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Chapitre 10
Kenji n’était plus un humain. Au fil des mois, il s’était métamorphosé en une créature déformée, noire d’émotions et vide. Ses traits autrefois familiers avaient disparu, remplacés par une apparence cauchemardesque qui ne laissait place qu’à la terreur. Chaque jour, Mikie se réveillait en espérant voir des changements, mais ce qu’elle découvrait à la place était un être qui semblait tout droit sorti des films d’horreur, une représentation grotesque des démons qui peuplent les cauchemars.
Ses yeux, autrefois pleins de vie, étaient désormais d’un noir profond, presque abyssal, dépourvus de toute étincelle. Ils brillaient d’un éclat maléfique, comme s'ils contenaient des secrets terrifiants que personne ne devait jamais découvrir. Sa peau, qui avait perdu toute couleur, semblait se couvrir de fissures, comme si l’âme de Kenji s’effritait lentement, se dissolvant dans un océan de désespoir. Les contours de son visage étaient distordus, transformés en un masque d’angoisse perpétuelle, et sa silhouette était celle d’une ombre, tout ce qui restait de l’homme qu’elle avait épousé.
Il errait dans l’appartement comme un spectre, un démon essayant désespérément de se fondre parmi les vivants. Mikie se tenait à l’écart, l'observant avec un mélange d’horreur et de tristesse. Chaque geste de Kenji était empreint de cette lente agonie, de cette lutte intérieure qui le poussait à se débattre avec ses propres démons, mais l’homme qu’elle avait connu était irrémédiablement perdu.
Il ne s’asseyait plus à la table pour partager un repas. Il ne parlait plus. Ses mots avaient été remplacés par des grognements inarticulés, des murmures incompréhensibles qui faisaient frémir Mikie. Elle savait qu’elle ne pouvait plus lui parler comme avant, comme si chaque mot qu’elle prononçait pouvait le ramener à la réalité, mais cela ne fonctionnait plus. Kenji était enfermé dans une prison qu'il avait lui-même construite, et elle était impuissante face à cette situation.
Les nuits étaient les plus difficiles. Mikie se réveillait en sursaut, l’esprit embrumé par des rêves troublants, des visions de Kenji sous sa forme horrible, courant dans les ombres, son rire sardonique résonnant dans l’obscurité. Ces cauchemars étaient des réflexions de sa propre peur, une angoisse omniprésente qu’elle avait apprise à ignorer, mais qui la hantait sans relâche.
Dans les rares moments de lucidité, Kenji la fixait avec un regard vide, un regard qui disait tout sans prononcer un mot. C’était comme s'il cherchait encore à se souvenir de leur amour, de ce qu’ils avaient partagé. Mikie pouvait presque percevoir les bribes de l’homme qu’elle avait aimé, cachées sous cette couche de dévastation. Mais chaque fois qu’elle s’en approchait, il se retirait, comme une créature acculée, effrayée par la lumière.
Les amis et la famille avaient cessé de s’inquiéter. Ils savaient, en un sens, qu’elle était perdue, mais ils avaient aussi cessé d’espérer. L’absence d’Erica était un coup dur, une déchirure qui ne guérirait jamais complètement. Elle était la dernière personne à avoir cru que Kenji pourrait se rétablir, à avoir cru que Mikie pourrait retrouver le bonheur. Mais maintenant, même l'espoir semblait un luxe qu'elle ne pouvait plus se permettre.
Kenji passait des heures immobile, accroupi dans un coin de la pièce, ses mains tremblantes posées sur ses genoux. Mikie s'approchait parfois, hésitante, mais il ne la remarquait plus. Il n’était pas là. Il était parti, perdu dans un monde qui n’appartenait qu’à lui, un monde d’angoisse et de souffrance, où il luttait pour ne pas sombrer complètement.
Mikie ne savait pas combien de temps cela pouvait continuer. Elle vivait dans un état constant de survie, à la fois préoccupée par Kenji et par sa propre santé mentale. L’absence d’émotions avait fait d’elle une spectatrice de sa propre vie, incapable de pleurer, de rire, ou même de ressentir de la colère. Chaque jour était une répétition du précédent, une attente vaine d’un changement qui ne viendrait probablement jamais.
Elle se tenait là, regardant cette créature autrefois humaine, ce démon qui tentait de trouver sa place parmi les vivants. L'idée qu'elle devait le sauver était devenue une obligation pesante. Mais comment sauver quelqu'un qui avait choisi de s'enfermer dans les ténèbres ?
Les souvenirs heureux de leur mariage, de leurs rêves d’avenir, semblaient désormais d’un autre temps, comme une vie à laquelle elle n’appartenait plus. Elle se perdait dans ces souvenirs, mais chaque pensée heureuse était suivie d’un frisson de douleur, une conscience aiguë de ce qu’elle avait perdu.
Dans le fond de son cœur, elle espérait encore un miracle, une rédemption, mais cette lueur s’éteignait lentement, remplacée par la tristesse. Elle se tenait là, avec lui, au bord d’un abîme, regardant ce que la vie était devenue, et se demandant si elle serait un jour capable de retrouver le chemin de la lumière.
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