𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐗𝐗𝐈















—    S  A  N  S    M  A  N  I  E  R  E  S    —
















負けるが勝





















             MON REGARD EST ANCRE dans le vide tandis que le paysage défile autour de moi. Je n’y prête pas vraiment attention, encore sous le choc. Mes avant-bras sont couverts de griffures, le bout de mon nez et mes cils sont mouillés. Un frisson me parcourt.

             Sur mon corps vissé sur le siège passager de la voiture de Sieg, celui-ci a déposé son manteau. Son parfum empli mon nez tandis que sa main chaude posée sur ma cuisse se fait rassurante.

             Ce contact aurait pu me gêner mais je connais le professeur. Et dans le rétroviseur, je discerne bien le regard inquiet qu’il pose sur moi. Ma fierté me pousse à l’ignorer. J’ai encore honte de ce qu’il s’est passé, tout à l’heure.

             Lorsqu’il m’a découverte, le visage enseveli sous les larmes, projetant Ymir sur le palier dans un geste rageur, m’énervant et pestant contre elle, éreintée, j’ai d’abord cru qu’il allait me faire la morale. Alors, respirant difficilement, je l’ai fixé durant plusieurs longues minutes, une lueur de défi au fond des yeux.

             Retirant sa veste, il a posé celle-ci sur mes épaules avant de me prendre dans ses bras. Un geste doux, déconcertant. Je me suis retrouvée lovée contre son torse, au chaud dans son étreinte, bercée par son odeur. Et, pour la première fois depuis longtemps, je me suis permise de tout oublier.

             Mes dettes, les factures, mes emplois, mon avenir, l’incertitude, Ymir, Han… Tout cela n’est devenu qu’un lointain murmure.

             Alors, me laissant aller, contre cet homme qui est le seul en qui j’ai confiance, comprenant que je n’aurais jamais plus sûr endroit que ses bras, j’ai éclaté en sanglots. Plusieurs minutes durant, j’ai pleuré. Tandis que sa voix murmurait quelques onomatopées réconfortantes à mon oreille, j’ai explosé. Et, finalement, mes larmes se sont taries.

             Sans me lâcher, il a saisi son téléphone portable avant de composer un numéro. J’ai rapidement compris qu’il s’agissait d’amis qu’il connaissait grâce à son père médecin. Ceux-là ont emmené Ymir pour une autre cure de désintoxication.

             J’ai d’abord refusé. Je n’ai toujours pas fini de rembourser les emprunts que j’ai contracté pour payer les dernières. Je ne peux pas m’en autoriser une autre. Là est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai fait l’autruche si longtemps quant à son addiction perdurant.

             Car il est plus facile de nier la réalité.

             Seulement le professeur m’a demandé de ne pas m’en faire pour cela et m’a mené jusqu’à sa voiture. A présent, nous roulons en direction de son appartement. Je vais fouler celui-ci pour la première fois. Mais je ne suis même pas nerveuse.

             Simplement épuisée.

             Le stress, la panique, les larmes, la peur constante. Pour tout. Tout le temps. Effrayée quant aux démons du passé qui ne cessent de me harceler. Effrayée quant au présent, à l’état d’Ymir et la progression de l’enquête. Effrayée quant à l’avenir et son lot d’incertitudes.

— Dès qu’on arrive à mon appartement, je commanderai quelque chose à manger, résonne sa voix dans l’espace confiné. Et tu prendras un bain chaud, je pense que ça fait longtemps que ça ne t’est pas arrivé, ça te changera des douches glacées.

             Je ne réponds pas. Ma gorge est nouée et mon corps est trop épuisé pour que je parvienne à avoir la moindre réaction. Je suis réellement, profondément fatiguée. Tout cela me coûte et, même si je n’aime pas la simple idée de l’avouer, Sieg a raison. Je suis en train de craquer. Tout simplement.

— Japonais, ça te va ? demande-t-il. Ou chinois ? Indien ? Français ?

             Nos regards se croisent dans le rétroviseur. Son air inquiet me saisit. Bien que son visage soit stoïque, je vois nettement l’éclat dans son regard. Et celui-ci me touche profondément.

             Alors, lentement, j’esquisse un très léger sourire. Un rictus forcé pour le rassurer. Celui-ci ne suffit pas mais il semble s’en contenter.

             De sa main gauche, il tente d’attraper son téléphone qu’il a abandonné entre nous. Mais, au lieu d’attraper l’objet dans le porte-gobelet, son geste se prolonge sans qu’il ne le remarque, ses yeux étant rivés sur la route.

             Et je n’ai que le temps d’écarquiller les yeux que sa paume atterrit de nouveau sur ma cuisse. Mais, contrairement à tout à l’heure, il ne s’agit plus d’un contact maitrisé et réconfortant. Cette fois-ci, il la presse comme pour la saisir.

             Aussitôt, le même sursaut nous prend et il ôte en toute hâte ses doigts pour les repositionner sur le volant.

— Désolé, je le trouvais pas alors j’ai avancé ma main, j’aurais pas… Enfin, laisse tomber, excuse-moi.

             Une dense vague de chaleur se dégage en moi, irradiant chacun de mes membres. Mon cœur battant, je n’ose respirer davantage, comme alarmée. Mon sang s’est mis à pulser avec une ardeur nouvelle dans mes veines, je ne respire que difficilement.

             Ce contact ne m’a pas seulement saisie car je ne m’y attendais pas. Il a aussi suscité en moins un flot de réactions chimiques.

             Je ne devrais pas m’en étonner. Il est un homme. Et un séduisant. Je l’avais déjà remarqué.

— T’excuse pas, je grommelle simplement.

             A vrai dire, même si ce moment a été particulièrement bref, je dois avouer qu’il a su provoquer assez de sentiment en moi pour que je regrette qu’il n’ait pas duré plus longtemps. Et une profonde envie de me gifler me prend à cette pensée.

             La voiture ralentit peu à peu tandis que mes yeux prennent connaissance du paysage autour de moi, à savoir une rue située dans un quartier ancien, donnant sur un parc traversé d’un très large lac couronné d’un pont puis s’étendant en cerisiers en fleur. En face de celui-ci, derrière une rangée d’arbres aux branches soigneusement taillées, un large immeuble haussmannien s’élève.

             Le silence se fait quand il coupe le moteur, interrompant brutalement le bruit de fond. J’observe plus intensément la façade. J’aurais dû me douter que cet enfant de riche vivrait dans un lieu pareil.

             Quoi que ses parents — à qui j’ai rendu visite, l’autre fois — sont logés dans un appartement bien plus moderne.

— Allons-y, soupire Sieg.

             Un vent frais s’engouffre lorsqu’il ouvre sa portière. Puis, aussitôt, il la claque derrière lui avant de faire le tour pour m’aider à sortir. Une fois ma portière ouverte, il me tend une main que je saisis, un léger sourire fatigué aux lèvres. Puis, je pose un pied dehors avant de quitter définitivement le siège.

             Un frisson me prend tandis que nous franchissons les quelques mètres jusqu’aux marches menant aux portes d’entrées.

             Sa paume se pose dans le bas de mon dos, irradiant une forte chaleur au travers de mes vêtements.












— Tout va s’arranger, (T/P).










































             Etendue sur le canapé, je ne regarde pas vraiment la télévision. Le meuble est fait de cuir brun, couvert d’un plaid beige sous lequel je me suis réfugiée. En face de moi et derrière la table basse, un large écran plat s’anime. Un film auquel je ne prête pas vraiment attention se déroule.

             Dans mon dos, Sieg s’affaire. J’entends les bruits des ustensiles qu’il bouge. Cela fait plusieurs dizaines de minutes qu’il range sa cuisine pourtant déjà impeccablement préparée, sortant divers ingrédients pour préparer des boissons tandis que des pizzas arrivent.

             Son appartement est agréable, chaleureux. Une odeur de café noisette embaume les lieux, réconfortante et me rappelant son bureau. A droite du canapé, une large bibliothèque occupe le mur et, derrière moi, la lumière du soleil filtre à travers la fenêtre.

             Je me sens bien ici. Très bien.

— Le film te plait ? demande-t-il en se rapprochant de la table.

             Il y dépose le plateau avant de s’assoir à l’autre bout de ma position. Mon regard s’attarde sur les deux tasses fumantes et l’assiette garnie de gâteaux posée entre elles. Un faible sourire me prend.

             Il est l’homme le plus attentionné que je connaisse.

— Je le regarde pas vraiment, je réponds en levant les yeux vers l’écran.

             Mes sourcils se froncent. Il ne me suffit que d’un plan sur les fesses dénudées du rappeur Eminem pour réaliser qu’il s’agit de 8 Miles et la scène iconique du battle final. Un rire manque de me prendre en resongeant à l’anecdote d’Ymir sur ce passage.

             Dans le film, tous les freestyles d’Eminem étaient gardés secrets jusqu’au tournage. Autrement dit, nul ne savait qu’il allait baisser son pantalon, sur le plateau.

             Mon sourire se fane aussitôt. Ymir. Mon cœur se serre dans ma poitrine. Je suis allée trop loin, en la virant comme une malpropre de mon appartement. Mais je suis fatiguée et usée de son comportement.

             Sobre, elle est pourtant adorable. Seulement plus les jours passent et moins l’occasion de la voir ainsi se présente. Même pire, maintenant, quand elle ne plane pas elle est en manque. Alors elle est exécrable.

             Je ne peux pas vraiment me permettre de lui en vouloir. Mais je suis épuisée.

— (T/P) ? appelle soudain la voix de Sieg. Tout va bien ?

             Mes sourcils se froncent quand je me tourne vers l’homme. La tête légèrement penchée en avant, il me fixe avec attention. Et, malgré ma profonde crainte qu’il me prenne en pitié, je ne me sens pas en colère quand je vois l’inquiétude perçant ses iris.

             Non. Au contraire.

             Je me sens importante dans le regard de quelqu’un, enfin. Je ne vois qu’une personne s’inquiétant pour moi. Et cela change de d’habitude. Au point que ma gorge se serre soudain et des larmes embuent mes yeux.

             J’ai eu beau détester son arrogance, Sieg Jäger est un homme bien. Et ce, au point que lui-même arrive à me percevoir comme une bonne personne. Je suis et ai envie d’être meilleure avec lui.

— Oui, tout va bien, je lance avec un sourire fatigué.

             Il acquiesce, visiblement soulagé.

— Et bien, si cet endroit te permet de te détendre, saches qu’un lit t’attend et ma porte te sera toujours ouverte. Tu peux rester ici aussi longtemps que tu veux et ça me ferait même particulièrement plaisir que tu passes du temps avec moi. Alors si ja…

             Mais il n’a pas le temps de finir sa phrase. Je n’ai pas vraiment réfléchi. Ses mots étaient si doux et sa personne, si gentille. Je me suis levée de ma position.

             Et, à présent à genoux à côté de lui, mes bras sont enroulés autour de son cou et sa barbe gratte ma joue avant que je n’enfouisse mon visage dans le creux de son épaule.

             Je n’ai fait qu’écouter mon instinct. Alors me voici maintenant, faisant un câlin à mon professeur. Celui-ci s’est raidi à ce contact, visiblement surpris. Mais, au bout de quelques instants, je le sens sourire contre moi et ses bras se referme sur mon corps, me poussant à m’assoir sur ses genoux.

             D’un geste distrait, il saisit le plaid derrière moi et couvre à nouveau mon corps de celui-ci tandis que, les bras enroulés autour de moi, il me maintient contre lui.

             Chacun de mes muscles se détend un à un à son contact. Sa chaleur est rassurante, enivrante. Lorsqu’il est là, j’ai la sensation que je pourrais vivre un jour de plus, que cette épreuve pourrait m’être possible enfin de compte.

             Il me donne envie d’en finir avec mes problèmes et repartir du bon pied.

             Je veux être une meilleure personne. Car je ne veux pas le perdre et que même s’il ne m’abandonnerait pas, je refuse de lui imposer quelqu’un d’aussi mauvais que celle que j’ai pu être quand on s’est connu.

             Il arrive à me donner l’impression que la meilleure version de moi que je pourrais lui présenter est encore la véritable. Pas l’élève studieuse, la rebelle ou autre cliché que j’ai pu lui servir pour l’intimider.

             Juste moi.

— En quel honneur ? demande-t-il d’une voix douce.

             Enfouie dans son cou, mon front contre sa peau et son torse pressé au mien j’inspire une grande bouffée. Je ne veux pas affronter son regard et notre position est rassurante. Alors je ne bouge pas d’un centimètre quand je réponds :

— Les grands auteurs m’emmerdent mais Montaigne avait raison.

— Vraiment ? répond-t-il avec douceur dans un sourire, sans doute amusé par la première partie de ma phrase, sa paume frottant mon dos.

— Expliquer la raison de notre affection pour une personne est compliqué. Et la meilleure et plus juste explication est la sienne.

             Là-dessus, il acquiesce légèrement, semblant comprendre.

— « Parce que c’était moi, parce que c’était lui. »

             Je hoche la tête sans la retirer du creux de son épaule.

— Voilà, c’est pour ça…

             Et je ne réfléchis pas vraiment quand je conclus :


















— Je vous aime parce que je suis moi et que vous êtes vous.




















負けるが勝
























2124 mots

je publie tardivement
ptdrrr

mais au moins je publie

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