et rivé vers moi, elle ouvre la bouche, visiblement prête à m’ordonner de me reconcentrer sur la route.

             Mais à l’instant où elle fait cela, un bruit de sirène retentit derrière nous. Aussitôt, elle se raidit, se retournant vers regarder la voiture dans notre dos.

             Le rétroviseur me renvoie une puissante lueur bleue provenant de néon de police. Aussitôt, elle me foudroie du regard.

— Veuillez-vous arrêter, je vous prie, retentit une voix forte à travers un mégaphone, dans notre dos.

— PUTAIN, QU’EST-CE QUE T’AS FOUTU !? hurle-t-elle, furieuse.

— Comment ça, qu’est-ce que j’ai foutu !? T’étais avec moi tout du long ! je m’exclame. C’est qu’un contrôle de police banal.

             Tandis que je me gare, elle range en toute hâte son pistolet dans la ceinture de son jean, à l’arrière.

— Y’a plutôt intérêt, crache-t-elle.

             Je lève les yeux au ciel et, à ma gauche, une silhouette surgit. Il s’agit d’un gendarme. Le bleu de son uniforme se marie avec sa peau ébène. Il doit avoir une cinquantaine d’années et, quand il me fixe de son regard austère, frappant deux coups à ma vitre, il me rappelle presque un professeur d’école impatient.

             Faisant coulisser la vitre, je sourie.

— Un problème, monsieur l’agent ? je demande.

— Simple contrôle de routine, lâche-t-il simplement. Papiers du véhicule.

             Aussitôt, Agnès se précipite sur la boîte à gants et en sort des papiers qu’elle tend juste devant mon nez à l’homme. Le regardant faire, j’aperçois deux autres gendarmes se positionner à côté de sa portière, la main sur leur arme.

             Observant les papiers quelques instants, il repose les yeux sur nous :

— Pourquoi vous roulez aussi tard ? lance-t-il.

— On avait besoin d’air frais, sourie Agnès en posant une main sur ma cuisse. Depuis qu’on a eu notre enfant on nage dans un bonheur… Mais un bonheur éreintant.

             Mimant une caresse, elle plante ses ongles dans ma chair, menaçante. Aussitôt, je lâche un faux rire mièvre.

— Oui ! C’est une vraie pipelette mais on l’aime ! Ma sœur s’en occupe pendant qu’on est ici, vous inquiétez pas !

             Il rit doucement.

— Et elle s’appelle comment ?

— Ouvéa ! je lance. C’est peu commun mais…

             Je plante mon regard dans le sien tandis qu’une lueur anime soudain ses yeux.

— …Si vous la connaissiez, vous réaliseriez combien ça lui va bien.

             Il acquiesce, gardant son sourire de façade. Mais, de l’autre côté de la voiture, je sais que ses collègues sont prêts à dégainer.

— Bien. Je vais quand même avoir besoin que l’une de vous deux sortent pour changer le pneu défectueux, dit-il en baissant les yeux. Je vous ai arrêté pour un contrôle de routine mais ce pneu est vraiment lisse et c’est pas sain pour nos routes.

— On va y aller ensemble ! lance aussitôt Agnès.

             Si je reste seule dans la voiture, je peux parler avec le policier pendant qu’elle va chercher le pneu dans le coffre. Et si je sors, je pourrais lui faire des signes en allant chercher moi-même ce pneu. Elle doit rester sans arrêt avec moi.

             Ouvrant sa portière, elle me regarde faire de même.

— Que c’est mignon. Elles font tous ensemble ! lance le policier tandis que nous sortons en même temps, trop vite pour que j’ai le temps de lui dire quoi que ce soit.

             Mais cela est inutile. Car à l’instant où elle referme la portière derrière elle, les deux policiers posés à l’extérieur la braque avec leur arme à feu. A côté de moi, celui qui nous a arrêté fait de même.

— A genoux ! Mains sur la tête ! Doigts écartés ! Allez ! vocifère une blonde.

             Agnès, désemparée, met quelques secondes avant d’obéir. Aussitôt, la gendarme se rue derrière elle et lui met les mains aux poignets.

— PUTAIN MAIS C’EST DE LA VIOLENCE POLICIERE ! J’AI RIEN FAIT ET JE CONNAIS MES DROITS ! s’exclame-t-elle.

             De l’autre côté de la voiture, le gendarme range son arme tandis que ses collègues règlent la situation. Je le sens se tourner vers moi mais je ne le regarde pas, savourant la vision de la véritable meurtrière se faisant emmener.

— Vous êtes une sacrée maligne, vous. Pas tous les otages auraient eu ce sang froid, lance-t-il.

— C’est pas du sang froid. Les gendarmes sont des militaires et suivent donc une formation dans laquelle ils apprennent le morse.

— Alors quand vous avez vu notre voiture, vous nous avez doublé et avez écrit en morse « otage », « sos », « arme » à l’aide de vos fards jusqu’à ce qu’on vous arrête.

— Et comme vous m’étiez du temps à lui passer les menottes, j’en ai rajouté une couche en disant que notre gosse s’appelait Ouvéa.

— Comme la prise d’otage.

             Un rire secoue à nouveau sa poitrine.

— De toute façon, on va régler cette affaire au poste et vous allez m’expliquer ce qu’il se passe dans ce petit cerveau de génie.

             J’acquiesce.

— J’aurais besoin d’un avocat ?

— Vous avez quelque chose à vous reprocher ?

— Pas du tout, mais…

             Je hausse les épaules.












— Je crois que j’ai vraiment besoin d’appeler une certaine personne, là.


























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