𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐗𝐗𝐈













A    R    T       D    U
—      C      R      I      M      E      —






















             RESONNANT DEPUIS LE séjour, la voix de Livai attire mon attention. Grave et tempérée, elle s’exprime dans une langue que j’identifie bien vite comme étant du coréen. A pas de loup, je franchis le couloir et vient me poster dans l’encadrement de la porte.

             Il est debout devant la table basse, dos à moi et face à la fenêtre. Observant le jardin illuminé par le soleil de midi, son coude est plié tandis qu’au bout de son bras, un téléphone retransmet un appel. Un léger sourire étire mes lèvres quand j’entends les cris de son interlocuteur, visiblement furieux.

             Livai ne pipe mot. Cela fait plaisir de le voir raser le mur, lui qui aime me prendre de haut.

             Ses muscles sont saillants sous la chemise blanche qu’il porte. Ses manches retroussées permettent de voir des avant-bras maculés de tatouages à l’effigie de ses différentes actions au sein des yakuzas. Mes quelques sources m’ont informé que le noireaud s’était quelque peu désolidarisé de sa famille, au cours des dernières années.

             Mais son lien à sa mère ainsi que le temps passé, élevé au sein du clan et dans les traditions de celui-ci, le pousse en rester loyal envers eux. Même si je devine chez lui une volonté de vivre une vie rangée, il n’est assurément pas du genre à investir dans des séances de laser pour oublier son passé.

             Il est fier de porter le nom Ackerman, que l’Oyabun soit la femme la plus importante de sa vie et qu’il ait pu honorer son clan.

             Alors je ne peux m’empêcher de sourire. Non pas par admiration pour cette loyauté que je trouve stupide, en réalité — il faut être sacrément siphonné pour porter des preuves de ses propres crimes sur ses bras et qui plus est les garder dans une vie de repenti. Mais plutôt car quelque chose d’intéressant est en train de se produire sous mes yeux.

             Les Ackerman ont des origines allemandes mais là est le seul métissage venant se mêler au sang japonais de yakuzas coulant dans leurs veines. Rien n’explique donc que Livai s’exprime à présent si respectueusement envers un interlocuteur coréen.

— Ça c’est de la trahison ou je ne m’y connais pas, je déclare dans un rire malicieux.

             L’interlocuteur du noiraud ne l’entendra pas, trop occupé à hurler. Livai, quant à lui, se retourne violemment. Ses yeux glacés se posent sur moi mais je n’y discerne étrangement aucune trace d’agacement.

             Au bout d’un certain temps, l’autre homme se tait et il murmure de sa voix grave, calme :

— 아니요. 아무도 그냐를 고하지 않았습니다... 거짓말 있습니다.

             Mon sang se fige dans mes veines. « Non. Personne ne l’a sauvée… Ils mentent. » La façon dont il m’a fixée avec ardeur est prononçant ces paroles n’est pas équivoque. Il parle de moi. Il est en train de faire croire à quelqu’un qu’il m’est arrivé quelque chose.

             Franchissant la distance entre nous, son regard se fait plus distrait. Il marche jusqu’à moi en analysant sans vraiment y songer mon visage. Ses pupilles observent les miennes avant de se poser sur mes lèvres.

             Je déglutis péniblement en le voyant s’approcher.

— 그냐에 보고 있었때 죽였습니다... 살을 수 없습니다, 사장님.

             Là-dessus, m’arrachant un spasme, les doigts de Livai se referment sur mon menton, l’attrapant. Le contact est brûlant et je ne songe même pas à réagir, abasourdie. Tandis que son interlocuteur répond de façon plus calme dans un charabia indistinct, je réalise ce qu’il vient de dire.

             « Je l’ai vue quand elle s’est fait tuer… Elle ne peut pas être vivante, chef. » Mon cœur bat à toute vitesse. Le noiraud a menti lorsqu’il a prétendu que leur employeur me voulait vivante. Celui-ci n’est visiblement pas du tout au courant que j’ai survécu à la vente d’œuvres de la dernière fois.

             Mes sourcils se froncent. Je ne connais qu’un seul criminel aux origines franco-coréennes qui pourrait avoir fomenter un plan tordu de la sorte et avoir pris sous ses ordres deux personnes susceptibles de le trahir.

— 제가 사람이 거짓 말하는 아닙니다, 사장님. 절대 못 합니다.

             Son pouce glisse soudain sur ma lèvre inférieure, la caressant avant d’en faire le contour dans un geste aussi sensuel qu’érotique. Il ne me regarde même pas, visiblement perdu dans ses pensées. Mais qu’est-ce qui lui prend ?

             Après avoir entendu les paroles de Livai — « Je ne suis pas la personne vous mentant, chef. Jamais je ne ferais une telle chose. » —, son interlocuteur semble visiblement apaisé. Contrairement à moi qui ne sait plus où donner de la tête.

             Entre les explicites propositions de Sieg, hier, et le comportement tout à fait anormal du noiraud à présent, je commence à me dire que l’eau de cette villa est empoisonnée.

— 네, 사장님. 당신의 신망위해 감사합니다.

             Ces quelques mots, où il remercie son « chef » pour sa confiance, clôturent l’appel. Livai raccroche avant de regarder encore quelques instants l’écran du téléphone, songeur. Sa main demeure sur mes lèvres, son pouce cette fois-ci arrêté à l’une de leurs commissures.

             Je déglutis péniblement avant d’attraper fermement son poignet. Là enfin, il lève les yeux sur moi.

— Je sais pas ce qui est le pire entre le fait que tu te permettes de me toucher ou celui que tu sois sous les ordres de Foucault, je gronde.

             Il hausse un sourcil.

— Perspicace, remarque-t-il.

— Mon pire ennemi est franco-coréen, je serais stupide de ne pas savoir parler français et coréen.

             Il acquiesce légèrement tandis que je relâche sa main. Nullement embarrassée par ses caresses, il recule de plusieurs pas pour pouvoir poser le téléphone sur la table basse. Je l’observe faire, désarçonnée.

             De toute évidence, Foucault retient quelqu’un qui lui est cher en otage. Alors il accepte de se plier à ses exigences. Mais pourquoi ne pas faire intervenir les yakuzas ? A moins que ceux-là ne doivent pas être mis au courant…

             L’otage n’est donc pas un yakuza. Mais à en juger pour son affection pour cette personne, il s’agit tout de même de quelqu’un à qui il tient.

             Une maitresse, sans doute.

— Tu es vraiment amnésique ? retentit soudain sa voix, me tirant de mes pensées.

             Debout devant une fenêtre, il me montre le dos. Mais je le devine, m’observant, grâce aux reflets dans la vitre.

— Oui, je réponds simplement. Je sais pas pourquoi j’étais là-bas, qui a placé cette bombe ni pourquoi ma fille…

             Ma voix meurt dans ma gorge. Je ne parviens même pas à terminer ma phrase. Il n’est pas dans mes habitudes de montrer mes émotions mais Lila demeure la plaie la plus profonde infligée à mon existence. Alors j’ai longuement préféré agir comme si elle n’existait pas ou même en faire le mythe d’une maitresse qui aurait été la raison de mon divorce.

             Juste histoire d’oublier qu’avant, je savais ce qu’était l’amour et que cela m’a brisée.

— Alors tu ne te souviens vraiment pas de moi ? lance-t-il.

             Mes sourcils se haussent. Sa posture est tendue et je devine qu’il appréhende ma réponse. La tête basse et les mains glissées dans ses poches, il me laisse voir quelques tatouages sur sa nuque.

             Je secoue la tête.

— Désolé, mon chou. Mais, non. Le choc m’a fait oublier pas mal de moments alors si jamais t’as fait affaire avec moi par le passé…

— Affaire ? répète-t-il dans un rire amer et sec.

             Prise au dépourvu, je reste silencieuse. Livai n’est pas du genre à montrer ses émotions. Mais, aujourd’hui, quelque chose a changé. Lui qui était encore si agacé par ma présence hier, ayant quitté brutalement la pièce quand j’ai mentionné mon enfant semble plutôt affecté, ce midi.

             Se retournant enfin vers moi, il me gratifie d’un regard où ne transparait aucune émotion. Mais il est trop tard pour lui. Je sais que ce sujet le touche.

— J’ai fait affaire avec toi et tu m’as séduit. Nous avons eu une aventure et Foucault t’a proposé une somme assez coquette pour que tu me balances à l’agent Sieg Jäger, lâche-t-il d’une voix cassante. Il t’a bien parlé d’un tuyau anonyme qui avait fait l’affaire de sa carrière quand il avait mis les yakuzas au trou ? T’as littéralement vendu ton cul et toute ta famille au mec qui cherche à te faire tuer maintenant.

             Il s’approche, menaçant, son regard dur me transperçant.

— Alors ? Ravie d’apprendre la vérité, salope ?

             Là-dessus, il quitte la pièce sans un mot. Hébétée, je fixe le sol de mes yeux écarquillés. Les révélations qu’il vient de me faire m’ont fait l’effet d’une claque. Brutales, sans aucun préambule, percutantes.

             Il n’a aucune once de considération pour ma personne. Mais, moi qui croyais encore, il y a quelques instants, que nous étions des inconnus vient d’apprendre que nous avons partagés le même lit.

             Un frisson parcourt ma colonne vertébrale. Là est l’élément que Sieg m’a caché, lorsqu’il m’a parlé de Félicie. Mais il m’a aussi dit que l’indic qui l’avait renseigné sur les Ackerman l’avait trahi par la suite, ce qui avait mené à la mort de sa collègue.

             Pour la première fois depuis longtemps, mes jambes se font flageolantes.

— Non…, je murmure.

             Me laissant choir sur le canapé, j’attrape ma tête entre mes mains.

             Félicie était jeune et ses parents ont dû l’enterrer. Je ne peux pas croire les paroles de Livai. Je ne peux pas être l’ordure responsable de son décès. Jamais je n’aurais pu commettre un tel acte. Aussi inhumaine ai-je pu devenir, le décès d’un enfant reste encore la seule chose capable de me marquer.

             Car je l’ai vécu. Et je n’en suis jamais entièrement revenue.

— Qu’est-ce que j’ai fait…, je murmure, ma respiration commençant à se faire sifflante.

             Mes doigts agrippent le canapé avec force tandis que j’essaye de contenir le torrent de douleur déferlant en moi. Mes paupières se pressent. Je ne veux plus rien voir ni penser. La souffrance est telle que mon crâne semble trop petit pour contenir mon esprit.

             Voilà des années que je ne m’étais pas retrouvée dans un tel état.

— Non, c’est pas possible…

             Ma poitrine semble éclater quand j’explose en sanglots. Ma main se plaque sur mes lèvres pour étouffer les bruits. L’image de parents apprenant la mort de leur jeune enfant fière de servir la population se matérialise dans mon esprit. Une larme coule.

             Le visage de Lila. La chaleur de son corps d’enfant dans mes bras. L’arme sur ma tempe en apprenant son décès. Les cicatrices sur mes bras lorsque j’ai cru ne plus pouvoir vivre après elle. La corde autour de mon cou dans la chambre d’hôpital. Mes pieds au bord du toit.

             Mikasa était mon infirmière, à l’époque. Elle m’a connue dans mes pires moments, m’a empêché d’en finir de multiples fois et je l’ai profondément détestée pour cela, à l’époque.

             Ai-je vraiment infligé de telles douleurs à d’autres ?

— J… Je suis tellement désolée…, je lâche dans le silence de la pièce.

             Mes sanglots sont trop bruyants. Je tente de les étouffer. Mais la douleur à laquelle je me suis soustraite durant des années semble vouloir me revenir en pleine figure, aujourd’hui.









             Et je tombe sur le sol, abattue par ma propre peine.



































             Les couloirs sont plongés dans l’obscurité de la nuit. Les dernières heures passées à pleurer ont apporté en moi un calme surprenant. Mon corps est comme anesthésié tandis que je marche jusqu’à la porte de bois brune d’une chambre.

             Fermement, je toque à plusieurs reprises. Plus tard, je m’en voudrais sans doute pour ce que je m’apprête à faire maintenant. Mais je n’y songe pas vraiment, là.

             Je sais juste que j’en ai besoin.

             La porte s’ouvre bientôt sur la silhouette de Sieg. Ses cheveux blonds brillent sous la lumière tamisée de sa lampe de bureau, au fond. Il ne porte qu’un jogging qui laisse voir son torse aux abdominaux finement travaillés.

             Il a retiré ses lunettes, sans doute pour reposer ses yeux quelques instants.

— Tout va bien ? demande-t-il. Il est tard…

             Mais je ne lui laisse même pas le temps de finir, tirant sur la ceinture en soie qui emprisonne le peignoir habillant mon corps. Là, le vêtement s’ouvre et dévoile la fine lingerie de dentelle onéreuse épousant mes courbes.

             Les yeux du blond s’écarquillent.













— La proposition tient toujours ?






















2044 mots

heeeeey

on y go, ça s'intensifie

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