Chapitre 27

Qu'est-ce qui est le plus troublant, le fait que notre chambre soit plongée dans un silence total depuis des dizaines de minutes ou bien le fait qu'Erkel prenne une douche de plus d'une demi-heure ? Même moi, je peux avoir la prétention de prendre moins de temps. Alors pendant que monsieur est en train de gaspiller toute l'eau potable sur terre, je me contente de tourner en rond dans la chambre.

Je suis à la recherche d'armes. Une guerre se prépare, il faut prendre toutes les précautions possibles. Au bout de cinq minutes, les affaires d'Erkel sont au sol et j'ai déniché trois poignards plutôt pas mal. Les miens laissés à Meridia n'ont pas ce style, je dois l'avouer. Je récolte aussi un fil étrangleur, quelques joujoux de tortures et une épée mais celle-ci, je n'y touche pas. À l'inscription gravée sur la lame, je devine que cette arme appartient à Sa Majesté et je préfère ne pas le froisser pour ce soir.

Toutes ces révélations m'ont laissée... pensante. J'ai l'impression d'avoir été trompée. Ce que je croyais être vrai pendant des années n'est en réalité qu'un mensonge. Mais qui me dit qu'Erkel ne ment pas ? Qui me dit que je peux lui faire confiance ? Si la guerre qui s'annonce s'avère être plus importante que mes plans de vengeance, ses récents aveux changent complètement la donne. Enfin, à peu près. Peut-être a-t-il une raison derrière... derrière ses actes. Peut-être que je n'ai pas la totalité des informations.

Je ne pourrais pas le tuer avant de savoir la vérité complète. En attendant, autant faire profile bas et suivre son plan.

— J'espère que tu as l'intention de ranger tout ça.

Je relève la tête. Assise en tailleur au sol, je le vois débouler devant moi, une simple serviette noire nouée autour de la taille. J'ai en face de moi une tablette de chocolat pour mon plus grand malheur.

Plaisir, oui. Menteuse.

— Et j'espère que vous avez l'intention de vous habiller. S'exhiber de la sorte est punie par la loi.

— À Meridia, oui. Ici, je ne suis pas sûr. Je devrais sûrement penser à changer la loi. M'exhiber un peu purifiera les yeux de chacun.

Je m'étoufferai presque avec ma salive. Il garde son sérieux comme si c'était tout à fait normal de parler ainsi.

— Non mais vous êtes si... prétentieux !

— Je ne suis pas prétentieux, j'énonce une vérité, là est toute la nuance, mon coquelicot adoré.

— Mon coquelicot adoré ? Vous vous moquez de moi !

Je bous de rage. Je vais lui balancer un poignard à la tête, cela le calmera sûrement. Il se contente de déambuler dans la chambre à la recherche de vêtements. Vêtements que j'ai éparpillés par terre.

— Tu préfères ma marguerite préférée ?

— Aucun des deux, allez vous faire voir vous et vos surnoms à...

— Ou peut-être n'es-tu pas très fleur... Ma guimauve enchantée ?

Je bondis sur mes pieds, saisis un oreiller sur le lit et le lui balance en pleine figure. Cet abruti n'essaie même pas de parer le coup. L'oreiller retombe à plat et il fronce les sourcils.

— C'était quoi ça ?

— Vous préférez peut-être un poignard lancé à la place ?

Un sourire innocent s'étire sur ses lèvres alors qu'il ramasse l'oreiller, et répond :

— Non merci. Très beau lancé au passage.

Et pour couronner sa phrase, il me le rejette en pleine figure. Sauf que moi, je ne suis pas assez idiote pour le laisser filer. Alors je le lui balance à mon tour.

Et je crois que notre bataille d'oreillers commence comme ça. Il y a une vrai rage dans mes mouvements. Ce n'est pas une querelle d'amoureux ou un couple jouant tendrement : j'espère sincèrement qu'il s'étouffera avec les plumes du coussin. À plusieurs reprises, je le frappe à la tête mais il a autant de force sur moi. Nos oreillers s'entrechoquent et bientôt, je joue mon bonus : je lui file un coup de pied dans le tibia.

— Ça, c'est pour tous les surnoms débiles que vous me donnez.

— C'est de la triche, grogne-t-il. Attends de voir.

Il laisse tomber l'oreiller et je recule, quelque peu paniquée. Il est toujours vêtu d'une simple serviette. Nous jouons à un jeu dangereux. Mais il s'approche, et je recule, me protégeant le corps de mon propre coussin.

— Reculez !

— Sinon quoi, joli cœur ?

— Je vous déteste, craché-je.

— C'est drôle, je n'en crois pas un mot.

Il comble la distance, agrippe mon oreiller quitte à me l'arracher des bras et le laisse tomber par terre. Il n'y a plus que lui, moi, et le mur dans mon dos. Et à son regard, je devine que les choses vont mal tourner.

— Ne me touchez pas. Posez la main sur moi et votre règle de consentement aura volé à travers la fenêtre.

Il se fige. Je le vois respirer fort, et la façon dont ses pupilles se dilatent n'annonce rien de bon. Il finit par passer une main dans ses cheveux et se détourne de moi.

Je regretterais presque mes mots. Presque.

Je les regrette. Autant que je le désire...

Non. Je souffle en reprenant place au milieu de la pièce. Lui, est parti s'habiller pour mon plus grand bonheur. Il ressort au bout de deux minutes et finit par dire :

— Tu rangeras tes joujoux. Et mes affaires, au passage.

Il n'est plus aussi amical qu'avant. Il se contente d'aller directement au lit alors que je marmonne :

— Aucun souci, connard de Majesté.

Il ne relève pas mais je parierais qu'il a entendu. Au bout de dix minutes de rangement, je lève la tête vers lui. L'atmosphère a changé, son sourire s'est effacé et son visage s'est durci.

— Vous ronchonnez parce que je ne vous ai pas laissé me toucher ?

— Tu es une trouillarde, More.

Cette attaque me pique en plein cœur. Il se contente d'étendre les jambes devant lui et je le dévisage. Il porte un t-shirt noir avec un short assorti et pendant quelques secondes, je n'en crois pas mes yeux. Ce type est le roi de mon pays. Et il a un putain de charisme qui me donne envie de me donner des claques. La façon dont son haut moule ses muscles, ou encore sa barbe naissante qui lui donne un charme incroyable... Et même sa voix grave, ses mains, ses lèvres...

Et merde. Je suis obsédée par lui, ça en devient grave.

— Quel âge avez-vous ?

Cette question, je l'ai déjà posée. Mais je suis curieuse après tout.

— Une question contre une question ? réplique-t-il.

— Deal.

— Vingt-cinq ans. À mon tour, que t'ai-je volé, More ?

Mon cœur se serre.

— Joker. Que croyez-vous m'avoir volé ?

Il ne répond pas tout de suite. Je le vois se mordre les joues, fixer le plafond, réfléchir. Il finit par hausser les épaules.

— Ton ancienne maison ? Un objet rare ? Les options les moins probables. Tu ne me vouerais pas une haine absolue pour si peu. J'ai dû te prendre quelqu'un, un membre de ta famille peut-être ? Sache que si je l'ai fait, j'avais une bonne raison.

Touché. Je ne lui avouerai pas. Alors je me contente de hausser les épaules à mon tour.

— Pourquoi refuses-tu d'admettre la vérité ? demande-t-il comme nouvelle question.

— Quelle vérité, au juste ?

Ma peau commence à me brûler. Mon cœur bat frénétiquement dans ma poitrine mais je ne comprends que maintenant une seule chose bien précise. Depuis que je suis avec lui, mon cœur n'a jamais cessé de battre aussi vite. Les seuls rares moments où j'ai pu être seule ont été les rares moments où il avait un rythme de battements relativement stable.

Cet homme est le démon. Mon cœur ne peut pas battre pour lui. Pas maintenant. Pas si près du but.

— Ton corps m'a répondu l'autre soir. Tu ne m'as pas repoussé mais tu t'obstines.

— Il n'y a aucune vérité à admettre, vous avez ma réponse. À mon tour... Avez-vous déjà été amoureux ? Du genre d'amour impossible à oublier, celui qui vous ferait déplacer des montagnes. Vous tueriez pour l'autre.

Ses yeux se plantent dans les miens. Il faut que je m'assois ou je vais défaillir. Il m'étudie quelques secondes puis finit par répondre :

— Non. L'amour n'est pas pour moi.

— Vous ne voulez pas vous marier ?

— C'est à mon tour de poser une question, rétorque-t-il. Et je te pose la même question, as-tu déjà été amoureuse ?

— Oui, c'est la seule réponse que je vous donnerai. Je réitère ma question du mariage.

— Oui, non, peut-être. Je ne suis pas décidé, mais j'ai d'autres idées en tête en ce moment.

— Donc vous ne voulez pas d'un mariage.

— Je ne suis pas défavorable. Mais je ne veux pas être enchaîné pour le restant de ma vie.

Un sourire moqueur se dessine sur mes lèvres.

— Alors faites le bon choix.

— Oh, mon choix est presque fait.

Je fronce les sourcils. Qu'est-ce qu'il raconte ?

— Que dites-vous ?

— Ce n'est pas à ton tour de poser une question. Comment s'appelait-il ?

Pas besoin qu'il précise pour savoir de qui il parle. Mon précédent amour. Celui qui n'aura pas survécu.

— J'arrête de jouer, j'en ai marre.

Je me déplace pour prendre mon oreiller et vais m'assoir sur mon siège de l'autre nuit. Un silence de quelques secondes s'écoule et il finit par dire :

— Laisse-moi prendre le fauteuil et viens dormir ici... Tu vas te récolter un mal de dos.

— Taisez-vous et éteignez la lumière.

— More... Laisse-moi au moins...

— La lumière.

Clic.

• • •

Mes songes sont animés. Je revois le visage d'Erkel même dans mes cauchemars. Enfin, ce sont tout sauf des cauchemars puisque dans mes rêves, je fais des choses... salaces avec lui. Tellement salaces et horribles que cela ma réveille en pleine nuit. Je mets du temps à rouvrir les yeux pour me rendre compte que deux bras me soulèvent de là où je dormais.

À la façon dont mon dos se sent soulagé, j'étais encore dans le fauteuil. Lorsque j'ouvre pleinement les yeux, je le vois en train de me porter. Nous devons être au beau milieu de la nuit, qu'est-ce qu'il fait ? Je tente de le repousser mais je suis encore à moitié endormie. Alors je le laisse m'emmener dans le lit.

Et bientôt, mon corps entier se sent redevable de connaître la sensation nouvelle d'un matelas. Erkel se rallonge à côté de moi, laissant une distance respective entre nous mais recouvre mon corps du drap. Je cligne plusieurs fois des yeux pour rester éveillée mais je sens que le sommeil m'emporte. Lentement. Trop vite. Inconsciente, je me sens lever la main vers son visage. Mes paupières se rouvrent dans un dernier effort. Du bout des doigts, j'effleure la ligne de sa mâchoire. Je m'entends murmurer un vague « merci », et je le vois sourire.

La dernière chose dont je me souviens, c'est la sensation de ses lèvres sur mon front. Un simple baiser et pourtant, capable de changer mon monde.

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