𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐗𝐕𝐈𝐈
A R T D U
— C R I M E —
tw — picasso slander
LA FOULE S’EST dispersée, voguant à nouveau parmi les rayons. Quelques personnes me suivent du regard, encore saisies par mon numéro de tantôt. L’artiste, quant à lui, a déjà dû prendre la poudre d’escampette. Un sourire germe sur mes lèvres à cette idée.
Que croyait-il en osant prétendre connaitre le Corbeau Blanc. Pire encore, en me regardant droit dans les yeux et m’insultant ? Amusée par le souvenir de son regard s’écarquillant à l’instant où je l’ai menacé de mort, je fredonne.
Dans mon dos, Sieg a posé sa main.
— Que faisons-nous ici ? je demande. Je ne vois pas l’utilité d’assister au vernissage d’une de mes toiles. D’autant plus que je m’occupe de ça moi-même et jamais en public, généralement.
— Vernissage n’est qu’un mot élaboré pour dire guet-apens.
Je fronce les sourcils.
— Il serait peut-être tant que vous ouvriez un dictionnaire.
Lâchant un faible rire, il fait mine de s’arrêter pour admirer une croûte réalisée par un faussaire très peu talentueux. L’un de mes sourcils se hausse face à la toile :
— Pitié, Picasso était déjà médiocre, pas besoin d’en plus en rajouter en reproduisant ça aussi mal.
Quelques regards noirs me sont lancés sans que je n’y prête attention. Le culte des artistes m’irrite considérablement et est sans nul doute l’une des raisons qui m’ont poussée à abandonner la facette ensoleillée et légale du milieu de l’art pour me tourner vers celui des faussaires où nul débat inutile n’est fait, seulement des échanges de billets.
Toutes les formes d’art ont des pointures, des noms qui sont censés imposer le respect. La littérature de Victor Hugo, le cinéma d’un Alfred Hitchcock ou, ici, les toiles d’un Picasso. Et rien ne m’agace plus que la sacralisation autour de ces noms. Nul ne peut rien dire. L’art brandi comme un outil d’expression, un instrument ayant bravé des guerres pour permettre aux opprimés de prendre la parole est, dans ce cas précis, un nouveau moyen de faire taire les autres.
Picasso était mauvais. Je ne m’exprime non pas en tant que femme connaissant ses travers mais bien en tant que peintre observant sa technique. Il n’était pas adroit ni même un tant soi peu talentueux. Ce que les « intellectuels » lui reconnaissent n’est que son inventivité. Or cela non plus ne peut pas lui être céder.
Bien des artistes se sont démarqués en faisant du « neuf », de « l’original ». Mais de la merde reste de la merde. En faire sous de nouvelles formes n’est pas être un virtuose, juste des éternels chieurs. Littéralement.
— Tiens alors, je n’aurais jamais cru ça de vous ! s’exclame le blond, à ma droite. Vous avez peint tellement de ses toiles !
— Il y a des abrutis pour aimer et acheter donc évidemment que je l’ai fait. Mais ce mec était aussi pourri en tant qu’homme qu’en tant que peintre.
Devant moi, une femme aux cheveux tirés en un chignon plaqué se retourne vivement, visiblement outrée. Je l’observe faire, un sourcil haussé. Sa bouche s’ouvre et je devine à son expression faciale qu’elle s’apprête à protester.
Mais je n’ai pas le temps pour cela.
Alors, plaçant ma main sous son menton, je ferme sa mâchoire et donc ses lèvres, la faisant taire, puis tourne les talons. Médusée, elle ne réagit même pas. Quant à moi, toujours accompagnée du blond qui ne me lâche pas d’une semelle, je m’écarte.
Ne lui laissant le temps de faire un commentaire, je reviens sur notre précédent sujet de conversation :
— Un guet-apens ? Qu’entendez-vous par là ?
— Nous avons un de vos Cauchemars de Füssli. Une bande de criminels s’en prend aux détenteurs des copies de cette œuvre. Nous savons donc que l’Annuaire Rouge se cache dedans. Ainsi, après avoir retrouvé le nom d’un des membres, nous avons organisé cette petite sauterie.
Mes sourcils se froncent. Je sens que je ne vais pas apprécier la suite des évènements. D’autant plus que le sourire du blond me fait encore plus froid dans le dos qu’à l’accoutumée. Et, surtout, sa façon de formuler sa phrase ne laisse pas place au doute.
Là où n’importe qui aurait dit « l’une d’entre elles » lui a simplement utilisé le terme « dedans » comme s’il savait que l’Annuaire ne se trouve en réalité pas caché dans un endroit mais dispersé sur mes vingt-cinq copies.
Mon sang se fige dans mes veines.
— Au cours des dernières années, Armin a subtilisé six toiles, Livai, huit, moi, neuf et ce groupe, deux. Ce soir, nous nous réunirons afin de trouver enfin ce qu’elles cachent depuis le début.
Un frisson me parcourt. Sa main sur mon dos se fait plus pressante, comme s’il était impatient de me précipiter vers mon funeste destin. Les visiteurs semblent toujours aussi détendus, admirant les œuvres autour d’eux. Ils ne savent visiblement pas ce qu’il se passe.
La plupart des personnes ici ne font que déambuler entre ces croutes, songeant à en acheter pour les revendre à un prix exorbitant et excités à l’idée d’apercevoir une œuvre du Corbeau Blanc. Nul ne soupçonne que ce dernier se trouve ici, et en de très mauvaises mains.
— Et le « guet-apens » je suppose qu’il piège…
— Vous, en effet.
La voix de Sieg est ferme, plus aucune moquerie ne s’entend. Aussitôt, je tourne la tête pour regarder autour de moi. Quelques regards me suivent, à proximité des murs. Des hommes bâtis comme des armoires à glace et tous habillés du même costume noir qui ne s’intéressent pas aux œuvres.
Ils sont là pour veiller à ce que je ne m’enfuis pas.
— Quand vous avez dit que je ne retournerai pas dans ce palais, tout à l’heure, c’est parce que vous me tuerez ce soir ? je demande dans un calme olympien.
Un rire narquois franchit ses lèvres et, saisissant mon menton, il fait brutalement tourner ma tête en sa direction. Son nez frôle le mien et son rictus devient narquois, me charriant.
— Tout dépendra de vous, princesse.
— Allez-vous faire foutre, je grogne entre mes dents, furieuse.
Ses yeux louchent rapidement sur ma bouche et, se penchant davantage sur moi, il murmure :
— Vous savez que vous vous êtes sexy quand vous êtes en colère ?
Un soupir franchit mes lèvres et je lutte contre l’envie d’écraser ma main sur sa joue. Mais il se contente de me faire un clin d’œil et, appuyant à nouveau sur mon dos, m’invite à le suivre.
— Passons aux choses sérieuses.
ꕥ
Les mains liées dans le dos, je les observe faire, muette. Cela doit faire une heure maintenant qu’ils m’ont menée à l’une des portes qui bordait le vaste hall et donnait sur un escalier. Celui-ci s’est enfoncé sous terre avant de m’emmener à cette pièce.
Les murs décrépis semblent avoir été faits dans du ciment. Un peu partout, des poutres sont visibles. Une chaise a été posée devant l’une d’entre elles à laquelle je suis attachée. Et, me faisant face, vingt-cinq chevalet où se trouve la même toile. Répétée.
Le Cauchemar de Füssli.
— Messieurs, ce fut un honneur de faire affaire avec vous, lâche Sieg à l’intention de ses interlocuteurs.
Debout dans son costume trois-pièces gris et sa cravate rouge, il fume une cigarette tout en promenant une loupe sur l’un des tableaux. Cela a pris du temps et un grand soin mais la dizaine d’hommes composant ses nouveaux partenaires ont finalement amené toutes mes œuvres ici.
Et, depuis quelques dizaines de minutes, ils les analysent avec soin.
Seul Sieg et un autre homme sont visibles. Les autres portent des cagoules noires comme le restant de leur tenue. Celui que je devine être leur chef a fait de même mais, ôtant le tissu qui dissimulait son visage, me laisse à présent voire ses cheveux courts blonds affublant son visage carré.
Il est épais. Cela ne me surprend guère pour un mercenaire. Mais le sigle tatoué sur son front, lui, attire mon regard.
— Je croyais que vous vouliez tuer Foucault, je lance haut et fort.
Jäger suspend ses gestes et son nouvel associé fait de même. Auparavant dos à moi, il tourne simplement la tête et me lance un regard par-dessus son épaule avant de s’arrêter sur l’autre homme. Ce dernier, sa loupe toujours figée dans la main, ne semble pas s’en émouvoir.
— Et ? me demande-t-il même sans nier mon accusation.
— Le tatouage de crâne sur la roue que porte monsieur ici présent est l’emblème de son organisation, je fais remarquer.
— Et alors ? C’est Foucault que je veux tuer, pas ses hommes, souligne Sieg.
A mon grand étonnement, l’autre ne tique même pas. Cela est louche. Son nouvel associé menace de tuer son patron et pas lui ni ses hommes ne s’en émeuvent ? Un sourire me prend. Mais bien sûr… Cela est tellement évident.
— Vous cherchez l’Annuaire parce que vous êtes tous des agents fédéraux, n’est-ce pas ? Et je parie que vos noms sont dedans. Ce serait con de griller vos couvertures.
Là, quelques-unes des silhouettes encapuchonnées se figent. J’ai vu juste. Mais Sieg penche la tête sur le côté.
— Je ne suis pas sûr qu’on puisse les considérer comme des agents fédéraux… Je veux dire, je suis du FBI mais eux…
— CIA, je le coupe. J’en conclus que vous êtes Reiner ?
Tous s’échangent des regards alarmés, saisis par le fait que j’ai pu deviner si facilement une telle chose. Mais je n’étais pas sans savoir qu’un dénommé Reiner, agent de la CIA, avait infiltré l’organisation de Foucault.
Seulement je n’avais aucune idée de ce à quoi il ressemblait car je m’en fichais éperdument.
Reiner, le visage fermé ne trahissant aucune de ses émotions, se contente de se tourner vers le premier tableau qu’il croise et de lancer :
— Comment l’Annuaire peut être dedans ? Faut le démonter pour trouver une page ? demande-t-il.
Mais Sieg secoue la tête.
— Espèce de monstre, tu veux détruire un tel travail ? s’indigne-t-il. Non, la lumière violette que vous avez vu dans le hall… J’ai mis des lampes de poche aux mêmes ampoules dans ce sac.
Du menton, il désigne un sac de sport noir laissé aux pieds d’une des poutres de ciment.
— Une source sûre m’a dit qu’il avait vu sa femme travailler la même toile, encore et encore, dans une pièce fermée seulement éclairée d’une lumière violette. A vrai dire ce n’était pas la même toile mais vingt-cinq répliques de celle-ci.
Ma mâchoire se contracte. Armin. Cette enflure me le paiera.
— Allez chercher une lampe et regardez chacun une toile.
Tous s’exécutent. Je les regarde faire, les mains liées dans le dos, impuissante. Sieg, excité comme une puce à l’idée de mettre enfin la main sur un trésor cherché par bien des personnes, me fait un clin d’œil.
Je serre les dents à cette vision.
Bientôt, le silence revient. Durant plusieurs minutes, tous se contentent d’observer les toiles minutieusement, attentif au moindre détail. Mais je sais pertinemment que je n’ai pas de quoi m’en réjouir. Ils finiront par trouver. J’en ai conscience.
Au moment où cette idée me traverse, une voix perce le silence :
— Là, sur le rideau, il y a une lettre. C’est un « V ».
Sieg, les bras croisés et appuyé sur l’une des poutres, fronce les sourcils.
— Un « V » ? répète-t-il avant que ses yeux ne s’écarquillent. Mais oui, notre chère et tendre ici présente aime les énigmes. Il doit y avoir une lettre par toile et le tout forme une phrase ou un prénom.
Frappant dans ses mains, il émet un bruit sec qui cingle mes oreilles.
— J’ai un logiciel d’anagramme, trouvez les lettres et je les inscris dedans.
Là-dessus, il se dirige à nouveau vers le sac de sport et s’y accroupit. Puis, ôtant son ordinateur, il m’adresse un clin d’œil provocateur. Mon sang ne fait qu’un tour. L’envie de le tuer me démange.
Pianotant sur son ordinateur, il ne faut pas longtemps avant que les lettres de mettent à fuser.
— « B », monsieur !
— « I » ici !
— Ici aussi j’ai un « i » !
— « A » !
— « E » !
— « J » !
Je ne peux qu’observer la scène, impuissante.
— « U » !
— « U » aussi !
— Là aussi !
— Ajoutez en un quatrième !
— Non, mettez cinq « U » !
Mes mains me démangent.
— « T » !
— « O » !
— « S » !
Sieg éclate de rire, visiblement grisé par ce qui est en train de se passer. Sous peu, il découvrira l’endroit où se trouve l’Annuaire Rouge, le détruira et mettra en sécurité tous les agents sous couvertures inscrits dedans. Mon empire sera détruit, il me tuera et fera enfermer Foucault.
Le coup de maitre de sa carrière.
— « E » !
— « O » !
— « R » !
— « S » !
— OUI, OUI, OUI ! hurle-t-il, grisé.
Ma mâchoire se contracte.
— « N » !
— « E » !
— « D » !
Mon cœur bat avec ferveur dans ma poitrine. Plus que deux lettres et le mystère derrière mes toiles sera levé.
— « L » !
Le temps semble se suspendre.
— « C » !
Le doigt de Sieg frappe sur la dernière touche avant de valider l’opération. Quelques instants s’écoulent, tous retiennent leur souffle, prêt à savourer la victoire. Reiner me regarde brièvement, une lueur allumant ses yeux.
Un signal sonore retentit. Le logiciel a exécuté l’anagramme. Les prunelles illuminées, le blond observe l’écran. Mais à l’instant même où il y lit la phrase, ses traits s’affaissent. Il me jette alors un coup d’œil et voit le sourire étirant mes lèvres.
Sombre. Vicieux.
A qui croyait-il avoir à faire ?
L’habituel Sieg Jäger, toujours de bonne humeur, rieur et moqueur fond brutalement. Dans un cri de rage, il se rue sur moi, franchissant les mètres nous séparant en sortant son arme. Un rire me prend à cette vision. Il colle le canon de son pistolet sur mon front, si violemment que le coup me sonne quelques instants.
Mais je reprends vite conscience et, levant la tête pour le voir, affrontant son regard vorace derrière ses lunettes dorées, je ne peux m’empêcher de savourer ce que j’y lis.
Une intense et profonde détresse.
— Que se passe-t-il ? siffle l’un des hommes encapuchonnés. Il y a écrit quoi ?
Reiner, comprenant à la peau rouge du blond, ses tremblements et la force avec laquelle il appuie sur le pistolet posé sur ma tête qu’il ne pourra rien en tirer, se déplace jusqu’à l’ordinateur. Et, serrant les poings, lâche simplement :
— « Je vous ai bien eu, trous du cul. »
Les tremblements de rage de mon interlocuteur se font plus violents encore lorsqu’il entend la phrase prononcée à haute voix. Ses boucles blondes n’apaisent plus son joli visage et une veine palpite sur son front.
Alors, susurrant du bout des lèvres, je lâche :
— Vous savez que vous êtes sexy quand vous êtes en colère ?
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provocation 10/10
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