Chapitre 5
Mes yeux se portent sur celui qui vient de parler. Barbu, les cheveux cendrés, un sourire moqueur s'étire sur ses lèvres alors qu'il dévisage Bianca avec curiosité. Il porte un veston royal bleu serti de médailles qui contraste avec son pantalon blanc. Ses bottes remontent jusqu'à ses genoux. Aucun doute : il s'agit du prince héritier de Calington.
Il saisit la main de Bianca sans qu'elle ne le lui en ait donné la permission, et dépose un frêle baiser assorti d'un sourire charmeur. C'est plus fort que moi, je lève les yeux au ciel.
C'est d'un ridicule. Si Rewind débarque, ce type risque de faire un petit séjour en soins intensifs.
Il reporte alors son attention sur moi, et se présente à nous :
— Bendy, prince héritier du royaume de Calington pour vous servir, Mesdemoiselles.
Je garde soigneusement mes mains dans mon dos pour éviter tout contact avec cet homme.
Mamie s'exclame à ce moment :
— Toujours à en faire des caisses ! C'est déplorable !
Bendy se froisse et observe sa grand-mère en haussant un sourcil.
— Et je vois que tu es toujours aussi folle, réplique-t-il d'un ton cinglant.
— Tu veux savoir un secret ? Tu as toujours été le favori de mes pires petits-enfants.
Et elle éclate de rire en se détournant de nous. Je crois bien qu'elle nous souhaite bon courage avant de prendre la direction opposée aux deux princes. Kereya, elle, rejette sa chevelure en arrière avant de suivre les pas de Mamie.
Je pousse un soupir en revenant au prince. Le second homme se décale alors de Bendy et ses yeux se posent directement sur moi.
Nos regards se croisent, et s'accrochent. Je fronce les sourcils sans le vouloir. Il me détaille, alors j'en fais autant. Contrairement à Bendy, il n'est pas vêtu de vêtements royaux. Il porte un long manteau noir élégant qui va avec ses boucles brunes. Les mains dans les poches, il ne se gêne pas pour me dévisager ouvertement.
J'ai envie de partir. Je ne sais pas pourquoi mais quelque chose en lui me perturbe. Peut-être est-ce la façon dont ses yeux brillent, ou bien même cette expression neutre qu'il arbore au visage.
Quoiqu'il en soit, je vais pour me détourner, mais Bendy s'approche de Bianca en lui souriant de toutes ses dents.
— Et vous êtes, ma jolie ?
Elle n'a pas le temps de répondre. Un bras masculin s'enroule autour de sa taille et une voix forte résonne dans notre dos :
— Bianca, mon épouse et reine d'Imir par conséquent. Ça fait longtemps, Ben. La dernière fois qu'on s'est vus, je t'enfonçais mon poing dans la figure. Tu veux réitérer le coup ?
Bendy se fige en apercevant Rewind. Celui-ci le fixe d'un air narquois. Il ne ferait jamais le poids face à la montagne de muscles qu'incarne Rewind. Alors pour détendre l'atmosphère, il se tourne vers moi, peut-être dans l'optique de tenter le coup.
Mais je ne veux pas supporter ce grossier personnage. Je glisse quelques mots à Bianca :
— Je m'éclipse, on se verra au repas de ce soir.
— Ta domestique te montrera ta chambre.
Je lui souris avant de m'éloigner d'eux. C'est impoli, je le sais bien, mais l'inconnu me fait peur en quelque sorte. Sentir ces regards, je n'en ai pas l'habitude.
J'ai toujours été invisible, celle admirant dans l'ombre la réussite de ses proches. J'ai été envieuse des vies de Bianca et d'Eileen mais j'ai toujours su rester à ma place. Aujourd'hui, j'ai enfin accepté ce chemin.
J'avance dans les couloirs jusqu'à disparaître au bout d'une allée. Je ralentis devant une fenêtre. Il pleut et les gouttes d'eau viennent s'abattre contre la vitre. Au loin, j'entends des mélodies de violon. Julio est déjà en train de jouer. Je pourrais l'écouter pendant des heures.
Je laisse mon regard traverser la vitre. J'ignore pourquoi, mais j'ai le sentiment d'être dépassée par ma tristesse. Je ne sais pas d'où elle me sort, ni ce que j'ai fait pour l'accumuler en moi, mais les choses ne vont pas en s'arrangeant.
Ce sont des pas dans le couloirs qui me font revenir sur terre. Je me retourne et mon cœur s'agite lourdement dans ma poitrine. Le prince s'avance vers moi, toujours les mains dans les poches.
Il se poste à côté de moi alors que je reporte de nouveau mon attention sur la pluie. Un silence s'écoule. Il ne dit rien. Et moi non plus.
Il finit par briser le silence :
— Nous n'avons pas été présentés, il me semble.
Je tourne la tête vers lui. Sa voix se répercute dans ma tête comme une douce mélodie. Il dégage quelque chose. J'ignore quoi, mais je le perçois.
Il m'observe avec attention, presque avec minutie. Personne n'avait jamais fait ça avant lui. Les joues rouge, je détourne le regard.
— Je m'appelle Eros.
Au simple fait d'entendre son nom, mon cœur s'emballe de nouveau.
Il va bien falloir que j'ouvre la bouche un jour ou l'autre. Je lève les yeux vers lui. Il n'a pas cessé une seconde de me dévisager.
— Arynn. Je suis la sœur d'Ander, vous savez, le roi de...
— Lucrenda, oui, j'en ai entendu parler.
Il porte son regard à travers la fenêtre, l'air formel. Il se tourne alors vers moi et moi, je me rends compte que je n'ai rien à lui dire.
On idéalise toujours trop souvent les premières rencontres avec les gens. Peut-être est-ce le feeling qui ne passe pas avec ce cher Eros, mais il me prend au dépourvu. Et les silences entre nous sont d'autant plus gênants.
Il ouvre la bouche pour parler quand un cri résonne dans le couloir.
— Mamie, repose tout de suite ce chalumeau !
Je fais volte-face pour voir Mamie surgir avec, effectivement, un chalumeau dans les mains, un air diabolique au visage.
Rewind lui court après, l'air paniqué et Mamie s'exclame :
— Je vais lui faire bouffer ses laitues fraîchement plantées à cette vieille chèvre !
J'éclate de rire et je sens le regard d'Eros sur moi mais c'est plus fort que moi. La situation est comique, beaucoup trop cocasse pour paraître réelle.
Mamie s'approche de nous et poursuit :
— Arynn, viens ma petite, que je te montre un peu le désastre que la mère de cet énergumène a commis dans mes jardins !
Elle me prend par le poignet avant de fusiller du regard Eros qui hausse un sourcil. Il nous suit alors que nous traversons les couloirs pour sortir sous la pluie battante.
Mamie nous emmène dans les jardins, et je retiens un rire en voyant le spectacle devant moi. Des dizaines de rangées de laitues plantées dans la terre fraîche, m'observant presque du coin de l'œil.
— Mes champs de coquelicots ! Disparus ! Envolés ! Ils étaient si jolis... Assassinés par cette sorcière !
Elle frappe le sol de sa canne en poussant des plaintes. Puis elle la laisse tomber au sol avant d'allumer son chalumeau. Rewind hurle comme une fillette dans son dos et moi, je ris tellement que j'en ai mal au ventre.
— Mamie, tu ne vas pas mettre le feu quand même !
— Ce jardin de maudites salades ne sera bientôt plus qu'un tas de poussières ! ricane-t-elle en s'avançant.
Et c'est pile à ce moment-là que Kereya débarque. C'est quand je la revois maintenant que je réalise la ressemblance avec Eros. Ils ont tous les deux le menton pointu, le nez droit et les cheveux de même couleur. Un brun chocolat, presque noir.
— Les laitues aident à avoir une belle peau, je me suis permise de faire planter mes propres variétés de légumes. Ne vous en déplaise, ma chère et tendre belle-mère.
— Je vais te carboniser la peau, espèce de... salade pourrie !
Et Mamie se jette sur Kereya en allumant son chalumeau. Cette dernière hurle de terreur en prenant ses jambes à son cou. Et Rewind les poursuit en se plaignant d'avoir mal aux jambes à force de courir.
Je souris bêtement en les voyant disparaître dans le palais. Quand je me retourne, Eros est adossé à un arbre et il tente d'allumer un cigare.
Je m'approche de lui, le cœur léger.
— Votre mère est-elle toujours ainsi ?
Il hausse les épaules, sans m'adresser un seul sourire. Un silence s'écoule et je pense un instant qu'il ne me répondra pas. Au lieu de ça, il apporte le cigare à ses lèvres et relâche la fumée en se détournant, pour m'éviter de la prendre en plein visage.
— Elle a ses hauts et ses bas, répond-il.
Sa voix est profondément grave, presque rauque. C'est idiot de s'attarder sur ce genre de détails, mais je ne peux m'empêcher de le remarquer.
— Elle ne s'est jamais vraiment bien entendue avec Danïa.
J'acquiesce lentement et l'observe de nouveau. Il y a quelque chose de singulier chez lui. J'ignore quoi, mais il m'intrigue.
— Nous devrions rentrer, lancé-je pour couper court à la discussion.
Je désigne la terre fraîchement humide pour me justifier. Eros hausse les épaules et détourne le regard.
— Je vais rester un peu.
— Sous ce temps ?
— Qui n'aime pas la pluie ?
Et il tire de nouveau sur son cigare avant de s'éloigner. Je crois que je reste quelques secondes les bras ballants avant de me décider à rentrer.
Quelle journée !
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