Chapitre 48

Lorsqu'on me fait entrer dans ma maison, le froid glacial s'émanant de chaque pièce me fait froid dans le dos. Je commence à avoir la chair de poule au moment même où l'on me fait entrer dans ce qui était autrefois le bureau de mon oncle. À peine ai-je passé le pas de la porte que je me fige. Devant moi, le bureau est toujours le même. Chaque cadre est à sa place, chaque meuble est resté le même. La fenêtre ouverte laisse le vent s'insinuer entre nous et vient faire claquer la porte derrière moi. En face de moi, le siège me fait dos. Un crâne dégarni dépasse. Lord Herndon et Lorcan s'en vont, me laissant seule face à cet inconnu.

Cet inconnu qui n'en est pas un finalement. Le siège se tourne et mon sang ne fait qu'un tour dans mes veines. Ma gorge se serre alors que mes yeux croisent les siens.

— Bianca, Bianca...

Sa voix n'a pas changé. Oncle Ednard me fait face, un immense sourire au visage. Il est le même. Excepté qu'il a l'air un peu plus mince que dans mes souvenirs, ses quelques cheveux sont toujours aussi blancs et son regard toujours aussi méprisant. Il commence alors à faire claquer ses doigts contre le bureau. Un ange passe. Je n'entends rien d'autre que ce bruit-là, que ma respiration saccadée qui s'échappe de ma bouche.

— Tu étais celle en qui je plaçais tous mes espoirs, déclare-t-il, comme un regret.

— Je vous ai vu mourir.

Ma voix tonne dans la pièce comme des cymbales retentiraient. Je ne bouge pas d'un millimètre. Il commence alors à éclater de rire avant de soupirer.

— Je me suis vu mourir aussi.

— Vous êtes mort. Ander vous a transpercé de son épée. Vous vous êtes vidé de votre sang devant nos yeux à tous.

— Tu as la même réaction que ta sœur, comme c'est étonnant.

Il évite ma question. Il vient toucher la corde sensible. Je m'affole :

— Où est Eileen ?

Il continue de faire claquer ses doigts, l'un après l'autre. Parfois, il relève la tête et me sourit. D'autres fois, il se contente de rire seul. Il a du frôler la mort pour être aussi dérangé.

— Sans doute morte à l'heure qu'il est. Ander sera fouetté en place publique dès aujourd'hui. Et ce, jusqu'à ce que mort s'ensuive.

Alors, je suis prise d'une colère sans nom. Cet homme qui n'a jamais été un oncle pour nous, cet homme qui n'a jamais fait partie de ma famille ose s'en prendre à celle que j'ai rejoint. Il se permet de nous faire souffrir, de tuer mes proches, les seules personnes qui aient jamais compté à mes yeux.

— Vous voulez que je vous dise quelque chose ? Vous êtes un psychopathe sans cœur incapable d'aimer autre chose que sa propre fierté. Vous êtes inhumain, vous n'avez jamais été mon oncle et vous ne le serez jamais. Vous êtes cruel et sans pitié mais c'est ce que vous voulez entendre, n'est-ce pas ? Vous devez être sacrément dérangé dans votre tête pour faire subir de telles choses à vos nièces, enfin sur papier. Vous n'êtes rien pour moi. Alors, allez-y ! Tuez-les tous, tuez-moi, vous m'avez déjà volé ma vie, mon honneur et la seule personne que je chérissais le plus au monde. Je ne vous donnerai jamais la satisfaction de me voir vous supplier ou pleurer, me prosterner ou que sais-je encore. Vous n'êtes qu'un monstre.

Pour toute réponse, il s'esclaffe. Je n'en attendais pas moins de lui. Je le fixe, impénétrable, l'esprit clair et mes pensées sereines. Je n'ai plus rien à perdre. Le destin est déjà scellé. Le mien et celui des autres. Nous n'avons plus aucune échappatoire. Nous n'avons plus aucun plan de secours, allié à aller chercher.

— Bianca, ma douce Bianca. Qu'est-ce que tu peux être à fleur de peau. Comme ta mère ! Là est votre plus grande faiblesse. Tu es incapable de te détacher des choses.

Sans doute parce que ces choses sont celles qui me maintiennent la tête en-dehors de l'eau. Sans doute parce que sans William et Rewind, j'aurais déjà sauté du haut d'une fenêtre. Sans doute parce que j'ai un cœur, que je ressens et vis pleinement, que je n'ai jamais laissé s'échapper mes souffrances.

Alors, j'attends. Mes yeux plongés dans les siens, je le regarde m'avouer d'un ton méprisable :

— Tu sais quoi ? Tu vas les regarder mourir un à un. Ander, William puis Eileen. Tu vas les regarder souffrir et périr. Te supplier de les aider, de leur sauver la vie ou même de t'enfuir. Tu vas voir ce pauvre petit prince te fixer une dernière fois dans les yeux. Tu vas voir Eileen te dire qu'elle regrette. Et puis, retour à la réalité. Tu souffriras comme ils ont souffert. Tu observeras le spectacle jusqu'à en vomir.

Je ne pleure même pas. J'ai compris comment il fonctionne. Il n'a aucune logique à part celle d'être un fou furieux. Alors je réponds, neutre :

— Qu'il en soit ainsi, alors.

Et je réussis. Il est déstabilisé, mais il ne laisse rien paraître.

— Tu veux jouer à ça, Bianca ?

Il se lève, s'approche de la porte qu'il s'en va ouvrir. Lorcan débarque dans la pièce, pose son regard sur moi avant de s'intéresser à mon oncle.

— Mon cher Lorcan, pourrais-tu m'expliquer comment est mort ce doux... comment s'appelle-t-il déjà ?

— Rewind.

— Rewind, c'est bien ça ! Comment l'as-tu tué, Bianca semble avoir une perte de mémoire.

Je fais abstraction du monde autour de moi. Je respire bruyamment mais tente de me calmer. J'essaie de penser à autre chose mais rien n'y fait. La voix de Lorcan s'insinue, même dans mon esprit. Elle vient s'infiltrer tel un serpent et me mord sans pitié.

— D'un coup d'épée net dans le cœur.

J'oublie. Je n'écoute plus. Je suis plus forte que lui. Il continue de me parler mais les yeux dans le vague, je n'entends rien. Alors, je le vois m'emmener, me sortir de la pièce suivi de près par mon oncle. Nous traversons le long couloir avant de rejoindre une autre pièce. Il ouvre la porte et je me mets à paniquer. J'imagine mille scénarios dans ma tête. Il ne va quand même pas...

Lorcan me pousse dans le petit salon à l'étage, l'ancien bureau de ma mère. Ma bulle ne tient plus. Elle explose lorsque mes yeux croisent respectivement ceux d'Eileen, Ander et William. Tous trois attachés comme des bêtes de foire, je ne les reconnais pas. Le beau visage de ma sœur est jonché de larmes et de sang. Ander est celui qui va le plus mal. Sa tête tient à peine et je le vois. Il est ailleurs. Le sang s'égoutte de son nez et vient tacher sa chemise blanche. Quant à William, il a les yeux fixés sur moi.

— Ah, parfait ! s'exclame mon oncle. Vous êtes tous là pour entendre la merveilleuse nouvelle. Dis-leur, Lorcan.

— Rewind est mort. Il s'est laissé abattre comme une vache à l'abattoir. Ses derniers mots étaient pour Bianca. Il m'a supplié de lui laisser la vie sauve et de le tuer. J'ai donc exaucé sa prière, bien que sa pauvre bien-aimé ne connaîtra pas un avenir joyeux.

Je lui saute dessus. Littéralement. Je viens mordre son visage de mes dents en même temps qu'il n'a pas le temps de parer. De mes mains toujours attachées, je viens planter mes ongles dans ses yeux sans une once de regret. Lorcan pousse un hurlement sans fin en reculant mais je ne m'arrête pas pour autant. Je lui donne un coup de genou bien placé et mon coude vient s'abattre sur son visage. Lorcan se ressaisit aussitôt et sa main vient me frapper au visage. Brutalement, ma tête valse et je m'effondre au sol. Je crache le morceau de peau que j'ai réussi à lui arracher.

— Espèce de petite...

— Lorcan, intervient mon oncle.

Mais il ne l'écoute pas. Il me donne des coups de pied dans le ventre, la poitrine, et j'ai l'impression que je vais mourir. Il s'arrête seulement parce que mon oncle le tire en arrière. Je reprends ma respiration puis crache du sang et me mets à tousser.

— Tu auras tout le temps de te venger d'elle. Pour le moment, nous allons nous occuper de lui.

Ma vision se floute mais je les vois emmener Ander. Eileen hurle, se débat et tente de se relever mais n'y arrive pas. Ander n'a littéralement aucune réaction tant il est mal en point. Épuisée, je laisse ma tête reposer contre le sol. C'est donc ainsi que leur vie va se terminer. Que ma vie va se terminer également.

Je cligne plusieurs fois des yeux et vois Eileen fondre en larmes. Je comprends sa douleur. Je ressens la même chose en ce moment même. Ma sœur capitule. Elle se laisse juste pleurer et crier, et moi, je lâche un dernier souffle. Il est déjà trop tard. Quoique nous fassions, nous sommes destinés à mourir.

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