Chapitre 24
Je ne sens plus mes poumons. En fait, je ne sens plus aucune parcelle de mon être. Mes jambes me semblent si lourdes, j'ai un point de côté. Les étoiles dansent devant mes yeux. Suis-je aussi dramatique ou suis-je donc au bord de la mort ? Je penche pour la seconde option.
Je suis dans les cinq premiers, c'est tout ce qui m'importe. Et devinez qui est en tête ? Sorya. Comme c'est surprenant. Willa, son amie, est juste derrière elle. J'ai l'impression qu'elle se retient d'aller au bout de ses capacités et qu'elle préfère laisser la place à Sorya.
Quoiqu'il en soit, nous avons déjà parcouru la moitié du parcours. Je m'imagine glisser dans les draps de mon lit, je m'imagine boire un bon chocolat chaud et mon mal-être se dissipe quelque peu. Nous allons repasser devant le public.
Quand j'y pense, cette situation est totalement stupide. Se battre pour le cœur d'un homme. Il y en a tellement sur terre... À quel moment me suis-je rabaissée au niveau des autres ? Comment ai-je pu accepter de me confronter à d'autres pestes pour séduire Eros ?
Mes pas s'accélèrent. Je reste derrière Sorya et Willa, et je suis à deux doigts de recracher mes organes vitaux au sol. Plus qu'une dizaine de mètres avant de passer devant les autres. D'ici, j'aperçois les ombrelles des dames, et mes yeux repèrent immédiatement la robe jaune de Bianca. Je la vois rire à une blague de son bien-aimé, et je me dis que c'est peut-être pour cela que je participe au Jeu des Roses.
Pour avoir un espoir continu, celui d'aimer et d'être aimée, celui de vivre des jours heureux, des moments de plénitude, celui de partager ma vie avec quelqu'un que j'admire.
Mon admiration pour Eros n'est pas à son maximum. Je ne le connais pas suffisamment pour dire si ce que je ressens est profond, mais... C'est dit. Je ressens quelque chose d'inexplicable pour lui, de l'attirance ? Un désir nouveau ? Qu'est-ce que j'y connais à l'amour, de toute façon ? Et qu'est-ce que c'est l'amour, au final ?
Ma respiration devient plus lourde quand nous passons devant eux. Je dois ressembler à un taureau en sueur, et j'ai chaud, beaucoup trop chaud. Chaque mouvement m'est insupportable. Je déteste la course à pieds.
Mes yeux sont attirés par un mouvement sur le bas-côté. J'aperçois Mamie Danïa et Rewind qui s'exclament en même temps. Je manque de trébucher quand je comprends la raison de leurs cris.
Ils ricanent en chœur en jetant des cailloux microscopiques sur Sorya et Willa.
Ce n'était donc pas une blague. C'est plus fort que moi, j'éclate de rire. Les deux pimbêches poussent des hurlements de terreur –ce qui, à mon goût, est un peu exagéré–, en se protégeant de leurs bras. Cela les fait ralentir, si bien que je les dépasse, hilare.
Mamie Danïa m'offre un clin d'œil encourageant, et cela me motive à poursuivre ma route. Malheureusement, je suis arrêtée dans mon élan. Une vive douleur me lance à l'arrière du crâne, et mes pieds s'emmêlent. Je n'ai pas le temps de me retourner que la voix nasillarde de Sorya résonne dans mon dos :
— Espèce de petite tricheuse !
Elle m'arrache littéralement les cheveux et me pousse d'une violence inouïe sur le côté. Je m'étale au sol comme une crêpe avant de rouler sur le flanc droit, la douleur irradiant chaque partie de mon corps. Je la vois piquer un sprint après m'avoir lancé un sourire mesquin.
Moi, je suis clouée par terre. Mes poumons me brûlent, mes jambes ne me soutiennent plus, et j'ai affreusement mal au crâne. Je regarde les autres me passer devant, et je réalise pleinement la situation.
Je ne gagnerai pas cette épreuve. Mon cœur se serre.
Je me redresse en gémissant, et manque de perdre de nouveau mon souffle quand je le vois s'avancer vers moi. L'air préoccupé, il n'a pas les mains dans ses poches cette fois-ci, et son pas est plus pressé.
Eros arrive à ma hauteur, inquiet.
— Tout va bien ? Je t'ai vue tomber.
J'étends mes jambes, touchant mes pieds de mes mains pour m'étirer et je hausse les épaules.
— Sorya m'a tiré les cheveux après que Rewind et ta grand-mère lui aient jeté des cailloux en pleine face.
Eros grimace. Oh, il est si beau. Je ne cesserai de le répéter jusqu'à ma mort. Est-ce que l'amour se résume à la beauté ? À une simple attirance physique ? Suis-je séduite par lui juste pour son charme indéniable ?
— La concurrence peut se montrer cruelle, confirme-t-il.
— Cette peste voit en moi une ennemie que je ne suis pas, je marmonne en chassant mes larmes.
Mes yeux me piquent. Sûrement parce que je sais d'avance que je ne gagnerai pas le tournoi.
— Tu es une ennemie, Arynn, réplique Eros.
Ses yeux m'étudient avec minutie. J'ai toujours l'impression qu'il lit en moi quand il fait ça.
— Une ennemie ? Je ne suis qu'un caillou dans sa chaussure, rien de plus.
— Elle voit en toi tout ce qu'elle ne sera jamais, douce et attirante, et aussi tout ce qu'elle n'obtiendra jamais. Mon attention. Mes sentiments.
Mon cœur loupe un battement. Je le regarde. Il me regarde. Nous nous regardons. Mon ventre s'agite, mes poumons se compriment. Ma peau devient anormalement chaude, pleine de sueur.
Je fronce les sourcils pour me donner un peu de contenance.
— Ne me regarde pas ainsi, rit-il en se détournant quelque peu.
— Comment ?
— Tu me dévisages comme si je venais d'insulter l'entièreté de ton arbre généalogique.
Être au sol est confortable mais je dois me ressaisir. Alors je me remets sur pieds, époussette mon vieux jogging et redresse la tête.
— Ne prétends pas des choses que tu ne ressens pas.
Il s'avance d'un pas, un air impénétrable au visage. Pas de sourire charmeur, de yeux rieurs, rien que son regard perçant et ses lèvres si pleines, si belles, si... Oh, je meurs encore.
— Je sais ce que je ressens, je ne suis pas perdu et encore moins indécis.
— On se connaît à peine, je proteste en reculant d'un pas.
Et ça le fait rire. Je suis hilarante. Le clown du spectacle. J'aurais dû me reconvertir dans ce domaine.
— Je ne suis pas en train de te demander ta main, Arynn, du calme. Et je ne prétends rien pour l'instant.
— Pour l'instant. Oh, mon Dieu.
Je m'étouffe avec ma salive, ce qui le fait rire encore plus. Génial.
Je me reprends comme je peux, et agite la main bizarrement en expliquant :
— Le pour l'instant deviendra perpétuel. Tu sais pourquoi ? Parce que je ne gagnerai pas ce tournoi. Je n'ai même pas gagné cette épreuve.
— Il faudra me traîner de force sur l'autel si Sorya gagne la compétition. Les règles sont faites pour êtres transgressées et ce n'est pas ma vieille bique de mère qui va me forcer à l'épouser.
J'en doute fort mais je préfère me taire. Kereya a l'air d'être redoutable, mais il n'a pas l'air le moins du monde intimidé.
— Cela ne change rien au fait que j'ai perdu l'épreuve. Et j'ai donc perdu la balade au crépuscule avec toi.
Il me scrute quelques secondes et un sourire charmeur s'étire sur ses lèvres.
— Je t'offrirais toutes les balades du monde, Arynn, si je le pouvais.
Il y a du mouvement au loin, cela doit être le signe que Sorya a gagné le défi. Je vais pour m'éloigner de lui mais sa voix me retient de nouveau :
— À ce que je sache, Sir Caster ne m'interdit pas d'inviter une autre prétendante à un rendez-vous galant. Que dis-tu de minuit, ce soir ?
Je me retourne et plisse les yeux.
— Deux balades nocturnes ce n'est pas trop pour toi ?
— L'une sera bien plus intéressante que l'autre, c'est certain, mais je devrais bien pouvoir simuler l'intérêt.
— J'espère que ce n'est pas avec moi que tu le feras.
Son sourire s'étire de nouveau, alors qu'il m'offre sa main. J'hésite quelques secondes. Est-ce un vrai rendez-vous ? Notre premier ? Je lève les yeux pour croiser son regard. J'y lis tout un tas d'émotions que j'ai du mal à décrypter mais... Je vois l'espoir dans ses yeux, et cela suffit à me convaincre.
— C'est d'accord.
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