LE GRENIER AUX SOUVENIRS
Il monta avec une lenteur calculée, une par une, les marches en vieux chêne qui pouvaient menacer de céder à tout moment. Le grenier était miteux : des araignées se baladaient ici et là, la poussière envahissait chaque recoin de la grande pièce et le vent claquait dans un bruit tonitruant contre le toit qui semblait aussi vieux que le monde, alors qu'il ne datait que d'une vingtaine ou quarantaine d'années. C'était une vieille, très vieille maison, entourée de nouvelles bâtisses toutes neuves. Le contraste était singulier.
Alors qu'il plissait les yeux pour s'accoutumer aux ténèbres qui englobaient l'ancien fenil, il trébucha sur une sorte de boite. Enfin, si on pouvait qualifier ce bout de carton semi-écrasé de boite ; les bords étaient déchirés par endroit, l'un des côtés droits semblait avoir disparu et son contenu s'étalait piteusement sur le sol.
Quelques instants après avoir débattu tout seul s'il devait ou non faire comme s'il n'avait rien vu et continuer son exploration pour repérer d'éventuelles choses à réparer, il se releva et se rua presque vers la première fenêtre venue pour l'ouvrir violemment. La raison de son empressement était simple : il avait sentit quelque chose lui toucher la main, quelque chose de vivant et de poilu. Toutefois, il soupira de soulagement en s'apercevant que ce n'était qu'une petite souris de rien du tout. Il avait eu peur pour rien.
Il vérifia que rien n'allait plus le déranger, avant de s'approcher des objets qui restaient inertes sur le sol à côté de ce qu'il avait vraisemblablement écrasé, tout en faisant grincer le plancher. Il découvrit, l'air légèrement étonné, que d'innombrables feutres à alcool, crayons de couleur et porte-mines jonchaient le sol. Il retint une grimace : toutes ces affaires dataient de bien des années, à une époque où il ne prenait pas cela pour un simple loisir.
Il grimaça de nouveau - il avait l'impression de ne faire que ça, de grimacer, en pensant aux bribes de souvenirs qu'il lui restait de l'achat. Tout ce matériel avait coûté cher, très cher.
Une masse blanche attira son attention. C'était une sorte de carnet de croquis, remplis de dessins. Certains finis, d'autres à peine commencés. Il tourna mollement les pages sans faire vraiment attention à ce qui s'y trouvaient, tout du moins, jusqu'à la fin. Une esquisse avait été commencé. Pas grand chose, juste les positions et des débuts de visage, mais pourtant, il sentait que son lui du passé avait tout donné. Il s'assit contre un mur qui paraissait plus ou moins propre, puis passa machinalement un de ses doigts abîmés sur les lignes où il avait parfois appuyé trop fort. Le regard dans le vague, il tentait de se remémorer où et dans quelles circonstances il l'avait dessiné. Des images lui revinrent en tête.
C'était un jour où miraculeusement, il faisait beau temps. Il n'y avait pas beaucoup de soleil, mais il ne faisait pas froid. Il en avait alors profité et, pour la première fois depuis bien des années, il était sorti de son propre chef. Oui, il se souvenait parfaitement de ce jour-là. Il n'avait pris que son cahier, un crayon et une gomme, et avait couru comme un fou vers le forêt. Se glissant habilement entre les branches, il était finalement arrivé dans une toute petite clairière, où une vieille chaise cassée et abandonnée l'attendait. Même si elle était inutilisable, il s'était assis dessus et avait commencé à dessiner.
Et il l'avait regretté.
Depuis le temps, il aurait du s'en douter qu'il y avait des échardes, mais non, il avait préféré faire comme si de rien n'était, et s'était retrouvé avec de nombreuses échardes plantées un peu partout sur les mains.
Nouvelle course effrénée jusqu'à chez lui, et, les larmes aux yeux, il avait enlevé tout les petits résidus à l'aide d'une pince. Depuis, il n'était plus jamais revenu dans cet endroit qu'il jugeait trop dangereux.
Il soupira, puis se leva lourdement. Il avait perdu du temps avec un souvenir qui ne l'enchantait pas plus que ça. Il grommela, puis se mit à marcher à quatre pattes pour se faufiler entre deux bottes de paille pourrissantes, à la recherche d'un quelconque cadavre en décomposition : une odeur nauséabonde flottait depuis tout à l'heure dans le grenier.
A la place de trouver sa présumée charogne, il tomba un appareil photo en morceau. Il trouvait toujours des objets étranges dans des espaces improbables, c'était épuisant. Il commença à détailler les restes de l'engin, et trouva son nom inscrit dessus. L'écriture était partiellement effacée, mais il le reconnaissait. Il esquissa un sourire moqueur. Toutes les photos qu'il avait prises avec ne concernaient qu'un chat blanc et gris particulièrement grincheux et paresseux.
Ce même félin aimait toujours se faufiler dans un des placards de la cuisine, passant parfois inaperçu jusqu'à ce que quelqu'un passe une main à l'intérieur pour prendre un bocal ou de la mayonnaise. Là, le gros matou accueillait les intrus à coup de griffes et de feulement. Il fallait dire qu'il aimait sa tranquillité, au risque de se faire priver de croquettes le soir même.
Une fois, en pleine nuit, on entendait des grattements dans le plafond, suivis parfois de miaulements éraillés. Le matin suivant, complètement évincé à cause de la nuit blanche qu'il avait passé, le jeune homme s'était emparé d'une échelle, d'un marteau, et en quelques instants, des bouts de plafond gisaient sur le parquet grinçant. Il n'avait pas pris la peine de réfléchir et était de suite passé aux grands moyens. Il ne fut également pas surpris quand, alors qu'il rampait dans le faux plafond, il tomba sur des touffes de poil et la tête du minou. Il était resté bloqué à l'intérieur, et ne voulait visiblement pas sortir.
Son visage cerné s'était durci. Il était descendu en deux temps trois mouvements et était remonté aussi vite. Et c'est à coups de balais qu'il l'avait fait sortir.
Quelques années plus tard, le vieux chat était mort. Ce jour-là, il avait beaucoup pleuré, mais s'en était remis le lendemain, d'humeur morose, certes, mais il s'était rendu compte que c'était la vie. Il fallait parfois passer à autre chose.
Il reprit son rangement, se débarrassant de la saleté et des bouts de paille qu'il restait. Il était tombé sur d'autres objets plus ou moins rattachés à lui, et avait enfin trouvé le cadavre en décomposition qu'il cherchait avec tant d'ardeur. C'était une toute petite souris à peine plus grande que sa main, mais elle dégageait une odeur pestilencielle. Décidé à nettoyer la maison de fond en comble, il l'avait jeté dans une poubelle tout en faisant attention à ne pas la toucher. Il était déjà assez dégoûté par les émanations infectes qui s'en dégageait.
Ce n'est que plus tard dans l'après-midi qu'il finit son rangement. Dans la cuisine tout aussi propre, un carton dans lequel il avait laissé tout ce qu'il avait trouvé dans le grenier était posé sur la table. Sur l'une des faces, il y avait écrit "à jeter".
Il fallait parfois savoir se débarrasser du passé.
FIN
- A
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