- 𝑎𝑓𝑓𝑟𝑒𝑠
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Affres
1800
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« Tard dans la nuit, je peux entendre les pleurs. J'entends le tout, en essayant de m'endormir. Lorsque le monde entier autour de toi est en train de mourir... »
고뇌
« Comment puis-je supporter la douleur ? »
고뇌*
Affres*
Affres
Affres
Et vengeance me voila
« Tisiphone ;
mets fin à mes tourments »
고뇌
- Taehyung !
Il faisait chaud dans les champs aujourd'hui, tant que sa chemise collait à son dos. Le soleil éblouissait ses yeux verts à travers la poussière du blé qu'il fauchait.
- Taehyung !
L'orage approchait et le jeune homme ne souhaitait perdre cette récolte pour rien au monde. Quoi qu'il en soit, sa famille ne possédait rien, ils n'avaient rien à donner. Il chassa la sueur coulant dans ses sourcils du dos de la main.
- Fils, ton ami est là.
Sa mère lui murmurait dans le vacarme des mouettes rieuses. La terre découverte les ravissait, tout autant que le spectacle de deux roturiers pliant l'échine pour survivre. Elles n'avaient qu'à attendre que les vers sortent du sol sous leurs coups de faux et leurs pas, puis à ouvrir le bec pour remplir leur panse. Eux devaient semer, faucher, récolter, battre, labourer, commercer dans l'espoir de manger leur pain avec du beurre à midi.
- Il a l'air mal, va le voir.
Taehyung tourna le regard. La poussière l'aveuglait. Sa mère le poussa du coude, il laissa sa faux. Il se faufila à travers le blé. Seule sa tête blonde comme la récolte surplombait les épis. Son ami l'attendait à l'orée du bocage.
- Je te croyais à la ville pour vendre des chaussures.
Le soleil dans le dos, Taehyung y vit plus clair. Les yeux de Jimin pleuraient.
- C'est la drache qui te dérange ?
- Ils les ont tués...
Le rire des mouettes embêtait Taehyung. Il n'avait pas bien compris.
- Hein ?
- Ma famille, ils ont été tués !
Le jeune homme parvint enfin à l'ombre du bocage. Il eut soudain froid, très froid. Le visage de Jimin était dévasté. De sang et de larmes. Il était sale comme un veau tout juste accouché. Ses cheveux noirs dressés, ses yeux sombres furibonds : il était moche à voir.
- Taehyung, on doit les venger.
- Oh là, de quoi tu parles ?
Il ne comprenait toujours pas. Jimin était-il blessé ? Sa charrette avait-elle eu un accident sur le chemin ?
- Viens... Les images sont plus claires que les mots.
Taehyung lança un coup d'œil à sa mère. Il ne voulait pas la laisser seule à la tâche. Mais il ne pouvait pas y retourner, elle ne voudrait pas de lui et le forcerait à suivre Jimin, de toute manière. Le noiraud lui attrapa le bras et le tira sur le chemin ombragé.
Les deux garçons quittèrent bientôt l'herbe fraîche pour retrouver les pavés du village, et la chaleur écrasante. Taehyung fronça le nez. Le soleil relevait les odeurs nauséabondes du bourg. Jimin avançait d'un pas déterminé sur la route, vers l'attroupement devant sa maison. Vers l'origine de la puanteur. C'était le début d'après-midi, ces gens n'avaient rien à faire là.
Il questionna son ami du regard, dans l'incompréhension. Le noiraud ne lui accorda pas un signe. Il baissa la tête, serra la mâchoire, et fendit la foule. Puis il se tourna vers lui, sous les regards avides de la populace. Jimin répondit enfin à son regard, en poussant la porte de la maison des Park.
- J'espère que tu comprendras en voyant ça.
L'odeur le frappa comme le recul d'une arme à feu. Ça piquait les yeux, ça saisissait la gorge, ça retournait l'estomac. Taehyung eut un haut-le-cœur.
C'était un carnage. Une boucherie. Un massacre.
- Ma famille est morte, Taehyung. Tués.
La réalité le foudroya. Sa confusion s'envola. Il s'effondra.
- Il ne me reste que ma sœur.
Le blond ne l'écoutait plus. Il n'entendait plus. Les murmures des villageois l'absorbaient dans un gouffre infernal qu'il ne saurait décrire que par sa noirceur et sa froideur.
Le matin même, Taehyung avait visité la famille Park pour emmener leurs chèvres au champ. Il n'aurait jamais pensé leur parler pour la dernière fois. Maintenant, ils n'étaient plus. Ils n'existaient plus que par l'amas de chair et de sang au pas de la porte. Et par cette odeur.
L'odeur de la vengeance.
On le tira en arrière sans que Taehyung ne réussisse à en prendre pleinement conscience. Il ne parvenait pas à aligner ses pensées. L'haleine de putréfaction l'en empêchait. Et ce voile troublant sa vision, un voile rouge qui pulsait sur sa rétine, l'assaillait d'images qu'il ne pensait pas être capable de concevoir.
Il voulait tuer. Il voulait les venger.
Seokjin lui asséna une claque.
- Taehyung, tu dois te ressaisir.
Ils étaient chez lui. Dans la pénombre de leur pièce à vivre, basse et exiguë. Jimin le regardait avec cette lueur qu'on ne voyait que dans les yeux de la chair à canon. Ceux qui avaient vu les horreurs dont l'Homme était capable. Ceux qui aspiraient à la violence, à la vengeance. Et son frère, assis, sa jambe paralysée par les mauvaises plaisanteries de la vie tendue devant lui, tenait la benjamine des Park dans ses bras, comme si ses fins bras la protégeraient des démons avides de son âme tourmentée.
- Tu ne peux rien y faire. Jimin non plus. On doit laisser ça aux gens dont c'est le métier.
Taehyung soupira, de frustration et d'agitation. Il avait horreur de se retrouver coincé comme ça. La famille de son ami n'était plus. Toute entière. Un massacre. Une tuerie. Jimin le regardait toujours, et le blond ne pouvait plus lire dans ses iris comme il y parvenait si bien d'habitude. Son ami s'était renfermé. Et eux, sans l'aide des Park, eux ne pouvaient plus compter que sur leurs faibles revenus. Sur la récolte médiocre de cette année. Sur leurs quelques vieilles poules qui pondaient toujours avec mal. Son frère lui disait qu'il ne pouvait rien y faire.
C'était vrai.
Ce n'était rien que la vérité qu'il lui présentait là.
Il n'allait pas prendre le sabre dont son père s'entichait de son vivant, le seul objet restant de son existence qu'ils n'avaient pas eu le cœur de vendre, et s'en aller jouer les justiciers. Il n'allait pas venger les Park.
Pourtant, Taehyung ne pouvait penser à aucune autre alternative.
- Pour l'instant, il faut attendre. Il ne faut pas céder à la panique, ni à la vengeance.
Jimin releva la tête. Il croisa son regard terne avec celui du type qu'il n'avait jamais vraiment trop apprécié. Seokjin, malgré son incapacité, se pensait mieux que tout le monde. Son père était mort à ses six ans, on ne savait trop comment, il était donc devenu l'homme de la famille et la figure paternelle de son frère encore nourrisson. Il paraissait mature mais était imbu de lui-même, son arrogance l'avait mené jusqu'à se blesser irrémédiablement pour avoir voulu jouer au plus malin. Et Taehyung lui vouait un culte.
- Tu peux parler, toi... T'as jamais remercié ma famille pour quoi que ce soit, l'attaqua-t-il.
Taehyung se tendit. Seokjin ouvrit la bouche sans trouver quoi répondre. Eunbin, elle, ne réagissait même pas à la montée du ton de son frère. Comme une poupée inanimée posée sur une étagère. Elle attendait son sort. Sa vie s'était arrêtée à l'instant où elle avait poussé la porte de sa maison.
- Je sais qui a fait ça ! s'écria Jimin. Et je sais que les autorités vont les protéger. De toute manière, c'est l'œuvre d'un assassin. Il n'y a aucune preuve contre les vrais meurtriers.
- Tuer le tueur ne va pas les faire revenir.
- Je dois laisser les gens qui ont massacré ma famille ? Je dois les laisser se congratuler de leur réussite sans en subir les conséquences ?!
- La vengeance n'amène rien de bon, Jimin.
- Oh Seokjin, cracha le jeune Park, tu me fais chier avec ta morale à deux balles.
Il lança un regard à Taehyung pour chercher du soutien. Mais Taehyung n'était pas de son avis. Oui, se venger était la seule solution pour obtenir un semblant de réparation, et c'était la seule manière de punir ceux qui voulaient depuis longtemps se débarrasser des Park. Mais la vengeance était toxique, malsaine. La vengeance était maudite.
Petit, les anciens du village lui racontaient des histoires terrifiantes à propos de démons oubliés qui venaient punir les malins qui pensaient pouvoir faire justice eux-mêmes. Ces histoires reprenaient toujours les figures de trois femmes hargneuses et impitoyables qui arpentaient les champs de bataille à la recherche de leurs victimes, les auteurs d'actes de vengeance ou de haine pure. Aujourd'hui, les anciens disaient encore des soldats revenus bouleversés de la guerre que leur folie venait de leur rencontre avec les Furies.
Taehyung ne voulait pas risquer de devenir comme eux.
- Je suis désolé, Jimin, mais Seokjin a raison. On ne peut rien faire. Il faut attendre. Il faut enterrer ta famille, et reprendre la vie. Sans preuve, et tout seul, tu vas juste te faire tuer à ton tour et laisser Eunbin toute seule à son sort.
- Vous êtes là pour elle !
- Non, je ne veux pas qu'elle ait une vie de chien.
Une larme coula sur la joue de Jimin, et Taehyung comprit qu'il avait réussi à le convaincre.
La semaine suivante, dimanche, on enterrait une douzaine de corps dans le cimetière. Jimin ne pleurait pas, il ne pleurait plus depuis la veille, depuis qu'il avait vendu la maison des Park et installé son atelier de cordonnerie dans l'ancien atelier du père des Kim. Il ne pleurait plus, plus depuis qu'il avait visité la dépouille de son frère, lui qui avait pour rêve de reprendre l'activité de ses parents pour leur accorder une retraite.
- Tu vivras ton grand projet à travers moi, Namjoon...
Taehyung l'avait rejoint après la moisson des champs terminée, avec Eunbin, pour signer des formalités. Puis il avait fallu organiser une cérémonie avec le prêtre de la chapelle.
Une main serra son épaule. Taehyung tourna la tête pour découvrir sa mère, les yeux rouges, dévastée de rendre ses derniers honneurs à ses amis de toujours. Toute la semaine, elle s'était comportée comme un véritable roc pour soutenir Jimin et Eunbin, pour s'assurer qu'ils mangent à leur faim et qu'ils dorment confortablement. Pour s'assurer que le meurtre de leur famille ne les affecte pas trop, pour espérer alléger un tant soit peu le poids qui s'abattait sur leurs épaules. Son fils l'avait suppliée de l'aider à effacer de l'esprit de Jimin l'idée noire de la vengeance.
Le blond recouvrit sa main de la sienne en soutien. Les prochains temps représenteraient une épreuve pour eux. Il se sépara d'elle quand l'heure vint de déposer une dernière prière sur les cercueils, et de prononcer un dernier discours. L'enquête, comme l'avait prédit Jimin, n'avait rien donné, alors sa parole resta sobre et neutre.
A la nuit tombée, le prêtre les invita au dîner funeste en petit comité. Il savait les mauvaises langues du village d'un insupportable légendaire lors des cérémonies mortuaires et comprenait la volonté des familles de ne pas les convier pour cet événement intime et privé. D'autant plus qu'il jugeait les conditions mystérieuses de la mort des Park une occasion rêvée pour les commères de déranger les personnes endeuillées avec leurs hypothèses et leurs commentaires.
Taehyung n'avait pas faim. Tout comme Eunbin. Alors il l'invita à lui montrer le livre qu'on lui avait offert, un conte de fée récitant l'histoire d'une jeune fille forte comme trente hommes qui déplaçait des montagnes pour aider les voyageurs perdus. C'était un beau message d'espoir que la boulangère lui donnait, une façon de lui montrer qu'elle était forte, qu'elle pouvait redresser le menton et reprendre goût à la vie pour faire un pied de nez à ses démons. A l'autre bout de la table, Solmin se servait de nouveau avec hésitation du lapin, sous l'œil bienveillant du prêtre qui l'encourageait à partager les bons souvenirs qu'elle possédait des Park, de quoi remettre du baume aux cœurs de toutes les personnes présentes à qui la famille de Jimin avait rendu service. Entre eux et ce comité de nostalgiques, Seokjin et Jimin mangeaient en se regardant dans le blanc des yeux.
Le noiraud s'était excusé un peu sèchement de l'attitude qu'il pouvait avoir par moments, et Seokjin avait surenchérit par le fait qu'il ne pouvait pas comprendre sa situation et qu'il s'était lui-même comporté comme une bouse de vache. Aucun des deux n'était sincère, et tous les deux le savaient.
- Tu sais, l'interpella Eunbin, Namjoon il t'adorait.
Taehyung quitta son frère et son ami du regard pour se concentrer pleinement sur le cours de lecture que la jeune fille lui donnait. Elle lui pointa du doigt l'une des illustrations d'un voyageur à l'allure un peu hébétée devant l'héroïne qui portait une montagne sur ses épaules.
- Il te trouvait bizarre, il disait tout le temps qu'il n'y avait que toi pour admirer les corbeaux qui chassent les mouettes et leur crier que tu les aimes. Moi aussi je te trouve bizarre.
- Pour les mêmes raisons ?
- Non. Moi je dis qu'il n'y a que toi pour raisonner mon grand frère. C'est bizarre que t'arrives à l'empêcher de se venger alors qu'il veut le faire depuis longtemps...
- C'est parce que j'ai de bons arguments.
- Moi, je dis que tu es un peu comme un magicien des sentiments.
Taehyung rit à l'allusion et Eunbin lui montra une phrase sur la page suivante.
- Tiens, ce voyageur est un magicien. Essaie de lire ce qu'il dit !
Le blond se relança dans sa lecture saccadée après un coup d'œil à Jimin. Il n'était pas certain que ses dons de magicien des sentiments aient réellement un impact sur les plans de son ami. Il était vrai que, depuis quelque temps, Jimin lui parlait de ces bourges effrayés de l'ombre que leur famille étendait sur leurs activités dans les villages alentour. Des hommes en queue de pie qui se languissaient dans les salons de thé à longueur de journée craignaient pour leur immense fortune alors que la richesse des Park reposait sur la passion et la qualité. Ils gagnaient assez pour nourrir leur grande famille et ne cherchaient pas plus, c'était sans doute ce qui inquiétait le plus la petite-bourgeoisie du coin. Le lien était facile à faire entre eux et le meurtre des Park. Et depuis le temps que ce manège durait, Taehyung doutait du fait que Jimin ait jeté l'éponge.
Il ne pouvait pas abandonner sa soif de vengeance en une semaine, il ne pouvait pas l'enterrer comme il enterrait ses frères et cousins aujourd'hui. Il cachait son jeu derrière son visage impassible de l'homme responsable qu'il était devenu.
Le soir, quand ils rentrèrent se coucher, le blond lui donna l'excuse qu'il voulait vérifier une broutille organisationnelle avec lui dans l'atelier. Eunbin voulut rester avec eux, se sentant concernée par la cordonnerie et n'ayant pas du tout envie de se coucher après l'émotion de la journée, mais Seokjin lui proposa de venir visiter les agneaux et les veaux pour s'assurer qu'ils passent une bonne nuit. Taehyung l'en remercia d'un hochement de tête, il avait compris de quoi il s'agissait.
- Jimin. Veux-tu toujours te venger ?
- Non... fit le noiraud avec un froncement de sourcil. Il ne semblait pas du tout envisager l'idée, mais Taehyung voulait en être certain.
- Sois honnête.
- Tu l'as dit toi-même, ça ne servirait à rien. Jimin tourna la tête vers la porte de l'atelier, en direction de l'étable d'où on entendait sa petite sœur souhaiter bonne nuit au bétail, et lui répondit avec un murmure : Eunbin a besoin de moi. Vous avez besoin de moi.
- Je ne veux pas que tu sois tué comme eux, lui confia son ami à la lueur de la lanterne.
- Et je comprends totalement, Taehyung. Je ne pourrais jamais te remercier pour tout ce que tu fais pour moi...
- Je te retourne simplement l'aide que tu nous as donnée jusqu'ici.
Jimin lui accorda un sourire et Taehyung eut la certitude qu'il ne ferait pas de bêtises. Il le lisait dans son regard, que le jeune Park lui ouvrait à nouveau. Jimin avait enterré sa famille aujourd'hui, cette histoire était finie. Il voulait seulement aller de l'avant, désormais. Il voulait oublier ce drame, il voulait oublier les images du massacre dont il avait été témoin et se concentrer sur la poursuite des rêves et du métier de sa famille. Il passa son bras autour des épaules de Taehyung et tous deux regagnèrent la maison pour se préparer pour la nuit. Demain, le travail reprenait. Demain, ils débuteraient une nouvelle vie.
Pourtant, cette nuit-là, à l'étage de l'étable où il dormait pour laisser son lit aux jeunes Park, Taehyung se réveilla en sueur d'un cauchemar horrible. Il y avait vu une créature terrifiante aux yeux pleurant du sang poursuivre un Jimin affolé à travers les flammes de l'Enfer. Le cri d'effroi de son ami qu'il avait imaginé résonnait encore contre les parois de son crâne. Et un nom se répétait en boucle dans son esprit, un nom qui lui glaçait le sang.
« Tisiphone ».
A l'orée du jour, il se précipita à la chapelle pour quêter le prêtre, le plus à même de donner une explication au sentiment de peur qui le prenait à la gorge depuis cet événement. Intimement, et malgré les propos de la veille de Jimin, il était convaincu qu'un quelconque démon le poursuivait sans qu'il n'en ait conscience. Son mauvais pressentiment allait le rendre fou si le prêtre ne lui répondait pas au plus vite. Il tambourina à la porte de la petite chaumière adjacente au bâtiment religieux, qui ne tarda pas à s'ouvrir sur l'homme dans son habit de nuit.
- Père Courvoisier ! Jimin a des ennuis ! Sur... Sur le plan spirituel.
Le prêtre l'invita à entrer, encore ensommeillé. Taehyung lui raconta son rêve alors qu'il leur préparait un léger petit déjeuner, et c'est seulement après une tasse de café que son expression d'ours mal léché se transforma en ce visage bienveillant qu'il affichait à l'ordinaire.
- Taehyung, mon fils, ce n'est pas du Malin dont vous voulez parler, mais d'une des trois Furies.
- Comme ces personnages de l'histoire que les anciens racontent ?
- En réalité, elles proviennent d'un culte antique oublié. Mon prédécesseur recherchait sur ce sujet et ses découvertes se sont ébruitées à l'époque dans le village.
- Comment je peux protéger Jimin ? le coupa Taehyung, assis au bord de sa chaise tant il était pressé de découvrir le moyen de sauver son ami et de l'appliquer au plus vite.
- Vous ne voulez pas en apprendre plus d'abord ?
Il secoua vigoureusement la tête. Il en savait déjà assez.
- Très bien, alors... Il existe des rituels, mais j'ai besoin que vous me laissiez un peu de temps pour me plonger dans les documents du Père Gavreau. Vous pouvez d'ores et déjà vous purifier de ce cauchemar et purifier votre ami avec de l'eau bénite mais ces dames étaient réputées tenaces.
Les yeux exorbités de Taehyung l'invitèrent à poursuivre sa phrase.
- Je ne dis pas ça pour vous effrayer, seulement pour vous préparer. Tant que Jimin ne met pas sa vengeance à exécution, le risque est moindre. Mais il est important de prendre quelques précautions. Repassez me voir dans la soirée, je saurais vous en dire plus.
Le blond le remercia et le laissa enfin, le poids dans sa gorge allégé, pour rejoindre sa mère aux champs. L'automne débutait, il fallait labourer les terres et semer pour l'hiver.
Au soir, après une journée intense de travail, il retourna à la chapelle comme convenu. Mais les nouvelles du Père Courvoisier n'étaient pas bonnes. Taehyung n'avait pas croisé Jimin de la journée, il était parti acheter de la matière au village voisin, selon Eunbin. Cependant, son pressentiment était revenu au galop. Comment pouvait-il avoir la certitude que son ami n'était pas en ville, chez ceux qu'il pensait être les responsables du massacre de sa famille ?
Le prêtre n'arrangea rien en lui confiant qu'il n'avait pas trouvé grand-chose, si ce n'était qu'aucune prière n'apaisait les Furies en chasse, et que le nom de Tisiphone - qu'il n'osa pas prononcer à haute voix - était étrangement affilié à la vengeance. Taehyung avait vu juste dans son songe. Un énième signe qui propulsa son angoisse à l'avant de toutes ses autres pensées. Il devait trouver Jimin et le prévenir que s'il continuait sur sa lancée, son destin serait bien obscur.
Il déboula comme une tempête au portail de la ferme des Kim, criant le nom de son ami, fermement accroché à la fiole d'eau bénite que le prêtre lui avait confiée. Eunbin, jouant avec les poules, lui pointa l'atelier sans poser de question, et Taehyung y entra sans s'annoncer.
- Jimin, donne-moi tes mains et purifie-toi.
- De quoi tu veux parler ?
- Ta soif de vengeance, ça attire des démons.
- Je ne comprends pas...
Il n'eut pas le temps d'en dire plus que le blond renversait la fiole sur son travail.
- Pardieu ! Taehyung ! Tu viens de gâcher la chaussure sur laquelle je travaille depuis ce midi !
- Promets-moi que tu ne tueras personne.
- En général ou dans le futur proche ? demanda Jimin, sur le ton de la rigolade. Il ne comprenait pas ce qui prenait son ami, tout d'un coup. Parce que si je suis appelé à la guerre...
- Jimin, c'est très sérieux.
- D'accord, je promets. Mais pourquoi ?
Il lui entreprit de lui expliquer tout ce qu'il avait exposé au prêtre, et ce que le prêtre lui avait répondu. Toutefois, peu importait ce qu'il disait, Taehyung eut l'impression que Jimin ne le croyait pas et prenait la situation à la légère. Il lui confia qu'il voulait juste oublier ce qu'il s'était passé et qu'il n'avait pas besoin qu'on lui rappelle ce drame, surtout pas en faisant intervenir des vieux contes là-dedans, et reprit son travail sans considération pour le visage décomposé de Taehyung.
Très bien. Si Jimin ne comprenait pas, il le protégerait des Furies lui-même. La nuit tombée, avant de se coucher dans la paille de l'étable, il pria les anciennes divinités dont le Père Courvoisier lui avait parlé, de pardonner son ami et de le préserver des griffes de ces créatures.
Le procédé devint peu à peu une habitude qu'il répétait tous les soirs jusqu'à l'arrivée de l'hiver, où le jeune homme déménagea sa couchette dans la petite chambre de Seokjin. Et jusqu'au printemps, les dieux anciens l'entendirent. Six mois passèrent où Jimin resta sage comme une peinture, seulement concentré sur son métier de cordonnier et l'éducation de sa petite sœur, et Taehyung ne subissait plus que rarement les visites oniriques de la créature horrifique aux ailes noires à la chasse de son ami.
Un matin de mars, alors que Taehyung et Seokjin préparaient le matériel pour la tonte des moutons avant la venue de l'été et de ses chaleurs accablantes, un des villageois apporta une lettre adressée à Jimin Park et à sa sœur et collègue, Eunbin.
- On l'a reçue à votre ancienne piaule alors j'vous l'amène. Bravo !
Le soir, ce fut la fête. L'hiver avait été compliqué pour la maisonnée avec des récoltes minables, du bétail malade et des chaussures invendues. Mais cette lettre venait avec le soleil et les oiseaux du printemps annonçaient une belle saison. La caserne militaire de la ville voisine proposait un partenariat avec l'entreprise des Park après l'emprisonnement de l'ancien cordonnier militaire, un immigré autrichien. C'était une opportunité rêvée pour eux. Jimin partait le lendemain pour la ville afin de négocier les termes du contrat. Alors ils se remplirent la panse de bœuf et d'alcool pour fêter l'arrivée des beaux jours et la fin des soucis.
Le lendemain, Jimin attela un des bœufs de l'étable avec l'aide de Taehyung et chargea sa charrette des meilleurs produits qu'il avait conçu en guise d'échantillon de son travail pour la caserne. Il embrassa sa sœur plusieurs fois sur les deux joues, triste de devoir la laisser trois jours de suite, en lui assurant qu'il n'était pas loin et qu'il reviendrait au plus vite s'il y avait un souci. Elle, n'attendait que son départ pour enfin avoir le loisir de gérer, comme une grande, l'affaire depuis son atelier. Elle le quitta avant même qu'il ne passe le portail du domaine pour faire les comptes, et ce ne fut que Jimin et Taehyung au bord du chemin.
- Epate-les avec tes chaussures.
- Et toi, ne te tues pas avec les forces quand tu tondras, plaisanta Jimin.
- Tondre un mouton n'a rien de dangereux, je t'assure, rétorqua Taehyung.
Ils s'offrirent un sourire, dans un silence à la fois gêné et solennel. Puis Taehyung le salua et tourna les talons pour rejoindre Seokjin et les moutons.
- Attends !
Il s'arrêta net. Jimin avait, dans la voix, un trémolo qu'il n'avait pas entendu depuis plus de six mois. Depuis qu'il avait découvert l'hécatombe de sa famille. Taehyung se retourna vers lui, les sourcils froncés. Pourquoi ces sentiments ressurgissaient-ils maintenant, après une moitié d'année à tenter de les enfouir ? Lui y était parvenu, certes avec l'avantage de ne pas avoir de lien de sang avec les Park, mais ils avaient été sa famille à lui aussi.
- Tu peux me promettre une chose ? hésita Jimin.
- Bien sûr. Toujours.
- Veille sur Eunbin. Veille à ce que l'assassin ne l'approche pas.
En six mois, personne n'avait plus tenté de porter atteinte à la vie des Park, personne n'était venu finir le travail. Alors Taehyung ne doutait pas du fait qu'il pouvait facilement respecter cette promesse. Mais il comprenait l'inquiétude d'un grand frère pour sa petite sœur qu'il quittait pour une période prolongée dans un contexte encore tendu et qui craignait qu'il lui arrive quelque chose. Donc Taehyung promit qu'il n'arriverait rien à Eunbin. Et Jimin partit.
Le blond rejoignit son frère et la sœur de son ami dans la cour, où les moutons attendaient patiemment l'heure de la tonte. Tandis que l'une comptait l'argent de l'affaire et planifiait ses trois jours de liberté quant à la gestion de la cordonnerie, les deux autres se battaient avec les bovins pour récupérer leur toison. Le rythme n'avait rien de soutenu, et au soir, lorsque leur mère rentra de sa journée passée à semer les champs, elle leur remonta les bretelles pour leur travail inefficace.
Alors le lendemain, Taehyung et Seokjin redoublèrent d'effort pour maîtriser les moutons qu'ils tondaient. Chacun avec leur paire de forces, ils parvinrent à un rythme plus soutenu. Eunbin, depuis son atelier, s'amusait beaucoup à les regarder se donner de la peine pour éviter les remontrances de leur mère, et elle chantait des airs populaires pour leur donner du courage. Mais lorsqu'un groupe de villageois accoururent à la barrière de la cour, paniquant et gueulant que Solmin n'allait pas bien, la joie s'envola.
- Elle s'est évanouie !
- Elle a dû faire une insolation...
- Ou une crise ! La pauvre...
- Solmin est solide, calmez-vous.
- Vous devriez venir !
- Elle devrait arrêter de travailler si dur !
- Elle se tue à la tâche...
Seokjin se leva de son tabouret, instable à cause du choc sur sa jambe blessée. Il laissa ses forces tomber et lâcha le mouton qu'il tenait fermement qui s'enfuit rejoindre ses pairs dans l'enclos. Taehyung le rattrapa quand il manqua de trébucher, et il fit signe à Eunbin de rester à la ferme.
- On revient vite. C'est sûrement rien.
Elle fêtait ses douze printemps dans quelques jours, Eunbin était assez grande pour veiller à ce que les moutons ne s'enfuient pas. Il aida son frère à passer la barrière puis les villageois les pressèrent au pas de course jusqu'au champ que leur mère semait aujourd'hui. Taehyung retenait son souffle. Oui, Solmin était solide, mais elle ne prenait pas conscience du fait qu'elle n'était pas un roc, qu'elle avait le droit d'être fatiguée, malade ou vieille. Oui, elle était solide, mais les années ne faisaient pas de cadeaux, ni au grand chêne de la forêt qui finirait par s'écrouler sous son propre poids, ni au rocher des monts qui s'érodait par la pluie, le vent et la glace. Oui, Solmin en faisait trop et s'usait à la tâche alors qu'elle devait se reposer.
Ils la trouvèrent assise à l'ombre du bocage, accompagnée de deux ou trois paysans voisins et du médecin du village, souriante et discutant comme si de rien n'était. Le docteur lui tapotait le dos de la main avec son expression moralisatrice, et Taehyung n'eut aucun mal à imaginer les mêmes paroles que Seokjin aimait prononcer quand Taehyung revenait usé des champs, sortir de la bouche de l'homme : « le travail ne mérite pas que vous lui donniez votre vie ».
- Mes garçons, pourquoi vous êtes ici ?
- On nous a prévenu de ton malaise, expliqua Seokjin.
- Et Eunbin ? Vous l'avez laissée seule ?
- Il fallait quelqu'un pour surveiller les moutons, dit Taehyung.
Il l'aida à se relever et l'invita à ce qu'ils rentrent pour qu'elle se repose. Le blond reviendrait ensuite pour finir de semer, Eunbin pouvait assister Seokjin à la tonte des moutons si elle le voulait bien. Et Taehyung ne doutait pas de sa bonne volonté d'aider. L'un des villageois accepta de les déposer à la ferme avec sa charrette et Solmin, seulement victime d'un coup de chaud selon le docteur, accueillit la proposition avec plaisir.
- On peut peut-être venir aider Taehyung à semer.
- Merci mais ça ira, je vous assure. Vous aussi avez vos champs à semer.
Le jeune homme avait soulevé un point, alors le paysan, qui proposait plus son aide par politesse que par bonne volonté, hocha simplement la tête et entreprit de changer de sujet.
- Prendre un coup de chaud au printemps, c'est quand même pas de chance.
Il les laissa au portail de la ferme en leur souhaitant une bonne fin de journée. S'ils avaient besoin de ses services, ils n'avaient qu'à demander. Taehyung l'en remercia et le salua avant de guider sa mère jusqu'à la fraîcheur de la chaumière. Seokjin le prévint qu'il rejoignait Eunbin pour continuer la tonte des moutons et que lui n'avait qu'à retourner directement au champ pour finir de semer avant la nuit après avoir installé leur mère. Il lui apporta un grand verre d'eau et l'invita à manger de la pomme ou de la poire pour reprendre des forces.
En repassant la porte de la maison, il s'étonna du silence qui régnait. Avant leur départ, Eunbin chantait à tue-tête, et les moutons bêlaient à la mort quand on les tondait. Mais à l'instant, il n'y avait que le chant des oiseaux pour perturber le calme. Taehyung fronça les sourcils. C'était louche.
- Seokjin ?
D'ordinaire, quand leur mère les appelait du pas de la porte pour le dîner, ils pouvaient l'entendre depuis l'atelier. Pourtant, son frère ne lui répondait pas. Du moins, pas jusqu'à ce qu'il décide de faire le tour de la maison. A chaque pas, un pressentiment s'installait un peu plus au fond de sa gorge. A chaque pas, il s'imaginait des scènes un peu plus dérangeantes. Du bétail volé à la laine en feu. Ou peut-être qu'Eunbin s'était blessée dans l'atelier... Dans tous les cas, il y aurait eu des traces jusque dans l'entrée, Eunbin les aurait attendus dans la maison. Ici, rien ne pouvait annoncer un tel drame.
Il parvint enfin en vue de l'atelier. Les moutons étaient tous là, bien portants. Mais ils ne bêlaient pas. Ils étaient figés, regardant tous dans une même direction : l'atelier.
- Seokjin ?
- Taehyung, tu devrais... Tu devrais rester où tu es.
- Quoi ? Pourquoi ?
- Maman est dans la maison ?
- Oui mais... Qu'est-ce qu'il se passe, Jin ? Tu me fais peur.
- D'accord. Il ne faut pas qu'elle voit ça...
- Seokjin ?
Taehyung tremblait. Son frère était dans l'atelier. Eunbin ne parlait pas. Les moutons semblaient avoir vu la mort. Et Seokjin ne voulait pas qu'il approche. Il commençait à se faire une idée précise, bien trop précise, de ce qu'il y avait dans l'atelier. Il manquait une paire de forces sur le tabouret, dans l'enclos. La poussière était chassée en de larges traces au sol. Un seau gouttait encore dans un coin, renversé.
Et il y avait du sang devant la remise.
Des flaques de sang.
- Seokjin, j'approche...
Taehyung était nauséeux. Il connaissait ses images. Il avait essayé de les enfouir six mois durant au plus profond de sa mémoire. Elles ressurgissaient aujourd'hui, comme écho d'un passé qui se répétait.
Taehyung poussa la porte de l'atelier. Comme il avait poussé la porte des Park l'été dernier.
Seokjin pleurait, penché sur le corps sans vie de Eunbin Park. La dernière victime de l'assassin masqué. Eunbin serrait un cadre dans ses petites mains. Un portrait peint de son frère. Un portrait de Jimin, tâché du sang de sa sœur.
- Le tueur est dans la remise... Mort.
Taehyung s'effondra.
- Elle... elle s'est bien défendue...
Il s'en fichait bien de ce que disait Seokjin. Eunbin était morte. Il s'en fichait bien que celui qui l'avait tuée l'était tout autant. Ils n'auraient jamais dû la laisser seule, seule avec ce monstre caché il ne savait où, avec ce monstre et sa dague plantée en plein cœur, sans rien pour se défendre à l'exception de forces de tonte.
Jimin avait eu raison.
- Qu'est-ce qu'on fait maintenant... ? murmura Seokjin.
Il n'avait plus rien de l'aîné sage et diplomate. Plus rien du grand frère rassurant et protecteur. Il tira le corps de la petite sœur de Jimin, de sa petite sœur, sur ses genoux. Seokjin releva la tête vers Taehyung, les yeux humides et le visage tordu de haine et de peine.
- Qu'est-ce qu'on fait ?
Taehyung, la mâchoire serrée, réfléchissait. Il ne pleurait pas, les larmes viendraient après. Il réfléchissait, il retournait la situation dans tous les sens mais il ne trouvait pas de solution. La vengeance n'était même plus envisageable puisque le responsable était mort, et les commanditaires inattaquables.
- On ne peut pas laisser Eunbin ici. Va prévenir maman, je la ramène dans la maison.
- Elle ne va pas le supporter...
- Débrouille-toi. J'irai prévenir le docteur et le prêtre ensuite.
Seokjin renifla avant de se lever, détruit. Il quitta l'atelier en titubant. Le calme se fit. Taehyung glissa ses doigts sous ceux de Eunbin et serra sa main.
- Je suis désolé...
Il ne savait pas s'il s'adressait à la dépouille de la jeune fille ou au portrait de son ami. Une larme roula sur sa joue. Il avait échoué à protéger Eunbin, malgré les inquiétudes fondées de Jimin. Il avait suffi d'une petite heure, une petite heure à la laisser seule en pensant que rien ne pouvait lui arriver. Une petite heure de négligence pour briser sa promesse faite à Jimin à son départ. Une simple erreur qu'il regrettait profondément.
Taehyung redressa la tête pour déglutir. Sa nausée s'intensifiait de seconde en seconde. Son pressentiment ne faiblissait pas. Il ferma les yeux. Les images de ses cauchemars revenaient le hanter. S'il cédait à sa soif de vengeance, les Furies le tourmenteraient. Les responsables étaient inattaquables.
Tout bien réfléchi, ils l'étaient seulement sur le plan judiciaire. Il savait où les trouver. De toute manière, sa vie n'avait plus de sens. Jimin serait détruit d'apprendre la mort de sa sœur à son retour. Les Furies pouvaient le torturer autant qu'elles le voulaient.
Il vengerait Eunbin. Il vengerait Jimin.
Le blond glissa ses bras sous les épaules et les jambes de la jeune fille. Il espérait seulement que Seokjin avait réussi. Que sa mère ne s'effondrerait pas à la vue du cadavre. Eunbin paraissait paisiblement endormie dans son étreinte. Il se redressa. Si l'on mettait de côté le sang. Il poussa la porte. Et cette dague de belle facture, enfoncée dans son torse, qui lui secouait le cœur. Il quitta l'atelier. Jimin était là.
Aux côtés d'un cheval noir luisant de sueur.
Jimin était là, du sang sur le visage. Le regard froid. Ses épaules se soulevaient à un rythme erratique. Il tenait un sabre dans la main. Le sabre de son père. Le sabre qu'il avait tenu à emprunter en tant qu'arme d'apparat pour orner son costume. Et cette aura noire qui l'enveloppait, le blond en frissonna.
- Taehyung.
- Jimin ?
- Tu as tué ma sœur.
Le noiraud lâcha les rênes du cheval. Il raffermit sa poigne autour du manche du sabre. Taehyung recula d'un pas. Il lui faisait peur. Ce n'était plus son ami qu'il avait en face de lui.
- C'est l'assassin.
- Tu as tué ma sœur.
- Attends, je peux t'expliquer ! s'écria-t-il en reculant encore. Jimin était fou, il allait l'attaquer.
- Il me reste une personne à éliminer pour venger ma famille.
- L'assassin est mort ! Eunbin l'a tué !
- Je parle de toi, Taehyung.
Il buta contre le tabouret au milieu de l'enclos. Les moutons bêlèrent d'effroi dans l'étable. Taehyung tomba, le corps de Eunbin traîna dans la poussière. Il se releva. Jimin sauta la barrière de l'enclos, les yeux furibonds.
Le blond empoigna la paire de forces restante. Jimin voulait le tuer, son ami le menaçait de mort.
- Reprends-toi !
Il l'attaqua, avec le sabre de son propre père. Taehyung roula sur le côté et se releva, les forces tendues devant lui. Il n'allait rien en faire. Il était hors de question de blesser Jimin.
- Je t'en prie ! Ma mère était mal...
- Tu n'avais qu'une seule mission.
Jimin attaqua de nouveau, d'un coup d'épée qui frôla sa jambe. Il recula aussitôt, pour reprendre son souffle et jauger son adversaire. Taehyung tentait de croiser son regard, de trouver une part de son ami dans cet iris noirci de haine. Il tentait de le tirer de cette folie vengeresse qui l'aveuglait.
- Tu avais promis, Taehyung !
Un autre coup s'abattit. Cette fois-ci, le blond n'y échappa pas. La lame entailla son avant-bras. Il cria, et Jimin le plaqua au sol. La poussière vola, les larmes lui montèrent aux yeux. Il ne voulait pas faire ça, il ne voulait pas se battre avec Jimin. Il ne voulait pas se servir de ses forces.
Taehyung trouva la jambe de son ennemi de son pied et parvint à le faire rouler sous lui. Mais le sabre toujours dans sa main, Jimin le força à reculer. Il évita de justesse la lame tranchante. Dans la confusion, Taehyung lâcha son arme de fortune. Jimin lui offrit un sourire terrifiant, le menton baissé et le regard brûlant de soif de tuer...
- Tu vas payer.
Quelque chose s'altérait dans son propre regard. Face au réel danger, Taehyung changea d'attitude. Ce n'était plus Jimin qu'il voyait là, c'était un monstre, un monstre prêt à l'éliminer pour venger la mort de sa sœur. A l'éliminer lui et sa famille. Il ne pouvait pas le permettre. Le carnage devait s'arrêter maintenant.
Taehyung ne laissa pas le temps à son ennemi d'attaquer, il fut le premier à l'assaut. Il lui fonça dessus, tête baissée, un bras tendu vers le sabre.
Les deux entrèrent en contact dans un cri de rage partagé. Jimin lui agrippa les cheveux. Taehyung saisit sa main et enroula son bras autour de sa taille pour le déséquilibrer.
Jimin chuta. Taehyung lui arracha le sabre. Il roula jusqu'au corps de Eunbin et se redressa aussi vite qu'il put pour lancer l'épée loin, hors d'atteinte, derrière la barrière, dans l'herbe haute.
Dos à son adversaire, il ne remarqua pas Jimin approcher. Sur la dépouille de sa sœur, il planta les forces dans l'épaule de Taehyung. Un cri retentit. Celui de Solmin. Elle se précipita vers l'enclos pour les séparer. Mais Jimin attaquait de nouveau Taehyung dans le dos avec les forces.
Il s'effondra.
Jimin recula. Lucide et livide. Il revenait à lui.
- Je suis désolé !
Taehyung n'écoutait pas.
- Je n'ai jamais rien voulu de tout ça !
Il toussa. Il toussait du sang ; Taehyung paniqua.
Il regarda autour de lui, vite. Le cadre dans les mains de Eunbin était brisé. Taehyung tendit le bras pour en saisir un large morceau de verre. Si Jimin attaquait sa mère, elle n'avait aucune chance. Il se redressa à genoux, assez pour attraper la jambe du jeune homme, tourné vers Solmin.
Taehyung fit chuter Jimin.
Il planta le verre à l'aveuglette, dans un jaillissement de sang.
Jimin cria. Jimin pleura.
Taehyung se traîna jusqu'à son visage, larmoyant. Jimin était Jimin.
- On... affrontera Tisiphone ensemble... haleta-t-il alors que le regret l'assaillait. Tout cela n'avait été qu'une vaste erreur.
Et dans une dernière toux sanguinolente, Taehyung laissa la vie le quitter. De l'autre côté, au bord du Styx, les Furies l'attendaient. Les Furies les attendaient. Tous les deux.
Taehyung sut, au sentiment de peur intense qui l'envahit, que lui et Jimin n'auraient jamais dû céder à la vengeance. L'un comme l'autre. Il saisit sa main, dans un dernier espoir vain d'exprimer son regret.
Avant que la souffrance ne les absorba dans un abîme de noirceur dont ils ne ressortiraient jamais.
༺ - ༻
par -tyr__
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