𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐗𝐕𝐈𝐈𝐈









A    R    T       D    U
—      C      R      I      M      E      —



























             LES MAINS DANS LE DOS, je suis immobile depuis plusieurs heures maintenant. Les hommes de Reiner ont déserté le sous-sol, laissant Sieg m’interroger seul au début. Puis, Livai l’a rejoint. Les hurlements du blond se sont alors tus, il a repris un peu plus de contenance.

             Je vois distinctement sa colère. Mais il ne pose plus sa main sur ma gorge, menaçant. Il se contente de croiser les bras, faisant ressortir ses biceps moulés dans sa chemise. A sa droite, une main dans une poche et l’autre tenant une cigarette électronique, Livai me fixe de ses hématites intenses.

             Son regard me perce tandis qu’entrouvrant les lèvres, il laisse filer une dense fumée.

— Tu aimes jouer avec le feu, fait-il remarquer.

— Mon cher Livai, vous n’êtes pas aussi dangereux que vous voulez bien le croire, je rétorque dans un sourire vil. En revanche continuez à me tutoyer et vous verrez ce qu’est le danger.

             Là-dessus, un faible rictus moqueur étire ses lippes.

— Vous vous croyez réellement en position de me sous-estimer, Ackerman ? je lance en jetant un coup d’œil à l’ordinateur laissé sur le sol.

— A ce que je sache, vous êtes celle enchainée. J’ai personnellement tout mon temps…

             Se levant, il franchit la distance entre moi et sa précédente position d’un pas fluide, léger et décontracté. Puis, se posant devant moi, il saisit délicatement mon menton. Sa prise change de la poigne bien plus ferme de Sieg. Doucement mais sûrement, il lève mon visage.

             Mes yeux se posent alors dans les siens.

— Comment avez-vous su que nous trouverions les Cauchemars ? Que vous nous penserions que l’Annuaire se trouverait deda, mais sa voix meurt dans sa gorge lorsqu’il réalise en écarquillant les yeux, …Armin.

             Au loin, Sieg se tend. Par-dessus son épaule, il me jette un regard.

— Là est votre plus grande erreur, je sourie faiblement. Penser que je pourrais faire confiance à qui que ce soit. Même l’homme avec qui j’ai couché durant des années.

             Les yeux du noiraud sont écarquillés. Assurément, il a sous-estimé la marque de ma colère et de ma rancœur. Lui qui croyait que seul Armin pouvait se méfier de moi, que l’inverse n’arriverait jamais est soudain pris au dépourvu.

             J’ai inspiré l’odeur se dégageant du creux de son épaule, j’ai hurlé les yeux fermés en sentant l’orgasme grimper en moi, j’ai passé des nuits dans ses bras, je l’ai embrassé à pleine bouche… Mais jamais je n’ai oublié.

             Et jamais je n’oublierai.

— Lila…, réalise-t-il à mi-voix.

             Le blond, au loin, ne pipe mot, nous observant les sourcils légèrement froncés.

— Oui, Lila, je grogne, les dents serrées.

             Ces deux simples syllabes font naitre en moi un torrent de haine. Une chaleur dense prend possession de mon corps, mon regard se durcit sans que je ne le lâche des yeux.

— Tu croyais sérieusement que j’allais pouvoir faire confiance à Armin après ce qu’il a fait ? Après elle ? je crache, mes sourcils se fronçant.

— Tu as toujours donné l’impression que ça ne t’avait pas marqué.

             Sa voix est douce, précautionneuse contrairement à la mienne qui se fait hargneuse, animale et presque vorace. Je ne contrôle mes mouvements, tiraillant sur les chaines joignant mes mains dans le dos. Le mouvement de mes lèvres laisse voir mes dents.

             Tel un prédateur s’apprêtant à fondre sur sa proie.

— Que ça ne m’avait pas marquée !? Et qui suis-je !? Un monstre !? Un être dénué de sentiments ? je m’exclame. ET TOI, QUI ES-TU POUR OSER INVENTER MES SENTIMENTS !?

             Ses yeux se figent. Mes muscles me font de même. Là, à l’instant sur ma joue, une étrange sensation m’a prise. Humide et fraiche, presque inconnue tant cela fait longtemps qu’elle ne m’est pas apparue.

             Une larme.

             Je suis en train de pleurer.

             Quelques secondes durant, il m’accorde une trêve. Laissant tomber mon visage sur ma poitrine et reculant de quelques pas, il prend de profondes inspirations. Le visage aussi inexpressif qu’à l’accoutumée, je devine pourtant à la pause qu’il marque dans son interrogatoire qu’il est décontenancé.

             Une de mes larmes s’écrase sur le sol bétonné.

— Tu étais là-bas, n’est-ce pas ? je demande sous le regard confus de Sieg.

             Livai lève les yeux vers moi mais ne répond pas, inexpressif.

— Quand Lila est morte, tu y étais et tu m’as vue. C’est de là que tu me connais, hein ? je lâche en écarquillant les yeux, sentant la colère se muer en une douce folie. Tu y as rencontré Armin et il t’a convaincu de me trahir ! Pas vrai !?

             Il demeure silencieux. Car nous savons tous les deux que je dis vrai.

— TU CROIS QUE JE L’AI TUÉE !? ELLE ETAIT L’AMOUR DE MA VIE ET COMPTAIT BIEN PLUS QU’ARMIN A MES YEUX ! JE L’AURAIS ASSASSINE HUIT FOIS POUR LA FAIRE REVENIR ! MAIS TU CROIS QUE JE L’AI TUEE ET C’EST POUR CA QUE TU ME HAIS TANT ! PARCE QUE TU ME PRENDS POUR UN MONSTRE !

             Ma respiration se fait sporadique.

— DIS-LE, ACKERMAN ! je rugis. TU ME CROIS RESPONSABLE DES TOUTES LES MORTS DE CETTE NUIT-LÀ, ELLE COMPRIT !

             Il ne répond toujours pas. Sieg, de son côté, assiste, médusé, à mon explosion. Jamais je n’avais montré auparavant de sentiments autre que le dédain et le sarcasme. Mais aujourd’hui, la chaleur de la colère a fait fondre mon masque.

             Le Corbeau Blanc n’est plus. Je suis (T/P) (T/N).

             La femme que j’étais avant cette soirée fatidique.

— Que tu le veuilles ou non…, commence-t-il prudemment, tu as ta part de responsabilité dans ce qu’il s’est produit.

             Mes épaules tremblent. Des larmes dévalent mes joues et je secoue la tête. Non. Rien n’a de sens et la justice n’est plus. Je refuse de rester ainsi tandis qu’on place le poids d’un tel drame sur mes épaules. Je ne suis pas coupable. Pas plus qu’Armin.

             Pas moins.

— Tu n’as pas posé cette bombe mais si tu n’avais pas joué avec le feu, jamais le gang de Foucault n’aurait mis les explosifs, explique-t-il d’une voix rêche, comme si parler lui coûtait bien des efforts.

             Les yeux écarquillés, je ne peux que fixer le sol. Auparavant, nul n’a jamais osé formuler ces mots. Au sein de mon organisation, soit mes subalternes ne me connaissent pas, soit ils baisent mes pieds. Nul ne se permet de me tenir tête.

             Tout comme nul n’a un jour prononcé de telles paroles à mon encontre.

— De ma faute ? je répète, ma voix rendue tremblante par les sanglots. Tu dis que tout cela est de ma faute ?

             Au fond, Sieg remue enfin, ses sourcils se fronçant à nouveau au-dessus de ses lunettes. Toute trace de colère a disparu, il s’avance de quelques pas, glissant une cigarette entre ses lèvres qu’il allume d’une simple flamme.

             Puis, après avoir inspiré une bouffée, il lâche d’une voix nasale à cause de la fumée :

— Est-ce que quelqu’un pourrait bien avoir la gentillesse de m’expliquer ce qu’il se passe ? Vous êtes bien gentil à jouer les dramatiques mais je préfère saisir de quoi on parle avant de prononcer un mot de plus.

             Je ne réponds pas. Ma tête est lourde sur ma poitrine et je respire difficilement. Les mains jointes dans le dos, je ne trouve de toute façon même pas la force de lever les yeux. La douleur de cette nuit-là m’est revenue, assourdissante.

             Durant trop longtemps, j’ai tenté de faire abstraction de mes souvenirs et sentiments. Aujourd’hui que j’affronte ce que j’ai dissimulé durant des années, le coup est des plus violents.

— Il y a trois ans, lance Livai, une vente d’arme a été organisée entre les Foucault et les Ackerman. Les deux gangs étaient présents ainsi qu’une petite fouineuse et ses compagnons.

             Je devine à sa prosodie qu’il a vivement serré les dents sur les derniers mots. Voir le noiraud afficher si promptement des marques de colère est chose rare. Cela prouve combien il m’en veut, quelle est l’ardeur du ressentiment qu’il nourrit à mon égard.

— Une explosion a eu lieu là-bas. Madame ici présente a toujours accusé Foucault d’en être responsable et Foucault, elle. (T/P), Lila et Armin se trouvaient sur les lieux. Lila est morte. Mon père aussi.

— Qu’est-ce que tu faisais sur les lieux ? me lance Sieg tandis que, les paupières lourdes, je ne parviens à relever la tête.

             La langue de Livai claque dans son palais et il lance :

— Ça, c’est la question à un million de dollar. On a jamais compris ce qu’elle était venu chercher. Peut-être voulait-elle faire quelques photos de la vente d’arme ? Ou voulait-elle voler l’Annuaire Rouge à Foucault, qui l’avait à l’époque ?

             Ma respiration se fait sifflante mais je trouve la force d’ouvrir la bouche, lançant abruptement :

— Et pourquoi aurais-je emmené Lila là-bas, hein ?

— Facile ! s’exclame Sieg. Tu poses la bombe, la petite-amie de ton mec meurt ainsi que Foucault et tu récupères l’Annuaire. Tu voulais même sans doute aussi exécuter Armin mais bon… On peut pas tout avoir !

             Son ton est guilleret. Trop guilleret.

             Les frissons parcourant mon échine en entendant l’oisiveté de sa voix me poussent à me redresser brutalement. Ce geste fait cingler mes chaines et les deux hommes me regardent attentivement, à l’autre bout du sous-sol. Les bras croisés sur leur poitrine, ils restent silencieux.

             Je dois faire bien peine à voir, attachée comme une chienne, éreintée par mes propres émotions, les muscles engourdis parce que je devine être de la drogue qu’ils ont dû glissé dans mon repas du soir mais je n’en ai que faire. Pour la première fois depuis trois ans, mes pensées ne sont pas à l’image que je renvoie.

             Qu’importe s’ils n’ont pas peur. Qu’importe s’ils me trouvent laide. Qu’importe s’ils se moquent.

— Tu comprends vraiment rien, boucle d’or, je crache en lui adressant un regard noir.

             Celui-ci hausse un sourcil, visiblement diverti par le spectacle que je lui offre.

— Lila n’était pas la petite-amie de mon mec, je grogne, mes veines palpitants et mes bras tirant sur mes chaines pour me délivrer.

— Ah oui ? C’était la tienne ? Je te pensais plus du genre puit que ciseau mais le tableau est assez agréable à imaginer, commente-t-il en m’adressant un clin d’œil.

             Derrière lui, Livai baisse les yeux. Les mains glissées dans ses poches, il ne dit rien, ne met pas fin à ce quiproquo. Je ne sais trop si cela est dû à sa gêne ou à une envie de me torturer en me forçant à formuler moi-même la vérité.

             Mais ce qui est sûr est qu’en ce moment précis, je n’aspire qu’à les égorger. Eux deux.

— Lila…, je lâche d’une voix tremblante de rage est désespoir.

             Une larme coule sur ma joue tandis que je réalise les mots que je m’apprête à prononcer, ceux que je me suis efforcée de taire au cours des trois dernières années, le visage féminin que j’ai entrepris d’oublier, jusqu’à renié mon lien avec ce prénom.

             Mais je ne peux plus, à présent. Le passé me rattrape.

— Lila était ma fille.

             Dans mon ventre, une éclosion.

             Trois années à me taire, laisser les fleurs du mal jaillirent en moi sans ne jamais déployer leur pétale, tant de mois écoulés à m’efforcer d’oublier, des semaines entières à agir avec Armin comme si cette tragédie ne nous avait pas poussés au divorce… Tant de retenue qui éclate en un seul instant.

             Les yeux écarquillés, je me tais durant de longs instants, peinant à réaliser ce que je viens de dire, à accepter que je l’aie formulé à haute voix.

             Mais quand mes iris se posent sur Sieg, que je croise son regard atterré, j’en prends définitivement conscience. Son visage a oublié toute forme de moquerie. Celui de Livai est baissé en signe de recueillement tandis que le sien est tiré en une moue surprise.

             Quelques secondes passent sans que nul ne pipe mot. Puis, lentement, le blond franchit les pas nous séparant avant de poser une main ferme sur mon épaule. Celle-ci est chaude, compatissante, tout à fait différente de tous les contacts que nous avons eu jusqu’à présent.

             Il ne dit rien. Nous n’avons besoin du moindre mot. Nous savons. Les différends nous opposant sont conséquents mais il reconnait ma douleur.

             Et, bien que cela lui coûte, me montre sa compassion.

             A ce geste, mes muscles se détendent. Un contact, simple, bref. Mais il s’agit-là du premier geste de réconfort que l’on m’ait montré depuis la tragédie. Les regards douloureux d’Armin ou paroles accusatrices ne sont rien face à cette main amicale.

             La tête relevée, je pose sur eux un regard déterminé :

— Je ne veux plus être votre otage, faite de moi votre complice. Vous traquez les personnes derrière cela, je veux en être. Et même si tu crois, Livai, que je suis la personne en question, je te prouverai que non.

             La main de Sieg me quitte et il échange un regard avec le noiraud. Leur expression est indéchiffrable, froide. Mais je devine qu’ils pèsent précautionneusement ma proposition. Après tout, garder le Corbeau Blanc dans leur équipe pourrait s’avérer être un atout extrêmement convaincant.

             Quelques instants s’écoulent sans qu’ils ne daignent répondre. Alors j’insiste :

— Laissez-moi venger la mort de ma fille.

             Ma voix parait plus autoritaire que je ne l’aurais cru. Qu’importe. Car quand ils l’entendent, leur réaction est immédiate.











             Synchrones, ils acquiescent simplement.
























2240 mots

hey ! on arrive bientôt
au vingtième chapitre
de cette FF et j'ai
conscience que ça
traîne en longueur

les choses vont
nettement s'intensifier
avec la collaboration

:)

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top