Chapitre 13 √

— Vous n'allez pas à la réception ? s'enquiert Ariane en déposant un tas de linge sur la petite table faisant office de repose-tout.

— Non, je ne me sens pas très bien.

— Vraiment ? Vous devriez y aller, cela vous permettrait d'apprendre à connaître les autres sélectionnées.

Elle chantonne en pliant les différentes robes du tas de linge puis glisse quelques torchons dans un panier en oseille. Ses mouvements sont fluides, légers, elle virevolte comme si la joie emplissait son cœur.

— Je ne te comprends pas, Ariane. Tu essaies de m'aider à me faire éliminer et dans un autre temps, tu m'encourages à me rendre à une réception qui ne m'intéresse pas et qui plus est, me permettrait de me faire des amies.

Elle s'arrête dans ses élans et me lance un regard, l'air navrée.

— J'ai réfléchi, princesse et je pense que... Aimez-vous sincèrement ce garçon ?

— Aiden ? Bien sûr que oui !

La réponse ne se fait pas attendre.

— Imaginez une seule seconde obtenir le cœur du prince, vous aurez une vie parfaite ici ! Tout vous sera offert, vous n'aurez plus à manquer de rien.

Des étincelles animent ses yeux et je vois le rêve à travers son regard. Elle idéalise cette vie. Ce n'est pas mon cas.

— Es-tu en train d'insinuer que je devrais laisser tomber l'homme que j'aime pour un prince qui m'offrirait tout ? lancé-je sur le coup de la colère.

Elle ne répond pas et baisse les yeux, intimidée par le ton de ma voix.

Furieuse, je reprends en m'avançant :

— Selon toi, je devrais mieux tenter ma chance pour devenir un fichu pot de fleurs que tout le monde regarde, une princesse sur pattes, un petit chiot à promener le temps de quelques réceptions et soirées mondaines, donc ?

Elle lève les mains comme pour capituler et tente de m'apaiser :

— Ce n'est pas ce que je voulais dire, bredouille-t-elle.

— La femme n'a jamais eu son mot à dire à Aragona, je n'irais jamais tenter quoique ce soit parce que je connais déjà l'issue de cette pauvre fille qui gagnera son cœur. Elle fera figure de décoration, d'une chose à admirer, d'un objet conquis, d'un désir assouvi. Le prince l'exhibera comme un trophée. Et je suis déjà éperdument amoureuse de quelqu'un qui m'attend chez moi.

Elle n'a pas le temps de répondre que je sors de ma chambre d'un pas lourd, mes poumons menaçant d'exploser. Je claque la porte comme une enfant et relâche tout l'air contenu dans ma poitrine. J'ai l'impression d'être restée sous l'eau pendant un quart d'heure et les propos d'Ariane me déçoivent. J'avais pensé trouver en elle une amie et un soutien. Finalement, je n'obtiens rien de plus que des pas en arrière et des recommandations débiles.

Je n'ai pas envie d'aller à cette stupide réception, de vivre dans un palais de bourgeois pour me la couler douce pendant cinq mois et de me marier avec un inconnu. Je veux vivre ma vie comme je l'entends, je veux retourner chez moi, serrer ma mère dans mes bras et embrasser Aiden. Cette philosophie de vie ne changera jamais. Je suis bien trop attachée à mes habitudes pour tout abandonner.

Agacée, je ne fais même pas attention où je marche et mes pieds me conduisent directement devant une porte ouverte. Je jette un coup d'œil à l'intérieur et c'est ébahie, que je découvre une pièce aussi luxueuse que rayonnante. Devant moi s'offrent des dizaines d'étagères où des milliers de livres attendent d'être lus.

Émerveillée, je fais un pas à l'intérieur de la pièce. La pièce est agencée en plusieurs bibliothèques qui atteignent le plafond à plusieurs mètres de là. Le bois de ces étagères a été peint en blanc et des dorures scintillantes ornent les planches soutenant les livres. Plusieurs échelles ont été mises à disposition et au centre de la pièce, trône un immense bureau. Sur le sol fait de marbre, quelques livres sont éparpillés, comme si quelqu'un avait effectué des recherches récemment.

Je brûle d'envie d'emporter avec moi tous ces livres, de les ramener à la maison et de passer tout mon temps libre à dévorer ces pages. J'ignore si cette pièce m'est libre d'accès, mais je m'avance, prudente. Mes talons aiguilles raisonnent contre le sol alors que je m'approche des livres disposés au sol et saisis le premier. Le titre me semble inconnu mais le résumé me paraît familier.

C'est l'histoire d'une reine, Daëlla, destinée à épouser un roi. Son précédent époux nommé Lucius, est décédé, et pour sauver l'avenir de sa nation, un nouvel arrangement est conclu avec le dirigeant d'un pays voisin. Elle ne peut s'empêcher de penser à son compagnon perdu et à tout l'amour qu'elle éprouvait pour lui. Et pourtant...

J'ai déjà lu ce livre quand j'étais plus jeune. Il me rappelle quelque chose de familier. L'odeur de la maison, mes souvenirs d'avant, la musique incessante jouée par les fanfares dans les rues de mon village. Ce livre a voyagé avec moi.

— Cette pièce est normalement interdite d'accès aux sélectionnées.

Je sursaute brusquement et le livre m'échappe des mains. Je m'abaisse pour le reprendre et mes yeux croisent un regard bleuté, couleur de l'océan et synonyme de mépris.

Je me ressaisis et réplique d'un ton acerbe :

— Peut-être que si la porte n'était pas restée ouverte, je ne m'y serais pas aventurée.

Adossé contre le mur, il se trouve à quelques mètres de la porte. Je comprends alors qu'il était là pendant tout ce temps et qu'il m'a observée tout du long. Et cela explique également pourquoi je ne l'ai pas vu tout de suite.

Les mains derrière le dos, ses yeux ne me quittent pas. Agacée, je mets les mains sur mes hanches et m'exclame :

— Arrêtez de me fixer de la sorte, bon sang !

Il hausse un sourcil, surpris et se détache du mur. J'ai l'impression que l'atmosphère de la pièce devient insoutenable alors qu'il avance vers moi, d'un pas si lent que je me demande s'il le fait exprès. Son regard n'exprime aucune émotion et lorsqu'il s'arrête à quelques centimètres de moi, je me mets à déglutir.

— Sais-tu à qui tu t'adresses ?

Il me tutoie. L'autre jour, il me vouvoyait. Ce détail ne m'échappe pas.

— Vous me tutoyez dorénavant ? Tous ces moments passés avec les autres sélectionnés vous ont donné assez de confiance pour vous permettre de me tutoyer ?

Je ne sais pas ce qui me prend. Un feu ardent brûle en moi et je sais que ma dispute avec Ariane y est pour quelque chose. Mais maintenant, je donne juste le sentiment d'être une gamine jalouse des autres.

Le prince recule et je reprends ma respiration. Il fait quelques pas, me tourne le dos puis revient vers moi :

— Je suis devenu à l'aise avec les autres sélectionnées, il est vrai. La plupart sont amusantes à écouter et me divertissent plutôt bien.

J'ignore si sa phrase est pleine de sous-entendus et je préfère ne pas savoir. Pourtant, encore une fois, ma langue est plus rapide que mon cerveau :

— Et vous avez trouvé chaussure à votre pied ?

— Non, pas pour l'instant.

Son souffle s'écrase sur ma nuque. Il est juste derrière moi. Son corps frôle le mien, si bien que je sens sa main effleurer la mienne. Je me braque. Je ne bouge plus. Je ne respire plus. Mes sens sont sur le qui-vive. Que m'arrive-t-il ?

— J'ai rencontré Solenn également.

— Et alors ? Est-elle gentille avec vous ?

— Assez simple d'esprit, je trouve. Et moins jolie que sa sœur.

Cette phrase me fait louper un battement de cœur. Je dois me ressaisir, je dois me reprendre. Je n'y arrive pas. Il a déréglé le fonctionnement Sarah.

Je me fais violence pour reculer et m'écarter de lui. Sa présence me rend nerveuse et j'ignore si c'est parce que son uniforme lui va à merveille ou bien si c'est son odeur qui me transcende de l'intérieur, mais c'est trop.

D'un signe de tête, il désigne le livre que je tiens :

— Tu peux l'emmener avec toi, si tu le souhaites.

— Je l'ai déjà lu.

— Qu'en as-tu pensé ?

La curiosité brille dans ses yeux et je réponds :

— Barbant, et je dirais même presque pathétique. Daëlla a été lâche de tomber dans les bras de ce pauvre type. Lucius n'aurait pas été très heureux de la savoir avec un autre homme.

— Mais Lucius est mort.

Il me fixe avec plein de dédain, et sa phrase reste figée dans le temps.

— Lucius a beau être mort, il était son époux, et elle l'aimait. Son attitude de partir avec un autre homme était lâche et sans valeur. Ne disait-elle pas qu'elle était rongée par les remords ?

« Et chaque jour qui s'écoule me fait un peu plus regretter cette décision. Mon âme se broie dans la ferveur de cette trahison, j'aurais tout donné pour lui et pour notre amour. Mon cœur est maintenant épris de remords incessants. »

Ma bouche s'ouvre et je hausse les sourcils. Le prince hausse les épaules :

— J'ai lu ce livre de nombreuses fois, ce passage m'a marqué. En revanche, je ne suis pas tellement d'accord avec toi. Je trouve sa décision juste et admirable. Elle a eu assez de courage pour accepter l'amour qu'elle vouait à un homme qu'elle haïssait au départ. Assez noble de sa part, tu ne trouves pas ?

Je reste sur mes positions et croise les bras sur ma poitrine.

— Vous avez votre opinion, j'ai la mienne.

— Bien sûr, je te faisais juste part de mon avis. Quoiqu'il en soit, je ferais mieux de retourner à cette maudite réception. Me ferez-vous l'honneur de m'accompagner, Miss Crawford, afin de rendre cette soirée un peu moins ennuyante qu'elle ne l'est déjà ?

Il me tend son bras que j'étudie, prise de court. Je m'imagine le saisir, et tenter de séduire ce prince, cet homme aux principes fondés, au caractère assuré, au regard azuré. Je m'imagine lui sourire, rire avec lui, et lui parler de livres à longueur de journée.

Mais je ne me retrouve pas dans ce dessein.

— Je ne vais pas à la réception.

Il laisse tomber son bras et me scrute attentivement. Je le vois avoir envie de me poser des questions mais se retenir.

— Bien, je n'insiste pas plus, alors. Cette bibliothèque t'est libre d'accès, tu peux venir ici quand bon te semble.

Il saisit ensuite ma main, y dépose un baiser puis s'en va, sans se retourner.

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