chapitre vingt

LA SAISON A RÉELLEMENT COMMENCÉ IL Y A DEUX JOURS et sur le bord de la piste, regardant sa voiture sur le bas-côté, Charles a envie de rentrer immédiatement sur la principauté et de laisser les larmes dévaler ses joues rosées. Assis à l'arrière d'un scooter direction le paddock, visière baissée sur ses yeux larmoyant, le monégasque est épuisé par ce début de saison mouvementé, bien qu'elle ait à peine commencé.

C'est à se demander si un jour, la chance pourra enfin lui sourire. En rejoignant le muret des stands afin d'offrir une poignée de main réconfortante à ses ingénieurs et son Team Principal, il comprend que c'est certainement un problème qui lui causera des places de pénalité pour Djeddah. Seulement le deuxième grand prix de la saison, et le voici au fond de la grille. Charles est déjà mentalement lessivé. D'un pas vif, il rejoint sa driver room dans laquelle Éric lui a préparé sa tenue de rechange avant de retrouver la zone médiatique et d'essayer d'expliquer ce problème aux différents journalistes venant du monde entier, sans connaître la vérité derrière cet abandon précipité.

Sur les écrans géants, une fois les interviews terminées, il observe les bras ballants le doublé Redbull ainsi que l'hymne néerlandais retentir dans la nuit d'Asie. Qu'a-t-il fait pour mériter ça ?

Affalé sur un canapé de l'hospitalité, il attend patiemment Carlos qui revient bien rapidement afin d'aller debriefer avec l'écurie. Les deux coéquipiers sont silencieux. Le cœur et l'esprit ne sont pas à la fête. Les souvenirs de la saison précédente sont bien lointains dans leur tête. Dans un coin de la pièce, il sent une présence qui ne le rassure pas. Les yeux noirs de son préparateur physique posés sur lui ne lui disent rien qui vaille. Il déglutit et détourne le regard sur Frédéric Vasseur qui continue un speech d'encouragement.

Comme si cela allait masquer les désillusions profondes.

À la fin de la journée, le brun se rend à pied à son hôtel, rassuré de voir qu'Éric n'a finalement pas prononcé de mots trop rudes. Son esprit est déjà bien assez embrumé par cet abandon inexpliqué, il souffre déjà bien assez. Arrivé dans sa chambre, ses pas précipités le mènent jusque sa valise de laquelle il dégaine une bouteille pleine. Son geste impulsif le force à ouvrir cet agent destructeur avant d'en boire plusieurs gorgées afin d'anesthésier la peine grandissant inexorablement en lui.

Qu'est-ce que ça le soulage.

De créer dans son esprit cette oasis idyllique, ce mirage.

Tellement qu'il plane un instant. Le sol semble attirant et doucement, il s'adosse contre le rebord du lit, ne parvenant guère à faire plus. Plus les minutes passent et plus sa tête devient lourde, plus sa tête tourne et pourtant, plus son envie s'accroît. S'accroît tellement qu'il oublie que sa porte de chambre n'était pas fermée à clefs. Tellement que lorsqu'une silhouette apparaît dans l'entrée, il est trop tard pour faire marche arrière.

— Charles ?

Cette voix le ramène à la réalité. Dès lors que les astres se sont alignés, il sait. Il sait qu'il a merdé. En entendant la voix de son frère cadet émaner de l'entrée. Cette voix éraillée qui le fait immédiatement culpabiliser, l'entrainant dans une spirale infernale de souvenirs enfouis au plus profond de ses pensées.

Arthur l'observe, les bras ballants, les yeux larmoyant, tentant d'assimiler tant bien que mal la situation. Lui qui croyait que toutes ces mauvaises habitudes étaient ancrées dans le passé, le voici plongé dans l'incertitude du présent. Charles essaie de se relever, néanmoins peine à tenir sur ses pieds, titubant à chaque tentative de poser un pied devant l'autre. Cette vision fait craquer le châtain qui referme la porte derrière lui, étouffant ses sanglots se mourant contre la barrière de ses lèvres devant le brun complètement désabusé et dépassé par la situation.

La bouteille lui échappe des mains et vient se briser en mille morceaux dans un bruit sourd sur le sol de la pièce. Le même fracas que son cœur se fissurant contre sa cage thoracique et perforant ses poumons. Ses prunelles claires se plantent dans celles de son frère et il ne sait comment réagir. Lui qui avait promis à sa famille que tous ses démons étaient enterrés et qu'enfin il avait guéri, il montre dans cette nuit d'Arabie tout le contraire.

Charles est impuissant face aux douloureux sanglots masquant le silence amer de la chambre. Arthur doit être déçu et l'aîné s'en veut de lui faire subir une telle atrocité, pour la seconde fois.

— T'avais promis, il articule.

Cette réflexion fait l'effet d'un coup de poing lui coupant la respiration. Ou d'un poignard se plantant puissamment dans sa chair. La douleur est telle qu'il ne peut la supporter. L'âme en peine, des larmes à peine séchées coulent sur ses joues.

Pourtant dans son cœur enflammé par l'incendie de ses péchés, pas même les larmes ne parviennent à disperser la fumée.

Charles se demande comment est-ce que cette fois-ci, il a sombré. Sûrement une épreuve plus difficile à surmonter, une plaie ouverte que l'on ne parvient à soigner. Et sans doute la liqueur parvenait à faire s'essoufler la douleur.

Cette découverte a drastiquement diminué les effets de l'ébrieté sur le monégasque qui tente de se rapprocher de son cadet, qui recule automatiquement d'un pas, bien qu'il ne puisse s'échapper, le dos désormais pratiquemment collé contre la porte.

— Non, ne m'approche pas. Tu nous avais promis d'en parler si jamais tu ressentais l'envie de recommencer. Tu n'en as fait qu'à ta tête !

— Je te jure que je voulais vous en parler mais c'était tellement difficile Arthur, comprends-moi...

— Mais je te comprends ! Je comprends ce qui peut te froisser, ce qui peut te tracasser, parles-en moi au lieu de te renfermer ! Putain Charles, t'es retombé dans tes travers !

— Ce n'est pas ce que je voulais.

— J'ai l'impression que tu n'as pas retenu la leçon, que tu ne te souviens pas de la fois où j'ai dû appeler les secours au beau milieu de la nuit parce que je t'ai retrouvé au bord de la mort après avoir bu une quantité astronomique d'alcool ! Je veux pas que ça recommence, s'il te plaît, je t'en supplie arrête...

Et Charles a la sensation que même son étreinte puissante ne parvient pas à guérir les maux de son frère en cette soirée compliquée. Il s'accroche à son aîné comme à une bouée de sauvetage afin de ne pas finir naufragé, de ne pas se noyer dans le tourbillon des traumatismes du passé. La main du brun vient se loger dans ses cheveux et doucement, il essaie de calmer ses tremblements et ses sanglots incessants. Il ne sait pas combien de temps il reste dans cette position à calmer les pleurs de son petit frère.

— Je peux pas te perdre non plus.

Et il se revoit six ans en arrière, essayant de consoler son frère dans les couloirs de cet hôpital austère, au décès de leur père.

Les effets de l'alcool semblent avoir disparu et il suggère à Arthur de venir d'installer dans le lit comme lorsqu'ils étaient enfants. Ils enjambent les débris de verre jonchant le sol, se faisant la réflexion que demain matin, Charles aura besoin de faire le ménage, et ils s'allongent sous les draps. Le silence emplit la pièce alors qu'ils se font face de nouveau. Le châtain passe sa main sous ses yeux afin d'essuyer ses dernières larmes, ayant calmé ses sanglots.

— Explique-moi ce qui ne va pas.

— Je peux pas te faire subir ça Arthur.

— Je n'en ai rien à faire, je peux encaisser et je peux porter le poids de tes problèmes sur mes épaules. Tu l'as toujours fait pour moi, échangeons les rôles juste pour ce soir.

Charles abdique et soupire en triturant ses doigts, ne parvenant plus à regarder son frère dans les yeux.

— J'ai recommencé il y a quelques mois, je dirais fin novembre, tout de suite après la fin de la saison. Tout a été si compliqué avec Ferrari. Ensuite Charlotte qui me dit qu'elle part en Australie, notre séparation... je n'ai pas supporté. Puis au gala de la FIA en décembre j'ai rencontré quelqu'un, ce n'est rien de sérieux et il y a trois semaines on a appris qu'elle a fait une fausse couche, je ne sais pas pourquoi je me sens coupable.

— Il y a eu tellement de facteurs, tu aurais dû nous en parler plus tôt, même si je comprends que ce soit difficile.

— Pierre est au courant, je le lui ai avoué et il m'a donné plusieurs semaines, jusqu'à ce week-end en fait, pour tout vous avouer mais je n'ai pas eu le courage de revoir les déceptions sur vos visages.

— Ce n'est pas de la déception Charles, c'est de l'inquiétude. Maman, Lorenzo et moi on s'inquiète pour toi, et que tu retombes dans cette mauvaise passe ou non, ça ne changera pas le fait que l'on t'aidera.

— Envers et contre tous ?

— Envers et contre tous.

Il sort sa main des couvertures et demande au plus âgé de faire de même afin de faire la promesse du petit doigt. Depuis petit, énoncer cette phrase avant de tenir une promesse était important, et ils ont toujours gardé cette habitude qui semble n'avoir pas pris de rides.

Charles les revoit enfants, lorsqu'Arthur râlait de ne pas pouvoir améliorer son chrono sur la piste de Brignoles. Le brun avait tendu son petit doigt en l'encourageant, lui disant qu'il hurlerait de toutes ses forces pendant son tour afin de l'encourager, envers et contre tous. Ce jour-là, sur la piste de karting, le plus jeune avait battu son record personnel.

Ce souvenir doux et plein d'insouciance fait longuement sourire l'aîné.

— Est-ce que tu penses que je devrais le dire à maman et Lorenzo ?

— C'est délicat comme situation, parce que le pire scénario serait qu'ils le découvrent eux-mêmes, mais si tu parviens à t'en sortir en peu de temps sans qu'ils ne le sachent...

— Je vais le leur dire.

— Je serai derrière toi.

Charles lui offre un sourire, signe de remerciement et Arthur répond par le même signe. Ils se regardent dans le blanc des yeux, ne sachant que dire d'autre à la suite de cette discussion houleuse, mais nécessaire.

— Bon tu ne veux pas dormir ? J'ai eu une course, tu as eu une course, on est supposé être crevés, le benjamin éteint la lampe de chevet sous le rire du brun.

— Bonne nuit Chacha.

— Je déteste toujours autant ce surnom. Arthur ricane, sans répondre. Bonne nuit Tutur.

Le monégasque est heureux et apaisé d'avoir pu se confier à son petit frère malgré sa réticence première. Il était tellement effrayé à l'idée de lui faire part de ses soucis qu'il en a oublié le fait que parler, parfois, avait du bon.

Charles s'endort nettement plus soulagé que les nuits précédentes, aux côtés de son frère, comme lorsqu'ils n'avaient que sept et quatre ans, voire moins. Le temps où leur passion ne les détruisait pas à petits feux.

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on part sur un enchaînement de chapitres compliqués :( mais c'est pour la bonne cause, après la pluie, vient le beau temps !

on se retrouve dimanche sur GHOST, et lundi ici ! <3 bon week-end de 1000ème grand prix de moto :)

-alcools

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