Chapitre 24
REYNA
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Darren pose sur moi un regard curieux. J'avoue que je suis tellement fatiguée que j'ai du mal à interpréter ses regards. Ai-je même déjà réussi à tirer quoique ce soit de lui ? Il semble sur le qui-vive, comme s'il était prêt à s'enfuir d'ici à tout moment.
Je me prélasse sur le sofa, les joues toujours humides. Je n'ai pas raconté les détails les plus sordides de ce qu'il m'est arrivée récemment, et Darren n'a pas à le savoir.
— J'ai été dur avec vous, admet-il au bout d'un certain temps.
Il semble peser ses mots, et paraît pris dans une réflexion si profonde qu'elle lui fait froncer les sourcils plusieurs fois. Il peine à trouver ce qu'il veut dire. Je vois que cela lui fait mal lorsqu'il lâche d'un ton presqu'inaudible :
— Il était injuste de vous demander de comprendre mon monde lorsque vous vivez dans le vôtre. J'ai été cruel dans mes mots, et j'en suis navré.
Il se redresse, et se lève dans un mouvement fluide pour s'asseoir à mes côtés. Étrangement, mon cœur s'affole. Il y a quelque chose chez lui... quelque chose qui me laisse pantelante.
Nous sommes encore à une distance respectable l'un de l'autre, et pourtant j'ai l'impression qu'il m'irradie toute entière par sa proximité.
— J'ai écrit quelque chose pour vous. Lisez-le seulement ce soir, lorsque vous serez seule. Je ne veux pas vous ouvriez cette enveloppe devant moi, elle est bien trop personnelle.
Il ne m'adresse aucun sourire, seulement un regard dépourvu de sentiments. À la place, il tend le bras et remet l'une de mes mèches en place. Ses doigts effleurent mon visage, et il se penche très lentement. Si lentement que je sens mon souffle s'accélérer et ma bouche s'assécher.
— Reyna...
— Darren, je...
Il est proche. Trop proche. J'ignore comment il en est arrivé à tenir son visage si proche du mien mais je suis en train de suffoquer.
Ses lèvres effleurent mon oreille et il chuchote d'une voix suave :
— Je vous conquerrai, Votre Grâce. Vous serez ma reine, je vous en fais la promesse.
Il s'éloigne alors et je peine à garder mon calme. Il sort de sa poche une petite enveloppe qu'il me tend, avec un bref hochement de tête.
De l'autre côté, les autres candidats s'impatientent en clamant que les quinze minutes se sont écoulées. Darren paraît s'en amuser.
Il se lève avec la grâce d'un félin, mais lorsqu'il avance, se cogne contre la table basse. Sa main renverse ma tasse de thé dans un geste brusque, qui vient alors exploser en mille morceaux contre le marbre du sol.
Je lâche un hoquet de stupeur et Darren s'empresse :
— Je suis maladroit, pardonnez-moi.
Il regarde étrangement cette tasse de thé brisée avec insistance, et en serrant les poings comme s'il contenait des sentiments intérieurs.
— Ce n'est pas grave. Cette entretien est terminé, de toutes les manières. Je vais clôre l'épreuve.
Je m'éloigne de lui pour ouvrir les portes à la volée. Encore quatre candidats attendaient pour passer leur tour, et le reste attendait que le vainqueur soit prononcé, mais je m'exclame d'une voix haute et forte :
— Chers candidats, l'épreuve est terminée. Je proclame Darren comme gagnant de ce défi. Nous nous retrouverons d'ici deux jours pour la prochaine étape. Je vous remercie pour votre implation et bravo à tous !
• • •
Les heures s'écoulent. Je sors à peine de ma chambre car j'ai peur de tomber sur cet animal d'Adryen. Je sais qu'il traîne dans les couloirs en compagnie de ses deux acolytes et j'ai tout sauf envie de le croiser.
Je me sens en sécurité dans ma chambre, les gardes étant postés à l'entrée de ma chambre, je ne risque rien. Je n'ai qu'à attendre sagement que le soir tombe pour rejoindre la salle de réception. J'ignore encore en quoi consiste la surprise réservée à Darren, mais Père me l'annoncera bien assez tôt.
D'un air las, je me lève. Je suis restée allongée toute l'après-midi dans mon lit, et lorsque je pose le pied au sol des fourmis me saisissent dans le bas des jambes. Soit.
Il fait un ciel bleu éclatant dehors. Il faut dire qu'à Imir, la météo est au rendez-vous. Nous avons peu de mauvais jours dans l'année. Or, nous avons en permanence un vent fort, étant donné que le palais est situé aux abords d'une plage privée.
Lorsque j'étais petite, Mère me racontait souvent que cette plage avait été un lieu mythique pour elle et Père. Ils auraient vécu leurs plus beaux moments comme les pires. Ils nous ont toujours très peu parlé de leur histoire. Anthos et Nethan doivent être encore moins au courant puisque l'histoire familiale ne les a jamais vraiment passionnés.
Je sors de ma rêverie. Ne sachant que faire, j'ouvre les portes battantes pour laisser l'air s'engouffrer dans ma chambre. J'avance sur le balcon, et mes cheveux s'envolent à la première vague.
De ma chambre, j'ai une vue imprenable sur le jardin royal. Là où pousse en permanence un champ de coquelicot au loin. Il était très cher à Mamie, ne cesse de répéter Père en permanence. Plusieurs fois dans l'année, je le vois se recueillir sur sa tombe.
Quand j'étais plus petite, je l'observais en cachette. La première semaine de la mort de Grand Mamie a été très éprouvante. Les larmes pleuraient sur ses joues, si bien que j'étais terriblement inquiète qu'il se déshydrate. Il restait longtemps devant sa tombe, et au soleil, il peut être facile d'attraper une insolation.
La moi petite ignorait encore que son père n'était qu'un homme qui pleurait la grand-mère qu'il avait toujours considérée comme sa propre mère.
J'étais beaucoup trop naïve pour comprendre et admettre qu'il se fichait bien de rester des heures sur cette tombe. Il s'en fichait du soleil qui tapait sur son crâne, et lui laissant les joues brûlées. Il s'en fichait lorsque Mère tentait de l'arracher à cet endroit. Il s'en fichait de tout.
— ... prendre des mesures exceptionnelles.
Je sors de mes pensées pour me pencher par-dessus le balcon. Quand on parle du loup...
Père avance, aux côtés de son bras droit et chef d'armées, Monroe. Ce type est aussi baraqué que huit armoires réunies. Sa peau hâlé brille au soleil tandis qu'il range son épée dans son fourreau. Je crois que je ne l'ai jamais vu en tenue simple. Il est constamment vêtu de sa grosse tunique épaisse et de dizaines d'armes qui sont cachées soigneusement un peu partout sur son corps.
Monroe doit avoir autour de la vingtaine mais il est un maître d'armes exceptionnel. Père l'a engagé il y a un an pour ses talents en combat et ses techniques employées. Il a été entraîné par une armée secrète de combattants dans les forêts éloignées de Meridia.
Bref, je n'aimerais pas trop à me frotter à ce type pour ma propre sécurité.
— Le roi de Kelinthos ne tardera pas à répliquer, vous le savez bien. Et nous devrons être préparés.
— Nous le serons, affirme Père. Mais nous ne pouvons plus laisser cette vague d'attentats se poursuivre dans nos terres. Le peuple a peur. Nous devons le rassurer, prouver que nous sommes toujours actifs sur la scène internationale. Je pèse mes mots quand je dis que nous devons réellement attaquer.
Attaquer ?
Les deux se tiennent dans une posture sérieuse. J'ignore de quoi ils parlent, mais cela a l'air sérieux.
— Et que ferons-nous de la taupe infiltrée ? interroge Monroe.
— Pour l'instant, nous devons trouver ce traître. Une fois attrapé, il n'y aura aucune pitié. Voyez, si je fais preuve de faiblesse, je n'aurai plus aucune crédibilité face à mon peuple. La taupe sera exécutée en place public. Il n'y aura aucune rédemption possible.
Un silence. Ils ignorent totalement que je suis en train d'espionner leur conversation. Au contraire, ils poursuivent :
— Sauf votre respect, Votre Majesté, vos plans ne gêneront-ils pas le tournoi actuel pour votre fille ?
— Je ne l'espère pas, et je le dis avec le cœur. S'il le faut, il faudra avancer le Jeu des Cœurs. Ou éliminer plus de candidats. J'y réfléchis encore. Mais l'un comme l'autre, nous savons que ce tournoi aura permis à la taupe de s'infiltrer. Le traître peut être n'importe où. Regardez seulement le nombre de personnes que nous avons employées en plus depuis le début du tournoi. Je parie qu'il se cache parmi les cuisiniers ou même pourquoi pas une femme de chambre ?
Père en jubile presque. Il semble serein de ses activités. Moi, un millier de questions m'assaillent.
— Quoiqu'il en soit, il faut resserrer les vis. Renforcez la sécurité. Nous trouverons bientôt celui qui nous a trahis. Et je jure que je ferai payer ses actes dans le sang.
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