Chapitre 27

DARREN
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Ce salopard m'a touché de son épée. Une coupure peu profonde traverse le haut de mon pectoral, si bien que je pousse un grognement. Ils sont trois, et je n'ai presqu'aucune chance.

L'un d'eux est balafré. Sa cicatrice traverse son œil devenu blanc. Ses cheveux en queue de rat sont attachés dans son dos et il porte une de ces grosses vestes qui doivent cacher un tas d'armes dissimulées.

Lorsqu'il assène un violent coup à Reyna, je me retiens de lui bondir dessus.

— On emporte la fille. Tuez l'autre.

On emporte la fille ?

La seule chose que tu vas emporter c'est mon poing dans ta sale gueule.

Le balafré s'esclaffe comme si je venais de sortir la blague de l'année. Il saisit Reyna sur ses épaules comme si elle était un vulgaire sac à patates et laisse ses deux sous-fifres faire le sale travail.

Je le vois disparaître de mon champ de vision. Les deux autres se lancent sur moi avec leur épée et j'esquive les mouvements habilement. Ils ont été peu préparés au combat et je le ressens dans leurs gestes. Dans un mouvement vif et rapide, je dégaine mon mini poignard jusque-là caché dans mon pantalon, et plante habilement la lame dans le cou de l'un d'entre eux.

Le sang gicle et ses yeux s'écarquillent comme s'il ne me croyait pas capable de le tuer de sang-froid. J'ai l'impression de me revoir aux entraînements. À l'époque où tout était différent. Rien n'était en jeu.

Arme-toi !

J'ai huit ans. Mon père s'égosille. Il plaque le poignard contre moi, furieux de mon attitude. Je n'ai fait que lâcher et lâcher encore et encore ce maudit poignard.

Il a créé tout un parcours que je me dois d'accomplir. Mais la vérité, c'est que, quand je vois les autres s'amuser dans la cour, j'ai tout sauf envie de réussir ces enchaînements.

— Tu sais pourquoi nous te préparons, Darren. Si tu ne t'entraînes pas, tu ne réussiras jamais.

Il me pousse brutalement au sol et j'étouffe un cri. Le petit garçon que je suis n'a pas conscience de la violence qu'il subie par son père.

Lorsque je me retourne, je ne vois que le visage déformé d'un monstre. Ses cheveux poivre et sel forment quelques mèches éparses sur son crâne, et son long manteau en fourrure lui donne un air grand.

Je ne me rèleve pas. Et je sais que je l'agace, que je le déçois, mais rien n'y fait. Je n'arrive pas à me relever.

— Lève-toi immédiatement !

Il me donne un coup de pied violent comme si sa stratégie allait marcher. Sauf qu'il me fait mal, et que mon souffle se bloque dans ma cage thoracique.

Alors il me tire lui-même comme si je ne pesais rien. Je suis insolent. Et il va me punir. Sa main s'abat sur ma joue avec une telle force que je voltige en l'air. Ma tête vient s'écraser sur le bitume et des étoiles se mettent à danser sous mes yeux.

— Arme-toi, espèce de...

L'autre sous-fifre profite de mon absence pour m'asséner un violent coup de pied dans les jambes, faisant plier mes appuis.

Je tombe à genoux, et mes yeux se lèvent vers le ciel. Pendant tout ce temps, mes entraînements n'auront-ils donc servi à rien ?

Et Reyna... Son visage s'imprime dans mon esprit. A-t-elle lu ma lettre ? Celle que je lui avais donnée l'autre soir ? Je n'ai reçu aucune nouvelles de ce que j'ai pu lui écrire.

Je le lui demanderai quand je la reverrai. J'agrippe fermement ma lame et plante mon adversaire en plein dans le ventre. J'ai visé une zone non-vitale, et pour cause, j'ai des informations à lui soutirer.

Je me relève rapidement, le saisit par les cheveux pour le tirer vers moi. Ma lame s'appose contre sa gorge et je le menace :

— Où l'a-t-il emmenée ?

Le type rit, comme s'il n'avait plus rien à perdre. Il doit avoir la trentaine, ni plus ni moins. Des tatouages lui recouvrent le corps, et à sa tête, je devine qu'il est loin d'être un saint.

— Je préfère pourrir en Enfer que d'admettre.

Je sais qu'il ne parlera pas. J'ai déjà vu ce genre de comportement. Mais l'Homme a toujours une faiblesse, et j'ai toujours été bon pour la trouver.

Un porte-feuille dépasse de sa poche. Je le relâche violemment au sol, saisit mon butin et l'écrase de mon pied pour l'empêcher de s'enfuir.

Il serait surprenant de voir tout ce que l'un homme peut dissimuler dans son porte-feuille, y compris... un portrait de sa femme et de sa fille. Son visage se crispe quand il me voit admirer le portrait avec un sourire jubilateur.

— Deux choix s'offrent à toi. Ou bien tu me dis où il l'a emmenée et je te laisse rejoindre ta famille, ou bien tu ne me dis rien, et j'aurai alors toute l'après-midi devant moi pour te torturer toi, ta femme et ta fille.

Son visage se tord d'horreur. J'ai touché la corde sensible.

— Il l'a emmenée au sanctuaire ta salope de princesse !

Un moment, j'hésite. À le laisser en vie. Ou à le tuer. Il a une fille, je ne cesse de me répéter. Une enfant, comme celles qui ont offert des fleurs à Reyna.

Es-tu un meurtrier, Darren ?

Si je le laisse partir, il préviendra son chef et l'effet de surprise tombera à l'eau. J'hésite, mais je n'ai plus le temps de m'attarder sur lui. Sans un mot de plus, je lève mon bras pour l'assommer à la tête.

Mais la réponse à ma question est déjà faite.

Cet homme est père d'un petit garçon et d'une petite fille. Il a une merveilleuse épouse, qui travaille durement dans un magasin de broderie. Chaque soir, cet homme rentre chez lui, embrasse sa femme et ses enfants. Il les a embrassés ce matin pour leur souhaiter une bonne journée, sans savoir qu'ils ne les reverraient jamais. Presse la détente, Darren.

Il me tend un révolver. Petit et léger, j'observe cet homme en face de moi. Ligoté à une chaise et bâillonné, il me supplie du regard de l'épargner. Ses yeux sont larmoyants, mais les larmes ne tardent pas à couler sur ses joues.

J'ai dix-sept ans, et pour ordre de tuer un homme. Moi qui n'ai jamais fait couler le sang, je me retrouve face à mon but ultime.

— Qu'a-t-il fait ?

Ma voix s'étrangle. Mon père se place à côté de lui, un sourire triomphant aux lèvres. Je n'ai jamais vu une aussi grande cruauté chez un homme.

— Rien. Et c'est là tout le dilemme de cet acte. Quand tu tueras la princesse, cette fille ne t'aura rien fait. Elle n'aura fait que naître à la mauvaise époque. Et pourtant, tu devras la tuer. Tu le sais aussi bien que moi. Tu sais ce qu'il se passera si tu ne le fais pas.

Je pointe mon révolver. Mon cœur se déchire en mille morceaux. Il éclate en poussières de désespoir face à cet homme qui, les yeux noyés de chagrin, me supplie de l'épargner.

Mais j'ai moi-même une famille à protéger. J'ai un devoir à remplir.

— Pardonnez-moi.

Mais le tir ne vient pas. Ma main se met à trembler, mon souffle se coupe face à cette vie que je m'apprête à ôter.

Et puis, en une seconde à peine.
Je commets l'irréparable.

La détonation surgit dans un mouvement si court que je dois me faire violence pour ne pas m'effondrer à genoux.

— Tu es peut-être moins faible que ce que je croyais. Tu l'enterreras. Et tu iras annoncer à sa famille comment il est mort.

— Je ne vais pas leur dire la vérité...

— Trouve l'excuse qui te plaît.

Il hausse les épaules en s'éloignant comme s'il n'avait rien ordonné, me laissant avec un homme que je viens de tuer de mes mains.

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