Chapitre 44


PARTIE TROIS


"Ne se mettre ɑ̀ genoux que pour cueillir une fleur."

                  Jacques Prévert
















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Nous n'avons pas dormi de la nuit. J'ai pris une douce au petit matin tandis qu'Erkel est allé donner sa lettre à Torin qui a promis de la faire envoyer dans la foulée. Il est neuf heures quand je sors de la salle de bains et c'est un Erkel consterné qui est assis au bord du lit. J'avance prudemment, ma serviette nouée autour de mon corps et ses yeux se mettent à briller quand il me voit.

— Réunion avec les autres dans dix minutes. Tu seras prête ?

Je hoche vaguement la tête en m'appuyant contre la chambranle de la porte.

— Tout va bien ?

— Je crois que les choses n'iront pas en s'améliorant à partir de maintenant, tu sais. À peine serons-nous rentrés à Meridia que la guerre sera déclarée.

— Je ne comprends pas ce qu'Areena et Maverick veulent, avoué-je honnêtement.

Erkel se lève et s'approche de moi. Mon corps entier s'électrise juste à le voir devant moi, si beau, si formel. Il porte un uniforme d'un vert très foncé, presque noir, assorti à un pantalon noir et des grosses boots de la même couleur. Je le détaille de la tête aux pieds alors qu'il se moque :

— La vue te plaît ?

— Pas trop, non. Recule, tu es dans mon espace vital.

Mais il n'en a que faire de mes mots et comble la distance. Alors je recule, un sourire mauvais aux lèvres et il avance de nouveau. Ferme la porte de la salle de bains derrière lui et je réplique :

— C'est de la triche.

De nouveau, son corps vient se coller au mien, et sa bouche se retrouve à quelques centimètres de la mienne. Ses yeux sont d'un bleu absolument magnifique. Son regard brûle de désir et mon ventre remue quand je réalise que je suis la cause de l'effet produit.

— Quoi donc ? murmure-t-il.

Et sa bouche effleure mon oreille. Je m'agrippe aux rebords du lavabo, le souffle court alors qu'il vient déposer un baiser sur ma joue. Cet homme sent divinement bon. Et au moindre toucher, j'ai l'impression que mon corps s'enflamme.

— Je dois aller m'habiller.

Ce sont les seuls mots qui sortent de ma bouche et il recule, un sourire aux lèvres.

— Cette serviette t'habille joliment, tu sais.

Je l'imite en me moquant de lui et vais pour le dépasser mais sa main s'enroule autour de mon poignet et ses lèvres se plaquent contre les miennes. Je ne le repousse pas et l'attire contre moi, mes doigts glissant dans ses cheveux, le ramenant un peu plus à moi. Il pousse un grognement sourd et ses mains se posent sur ma taille. Bientôt, son dos vient claquer contre la porte de la salle de bains alors que nos bouches se retrouvent, avides l'une de l'autre.

Sa langue se fraye un chemin jusqu'à la mienne, nos soufflent se mélangent, et ses mains remontent sur mes épaules. Quand je sens que ma serviette commence à tomber –c'était prévisible–, Erkel tire dessus pour la remonter et ce geste m'arrache un sourire. Il n'arrête pas ses assauts contre mes lèvres alors que j'agrippe sa veste pour l'attirer à moi.

Bientôt, nos rôles s'inversent. Il me pousse contre le lavabo, me fait grimper dessus et se glisse entre mes jambes. Ses mains descendent le long de mon corps, effleurent mes cuisses, s'attardent sur mes genoux puis finalement reviennent à mon visage.

Mais la gravité est contre nous et Erkel bouge trop. Ma serviette tombe de nouveau, et vient dénuder ma poitrine. Tétanisée, je n'esquisse aucun geste et Erkel continue de m'embrasser comme si de rien n'était. Cet homme est un dieu vivant. Je jure sur le ciel que plus jamais je ne tairais mes sentiments envers lui. Pour autant, je ne remonte pas ma serviette et il interprète cela comme une invitation. C'en est une, très clairement.

Alors sa bouche descend dans mon cou pendant que mon souffle s'accélère. Ses mains reviennent devant, saisissent ma nudité comme s'il avait fait ça toute sa vie. Ses mouvements m'arrachent des gémissements, et bon Dieu, je crois que je perds pieds. Bientôt, ses mains me quittent pour descendre sur mes cuisses qu'il agrippe pour me ramener contre lui, et sa bouche se fraye un chemin jusqu'à ma poitrine. Quand ses lèvres entrent en contact avec ma peau, je suis au bord de l'euphorie. Mes mains tirent sur ses cheveux, alors qu'il murmure :

— Tu me rends dingue... Si tu savais l'effet que tu produis sur moi, Morgan...

Ces mots, je les imprime dans mon esprit. Je les retiens, je les apprendrais par cœur tellement ils me font me sentir vivante. Il continue de m'embrasser quand trois coups toqués résonnent à la porte :

— Eh oh ! On a dit dix minutes pour la réunion, pas vingt ! Vous reporterez vos séances galochage à plus tard.

Nous nous figeons en même temps. Nos regards se croisent, ses joues sont rougies et ses lèvres légèrement, bon peut-être, beaucoup trop rosies.

— Je rêve ou bien c'est l'autre idiot de roi d'Imir ? s'agace Erkel.

— L'idiot n'est pas sourd ! beugle Rewind de l'autre côté. On a des gens à tuer et vous, vous n'êtes même pas capable de respecter les horaires.

— Bon, Rewind, la-ferme, résonne une autre voix. Ils viendront quand ils seront prêts.

C'est Ander qui vient de parler. Parce que les deux sont entrés dans notre suite comme si c'était l'auberge ? Je vois au regard d'Erkel qu'il pense la même chose que moi.

— Non, il n'y a pas de « quand ils seront prêts », on a dit dix minutes, je n'ai pas tout leur temps. Moi aussi j'aimerais bien rouler des patins à Bianca mais je me suis abstenu.

— Mais sortez d'ici, oh là là !

Cette fois, c'est Eileen qui vient d'intervenir. Je remonte ma serviette sur ma poitrine alors que des pas s'éloignent de l'autre côté. Ils sont enfin partis. Erkel, lui, me dévisage. Quand il se rend compte que ma serviette est de retour, il pince les lèvres.

— Tu étais mieux sans.

Je lui donne une tape en le dépassant pour sortir mais ses bras se referment autour de ma taille et sa bouche fond dans mon cou. Je tends ma gorge, un sourire aux lèvres.

— Tu es insatiable, soufflé-je.

— Et encore... ce n'est que le commencement, ma fleur.

Je le repousse quelque peu et plisse les yeux.

— Tu avais dit que tu arrêterais à partir du moment où je te donnerais mon nom.

Un sourire s'étire sur ses lèvres et il me fait un clin d'œil.

— J'ai dit ça ? Allez, habille-toi. Rewind a l'air déjà assez énervé comme ça pour que nous arrivions encore dans dix minutes.

• • •

— Bon, il y a une urgence apparemment. Nous avons trouvé ça au petit matin dans notre chambre.

Ander lève la main et tend un papier à Erkel. Nous nous sommes tous regroupés dans leur suite comme la dernière fois sauf que cette fois-ci, il n'y a plus de table ronde. Erkel et moi nous tenons prêts de la porte, Eileen et Bianca sont assises sur le lit tandis que Rewind a le regard porté à travers la fenêtre.

Je jette un coup d'œil au papier. Une lettre pleine de menaces de morts envers Ander et Eileen. Celle-ci semble affligé, mais son expression demeure sûre d'elle. Cette fille a l'air d'être une vraie guerrière au-delà de son titre de reine.

— Je pense qu'il est temps d'arracher deux ou trois têtes, lance la voix de Rewind en se tournant vers nous. Je réitère ma question d'hier, quelqu'un a-t-il une hache ?

— Les haches ne sont pas très discrètes, interviens-je soudainement. Et puis, c'est lourd à tenir dans les mains et le coup n'est pas toujours fatal. Ça risque de finir en vrai carnage avec ce genre d'arme.

Je me fige dans mes mots alors qu'Erkel me dévisage, un sourire aux lèvres. Rewind, lui, ouvre grand la bouche.

— Ah ! J'oubliais qu'on manie la hache comme l'épée à Meridia. Bon, une alternative ? Quelqu'un a du poison ? Une échelle ?

— Une échelle ? le questionne Bianca.

— Je ne sais pas, quelque chose qu'on pourrait envoyer à la tronche de ces deux rats des égouts. Une échelle, ça fait toujours mal.

— Tu t'es déjà pris une échelle pour pouvoir affirmer ça ? se moque Ander.

— Non, mais tu veux tenter, peut-être ? réplique l'intéressé. Tu me diras si ça fait mal.

Bon. Erkel intervient alors, aussi moqueur qu'Ander :

— J'ai un clou.

Rewind le fixe, un air consterné au visage alors qu'Ander ricane. Il s'approche pour lui serrer la main comme s'ils étaient des amis de toujours et cette vision me fait sourire.

— Un clou va vachement nous aider, soupire Rewind.

— Et moi, j'ai un fil étrangleur. Petit, fin et discret, aussi tranchant qu'une lame de rasoir.

Le silence résonne comme un boomerang dans la pièce. Alors qu'Eileen et Bianca me fixent d'un air curieux, Ander rit nerveusement et Rewind a encore la mâchoire à deux doigts de tomber au sol.

Ils se bousculent tous d'un coup pour parler :

— Un fil étrangleur ? s'étrangle Rewind.

— Attends, où est-ce que tu as pris mon fil étrangleur ? m'interroge Erkel en fronçant les sourcils.

— J'ai fouillé dans tes affaires, sombre idiot.

— Mais tu comptais l'utiliser ?

— On ne sait jamais, tu sais.

— Mais vous êtes fous ! s'exclame Rewind. Vous êtes quoi... un couple de tueurs en série, c'est ça ? Qui se balade avec un fil étrangleur sur soi ?

— Eux, apparemment, raille Ander.

— Oh la ferme, toi, je vais te faire manger le sol.

— Que de menaces, mon Rewindou, je t'ai connu plus mordant.

Rewind bout de rage en s'approchant d'Ander. Mais Eileen coupe court à toute conversation :

— Bon, calmez-vous. Personne ne tuera personne. Nous sommes officiellement en territoire ennemi et pas les bienvenus. Nous devrions mettre en place un plan.

— Je suis d'accord, renchérit Bianca.

— Oh, Bee, je ne te reconnais plus, fait mine de geindre Rewind.

Elle lui adresse un sourire moqueur et il lui tire la langue. J'ai l'impression d'assister à un spectacle de clowns.

— Réfléchissons, intervient Ander, nous ne...

— Parce que tu réfléchis, toi ? le coupe Rewind. Moi qui croyais que ton cerveau était en off pendant tout ce temps.

— Très drôle. En attendant, celui prêt à tuer tout le monde, c'est toi. Tu es exaspérant.

— La violence résout tout mais vous préféreriez les arroser d'eau fraîche et leur cueillir des fleurs.

— Un problème contre les fleurs ? intervient Erkel.

J'oubliais sa passion pour la nature. Son regard se veut moqueur alors que Rewind hausse un sourcil, aussi insolent qu'un jeune de quinze ans :

— Toi aussi tu veux bouffer des fleurs, mon taureau chéri ?

— Ce type mérite la mort, soupire Ander en se passant une main sur le front. Sincèrement, comment avons-pu une seule seconde le laisser devenir roi d'Imir ?

— Sûrement parce que ma beauté, que dis-je, mon charme vous a ébloui ! ricane Rewind.

— Bon, silence, tonne Eileen. Concentrez-vous un peu ou ne nous sortirons pas d'ici en vie. Nous n'avons aucune armée et nous sommes chez l'ennemi.

— J'ai une idée ! s'exclame Bianca.

Tout le monde se tourne vers elle. Inconsciemment, ma main se glisse dans celle d'Erkel. Rewind, lui, s'avance vers son épouse, curieux.

— Dis-nous tout, Bee.

— Si j'ai bien compris, Kelinthos veut étendre ses territoires et déclarer la guerre à tous les pays du Sud. Allié par ses pays frontaliers, la nation sera puissante mais nous avons un coup d'avance. Nous savons où ils veulent frapper en premier. Meridia. C'est le pays ciblé depuis le début.

— Nous savons déjà tout cela, Bee chérie, lui lance Rewind d'une voix douce.

Ce type n'est gentil qu'avec Bianca. C'est... affligeant. Bianca lui sourit et poursuit :

— C'est pour cela que nous devons respectivement rentrer chacun au pays. Affolons les gens. Faisons ce que personne avant nous n'a jamais fait : déclarons la guerre par le biais du tournoi. Si nous quittons le Jeu des Roses, il n'y aura plus aucun retour en arrière possible. Le tournoi a toujours été synonyme de paix entre le monde entier. En abandonnant et en rentrant à la maison, nous aurons officialisé ce que Kelinthos tente de dissimuler depuis des mois. Ils veulent se faire passer pour les gentils mais nous sommes plus malins qu'eux.

Le visage d'Ander semble s'illuminer.

— Ils ne s'y attendront pas. Bianca a raison. Meridia sera leur cible, envoyons des troupes là-bas dès que possible. Nous les prendrons en embuscade. Imir enverra sa puissance maritime et attaquera par l'ouest. Ecclosia et Lucrenda s'associeront et attaqueront sur l'autre flanc. Protégeons Meridia, ils seront pris au piège.

— Je suis sûre que Therys pourrait même nous aider, intervient Eileen. Ses flottes pourraient assiéger Kelinthos si les choses en venaient à dégénérer. Misons tout sur Meridia et nous aviserons par la suite. Mais nous devrons rester informés sur la situation des autres pays. Envoyez des messages dès que possible.

Nous allons rentrer à la maison. Cette idée me fait peur autant qu'elle me réjouit. Erkel m'attire contre lui tandis que les autres peaufinent les derniers détails du plan. Bientôt, tout est prêt. Nous rentrerons chacun de notre côté et Rewind, Ander et Eileen lanceront l'ordre d'envoyer des flottes à Meridia protéger les quais. Ainsi, quand Kelinthos voudra attaquer le pays, nous seront préparés. Ils voudront atteindre la forteresse quand nous aurons déjà érigé nos remparts.

Bientôt, la porte s'ouvre après trois coups toqués. Et je me fige quand mes yeux croisent ceux de Maverick dans mon dos. Tout le monde se fige dans la pièce alors qu'Erkel me lâche et s'approche de lui.

— Surpris de me voir en vie, l'ami ?

Maverick est livide. Il est blanc comme un linge alors qu'il ne me quitte pas des yeux. Sa colère explose :

— Espèce de sotte ! Tu viens de condamner tes parents à une mort cert...

— Je vous interdis de lui parler.

Erkel se dresse, puissant, et d'un coup bien placé, il envoie valser son poing dans la figure de Maverick. Celui-ci recule de quelques pas, outré, le nez en sang. Rewind, dans notre dos, s'exclame :

— Bien envoyé ! Allez, arrache-lui la peau, tête de taureau !

Erkel l'ignore et saisit Maverick par le col. Ensemble, ils reculent dans le couloir et nous sortons tous de la pièce, inquiets. Il lui envoie son deuxième poing dans le visage puis finit par le relâcher en poussant un petit soupir comme soulagé.

J'aimerais être aussi confiante qu'il l'est en ce moment même, mais je n'y arrive pas. Au bout du couloir, la garde royale de Kelinthos se rue vers nous. Et merde. Le début des ennuis commencent.

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